La Porte du Vent de l’Est. “Ville des voleurs” d’après certains, mais pas que, quoi que pouvaient en dire les détracteurs de ce berceau tant du vice que de la beauté d’apparat trompeuse et néanmoins fondamentalement captivante qui se donnait à contempler dans les artères principales de la ville. Entre toutes les destinations qu’aurait pu choisir votre duo, c’est sur cette cité que s’était porté votre dévolu, certainement du fait de sa réputation et de la nature même de ce mystérieux personnage du nom du Comptable. Vous convoitiez cette fameuse « Liste Rouge » dont vous avait parlé Han Musashi, une liste que ce dernier soupçonnait d’être détenue par ce ou cette proche collaborateur ou collaboratrice de Ryuma, une personne ancrée dans le milieu du crime, fut-ce d’une façon plus propre et moins voyante que les coupe-jarret qui pouvaient sévir aux mauvais détours de certaines ruelles de la Porte du Vent de l’Est.

Par la voie qui transitait sous le pied des montagnes, vous traversâtes donc vers là où votre intuition vous dictait d’aller, vers le coeur de la passion, de la tromperie et de la vie dans tous ses états qui donnaient à la fois ses couleurs et sa réputation à cette cité-étape. Et lorsque vous arrivèrent enfin aux prémisses de votre destination en début d’après-midi et que la lumière brûlante du zénith vous étreignit les rétines, ainsi que la peau dans le cas de Kongu, vous pûtes d’emblée poser les yeux sur le spectacle routinier d’une ville vivante à l’équilibre fragile et organique. Autours de vous, bien des gens partageaient l’originalité de vos propres atours : difficile en effet de réellement sortir du lot, une fois baigné dans le flot de ces individus aussi divers et variés en apparence qu’ils ne l’étaient par la nature de ce qui les animait, et qui peuplaient autant les rues que les bâtiments. Les bouges, maisons de thé et étalages rutilants de marchandises flamboyantes sous le couvert de quelques auvents étaient légions, tout autant que les interlocuteurs potentiels pour votre duo en quête de renseignements.

Au coeur de cette activité bourdonnante et dans laquelle vous pouviez vous fondre sans aucun mal, vous deviez malgré tout faire un premier choix pour orienter vos recherches. Tenterez-vous de vous installer, à table ou en terrasse, dans l’un des nombreux établissements aux recommandations très variables qui jalonnaient la cité, d’interroger quelques marchands d’étoffes ou de denrées locales exotiques, ou bien encore de laisser votre instinct vous guider vers l’une des nombreuses silhouettes atypiques que croisaient vos yeux ? L'embarras du choix était peut-être votre premier ennemi en ces lieux chatoyants, et il n'était pas dit que si vous vous sépariez, vous seriez assuré de vous retrouver comme vous voudriez en convenir...

Le plan avait été validé par le coéquipier et le groupe pouvait commençait sa petite aventure dans la joie et la bonne humeur… Ou pas. Le trajet pris un petit temps, mais le groupe arrivait à destination en début d’après-midi. Le soleil était, comme à son habitude, en pleine forme et pouvait rendre la période plutôt désagréable. Pourtant, la petite samurai s’y était habituée à termes à cette chaleur, parfois pesante, de ce pays du désert.

L’activité de la porte de l’Est était toujours aussi impressionnante, on y trouvait de tout. Du simple innocent à la racaille, il en avait pour tout les goûts si on pouvait le dire ainsi. La samurai n’avait pas pour habitude de trainer plus que nécessaire dans ce genre d’endroits, même si parfois cela était nécessaire… Après tout, n’était-elle pas une mercenaire ? Son regard parcourait les environs, posant son avant-bras sur la poignet de l’un de ses katana.

Elle passait rapidement en revue les possibilités, mais puisqu’ils n’étaient que deux, les choix étaient vite fait. Fallait-il rester groupé ou se séparer ? Les deux avaient leurs avantages, mais finalement elle fit un choix.

Je suggère que nous nous séparons pour enquêter de notre côté, avec un peu de chance on va accélérer les choses. En guise de lieu de rendez-vous, je suggère l’entrée par laquelle nous sommes arrivés, ça facilitera les retrouvailles.

Du moins c’est ce qu’elle espérait, mais c’était probablement mieux que de demander à se retrouver au centre avec la masse de monde qui venait et partait continuellement. Elle laissait l’homme aller là où il voulait, même la suivre s’il préférait le faire, alors qu’elle se dirigeait vers le premier établissement qui lui venait à l’esprit et qui semblait pertinent : Un salon de thé.

