Le caquètement des dés contre le bois d'un gobelet en bambou. Les cris des joueurs et le bruissement des tissus s'agitant durant les paris. L'odeur de sueur des peaux mises à nue. L'aveugle retrouvait les plaisirs des maisons de jeu, assis sur un côté du tapis de Chō-Han, il crachait sa fumée contre le sol et la laissait filer jusqu'au lanceur pour en observer le résultat, pair ou impair, des dés.
L'enjeu ne valait pas le risque de se faire repérer par les propriétaires de la maison, ainsi n'obtenait-il au bout du compte qu'un gain de quelques ryos, toutes pertes déduites et transformait sa triche discrète en chance probabiliste. Mu courbait le destin aux aléas de ses envies et de ses besoins, mais gardait tant à l'esprit que dans ses actes la mesure d'un parieur occasionnel. En certaines circonstances, il s'amusait même d'une perte pleine et entière de son argent comme gage d'une équité rétablie.
Pour toutes les autres fois, ses victoires minimes -et voulues- lui offraient le repas du soir ou le remboursement de ses consommations du jour. Et pour les curieux qui se risquaient à lui demander comment il pouvait jouer, sous-entendu malgré son handicap, le mercenaire leur répondait que la vue n'était d'aucun secours face au hasard. Vérité facile à gober bien qu'incomplète, qu'il leur balançait en pâture. Les illusions des désireux et des témoins s'alimentaient d'elles-mêmes. Un aveugle qui eût gagné puis perdu, ou l'inverse, ne représentait au final rien de plus qu'un parieur sans vue.
-"Pair." Sa voix rauque et assurée suivit le claquement du gobelet sur le plancher, tandis qu'il avançait devant lui les quelques pièces restantes. Une victoire lui permettrait de s'acheter une bouteille du saké tiède qu'il sentait depuis son entrée dans l'établissement.
-"Impair gagne. Désolé." Face au mensonge du gageur, un hoquet étonné parcourut les clients présents mais il les fit taire d'un mouvement du bras. Piège ridicule que laissa passer Mu, acceptant de se faire voler le reste de son solde.
-"Tant pis pour le saké." S'amusa-t-il tout en se relevant.
Assit dans la pénombre, son musc mélangé aux aigreurs des autres joueurs et à l’odeur indicible de fumée et de spiritueux renversés un peu partout, le jônin de la brume profitait de sa notoriété assez faible pour n’être pas source de tumulte dans un tel endroit. Posé dans un large fauteuil en cuir, il voyait devant lui la pile de jetons continuer de grimper continuellement, jouant à un jeu dont il ne connaissait pas clairement les règles. Mais il suffisait de détecter le mensonge et de comprendre quelle carte sortirait ; en cela c’était du travail élaboré et inventé pour lui.
Le Nara avait l’intellect pour progresser et s’enrichir dans un tel milieu, seulement ce n’était pas pour son propre compte qu’il amassait tranquillement une telle somme. Les cheveux détachés et tressés dans son dos à contrario de d’habitude, vêtu d’un large kimono aux motifs de vagues bleutés, il fut interrompu dans son entreprise par ledit aveugle tatoué et son grain de voix particulier. Sans vraiment dire pourquoi, il récupéra ses gains et s’avança jusqu’à sa table, jetant un coup d’oeil au maître des opérations qui semblait vouloir le délester de ses quelques ryôs.
Voilà qui était insensé ; s’en prendre à un aveugle à hauteur de quelques piécettes ?
Kansei posa son derrière sur ses genoux à côté de lui et laissa tomber quelques pièces de plus devant Mû dont il ignorait tout. « Notre ami continue de jouer. »
Un fin rictus qu’il ne pouvait pas voir aux lèvres, l’Ombrageux déposa devant lui-même quelques autres pièces afin de parier sur la suite. Car s’il n’était pas familier au contexte, il savait déceler les potentiels cachés dans la pestilence et cet homme dépourvu de la vue avait plus qu’il en montrait dans les tripes. Quelque part, il était peut-être même au courant de ce qui se tramait et sa réponse n’en était que plus mystérieuse. Les dés roulèrent, leur bruit si particulier résonna dans le brouhaha. Sans porter son regard sur lui bien que l’encre disséminée partout sur lui y invitait, le Nuageux s’interrogea, sans perdre son rictus.
