Coincé entre la chaleur des déserts, les vents des montagnes et l’humidité des forêts, me ne dérogeait pas à son titre. Concentrant tous ses éléments dans un même lieu, la pluie était monnaie courante sur ses terres continuellement inondées par les flux d’eau. Ne pouvant cultiver nombre céréale, le pays ne s’était jamais trouvé une dorée assez rare et utile pour s’élever dans le monde et il avait fini par abandonner tout espoir de s’élever dans un monde en perpétuelle évolution et en quête de puissance. Celui-ci avait fini dans la poussière des autres grands pays et n’avait finalement trouvé aucun moyen de s’en sortir pour survivre. Les nombreuses guerres n'avait pas arrangées non plus le développement de ses terres. N'ayant pas de force assez puissante pour se défendre, me n’avait pu résister à la souveraineté des autres et s'était finalement contenté de ce pauvre territoire à l'abandon.

Murashigure n’était pas une exception au pays, plus grande ville du territoire de la pluie, les édifices qui la composaient n’en étaient pas moins des plus lamentables. Ici, pas de palais touchant les cieux, de cours et de place recouverte d'or et encore moins de demeure terrassée par la flore travaillée. Seulement si trouvaient des bâtisses construites par les bris et les brocs des environs, des matériaux récupérés à droite et à gauche ayant déjà dépassés depuis longtemps leurs limites d'âge. Entassés les uns sur les autres, le peuple qui jonchait les trottoirs, vadrouillait de long en large sans objectif. Sous les épais nuages menaçants, l’avenir était mort depuis fort longtemps.

Arrivant par les cieux, Kishi s’installait sur les débris des bâtiments alentour. Ici, l'arrivée de nouvelle tête et de nouveau soldat était monnaie courante, ce n’était pas un kuchyose qui alerterait le moindre individu.

« Tu peux y aller Kishi, je te rappellerais quand j’aurais besoin de toi. »

Dans un nuage de fumée, je me retrouvais seule dans ce vaste cimetière urbain. Descendant dans les ruelles crasseuses par la météo constamment pluvieuse, une odeur spongieuse, des senteurs mêlant moisissure et déchet, emplissait mes narines. La vue n’était guère mieux, des cabanes faites de bois et de tissu se mélangeaient à des tristes maisons aux murs fêlés. Rien ne donnait envie de vivre ici.

Avançant vers le centre-ville je remarquais que de plus en plus de groupes étaient présents. Ayant chacun un style différent, leurs regards, leurs attitudes ne donnaient pas envie de les rencontrer. Je venais de rentrer dans les territoires contrôlés par plusieurs gangs de nukenin et en son centre, je me dirigeais vers le seul bâtiment plus vaste que les autres, plus entretenu que l’ensemble. Un lieu qui était défini comme un palais dans ce pays, mais qui n’était finalement qu’une immense bâtisse moins usée que les autres. Celui-ci comportait deux ailes, brunni par l’humidité et plusieurs étages. C’était ici que je devais rencontrer mon contact, celui qui m’avait demandé de venir dans ses terres pour purger la racaille de ce monde.

Misérable, tel était le premier ressenti quand je pénétrais par l'aile Ouest du bâtiment. Un endroit qui ne demandait qu'à inspirer une sobriété rendue impossible par la corruption des élites. Un lieu pauvre qui regrettait ses choix passés et qui espérait un avenir meilleur. Sans décrire en détail le palais, je ressentais chaque goutte de sueur et de sang qui avait été donnée pour son élévation par ses constructeurs. Un bâtiment qui voulait voir naître un nouveau pays, fort, riche, puissance. Un bâtiment qui avait été monté pour son peuple, par son peuple, mais qui avait finalement coulé sous la junte de ses pères les plus prestigieux. Les prestiges qui les abordaient n'étaient bien qu'une facette qu'eux-mêmes s'était donnée. Finalement, le pays entier était représenté dans ses pierres, un peuple souffrant pour le bien du seigneur.