Elle passe la porte d’un pas lent, laissant son regard observer un instant l’endroit, les présents. Elle tente de jauger les gens avant de reporter son attention sur la personne en charge de l’endroit. Elle s’en approche, affichant un petit sourire avant de s’adresser à la personne.

Bonjour ! J’aurais besoin de votre aide pour quelque chose…

Elle fixe la personne, laissant quelques secondes passer avant de reprendre.

Je recherche une connaissance, je sais qu’elle bosse dans cette ville mais… Elle grimace légèrement, dodelinant la tête de gauche à droite. Je ne sais pas vraiment où… J’imagine que vous savez comment peuvent être certains partenaires commerciaux.

Elle affiche à nouveau un léger sourire puis reprend.

La personne se nomme le Comptable, ça vous dit quelque chose ? Il travaillait pour la famille Han, surtout Ryuma.

Sur ces dernières paroles, elle se tût définitivement pour lui laisser l’occasion de répondre. Elle n’était pas particulièrement optimiste sur le résultat, mais il fallait bien débuter quelque part.

Spoiler:

Dans le salon de thé…

En d’autres lieux, d’autres contrées, sans doute l’accoutrement et la panoplie qu’arborait la Nagamasa aurait-il pu parfaitement correspondre à ceux de la clientèle moyenne d’un tel établissement. Force fut pour la descendante du clan samouraï de constater qu’à la Porte du Vent de l’Est, il n’en était rien. Si ce n’était, évidemment, pour le fait qu’elle était armée, comme la très grande majorité des négociants habitués et autres intermédiaires en tout genre qui pouvaient se retrouver en ces lieux. Aucune place n’était donnée ici à la cérémonie et au protocole, et si il semblait bien y avoir une seule règle d’or, c’était que chacun avait droit à son espace. Le salon, richement décoré et baigné par la lumière filtrant par les motifs extrudés de certaines parois, laissait deviner dans sa disposition, dans son agencement, que quiconque enfreignait cette règle pouvait se retrouver suriné séance tenante, et ce sans que cela n’engendre plus d’émoi qu’une simple petite rixe.

Certains regards, inévitablement, convergèrent momentanément vers la jeune femme qui venait d’entrer, la jaugeant, la déshabillant pour ainsi dire sans honte ni remord. Focalisée sur sa mission, Izanami elle se focalisa sur son interlocuteur : un homme aux traits fins, émaciés et paré d’un ensemble faussement simple qui dissimulait bien les marqueurs de richesse extérieure qu’un égo trop bouffi ne pouvait s’empêcher d’afficher. Le tenancier, indubitablement.

« Mais, bonjour à vous, mademoiselle… C’est un plaisir de vous recevoir ! Hélas, je le crains… je ne crois pas être en mesure de vous aider à retrouver ce fameux partenaire… Voyez-vous, je ne suis pas entremetteur, simplement… un arrangeur, si l’on peut dire », répondit-il d’abord, affichant tout du long un sourire pincé de façade qui aurait pu en agacer plus d’un.

Ses yeux, plissés d’abord, s’entrouvrirent davantage lorsque la Nagamasa en vint à mentionner le nom de Ryuma.

« Pardon, mais… qui êtes-vous, au fait ? »

Tandis que le tenancier posait sa question, deux ombres s’étaient mises en mouvement sur le côté, menaçant de se trouver directement dans le dos de la samouraï dans un déplacement lent, sinueux et efficace. Une femme et un homme, auparavant installés dans une alcôve à gauche de l’entrée, avaient eux aussi réagi, et c’était une main sur la poignée de leur dague à chacun, respectivement dissimulée dans leur manche et sur leur flanc sous leurs habits de cuir sombre, qu’ils s’étaient rapprochés pour fermer les issues à Izanami. Tout deux possédaient le crâne presque rasé intégralement, une seule crête de cheveux tressés entre eux surplombant leur tête

« ...On vient fouiner ? Ça va te passer, va. Ça va vite, te passer… sinon je donne pas cher de ta peau dans cette ville, ma jolie », lança la femme, au visage parsemé de quelques cicatrices.


Dans les rues...

Les yeux de Kongu percèrent et transpercèrent, jusqu’à finalement porter leur dévolu sur la silhouette d’un homme à l’air presque trop contenté pour pouvoir être naturel en un lieu aussi prompt à engloutir les âmes innocentes. Mariusu, c’était son nom, vaquait à ses occupations, l’air déterminé à rejoindre sa prochaine destination. Il connaissait bien la ville, savait quelles rues emprunter, pour faire au plus vite et être plus efficaces sans prendre de risque inconsidéré. Quelle ne fut donc pas sa surprise lorsque, sur son flanc, il sentit comme un buffle le charger et le pousser avec la force d’un éléphant contre la paroi du bâtiment qui formait la moitié d’une ruelle étroite et isolée.