Dans Les vapeurs d'alcool qui viraient peu à peu au vinaigre, l'aveugle y sentit l'acidité d'un tabac blond qui s'approcha. Une main sur son genou, prêt à se relever, il accueillit l'offre de l'inconnu d'un hochement de tête respectueux et se rassit en seiza. Mu n'avait rien du flambeur, et si l'homme espérait trouver ici la démonstration d'un miracle, il serait fort déçu.
L'oreille attentive, il capta le claquement de salive de lèvres se séparant lentement. Une grimace ou un sourire. Mu misa sur le second alors qu'il roulait chaque pièce entre deux doigts pour en conclure l'esprit joueur de son nouveau mécène.
-"L'échec cuisant d'un aveugle pousse rarement à parier l'impossible." Avoua-t-il entre deux bouffées de fumée. Au travers de ces volutes expirées, une silhouette plus imposante que celle de l'Encenseur se dessina alors dans son esprit.
Pariez ! Main tendue, le lanceur attendait l'annonce de chacun des participants pour révéler le résultat du tour. Mu fit rouler quelques pièces sur Han et perdit. Encore. Les parties s'enchainèrent rapidement, délestant le trentenaire petit à petit de sa seconde chance. Mais avant que sa dernière piles ne lui fusse ôtée au détour d'un pari sciemment raté, il inclina sa tête en direction du mystérieux bordé d'ombres.
-"Il m'arrive plus souvent d'être créancier qu'endetté. Vous rendre l'argent sans plus-value serait incorrect. Qu'elles seraient mes chances de me racheter en cas de perte ? De sa réponse dépendrait la suite de leur discussion tout comme de l'intérêt que lui portait Mu.
Son pari sembla perdu, même si ladite perte des ryôs n’était pas vraiment ce à quoi il pensait. Mystérieusement, l’aveugle semblait perdre, encore et encore. Cela pouvait dire qu’il s’était trompé, mais après tout quelles étaient les chances qu’un homme ne gagne pas une seule manche, surtout quand il était là, à côté, empêchant le gageur de truquer les manches ?
Le hasard était une chose intangible et compliquée à appréhender mais ici, il avait tout l’air d’indiquer à Kansei que ce ne pouvait être complètement de son fait.
« Il faut croire que je suis tout aussi aveugle que vous quand il s’agit des dures réalités. » Presque ironique et pourtant au fait de ce qui se passait sous ses yeux, rien n’infirmait son idée première.
Quand sa dernière mise prêtée fut délestée de la main du tatoué, il resta stoïque, malgré les petits rires non-dissimulés des autres participants et du croupier, ignorant complètement leurs présence pour simplement se tourner vers Mû, sans le moindre mot d’abord. Il l’observa une seconde, peut-être deux.
« Bien que je n’avais pas ça à l’esprit, vous marquez un point. Quelles genre de créances pouvez vous dispenser, si ce n’est pas trop indiscret ? » Légitimant ensuite leur présence à la table, il paria à son tour quelques ryôs sur l’Impair et quand il fut énoncé à voix haute le “Chô” par le tenancier, il se fendit d’un sourire, distillant les pièces gagnées et reprises entre lui et l’homme. Il ne pouvait pas les voir mais il l’invitait implicitement à se servir, sans dire un mot pour autant.
« Je me demande comment vous comptez vous racheter. » Dit-il, attrapant dans sa poche une cigarette qu’il positionna entre ses lèvres.
-"Je rachète les âmes des damnés et leur offre une seconde chance." La phrase lâchée d'un sérieux glaçant abandonna l'assistance au silence d'une incertitude, mais l'aveugle ne sentit aucune hésitation chez son interlocuteur, aucun recule, aucune pensée mise en suspens. Non, ses sens se noyaient dans une ombre opaque, un voile impénétrable. Alors Mu céda la vérité, pleine et entière.
-"La beauté, dans la plupart de mes débiteurs, reste l'espoir. Ca leur permet d'accepter leur condition avec patience. Et au plus profond d'eux-mêmes, ils savent ce qu'ils sont. Quels que soient les mensonges qu'ils se racontent pour s'en dissuader, ils ne peuvent ni fuir ce qu'ils ont fait, ni changer ce qu'ils sont. Des monstres qui se promettent l'impossible et m'achète leur rémission. Rien de tels que des certitudes fondées sur l'espoir pour vous rendre aveugle à la plus évidente des vérités."