Tout cela me rappelait trop le système des villages militaires et de l'ordre mondial qui s'était établi au fil des siècles. Un maître, des esclaves, c'était comme cela que je voyais le monde actuel. Prônant dans leurs d'ivoires, ses êtres abjects n'étaient là que pour leur salut personnel, nourri par le flux constant de l'avarice et la luxure. Tout cela me rappelait encore une fois mon envie de changer le monde, de mettre en place un système juste et sobre en accord avec les lois nobles et notre mère. Et quand bien même le discours de l'homme au chapeau résonnait dans le cœur de certaines et certains, j'avais vu la vérité de mes yeux face à ses lieutenants. Un monde sans chakra ne serait pas plus égalitaire, il serait tout bonnement pareil que celui dans lequel nous vivions. Une vie sombre jonglant entre la soif de pouvoir d'élu de naissance et les larmes des mères et sœurs endeuillées par la mort de leur fils et frère pour que ses seigneurs puissent jouir de leurs biens, si facilement acquis.

C'était pour ce combat que je voulais mener, que je m'étais rendu dans ce lieu. Contacté par un inconnu de ce territoire, celui-ci semblait porter le même jugement sur le monde actuel. Mais sans atout entre ses mains, il avait pris l'initiative de faire appel à une personne qui partageait sa vision du monde. Sous les regards des citoyens errant dans le palais, je me retrouvais à attendre sous un porche d'escalier. Dans la noirceur de l'endroit, j'attendais que mon commanditaire se montre.

« Bonjour, Itö Luna. »

D'une voix rocailleuse, un homme bien bâti se joignait à ma compagnie.

« Je me nomme Itari et je vous remercie d'avoir répondu à ma requête. »

Large d'épaules, muscle saillant, l'âge et la sagesse émanaient de son physique. Tel un vieux forgeron, sa carrure par rapport à la mienne dominait l'espace, mais sous ses traits physiques imposant, la fatigue semblait rogner son corps et son âme. Lentement, celui-ci enchaîna sur les circonstances de ma présence sur ses terres de pluies. Étant lui-même Tsuchijin, il avait vécu toutes ses longues années sous la protection de son Daymio. Forgeron renommée, il bravait toutes les épreuves pour fournir à son seigneur le meilleur de la qualité. Sans heures, de toutes saisons, ses mains reflétaient la passion et l'acharnement qui offrait à son maître. Jusqu'au jour où une blessure l'a ruiné. Sans pouvoir travailler, son seigneur n'avait que faire de lui, abandonné à la triste réalité de ce monde, il m'expliquait avoir ouvert les yeux sur ce système. Sa survie, il l'avait eu grâce à ses voisins, ses amis tout aussi pauvres que lui et qui se sacrifiait tout pour sa famille alors qu'eux-mêmes n'avaient rien. C'était à ce moment qu'il commença à haïr cette féodalité. Quittant son village, lui et son groupe, il se retrouva rapidement à me n’ayant plus d’endroit où aller. Ici, la vie était différente, mais tout aussi dure. Un seul point différenciait ce pays à celui de la terre. Ce n’était pas un puissant seigneur qui contrôlait le pays, mais plusieurs petits gangs de bas étages qui pouvaient être défaits. Cette différence à ses yeux était une aubaine et c’était pour cela qu’il se retrouvait ici en ce jour à me compter son histoire. Il connaissait mon histoire, il savait que je vomissais les Daymios et la féodalité. À ses yeux j’étais l’une des seules à pouvoir lui créer un petit coin de tranquillité ou bon vivre.

« Je n’ai plus la force, je suis trop vieux. Mais vous Luna, si vous arrivez à identifier ses gangs, nous pourrons avancer dans nos projets. Vous êtes notre seul espoir. »

Tout en sortant de l’ombre, je posais ma paume sur mon fourreau. Signe d’acceptation, j’avais pris l’habitude de faire ce geste pour partir en bataille. Un réflexe que je ne contrôlais plus maintenant, mais qui était lourd de sens pour moi. Laissant seul l'ancêtre sous les escaliers du pseudo palais, je m’éloignais de lui pour sortir de ce lieu crasseux.

« Retrouvons-nous ici dans trois jours. »

Je ne connaissais pas ce pays, je ne connaissais pas cette ville. Allant m’installer sur une toiture, sous un porche pour me protéger des fines gouttelettes qui crachaient à longueur de journée, je devais réfléchir à un plan d’action.

Des groupes de criminels, j’étais quasiment sûr d’en avoir croisé dans ses ruelles abjectes, mais une différence énorme se faisait entre les trouver et les identifier. Ce que je devais rechercher avant tout était des marques d’appartenance. Tout comme le tatouage que je dissimulais sur mon fessier, certains devaient posséder une symbolique qui les représentait. Des territoires pouvaient également entrer en jeu. Des clans comme ceux présents ici devaient obligatoirement posséder un endroit où passer le temps. Ses lieux devraient être gardés et protéger, je pouvais donc me servir de ses rondes de gardes pour ma quête.