« Ha-Haaa !! Non, non-non-non, pitiéé !! »

La frêle constitution de Mariusu, dans un contexte pareil, face à une masse de muscle telle que celle de l’ancien gladiateur, avait de quoi le faire immédiatement paniquer, en dépit du fait que le regard de Kongu, si il était naturellement menaçant, ne trahissait aucune intention foncièrement meurtrière à son égard. Neutralisé par cette pression dont il n’aurait su se défaire, l’homme d’âge moyen, aux traits normalement plutôt avenants, voyait la peur déformer quelque peu sa beauté naturelle.

« Haaaah...Merde, merde… C’est Rikki qui vous envoie, c’est ça !? Purée de chiotte, merde, j’ai pas- »

La dernière partie du discours du guerrier chauve raviva une lueur dans les yeux de Mariusu, qui se tut sur le coup… avant qu’une autre lueur, elle, ne s’éteigne de perplexité.

« Le Com-.. Quoi, qui !? N-Non-non, je connais pas votre mec là, je sais pas qui c’est, foutez-moi la paix !! J-J’ai rien à vous donner, ok !? »

A la peur s’était à présent mêlée de la confusion ainsi que de la colère. Un cocktail dangereux, surtout dans l’esprit d’un homme qui semblait dos au mur, au propre comme au figuré..

Implorer de la pitié face à un ancien gladiateur, ce n’est pas très malin. S’il avait su en faire preuve par le passé, c’était uniquement via l’intervention externe de ceux qui contrôlaient réellement les combats dans l’arène. Un adversaire à la merci de sa hache, si le coup avait été retenu ce n’était pas de son gré, mais la volonté des autres. Un pouce qui se lève ou se baisse, qui offre la vie ou la prend, cela ne s’était joué à rien d’autre. En y repensant, si la vie de chacun de ses adversaires avait été entre ses mains, il les aurait toutes tranchées en deux. Au moins de rage, d’être ici, d’être ça.
Rikki ? Il ne connaît pas son nom, son expression du visage en témoigne, un sourcil interrogateur s’est levé. Rikki non plus ne le connaît pas, normalement, mais cela devrait changer d’ici peu selon si son interlocuteur se montre coopératif ou pas. Dans son intérêt, il le sera. Il a déjà l’air apeuré alors qu’il l’a seulement bousculé pour l’amener ici, s’il commence à lui mettre des coups de pression, le pauvre devrait cracher le morceau. Autrement, quelques tatanes à travers la tronche finiront de le convaincre que parler apporte bien mieux que de tenir sa langue.

Qui c’est ce gars ? C’est quoi le problème avec toi ? Évidemment qu’il ne va pas simplement lui foutre la paix comme proposé par l’individu, les choses ne sont pas si simples dans la vie. Si lui n’a rien à lui apporter concernant le Comptable, ce Rikki semble peser un peu plus lourd dans le milieu. Savoir où le dénicher, aller à sa rencontre, poser sa hache sur la table et discuter un peu avec lui, le voilà le plan fraîchement conçu dans l’esprit du barbu. Si tu me dis où trouver ce Rikki, je pourrais peut-être t’aider avec les problèmes que vous avez tous les deux. Une proposition alléchante selon lui, il n’y a qu’à voir l’état dans lequel il s’était plongé de lui-même en se montant la tête avec ce fameux Rikki. Quant à savoir s’il comptait réellement l’aider en retour de quelques informations, ce serait à voir en fonction du personnage. Si Rikki est un type qui se montre peu avenant, il y a toujours moyen pour que Rikki se fasse casser la bouche.

Dans le salon de thé…

Face à la samouraï, le visage des deux malandrins qui s’étaient approchés sembla reculer un instant, face aux mots de la jeune femme qui n’avait pas perdu son aplomb. Ce qui aurait pu passer pour une manifestation de crainte ou de peur se mua toutefois rapidement en signe de surprise et d’amusement mêlés, tandis que leurs regards se croisaient et que de minces sourires fendaient leur visage respectif tous deux parcourus de cicatrices.

« « Une proche » ? Ma vieille, si tu fricotes vraiment avec les Han, alors je sais vraiment pas c’que tu fous ici… Le manoir du vieux Ryuma est kaputt, et lui avec. Si tu veux lui payer tes hommages, fais donc un pèlerinage là-bas, ça te fera les pieds ! Mais, conseil d’amie avisée… t’amuses pas à chanter ton amitié avec lui sur les toits de la ville, ou le surin sera pas loin. Ce qui me fait penser... »

La dague, au bout des doigts de la jeune femme, sortit partiellement de son fourreau, laissant à voir son éclat meurtrier, et son compagnons silencieux à l’air primitif et belliqueux l’imita.