Et comme pour fournir un exemple concret à sa dernière parole, le trentenaire plongea une main dans l'intérieur de son veston pour en sortir une petite bourse qui vint compléter les rares pièces lui restant. Misant le tout sur Pair, il laissa l'assistance découvrir sa victoire et la fortune qu'il amassa en une seule et unique passe. Au fond, rien d'extraordinaire, simplement de quoi rembourser la mise de l'inconnu Ombrageux et d'acheter avec le surplus la bouteille de saké qu'il convoitait depuis plusieurs heures.
-"Je peux vous délester de vos convictions les moins fondées, mais mon intuition me pousse à croire que votre jugement ne souffre aucunement de pareille cécité. Je me nomme Mu." Il laissa échapper un léger rire amusé, tendant à son interlocuteur une main ouverte en guise de salutation tardive. "Avec qui vais-je avoir l'honneur de partager une bouteille de saké raffiné ?" L'invitation se voulait sincère et honnête. Mu ne transpirait pas systématiquement la méfiance, la tromperie ni l'horreur d'un démon cruel.
Dur de savoir si l’aveugle parlait par métaphore ou s’il était bel et bien convaincu de la déité de ses actions potentielles, ce qui ne rendait tout ça que plus intéressant pour un homme qui aimait avoir matière à réfléchir. Corroborant de son air et son ton la pensée du Nara, les quelques quidams autour semblèrent déstabilisés mais il n’en fut rien pour le bougre du Feu. « Et je suppose que comme tous les moyens de rédemption, le coût dépasse de loin la simple bourse emplie de ryôs pour jouer au Chô-Han. » Il écrasa son semblant de cigarette dans un cendrier à bord de table et continua d’observer les alentours comme le plateau de jeu devant eux.
Bien qu’enrobés dans des effets de style, le fond des paroles que prononçait Mû ne pouvait être plus juste. Certaines choses ne pouvaient être oubliées ; et pourtant certains se leurraient de certitudes vaines. Mais Kansei n’était pas homme à se mentir et ne se sentit pas concerné, bien qu’il n’était pas exempt de quelques crimes entraînant regret et culpabilité.
Le marqué par l’encre confirma alors la certitude du shinobi en gagnant haut la main après l’avoir suggéré par sa prose. La foule sembla étonnée mais encore une fois, ce ne fut pas le cas du manieur d’ombres qui se sentit étrangement satisfait de ne pas s’être trompé sur son cas. Bien que les discussions avec des illuminés avaient leurs intérêts, sa nouvelle rencontre semblait avoir un goût particulier.
« Effectivement j’ai bien des défauts mais cela n’en fait pas partie. » Malheureusement parfois. Certaines épreuves étaient plus faciles à surmonter avec un espoir même contrefait, une lumière au bout du tunnel. Il répondit à son rire par un jumeau plus grave et guttural et empoigna sa main pour le saluer d’une poigne mesurée. « Kansei. Ce sera avec plaisir. » Encore plus si c’était payé par le porte-monnaie de cette bande de lâche incapables qui venait d’apprendre une bonne leçon.
Leurs affaires finies ici, il se leva pour se diriger vers le bar déjà plus calme et moins bondé, ne faisant pas l’insulte à l’homme de lui prendre le bras ; tranquillement il s’installa.
« Vous me semblez en pleine possession de vos moyens quant à votre handicap. » Une simple constatation froide mais bel et bien réelle. Senseur de métier, il savait repérer les individualités sortant du lot, il en avait une à côté de lui. « Ca ne doit pas être un atout pour un ninja. Quoi que.. » Finit-il par lâcher, tandis que le serveur se rapprochait. Un pari, chose seyant à l’endroit.
-"J'entends, je sens et ressens mieux que la plupart des gens." Aucune prétention ici, alors qu'il suivait l'individu jusqu'au bar. L'aveugle restait pleinement conscient de ses capacités et de son point fort : le jugement faussé des autres quant à sa propre condition. Il poursuivit d'ailleurs l'explication, apportant sa propre vision de la chose à son interlocuteur, légitimement curieux.
-"Ma cécité m'a offert un avantage qui m'insensibilise à la nuit comme aux mensonges des illusions. Au final, là où vous voyez un handicap, se dissimule un atout." Et d'une main assurée, glissant sur le comptoir pour en sentir le contact froid du bout des doigts, il vint attraper la bouteille de saké et la tendre à Kansei. "Par contre, pour l'ivrogne aveugle qui sommeille en moi, je crains de devoir solliciter votre aide."
