• Il ne suffisait pas d'hériter d'un sabre pour obtenir l'honorable dignité du titre d'épéiste de Kiri, il fallait faire la preuve qu'il soit mérité. D'autant si, en cette arme se cachait un être qu'il fallait dompter, ou sans quoi aucun pouvoir ne saurait s'en exalter. Ce guerrier en manteau blanc tâché de sang, un masque miroir sur le visage. Que pouvait il bien refléter sur son visage ? Peut-être son propre reflet, aux yeux enserrés de larmes de sang. La douleur du monde pourrait ainsi être encagée sur un seul regard sans trait, ce qui ne manquerait ni de poésie, ni de symbolisme. Emprisonné dans un bâton pour on ne savait quelle raison et on ne savait depuis quand ; cet esprit n'invitait pas à la sérénité et son maître naguère le décrivant comme une bête muette, mue par les soifs de douleurs et de sang, le dialogue ne se présageait pas aisé avec lui. Si tant est que dialogue il y ait tout du moins.

• Depuis bien longtemps les Sabreurs exigeaient cette épreuve, alors les spadassins s'y soumettaient. De mémoire d'homme, il n'y avait eu aucune exception à cette étape. Isaïe, quoique déjà désigné par son épouse pour prendre possession de l'arme de son défunt maître, devait y passer lui aussi malgré toutes les embuches déjà surmontées. Les épreuves corrigées en littérature sont inversement celles qui corrigent l'homme dans sa vie. Alors, pour Isaïe, accoster l'île d'Ue, arpenter bientôt le périlleux chemin verdoyant vers le lieu de son rite de ce passage, ce n'était qu'un marchepied de plus vers sa progression. Vers quoi cette ascension le conduirait, il l'ignorait. Qu'importait cela, l'intérêt n'était que de continuer de monter. La vie n'est-elle pas chercher à voler jusqu'à ce qu'on chute ? C'est que, celui qui flirte avec la mort ne le sait que trop bien, Il n'y a pas de création sans épreuve… « Le travail sur l'ego devrait être une des premières épreuves capitales de la traversée », aurait dit un sage anonyme, mais avant de poser le talon sur la plage de l'île, Isaïe avait dû se débarrasser de son ego bien avant d'enjamber l'océan sur une petite embarcation. Son senseï s'était chargé de le lui faire étouffer jusqu'à l'abolition ; « un tueur n'a besoin que d'instinct, pour tuer, l'ego est superflu », n'avait-il pas manqué de lui gravé dans l'esprit.

• Quelques pas sur le sable humide, puis chaud, ne lui inspirèrent aucune poésie. Il ne ressentit pas plus de crainte quant à ce qui l'attendait. Meisusukin trainée par le poing dans le sable, les traces de pas du shinobi étaient ainsi suivies d'un sillon plus profond que large. Le poids d'une vie dans un bout de bois était là gage d'une retenue moins subtile que des cicatrices absentes sur un corps endurci comme on ne pouvait pourtant l'imaginer.

@Narrateur

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