« Négocier, on veut bien ma poule. File-nous de quoi crécher ici quelques jours, dans une suite sympa tout frais payés… et on évitera d’dire à tous nos potes que t’étais cul et ch’mise avec Ryuma. Ça, c’est de l’offre de compétition ou je m’y connais pas… ! »

La cupidité à l’état brut, à la Porte de l’Est comme à bien d’autres endroits du Yuukan, savait dicter sa loi, et à en voir la mine réjouie des deux comparses, le duo ne doutait pas de pouvoir soutirer quelques Ryos à la samouraï qui avait eu le malheur de mentionner ses liens étroits avec le Han qu’ils connaissaient fort bien de réputation. Dans le dos d’Izanami, le tenancier s’était retiré silencieusement, attentif, rompu à l’exercice de ce genre de situation tendue durant lesquelles il valait mieux pour les gens comme lui commencer à prévoir une ou deux voies de secours. Si ce n’était trois. Dans son entreprise, la mercenaire se voyait confrontée à un premier véritable obstacle, car si elle pouvait être confiante en sa capacité à gérer les deux malandrins face à elle, qui ne semblaient pas en savoir bien long, combien pouvaient finir impliqués si elle ouvrait les hostilités avec eux ? A l’intérieur du salon comme à l’extérieur, les intentions se confondaient avec les visages : difficile de savoir qui s’immiscerait dans le conflit, si conflit il y avait. De la finesse ou de la force brute, quelle méthode employer ?


Dans une ruelle isolée…

« Ou-Oui, oui, d’accord, très bien, je vais l’faire ! »

Le moins que l’on eut pu dire, c’est que Mariusu ne se faisait pas prier… et surtout, que le faciès barbu et barbare de cette armoire à glace qui l’avait emmené à l’écart était amplement suffisant pour lui mettre méchamment les jetons.

« J’ai...J’ai perdu les mises de Rikki, y a trois semaines. C’était juste un petit boulot comme ça, vite fait bien fait… ! Amener l’argent au bookmaker, retourner le voir, toucher ma petite commission… Putain, même ça j’ai pas été foutu d’y arriver… Rikki… c’est pas un mauvais type, il me laisse le rembourser à mon rythme, mais… j’ai raté le dernier paiement. »

Toujours aussi stressé, le trader malchanceux des bas fonds de la Porte de l’Est se relâcha malgré tout d’un iota, entrevoyant une issue possible qui pouvait mener à sa survie, un jour de plus, dans ce purgatoire aux parures de geisha qui se donnait à voir jour et nuit dans cette cité mal famée.

« J- Je peux vous emmener le voir, oui, c’est sûr, mais dîtes, je… Je vois pas bien, comment vous pourriez m’aider, à part, vous savez… Heh… Si vous… remboursez pour moi ? »

Un sourire, immensément gêné et surtout apeuré, germa sur les lèvres de Mariusu pendant un instant. La question de savoir si Kongu désirait et pouvait vraiment aider l’homme d’âge moyen restait entière, mais une chose était sûre : dans sa situation, celui qui avait vu sa journée bouleversée était mille fois prêt à mener son tourmenteur jusqu’à ce fameux Rikki, au coeur des entrailles de la ville luxuriante au-dessus et pourrissante en dedans qu’était la Porte du Vent de l’Est. La question pour l’ancien gladiateur de savoir si il préférait suivre cette piste seul ou en compagnie d’Izanami, elle, restait toutefois entière. Qui pouvait savoir, en effet, quels dangers pouvaient guetter au moindre tournant de cette visite tout à fait professionnelle au beau milieu des réseaux criminels de la cité ?

Spoiler:

Dans le salon de thé…

La tension, à l’orée de la réponse que commença à formuler la samouraï vers laquelle moult regards s’étaient tournés, atteint son apogée. Et lorsque les lames se mirent au clair pour de bon, plusieurs silhouettes tressaillirent dans le salon, les moins téméraires se relevant même pour reculer d’un pas face à la scène de violence qui s’était étalée sous leurs yeux. Le sang avait giclé : celui de la jeune femme aux cheveux tressés sur le haut du crâne, touchée sévèrement à la jonction de l’épaule et de la nuque. Mais si elle avait encore la vie sauve, c’était uniquement grâce à l’intervention de son comparse, aux réflexes plus vifs que les siens, qui avait brandi sa lame courte pour dévier le coup porté par Izanami. Le regard du malandrin s’était illuminé d’un éclat froid et meurtrier, mais la blessure essuyée par celle qui était à priori sa concubine l’inquiéta davantage que de répliquer immédiatement, aussi s’affaira-t-il à stopper le saignement aussitôt en dévisageant la samouraï qui s’était élevée sur le comptoir.