Le trentenaire s'était souvent amusé de cette sensation toute particulière lorsque deux senseurs se croisaient, comme une légère décharge, une petite piqûre d'exaltation ou le frisson d'un contact sans toucher. C'était ce qu'il ressentait avec cet homme, sans pour autant réussir à s'expliquer la nature même du chakra qui coulait en lui. Et tenter une analyse plus frontale, à l'aide d'un jutsu, -outre l'obligation d'avoir une fiche technique validée-, le démasquerait tout autant qu'il démasquerait Kansei.
Non, ce jeu d'incertitude, véritable partie de hasard où chacun avançait à tâtons le satisfaisait pleinement. Plus qu'il ne se le serait avoué.
-"Je ne suis pas ici depuis suffisamment longtemps pour connaître ni reconnaître toutes les odeurs de ceux qui habitent le village. Et disons que ce lieu est... quelque peu prolifique question odeurs. Que faites-vous à Kumo, Kansei au tabac blond ?" Il associait les gens à leurs odeurs depuis son enfance. Le leur avouer, par contre, semblait nouveau et joueur.
Mu récupéra sa cigarette entre deux doigts pour humer l'alcool dans son verre avant d'en déglutir une fine gorgée. Un régal, comme il se l'était imaginé en le flairant quelques heures plus tôt.
Ce n’était finalement pas étonnant. En privant un sens de son usage, les autres s’occupaient d’y palier au mieux qu’il pouvait ; de là un homme pourvu de chakra avait bien des façons de transformer un handicap en une simple tare surmontable. « Une façon bien optimiste d’envisager les choses ; cependant je ne serais pas aussi catégorique que vous. J’imagine que certaines illusions pourraient vous affecter. » Il glissait cela sans mettre de ton sur ses mots, ayant expérimenté à ses dépends des types d’illusions perverses s’immisçant dans l’esprit lui-même, il ne restait alors qu’à tromper un autre sens que la vue pour la propager.
Il exhala d’un simple souffle amusé en réponse à la façon dont Mu se positionnait devant lui et attrapa avec délicatesse la bouteille pour en verser le contenu doucement dans chaque récipient, faisant ensuite crisser la coupe contre le bois pour la positionner devant lui et lui indiquer sa position, si sa façon d’appréhender le monde était bien celle qu’il pensait. « C’est bien peu demander, à vrai dire ma soirée aurait été bien morose sans cela. »
Il sentit alors l’ombre chakratique de Mu venir danser avec la sienne mais il n’était pas homme démuni devant ce genre d’avances et quand il laissa le contact se faire, aucune infiltration ne filtra. Pas une seule. Seulement l’obscurité, comme si Kansei était dépourvu de toute chose qui prouvait quelconque unicité. En cela, il laissait pourtant une information capitale filtrer. Ses capacités dans le domaine de la dissimulation n’avait rien à envier à celles de détection.
L’Ombrageux n’en fit pas de même, laissant le tatoué digérer ce qu’il venait d’apprendre, continuant la discussion de façade pendant leur petit jeu. « Et je ne suis pas ici depuis très longtemps, dirons-nous. J’étais Jônin du village, avant tout ça... » Il ne vit pas de raison de cacher ce fait ni son nouveau choix, Kansei comptait même l’assumer. « Et vous ? Comment vivez-vous ce nouveau joug qui ombrage plus que le Nuage lui-même ? » Il imita Mu et avala de son côté la moitié de son verre, sa curiosité renouvelée.
-"Mes précédents voyages m'ont appris que les idées suivent un cycle. Quel que soit le lieu, quelle que soit la personne à sa tête, les idées tournent autour du pouvoir. Le convoiter. L'obtenir. Le maintenir. Délesté de ces envies, je flotte dans les cieux lourds, aussi librement que je l'entends. Anciennement sous les ordres du Nidaime, me voilà sous ceux de l'Empereur." Bien. Mal. Nulle justification ne lui sembla nécessaire pour alimenter l'un ou l'autre. Mu laissait à chacun l'occasion d'y lire les raisons qui feraient écho à ses propres convictions.
Mais son visage se raidit d'un tic qui fit naître une fossette sur sa joue droite, une micro-expression accompagnée du mouvement de ses oreilles, comme entrainées vers l'arrière avec le reste de sa peau. Ses paupières s'ouvrirent alors sur deux billes d'un blanc presque pur et son regard sévère se porta vers l'entrée où son encensoir avait été déposé, conformément au règlement de l'établissement.
