Aussi surprenante que fut sa requête, le Gardien des Gardiens eut tout le loisir de voir l’Eclair Vert acquiescer. Il se mordit le pouce pour que le sang, symbole du pacte qui liait les animaux ninja et leurs invocateurs. Puis en l’écrasant au sol, il conclut l’un des arts les plus réputés du monde shinobi : le Kuchiyose.

Glouba, l’un des dindons sauvages les plus réputés, apparut. Et si sa légende était certaine, les deux Gardiens découvrent qu’il est loin d’être au mieux de sa forme. Pire encore, l’animal est plus proche des portes de la mort que de celles de la vie.

Et naturellement, Hayai Taishi ne peut que redouter qu’invoquer son allié dans cet état est chose inutile. Mais sans que cela ne soit peut-être une consolation suffisante, il peut rapidement comprendre qu’il n’en est rien. Le Gardien et le dindon se reconnaissent.

« Glouba, tu lui ressembles beaucoup… »

Posant un genou au sol, le clone du Gardien ne cesse de tutoyer du regard l’animal blessé. D’ailleurs, sans parler de véritables soins, sa présence semble l’apaiser. Quoi de plus normal lorsque l’on connait les pouvoirs et l’origine du successeur du Héros, l’Ermite.

Sans quitter l’invocation de Taishi du regard, le Gardien des Gardiens reprendre la parole. Sa voix est plus posée, son sourire plus calme.

« Je suis celui qui a hérité des pouvoirs de l’Ermite. Mon prédécesseur a un jour rencontré Djanglou. »

Un nom qui ne dirait sans doute rien à Sen’sei Mokkô ou même à Chiwa Aimi. Mais c’est tout l’inverse pour Hayai Taishi et son compagnon. Djanglou, le Saigneur de Guerre et père de Glouba.

Le Gardien des Gardiens se relève.

« Le Héros de jadis se servait des pouvoirs que lui conférait toute la Nature. En ce sens, il était d’une proximité sans pareille avec les animaux, d’où le nom d’Ermite. Voilà pourquoi j’ai intrigué la jeune Yasei. En tant qu’Héritier du Sennin, j’ai ce lien qui me lie aux animaux. »

Il regarda Aimi, la représentante de la Roche. Et, en l’absence de tous les autres, le visage de la Coalition Shinobi.

« Voilà pourquoi je sais les choses que je vais vous dévoiler sur leur Histoire. »

L’Ermite poursuit aussitôt. Il sait que le temps risque de lui être compté.

« Les animaux ninja sont apparus en même temps que les premiers Shinobis. Grâce au lien que l’Ermite avait avec eux, ces derniers se sont ouverts aux Shinobis. De ces premiers Humains et Animaux combattants naquirent les premiers pactes que nous connaissons aujourd’hui encore sous le nom de Kuchiyose. »

Une histoire qui, outre qu’elle soit la vérité, fait évidemment sens. Mais l’on pouvait se demander qui s’était déjà questionné sur l’origine de tout ceci.

« Mais si cet art consiste aujourd’hui à ce que le Shinobi invoque son allié au besoin, il n’a pas toujours été aussi… unilatéral. »

Tous peuvent comprendre ce qu’il sous-entend.

« Au début, le principe de Kuchiyose s’appliquait à la fois aux Hommes et aux Animaux. Ainsi, un animal ninja pouvait très bien invoquer un Shinobi si nécessaire. D’ailleurs, les animaux shinobis étaient bien meilleurs utilisateurs du Kuchiyose que les Hommes. »

D’innombrables questions pouvaient alors naître de ces révélations – que certains prendraient peut-être pour des confirmations d’hypothèses – mais comme il se l’était déjà dit, le Gardien des Gardiens devait faire vite.

Il reprend alors.

« Mais comme vous le savez, l’Homme a bien plus de vices que les Animaux. Les guerres des Shinobis ont également frappé les animaux ninjas, du fait de l’art du Kuchiyose. Dans certaines quêtes de pouvoir, des Hommes s’accaparèrent de force les services des animaux ninja ; d’autres se servirent des Kuchiyose pour mener bataille au sein des clans des animaux. »

L’Homme n’était point parfait. Ce constat est à la base du rôle de Gardien des Gardiens et du recul qu’il lui fallait avoir. Facile d’imaginer que les animaux ninjas eurent à payer le prix de ces guerres passées.