Une telle situation, une telle échauffourée, était trop commune en ces lieux pour réellement susciter l’émoi ou la panique, mais la tension malgré tout dans l’établissement était loin de retomber. La faute, notamment, au discours adressé par la Nagamasa à l’ensemble de la clientèle et aux passants jouxtant l’entrée du salon, dans l’artère de la ville. Parler argent, même quand une jeune femme semblait agoniser et saigner abondamment à quelques mètres - surtout dans ce genre de cas, à vrai dire – avait le dont d’attirer l’attention. Et si un mouvement de foule ne s’était pas créé spontanément pour répondre à l’offre alléchante lancée par Izanami, sans réelle considération pour le fait que les individus attirés par les Ryos possédaient ou non des informations utiles, ce fut uniquement du fait d’une silhouette, qui se découpa au détour d’un paravent.

L’homme était d’une carrure massive, mais seul son visage à la peau sombre demeurait à découvert, le reste de son corps caché par d’amples drapés beiges, noirs et marrons et son crâne entouré par un turban. Quelques regards suivirent son déplacement, jusqu’au devant de la Nagamasa, et il était aisé de deviner quel genre de musculature se cachait sous ces vêtements. Si grand qu’il avait à peine besoin de lever les yeux pour atteindre le regard d’Izanami perchée sur le comptoir, il s’arrêta droit et monolithique à un mètre à peine, convoquant un silence total autour de lui par sa seule présence.

« … 150,000 Ryos. Suis-moi. »

Sans attendre de réponse, le colosse à la peau noire se tourna vers la sortie et se remit à marcher, faisant sentir à tous le poids de chacun de ses pas tandis qu’il menait la Nagamasa vers son objectif. L’offre était ferme, non négociable : difficile de faire autrement, face à un individu si péremptoire, qui pouvait malgré tout entendre qu’un détour pouvait être nécessaire pour la jeune bretteuse une fois au dehors du salon.

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Dans les rues…

« Eerh… J’ai… Je voulais tenter de me refaire, de payer quelques intérêts à Rikki, histoire de revenir dans ses bonnes grâces… J-J’ai joué ce qui me restait, aux tables du Scarabée Pourpre… Ça… s’est pas bien passé. »

Le hasard faisait parfois bien les choses. D’autres fois, comme dans le cas de Mariusu, il semblait s’acharner et ne jamais finir d’enterrer quelqu’un plus bas que terre, le plongeant dans des ordalies successives sans fin qui ne finissaient jamais de tourmenter leurs victimes.

« U-Un détour ? O-Oui, pas d’souci, j’veux dire… C’est comme vous voulez, hein.. ! Ah..Ha-ah… ! »

La tension dans le corps de l’intermédiaire malmené restait bien sûr très importante, mais la nouvelle conviction qu’il venait d’acquérir, à tort ou à raison, que Kongu pouvait s’avérer davantage un bien qu’un mal pour lui avait de quoi le faire se relâcher quelque peu. Juste assez pour marcher droit, en somme, dans la direction que lui dictait l’ancien gladiateur.

« R-Rikki ? Il est influent, oui… Jusqu’à quel point honnêtement je saurais pas vous dire… Je suis qu’une sous-main, un homme du milieu, vous comprenez ? On me dit pas grand-chose… J-Je suis juste bien pratique, quoi. Un type qu’on soupçonne pas trop, qui sait se faufiler où il faut. Enfin… la plupart du temps. En tout cas… Rikki a des « employés » beaucoup plus qualifiés que moi, c’est certain… Et ceux-là s’occupent de bien, bien d’autres choses que de transporter quelques liasses, v-vous me suivez ? »

Sans faire d’histoire, Mariusu suivait les directions que lui indiquait Kongu. Si il avait hâte que cette journée se termine ? Certainement. Une petite voix en lui, toutefois, espérait vraiment que ce serait en un seul morceau, qu’il en verrait le bout...

Le colosse à la peau noire enchaînait les foulées à la hauteur de sa stature, couvrant rapidement les distances dans les rues bondées de la ville sans pour autant donner l’impression de se presser. Avancer dans son sillage était comme traverser un océan fendu, une masse d’individu qu’il dispersait autours de lui comme une flopée d’insectes insignifiants.