Avec tout cela, j’avais plusieurs points de pistes à explorer, mais j’allais devoir fournir pas mal d'efforts pour avoir une vision globale des lieux. Explorer et analyser la ville, allait prendre bien trop de temps à pied et je ne pourrais pas avoir une vue d’ensemble via ce biais.

Dans un nuage de fumée, mes mains s’étaient jointes pour libérer une force de la nature.

« Déjà ? Tu te foutrais pas un peu de moi Luna ? »

« Désolé mon ami, je sais que ça fait que quelques heures que je t’ai libéré, mais je n’ai pas le choix. On m’a confié une mission, tu le sais. Je dois identifier les groupes de criminels qui résident en ville et pour ce faire, une vision en hauteur m’est indispensable. Tu me ferais gagner plusieurs jours. »

S'accrochant aux sombres plumages, les puissantes ailes d’Ishi balayaient les tuiles pour s’échapper dans les cieux. De la haut, l’ensemble de la ville était à ma disposition.

Ovoïde, la ville s’était centralisée autour de l’ancien palais. Coupant celle-ci en huit, les artères principales formaient de larges bandes qui séparaient les différents quartiers entre eux. À travers, plusieurs centaines de petits chemins se disséminaient à l’intérieur des murs créant un méandre absolu.

« Merci Ishi, j’ai de quoi faire avec cette vue. Tu peux me déposer et t’en aller vraiment. Je me débrouillerais sans toi pour les prochains jours. »

« J’espère que c’est le cas l’Encrière. J’ai des gamins à élever, n’oublie pas. Surtout avec Yakyōshō qui est entré dans l’âge de chasse. Tu le verrais, c’est un redoutable prédateur. Ça ne m’étonnerait pas qu’il finisse par dépasser son paternel un jour. »

« Ah, ah. Quand ça sera le cas, dis-le-moi, je saurais vers qui me tournait pour te remplacer. »

« Ne rêve pas trop petite, le jour où ce sera le cas, tu ne seras plus que de la poudre séchée par le temps. »

À terre, plusieurs dizaines de minutes plus tard, je pouvais commencer ma mission. Je me doutais que chaque quartier n’était pas forcément le territoire de tel ou tel gang et je voyais également mal qu’une ville peut accueillir huit groupes s’affrontant pour le pouvoir. J’allais devoir patrouiller et chercher des indices dans chacune de ses zones.

Les premiers signes que je remarquais des différents groupes de la ville n'étaient pas en reste avec les divisions et les styles des quartiers que je visitais. Lors de ses longues heures de recherche et d'analyse qui m'avaient pris plusieurs dizaines d'heures, jusqu'à dépasser sur la journée suivante. Je remarquais la diversité des lieux et de l'esprit de la ville.

Le nord, quartier qui me semblait le plus pauvre, était en proie à un fort désolement et de dégradation des habitats. N'ayant que le strict minimum pour vivre, j'entendais pas là un simple toit, même ceux-ci n'étaient pas à la hauteur de la fabrication artisanale. Ceux qui l'habitaient semblaient avoir perdu tout espoir dans la vie. Vadrouillant d'un point a à un point b sans conviction, ils ne dépassaient jamais les limites de leur secteur comme s'ils étaient prisonniers de leurs propres morosités. Peu d'enfants semblaient vivre ici ou tout du moins, peu sortaient de leurs taudis. Les âmes que je croisais, semblaient toutes dépourvues de vigueur et de fraîcheur. Les traits marqués par une vie de souffrance, ils semblaient encore aujourd'hui subir le châtiment d'être né ou ayant vécu ici.

Les quartiers sud étaient tout autres. Vivante et chaleureuse, une certaine paix semblait y être installée. Bien que ceux-ci n'était pas non plus à la hauteur des riches villes des pays voisins, je puisse ressentir une certaine entraide entre les habitants. N'abordant pas de sourire à chaque coin de rue, les enfants couraient quand même pour suivre la route de leur vie. Les bâtisses de briques et de tôle mise les unes sur les autres à la main tenaient la route pour accueillir une courte vie en son sein. Des commerces et des lieux de vie s'étalaient tout le long des grandes artères et bien que celle-ci n'était pas des mieux fournie, elle avait le mérite d'être pressante.