« C’est d’ailleurs ce qui poussa certaines races à s’installer dans des lieux reculés, dont certains se demandent encore s’ils font partie du Grand Continent que nous connaissons… C’est ce qui poussa les animaux à ne presque plus accorder leur confiance aux Shinobis et à ainsi créer les « pactes ». »

L’Héritier du Sennin se tourne vers l’Eclair Vert.

« Pour se préserver des batailles humaines ; pour préserver leurs habitations et les leurs… la plupart des clans animaux s’interdirent d’utiliser l’art du Kuchiyose. Et tandis que les décennies passèrent, les animaux shinobis oublièrent l’art de l’invocation. Evidemment, il en existe toujours. Certains ont d’ailleurs choisi ou subi l’exil à cause de ce savoir. »

Tandis que l’espoir se dessinait pour la Coalition Shinobi, celui-ci devait avoir un nom.

« On les appelle les Patriarches. Les trouver sera difficile, les convaincre de joindre votre cause presque impossible. Mais plus vous en aurez de votre côté, plus vous aurez de chances de pouvoir être là au moment fatidique pour empêcher l’ennemi de s’emparer du Dieu Renard. »

Les Patriarches, les animaux shinobis qui vivaient entre la société des Hommes et celle des Animaux. Certains avaient refusé d’abandonner l’art du Kuchiyose et avaient été exclus de leur clan ; d’autres étaient de véritables criminels même au sein de leur fratrie animale.

« Je ne pourrai pas vous aider grandement davantage. Mais pour ce qui est de trouver le premier d’entre eux, je suis sûr que Glouba pourra vous aider. »

Comme il l’avait dit plus tôt, son prédécesseur avait connu Djanglou. C’était pour ça que le Gardien des Gardiens avait pour certitude que l’un des Patriarches était – heureusement ou non – un dindon sauvage. Et de fait, il était la première piste à creuser pour les Shinobis. Pour qu’ils aient la possibilité, à l’aube de la Grande Guerre, de pouvoir se battre pour éviter la disparition du Chakra.

Important:

Le chakra propagé par Aimi faisait rapidement effet, aidant graduellement l’état de Glouba, même si celui-ci restait sérieux. Pour autant, son attention embrumée était pleinement portée sur le Gardien des Gardiens. Sa réalité avait changé en un instant, mais ça ne l’avait pas ralenti une seconde. S’il ne pouvait mourir avec gloire pour le moment, autant continuer à considérer la vie.

Oui, il le connaissait. Mais ce n’était pas si simple et celui-ci semblait le reconnaître aussi. La dernière fois qu’il avait rencontré cet homme, Glouba avait été un oisillon qui aurait tenu dans sa paume.

Quant à Taishi, il était bien plus dans le néant, et Aimi devait être encore plus perdue. Le jônin, s’il n’avait rien manqué des mots affectueux de la femme qui semblaient dirigés à son endroit, ne pouvait y répondre à ce moment-là, un mélange de surprise et de confusion.

L’Ermite. Un autre concept à ajouter dans cette histoire qui avait déjà tellement d’acteurs, et ça c’était avant d’y insérer un satané dindon. Le Gardien mentionna Djanglou et Taishi jeta un regard vers Aimi.

« … Djanglou est le père de Glouba. Il est censé être le chef suprême de l’espèce entière. »

Et, apparemment, la cause de toutes ces blessures, songeait l’Éclair Vert. Il savait que Glouba était parti le confronter, mais n’aurait jamais pensé qu’ils en viendraient aux coups. Leur interlocuteur entama un récit sur l’histoire des kuchyoses et Taishi écouta tout en s’assurant que Glouba n’allait pas encore tomber en arrière, jetant parfois des regards à Aimi pour s’assurer que tout allait bien.

L’idée qu’autrefois les invocations aient pu être à double sens… en faisait beaucoup pour l’Hayai, qui n’avait jamais apprécié la définition actuelle des pactes, qui faisait des animaux ninjas des serviteurs de l’humain sans vraie raison.

Pas une surprise que sa perte ce soit aussi le résultat d’un abus des hommes, mais l’Hayai se demanda comment ça avait pu être oublié par l’histoire du commun des mortels. Les shinobis n’étaient pas un concept si ancien que ça.

Glouba caqueta difficilement.

« Le royaume Dindon… existe au-delà des limites nordiques de ce que les humains appellent Tsuchi no Kuni. Il ne figure sur aucune carte… écrite par l’homme, du moins. »

Taishi soupira. Ce n’était pas la première fois qu’il entendait cette information, mais comme tout ce qui entourait les dindons, avait toujours supposé que ce fût juste une autre exagération qui leur était coutume. À entendre Glouba, une contrée aussi large que le pays de la terre se cachait quelque part entre les montagnes.