-"Je ne ferai pas ça, si j'étais toi !" Grogna-t-il depuis sa chaise à l'enfant qui, discrètement, tentait de dépouiller le casier de cette arme. Le cliquetis des chaines l'avait trahis et le condamna à une attention appuyée, au point de le figer dans sa position de voleur. Peut-être espérait-il disparaître aux sens de l'aveugle ? Mais ce-dernier lui brisa tout espoir.
"C'est l'fils de Metaru Shuuhei à rester planté comme une statue !?" En référence à la solidification malheureuse dudit Metaru, la remarque fit rire plusieurs clients. Pas Mu. L'enfant lâcha finalement prise puis disparut la peur au ventre et la honte aux joues.
-"Sage décision, il devait ignorer ce qu'il tentait de voler." Et se serait brûlé la chair de la marque des maudits en essayant, comme l'eut fait Mu à son âge. Son attention revint sur Kansei, ancien jônin, ancien défenseur de la cité des Sciences et du Savoir. "Où étiez-vous posté durant l'assaut ?"
Son parcours composait avec plusieurs points d’accroches, de concert avec celui de Kansei. Deux hommes bien différents aux choix pas si éloignés, faits pour des raisons qui appartenaient à chacun. Le Nara lui adressa un regard en coin avant de saisir son verre et de le finir d’une traite, sa curiosité attisée et sustentée.
Lesdites convictions de Mu lui étaient propres et les siennes étant ce qu’elles étaient, il ne se montra pas insistant quant au pourquoi du comment. Après tout, chaque question posée pouvait être retournée.
Dans le blanc livide de ses prunelles, l’Ombrageux put apercevoir son propre reflet tandis que son interlocuteur semblait s’animer de véhémence pour un curieux à la main lourde qui semblait s’intéresser d’un peu trop prêt au matériel de l’aveugle, qui s’il l’était semblait assez sensé pour sentir les mouvements de ce potentiel criminel en bas-âge.
Les propos concernant Shuuhei ne firent pas frémir l’ex-Jônin de la moindre émotion ou d’un traître mot. C’était après tout un maigre retour des choses ; une telle fin. Mais il ne le la lui avait jamais souhaité. Ce dernier parti en retraite, le Hijin n’avait jamais eu de vrais rapports avec l’illustre Nidaime ; en savait ce qu’il avait vu et entendu. Ca lui suffisait.
« C’est un bel objet, de ce que je peux voir d’ici, il possède toutes les caractéristiques du travail d’orfèvre d’un maître forgeron. » Lui-même féru d’armes bien qu’il en fut dépourvu à l’instant donné, il se retourna vite et resservit le Teikokujin ainsi que lui-même.
« Je me situais au coeur de la Cité. Quand l’Empire a frappé, j’ai croisé le fer avec plusieurs de leurs membres.. Jusqu’à la défaite inéluctable. Et vous ? » Il n’avait pas de problème d’ego et parla de ladite défaite avec une certaine légèreté, toute la gravité s’appuyant plutôt sur le fait de se battre. Kansei n’aimait à vrai dire pas beaucoup cela comme certains, idolatrant conflit et belligérances comme des fins en soi.
-"Je l'ai découvert aux frontières de Tetsu, accrochée au cadavre d'un moine pieux vraisemblablement en pèlerinage, il y a de nombreuses années maintenant. Et en fidèle allié, il n'a eu de cesse de me servir en toute circonstance depuis. Le temps et mon utilisation l'ont consumé plus que de raison, et tôt ou tard il me faudra le réparer, voire le replacer..." L'aveugle marqua une pause, hésitant à poursuivre sur une phrase pouvant l'associer à une forme de sentimentalisme. "... je préfèrerais la première option." Mu savait manier cet encensoir plus que 'importe quel autre. Et son habitude s'était muée en réflexe tant il s'en était servi, jusqu'à le confondre à une partie de son corps.
-"Merci." Prononça-t-il en réponse au saké qui s'écoulait dans son verre. À l'instar de la réponse vague de Kansei, le mercenaire précisa sa position sans trop en dire. "Je tenais les portes de l'Assemblée." L'arrêt ne sonnait aucunement comme de la honte, bien au contraire. Mu réservait simplement une partie de l'histoire, une omission que certains décriraient comme un mensonge. Qu'importe ce mutisme, son interlocuteur aurait tôt fait d'apprendre la traitrise de l'aveugle, d'une manière ou d'une autre. "Mais comme les flammes l'ayant consumée peuvent en témoigner, j'ai failli à la tâche." Une défaite de l'esprit, certes, lorsqu'il s'était retournée contre ses camarades. Mais une défaite quand même.