« Là où tu veux aller. Chez lui qui a les réponses que tu cherches. »

Sans sourciller ni ralentir, le grand homme du désert continua à avancer, s’enfonçant dans le centre ancien, vers le coeur historique de la ville qui s’était agglomérée autours de l’accès à Taiyô. Pendant un bon moment, le colosse parut absolument impassible, jusqu’au moment où deux silhouettes attirèrent son attention sur le côté. Un instinct guerrier froid et reptilien se manifesta alors chez lui, son corps musculeux massif ondulant un bref instant pour parer à toute éventualité.

« D- Do’a… !? »

Mariusu, auprès de l’ancien gladiateur, s’était tendu et avait frémi à la vue de l’homme au turban, désormais immobile.

« ... »

Un instant, le colosse ne bougea pas, son regard transperçant braqué vers Kongu et son captif coopératif. Sans en donner l’air, l’homme à la peau noire réfléchissait, anticipait, calculait.

« Ami à toi, avec le petit Mariusu ? Peuvent venir. »

L’homme à la peau noire se remit en marche avec le même aplomb que précédemment, laissant la Nagamasa, son comparse et son « invité » à leurs propres réflexions.

« C-C’est Do’a...murmura presque le sous-traitant pris en main par le Raguna. Je l’ai déjà vu avec Rikki, c’est… Je sais pas ce qu’il fait pour lui mais… ils bossent ensembles, c’est sûr ! »

Les deux mercenaires restaient seuls juges de l’utilité que pouvait encore revêtir Mariusu dans ce contexte mais une chose était certaine : le fameux Do’a, lui, ne stoppait pas sa marche soutenue, les entraînant au coeur de la cité, au coeur de l’effervescence, traversant les alliées qui croisaient entre les hauts bâtiments de pierre et les tentures diverses qui s’en faisaient les extensions, tels de petits organismes colorés greffés à d’autres plus grands et plus anciens. Le colosse bifurqua, extrayant le groupe au plus gros de la populace, passa sous une arche ombragée où d’obscures silhouettes immobiles semblaient se dessiner sur les côtés. Il avança dans une cour rectangulaire délimitée par d’autres arches, sous lesquelles d’autres silhouettes se détachaient à peine dans l’ombre des couloirs et halls attenants. L’atmosphère ici était différente : les deux mercenaires pouvaient le sentir dans l’air, le déduire par l’absence de cette densité de population qui les avait presque étouffé auparavant. Au milieu de la cour, Do’a stoppa net, puis se retourna vers ses hôtes avec cet air toujours aussi impassible.

« Attendez ici. Après avoir rencontré Comptable… payez mes Ryos. »

L’imposante carrure de la brute à l’accent très marqué se détourna alors et s’enfonça dans l’obscurité, sous l’arche centrale à l’autre extrémité de la cour à la suite de quelques marches. Et si se déplacer hors de la cour ne leur avait pas été interdit, Izanami et Kongu pouvaient sentir le danger qui guettait si ils tentaient de le faire. Quelques instants passèrent. Puis, en lieu et place du colosse que les missionnés s’attendaient sans doute à revoir, ce fut une silhouette bien plus mince qui parut dans le découpage de l’arche centrale. L’homme aux cheveux courts, doté d’une barbe rase finement taillée, semblait paré d’innombrables ornements scintillants au-dessus de sa longue tunique richement colorée. D’une démarche ben plus souple et décontractée que celle de Do’a, qui ne reparaissait toujours pas, l’individu d’une tête et demie de moins que son partenaire supposé s’avança juste assez pour sortir de l’ombre de l’arche. Quelques secondes passèrent, avant que finalement l’homme vêtu de façon ostentatoire ne se décide à parler.

« ...L’on m’a soufflé que vous me cherchiez. A qui ai-je donc l’honneur ? »

Le délai de @Nagamasa Izanami ayant expiré, son tour est passé.

C'est donc au tour de @Ragunā Kongu de poster

Mariusu, embarqué dans le périple de son quasi-tortionnaire, n’en mena pas large lors de l’arrivée du quatuor au sein de la cour intérieure entourée d’arches en pierre. Le gladiateur chauve avait cru nécessaire de rappeler au naïf malandrin ce qui pouvait lui arriver si il déviait ne serait-ce que d’un iota de la route qui lui était dictée : la vérité, c’est que le kazejin en fâcheuse posture était à mille lieux de penser à prendre la moindre initiative, et que si décamper et retourner sagement chez lui était parmi ses ambitions les plus pressantes, il se trouvait trop au fait des risques pour tenter quoi que ce soit. Petite main entre tant d’autres, Mariusu avait conscience de jouer dans une cour bien trop grande pour lui, chose qu’il comprit d’autant plus gravement lorsque l’homme richement vêtu apparut sous l’arche centrale.