Mais le jônin se sentait d’autant plus visé par cette description d’un art d’invocation. Ce n’était pas uniquement un appui logistique. Ça avait des implications monstrueuses.

« Nous savons déjà que le Chapelier est nécessairement limité par sa vitesse de réaction en dépit de son pouvoir de prédiction. Et qu’il ne peut prédire un élément dont il ignore l’existence. Un pouvoir tel que l’invocation, utilisé de la manière dont vous décrivez… Pourrait nous donner une chance. »

Trouver ces patriarches semblait être la clé, mais Taishi n’en avait jamais entendu parler. Ce pouvoir, lui, ne lui était pas inconnu.

« Lorsque j’ai rencontré Glouba, avant la résonance, il avait une affinité pour la téléportation. Je pensais que c’était propre à lui, mais il n’y pas de raison de ne pas penser que tous les kuchyoses en sont capables. »

Le dindon resta silencieux un moment avant de lentement se redresser en s’appuyant sur l’épaule d’Aimi.

« … Un patriarche des dindons existe. Si le Saigneur de Guerre est notre souverain, il est notre… prophète, peut-être. Mais il n’aiderait jamais les humains. Aucun Kuchyose ne le ferait. »

Le dindon resta silencieux un instant.

« Son nom est… Maître Glouda. »

Au tour de Taishi de soupirer. Il avait espéré mettre un nom un peu moins ridicule sur les ultimes espoirs de la coalition.

« Ce ne serait pas la première fois que l’humanité se base sur un élément improbable pour persister, je suppose. Cette information… Pourrait bien être l’unique chose qui maintiendra l’alliance après cette débâcle. »

S’ils décidaient de la partager, en tout cas. Un tel renseignement avait une valeur diplomatique inestimable. Iwa pouvait profiter d’une opportunité d’un tel calibre.

Mais ça allait dépendre d’Aimi, comme bien des choses dans un futur rapproché. Et Taishi, posant un regard sur cette dernière, ne pouvait qu’attendre sa réaction.

«… Nous devrions partir. »

Ses yeux se tournaient vers le Gardien des Gardiens. Au final, à ce tout dernier instant… Il jetait une ultime, dernière lumière sur son ordre. Une qui demandait un peu de respect, en dépit de toutes leurs erreurs.

« … Vous reverra-t-on ? »

Le Gardien des Gardiens s’esclaffa. Son rire, son sourire, même en ces temps troubles, étaient définitivement contagieux. Et sa sincérité, bien que l’on puisse en douter, était aussi puissante que ses arts ermites.

« Aucun Kuchiyose Patriarche ne le ferait, je suis bien d’accord ! »

Puis il pointa son pouce sur son buste, brutalement mais avec une grande fierté.

« Tout comme j’avais pris l’engagement de ne jamais prendre parti dans aucune bataille. »

De son buste, sa main fit le voyage jusqu’à ce que son index pointe ceux qu’ils avaient en face de lui. Hayai Taishi et Chiwa Aimi, ou plutôt ce qu’ils représentaient.

« Vous, les Shinobis, avez ce don pour rallier les gens à votre cause. »

L’Ermite jeta un coup d’œil rapide à Sen’sei Mokkô. Lui-même était le mieux placé pour comprendre ce qui venait d’être dit. Lui qui était à l’origine des débats qui avaient permis la fondation de cette Coalition Shinobi.

Si les Derniers Gardiens avaient empêché le monde de sombrer grâce aux secrets… les Shinobis le sauveraient peut-être par leur détermination.

Soudain, le Gardien des Gardiens se crispe. Ses doigts enveloppants ses bras se retrouvent à serrer ses muscles. Et son sourire, lui, disparaît. Grâce aux arts ermites, le lien qui l’unit à ses clones est plus puissant et les informations de l’original semblent lui être parvenus.

« Une semaine ! s’exclame-t-il. »

Les regards se tournent vers lui.

« Voilà la limite par-delà laquelle… il ne peut plus voir le futur. »

A l’image du vieux Mokkô, tous se posent alors des questions. D’où vient cette information si cruciale ? Comment le Gardien des Gardiens a-t-il fait pour connaître cette limite ? Dit-il simplement la vérité ?

Tandis que les interrogations apparaissent, le clone du Gardien des Gardiens lui, sourit à Taishi.

« Nous nous reverrons, oui. »

Tôt ou tard, se murmure-t-il avant de disparaître.

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