-"Votre calme tout comme votre verbe me poussent à penser que vous êtes avant tout une personne de raison, Kansei. Il me serait regrettable de ne parvenir à m'acquitter de cette dette auprès de vous. Aussi, je serais ravi de servir à vos côtés, le temps nécessaire. À moins que vous n'envisagiez meilleure solution pour être remboursé ?" À défaut de toute autre contre-offre, la proposition restait valable et sincère.
Kansei hocha la tête et porta un regard au blanc livide des prunelles de Mu par mimétisme avec ses conversations de ceux qui pouvaient voir. Au creux de ces derniers, il put ‘admirer’ sa propre épaulière, fissurée par le combat. « Je vous aurais bien guidé vers la Raffinerie pour ce genre de travaux mais elle a été presque détruite. J’ai tout de même bon espoir qu’un Metaru pourrait prendre soin de votre matériel. » Ou essayer de l’étrangler avec, selon la personnification du Kekkei Genkai métallique.
Il hocha la tête au remerciement, sûr que son partenaire de discussion pourrait le sentir, au moins. À la nomination de l’Assemblée, Kansei eut un fin sourire. Le souvenir des flammes la rongeant, des heures assit là-bas à essayer d’avoir un impact sur la totalitaire Reiko. Tout cela semblait de l’air impossible à saisir au sein de sa paume. Peut-être s’était-il trompé depuis le début ? Lancé comme il l’était toutefois, impossible de s’arrêter. Qu’avait-il à perdre ? « Les planches et les murs ne font pas le forum. Ce sont ses participants qui sont importants et il en reste encore assez. » Les voix, les avis des trois maisons et de leurs soeurs plus petites. Les nouvelles amenées de Hi no Kuni. Ce mélange était certes instable. Mais si la bonne main les dosait alors il se trouverait exister une Puissance qui dépassait jusqu’aux villages ninjas et aux Seigneuries.
Son doigt effleura son verre. « Votre considération m’enchante et bien que j’agisse souvent en solitaire, je ne peux décemment refuser l’offre. Vous me prenez de court, à vrai dire. Je vois peu d’autres moyens aussi profitable. » Il lui adressa un sourire amusé et termina son verre d’une traite, qui claqua doucement sur le bois du comptoir une fois vide.
« Vous ne semblez pas plus déraisonnable que moi, Mu. Alors qu’est-ce qu’un duo tel que le nôtre pourrait accomplir pour l’Empire, ce soir ? À part vider cette bouteille de sake, au demeurant délicieux. »
-" Ruiner cette maison de jeu." Un sourire malicieux illumina son visage. "Mais la bouteille me semble plus raisonnable pour ce soir." Il lui fallait jouer sur le long terme pour que leur collaboration pusse être bénéfique au plus grand nombre.
-"L'occupation n'est qu'une transition," reprit-il, son verre de saké se balançant au bout des doigts "un provisoire qui nous positionne à la croisée des possibles quant à l'avenir de cette cité, et par extension, celui de l'empire. Il ne tient qu'à nous d'en chercher la stabilité d'un équilibre juste et impartial."
Vœu pieux d'un bienveillant, que l'aveugle n'était aucunement. Il détailla donc sa proposition, précisant l'atout qu'il pourrait représenter dans la main de Kansei. Tandis que sa fumée, lourde et épaisse, recouvrait une partie de leur table.
-"Ne vous laissez pas duper par mes mots. Mon faciès et mes actes me rapprochent davantage des bas-fonds de ce monde que de toute autre chose. Mais une fois blotti dans ce ravin insondable, j'y serai vos oreilles, à défaut d'en être vos yeux. Attentif et patient, sans jamais juger."
Le mercenaire se présenta ainsi comme une porte d'entrée vers l'occultisme d'un monde souterrain. À croire que ses yeux sans vie lui permettait pourtant de voir par-delà la clarté de la Foudre. Il en distinguait les défauts aussi sombres que sinistres et, à Kumo comme ailleurs, les apprivoisait d'une aisance presque maléfique.
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