L'est ou l'ouest étaient un mixé de ses deux atmosphères. Aussi variable que dérangeant, la vie semblait plus douce dans l'une et plus cruelle dans l'autre. Cette organisation de vie n'était pas si différente que d'autres, mais dans tout cela, un point me dérangeait. Malgré la vie qui s'étalait au sud, pourquoi et comment celle-ci ne s'était pas diffusé à travers le nord de la ville. Et malgré tout, pourquoi le sud était toujours aussi pauvre alors que la vie semblait y être plus paisible que dans le reste des points cardinaux.

C'était sur ses points que j'avais le plus passé de temps. Qu'est-ce qui pouvait pousser une telle différence de qualité de vie.

Et c'était après de nombreuses heures que je trouvais enfin mes réponses. Sans avoir d'échange avec ceux qui habitaient cette ville pour ne pas éveiller le doute, je remarquais deux choses. Dans le sud, le soir tombé, chaque commerce et habitation laissaient quelque chose dans une cache de leur habitation accessible par la rue. Et dans le nord, plusieurs groupes de deux individus voyageaient à travers les couloirs déserts et s'arrêtaient devant certaines maisons pour les marquer. Cette méthode, je l'avais déjà connue, je l'avais déjà vue.

Deux gangs nécrosaient cette ville. Un pour de l'argent, l'autre pour de l'esclavage.

Alors que je suivais l'un d'entre eux la nuit tombée, j'observais la confirmation de mes intuitions. Passant de case en case, trois individus récupèrent à chaque bâtisse une somme de ryôs qui avait été préalablement déposée par les habitants. Cette méthode était bien connue dans le monde des bordures de première. Prônant la sécurité auprès du peuple contre les mercenaires et les scélérats, ils maintenaient une constante violence sur ses honnêtes travailleurs pour récupérer des pécules qu'ils ne méritaient pas. De rien en ruelle, gardant une bonne distance, je les suivais tout du long de la nuit. Sans perdre leur trace, je me faufilais en toute discrétion pour ne pas me faire repérer.

Après plusieurs heures de rondes et une obscurité bien installée, le groupe de malfrat se dirigea dans une impasse. Et alors que je les perdais de vue quand ils tournaient dedans, je me retrouvais face à un obstacle. Devant moi, un épais mur et sur les côtés, des bâtisses sans porte.

« Fait chier ! »

Sous l'exclamation de mes tripes, je les avais réellement perdues. M'avaient-ils repéré ? Avaient-ils fui ? Et où avaient-ils bien pu aller ? Je ne pouvais pas me permettre un tel échec après avoir passé près de dix-huit heures à analyser la ville. Il devait forcément être passé quelque part.

Autour de moi se trouvait un mur. Épais et délabré, il faisait partie des murailles extérieures du palais. Rien ne semblait indiquer un passage ou une trappe à travers ses briques et de toute façon, il n’y avait qu’un vaste jardin derrière. Deux bâtisses m'entouraient également, abîmé par le temps, pas de porte, ni de fenêtre ne se présentait à moi. À travers les décombres des ordures jonchant le sol et les murets, aucune trace n’était présente. Encore une fois, pas de passage vers un lieu secret. Il ne me restait finalement qu’une seule option.

« Ils ont osé ? »

Derrière moi, une plaque au sol. Ronde, métallique, elle était présente dans beaucoup de villes et de village, mais une chose me revenait. Pourquoi des égouts seraient présents sous mes pieds alors que la ville n’était pas censée en posséder. En une fraction de seconde, je me dirigeais vers cette tôle de métal. La soulevant à la force de mes bras, une odeur de renfermé s’en échappa, mais ce n’était pas celle dont on pouvait s’imaginer en l’ouvrant. À travers le puits, une échelle m’apparaissait pour descendre et tout au fond de cette obscurité, une légère lueur vacillante remontait à la surface.

Descendant les barreaux les unes après les autres, je me retrouvais dans un dédale que je ne connaissais pas. La lumière y était absente, mais il n’y avait point d’humidité, ni d'excrément. Ce n’était certainement pas des égouts, mais d'autres choses. Quoi ? Je ne pouvais pas encore y répondre. Mais au fond de ce tunnel, comme un grillon en pleine nuit, une torche m’attirait. Des échos revenaient aussi dans ma direction. C’était bien les deux hommes que je suivais depuis le début de la nuit qui continuaient leur marche dans un lieu dont je ne connaissais pas l’existence.