Kongu, en quête de réponses précises et rapides, ne mâcha pas ses mots et alla droit au but : son « guide », à la liberté toute relative, fit alterner rapidement son regard du colosse jusqu’à l’homme à la stature autrement plus digne que la plupart des résidents de la cité.

« C’est… Oui. Rikki, désolé, je voulais pas- »

L’homme leva la main, péremptoire, pour couper la parole à Mariusu, qui comprit aussitôt qu’il devait se taire. Pris entre le marteau et l’enclume, le kazejin commençait à se demander si il existait pour lui un bon choix parmi ceux qu’il avait devant lui.

« ...Je suis effectivement le Comptable. Mais ceux qui me connaissent bien peuvent m’appeler Rikki. Cela étant dit… Ça ne m’apprend pas grand-chose sur vous. Hormis le fait que vous avez visiblement un besoin urgent de me voir, à en juger par l’état de ce pauvre Mariusu. Je n’ai pas besoin de toi ici pour m’entretenir avec ces… personnes, d’ailleurs. Tu ferais mieux d’y aller. »

D’un vague geste de la main, Rikki congédia alors le naïf malandrin, qui hésita un instant en observant la réaction de Kongu avant de finalement tenter de promptement s’éloigner pour revenir sur ses pas, vers les ruelles peuplées de gens relativement plus recommandables.

La stratégie de faire le plus de bruit possible pour attirer l'attention du comptable avait porté ses fruits, un inconnu lui avait demandé de le suivre. Elle observait les environs de la cour, un endroit intéressant pour une embuscade et son partenaire - accompagné de son animal de compagnie - n'appréciait pas l'endroit. Elle ne pouvait pas dire qu'elle l'aimait, mais il fallait faire avec. Elle gardait son avant bras reposé sur la garde de son katana de façon nonchalante. Une façon discrète d’être prête à dégainer son arme à n’importe quel instant.

Elle observait l’inconnu arriver et rapidement il s’avéra être l’homme qu’ils recherchaient. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, satisfaite que la chose était si rapide… Pourvu qu’il ne mentait pas bien sûr. Elle suivait du regard l’animal de compagnie de son partenaire avant de reporter son attention sur Rikki.

Nous avons besoin de quelque chose que vous avez… Elle laisse pour un court instant le silence s’installer pour reprendre la parole. La liste rouge…. Un nouveau silence, elle observe sa réaction avant de laisser son regard parcourir les environs. Nous savons que vous l’avez et nous voudrons la récupérer… Bien sûr, en tant qu’individus civilisés que nous sommes, je ne doute pas que nous trouverons un arrangement qui va rendre tout le monde heureux, le tout dans la discrétion et le silence, n’est-ce pas ?

Elle continue de l’observer, il fallait arriver directement au but. Maintenant il restait à savoir ce qu’il comptait faire, accepter ? Refuser ? Ou autre chose ? La chose risquait sûrement d’être intéressante.

« La… Liste rouge, vous dites ? »

Le dénommé Rikki, celui qui s’était introduit aux deux comparses du désert sous le sobriquet de « Comptable », avait laissé plané sa question dans l’air un moment, assez longtemps pour que le pauvre Mariusu, agent de terrain rudimentaire mais particulièrement utile puisse mettre les voiles et abandonner cette scène aux enjeux bien trop élevés pour lui. Dans le regard de Rikki, tant Izanami que Kongu purent lire une subtile et fluide transition entre différents états, comme si la surprise et l’interrogation se laissaient bien volontiers engloutir par la méfiance et le recul sur la teneur enfin révélée de cette entrevue. Dans sa posture digne débordant sur le hautain, celui qui apparaissait aux yeux de tous comme le Comptable ne trahit cependant aucune émotion quelle qu’elle soit, faisant ainsi écho à son habit noble et précieux. Son regard, sombre et profond, se contenta d’aller successivement de la samouraï au gladiateur, les jaugeant tout deux à nouveau à l’aune de leur demande.

« Hmm.. Cette discussion pourrait s’avérer intéressante… distrayante, même, dit-il presque pour lui-même en maintenant sa voix à un volume plus que modéré. Mais, je vous en prie, suivez-moi », fit-il avec un geste de la main en se retournant vers l’intérieur du bâtiment.

L’invitation à suivre le Comptable était claire et limpide, mais la menace partout autours des deux comparses demeurait bien prégnante : les ombres régnaient toujours sous les arches, silhouettes mouvantes et à priori prêtes à s’occuper du moindre débordement. Rikki s’engouffra donc sous l’arche du centre, arpentant un couloir tamisé aux roches décorations, presque assez large pour que deux personnes puissent y avancer épaule contre épaule. Tableaux, tapisseries et quincaillerie rutilante composaient les agrément du couloir et au bout de celui-ci, l’officine de celui qui avait concédé être le Comptable s’offrit aux yeux du duo. Le bureau, relativement bas de plafond, était cependant long et profond, richement décoré lui aussi, et arborait des décorations qui frisaient l’opulence. Des étagères se trouvaient à différents endroits sur les murs, là où ne siégeaient pas d’armoires vitrées pleines de curiosités et de supports divers. Cylindres antiques, instruments oubliés, ossements étranges : l’office de Rikki, par bien des aspects, avait des allure de cabinet des curiosités.

Celui-ci, avec la confiance de l’homme qui se savait couvert de tout côté, alla simplement s’asseoir dans son fauteuil de cuir rouge sombre, par-delà un large bureau en teck parsemé de quelques rouleaux refermés, d’un sablier et d’une petite carte enfermée dans un globe de verre, tournée vers le Comptable. Pour les deux visiteurs, aucune assise en vue.

« Bien, puisqu’en toute chose application est nécessaire… dit-il en attrapant un feuillet et une plume qu’il trempa dans un encrier, j’aurai d’abord besoin de vos noms. Pour qui vous travaillez… Hmm… Nous pouvons nous passer de ça pour l’instant. En revanche, chers invités, je manquerais à tous mes devoirs si je ne vous demandais pas…. Ce que vous comptez faire, de cette fameuse liste ? Savez-vous au moins ce qu’elle contient, ce qu’elle représente, hm… ? »

L’atmosphère qui régnait dans le cabinet de Rikki était chaude, presque accueillante, chaque élément de curiosité appelant l’attention de ses invités dans une forme de spectacle silencieux. Les tapisseries qui couvraient les rares pans de mur qui n’étaient pas peuplés d’étagères provoquaient la contemplation, incitaient à la diversion de l’esthète comme du simple roturier. Rien toutefois qui ne semblait pouvoir faire dévier les deux guerriers conviés en ces lieux de leur objectif. A tord ou à raison.

« Nagamasa… Izanami… Samourai, donc. Oui, logique… et… Kon...gu. Juste Kongu. Minimaliste, mais, pourquoi pas », commenta Rikki tandis qu’il notais ces informations – et sans doute davantage – sur le feuillet qu’il avait face à lui.

Son regard d’ailleurs ne quitta pas ledit feuillet, alors que la bretteuse de l’autre côté du bureau se lançait dans son plaidoyer en vue de solliciter la coopération de son interlocuteur. Par le haussement et l’affaissement successif de ses sourcils, toutefois, celui qui s’était présenté comme le Comptable laissa clairement transparaître son sentiment.

« Kaze change, Kaze change… Bien sûr que Kaze change. Elle ne cesse jamais, de changer… Et, les gens comme vous, je dois dire… peinent toujours à réaliser comment… ou même pourquoi. »

La plume alla trouver une fois de plus l’encrier, avant d’aller coucher d’autres séries de caractères sur le papier. Malgré ses mots, Rikki semblait relativement indifférent aux propos de la Nagamasa, son attention comme entièrement happée par la rédaction de ses notes.

« Hmm Hm… Hmm Hm... »

Cette apparente neutralité, cependant, s’éteignit soudainement lorsque Izanami conclut son bref argumentaire. La plume entre les doigts du maître des lieux se figea, de même que le regard de celui-ci braqué sur son feuillet. D’un seul coup, comme frénétique, Rikki rejeta négligemment la plume et plia le papier entre ses doigts fins et agiles. Se penchant en arrière dans son fauteuil, l’homme richement vêtu tendit le bras vers le mur et y glissa le papier au travers d’un replis savamment dissimulé dans la pierre. Il se replaça ensuite aussitôt face à ses deux invités, confortablement installé et sans laisser paraître un quelconque émoi.

« Vous pensez vraiment… être en position de proférer de telles menaces ? Vous venez jusque là, et exigez qu’on vous remette cette… liste… sans rien proposer en échange ? Ce n’est pas vraiment comme ça qu’on fait des affaires… Je conçois… que nous n’êtes que des intermédiaires, mais si vous ignorez même à quoi peut servir la Liste Rouge, ce qu’elle représente, alors… je ne vois pas comment vous pouvez espérer traiter avec moi. Certaines strates du pouvoir peuvent changer de main, c’est vrai… mais toutes les mains ne peuvent pas s’en emparer impunément.

Si vous n’êtes venus ici armés que d’un avenir qui n’existe que dans vos fantasmes, alors… nous en avons fini, j’en ai peur », fit-il avec une moue de regret presque tout à fait sincère sur le visage.