Se retrouver du jour au lendemain capable de prouesses dont on était incapables avant, avait quelque chose de vraiment étrange et perturbant. Il y avait quelques temps, la Yasei avait prit le plein fouet la vague de chakra, comme bon nombre d'autres personnes. Et alors que chez certains cela n'avait eu aucun effet, chez elle ça avait profondément perturbé son système chakratique. Débloquant à son réveil plusieurs heures plus tard un lien avec les éléments, qu'elle n'avait jamais possédé jusqu'à lors.

De même, sa maîtrise du chakra pur était jusqu'à présent plutôt basique, pour ne pas dire quasiment inexistante. Malgré de nombreux efforts sur plusieurs années, elle n'avait jamais réussi à faire quoi que ce soit de bien concluant et son niveau de ce côté-ci était digne d'un enfant de cinq ans. Pourtant elle ne s'était pas laissée abattre et avait passé outre, développant à la place d'autres domaines de compétences, tel que le fuinjutsu.

Mais aujourd'hui, depuis cette onde de chakra, tout était bien différent pour la métamorphe. Ça lui ouvrait des possibilités auxquelles elle n'avait jamais eu accès. Si bien qu'il était tout naturel pour elle de chercher à devenir eisei-nin : après tout, cela faisait des mois qu'elle cherchait à alléger leur travail, faute de pouvoir l'être elle-même. Maintenant, elle pouvait en être une. En découvrant ses nouvelles capacités, elle avait donc demandé à l'un des médecins de l'hôpital où elle travaillait de la prendre sous son aile, afin qu'il puisse lui enseigner les bases pratiques. Car concernant celles théoriques, elle les avait déjà toutes.

Elle travaillait après tout depuis des semaines à l'hôpital, d'abord sur son temps libre puis ensuite avec un poste réel. Au laboratoire, certes, mais elle avait acquis des connaissances au fil du temps en travaillant là et côtoyant les médecins, en les observant faire. Alors cette fois-ci, c'était à son tour. Plaçant une énième fois ses mains au-dessus de la plaie, elle se concentra afin de la refermer sous l’œil attentif de son mentor. Une lueur verte illuminait la blessure, qui resta pourtant telle quelle. Si bien qu'au bout d'un certain temps, ce fut le médecin qui vint placer ses mains sur celles de son apprentie, afin de lui demander d'arrêter. Celle-ci recula de quelques pas, et lui laissa la place afin de soigner le patient blessé. Puis fini par sortir de la pièce sans un mot et attendit dans le couloir de l'hôpital qu'il la rejoigne. Ce qu'il fit bientôt.

- « Vous n'y arriverez pas. »

La Yasei se tourna vers lui, et lui lança un regard interrogateur sans toutefois prendre la parole.

- « Vous êtes concentrée, faites ce qu'il faut, dosez parfaitement votre chakra et vous entraînez depuis des jours et des jours. Pourtant, le résultat n'est pas là. »
- « Je ne comprends pas. Qu'est-ce que je fais de mal ? »
- « Rien. Vous n'êtes peut-être tout simplement pas faite pour ça. »

Elle poussa un soupir suite à cette réponse. Elle avait l'impression de revenir en enfance, lorsqu'elle tentait de découvrir ses affinités, ou de créer des clones. Des semaines, des mois d’entraînements, qui n'avaient rien donné de concluant.

- « Certains ont des facilités dans certains domaines, d'autres non. C'est ainsi. Ne vous blâmez pas : il y a certainement autre chose qui vous irait. Mais je vous conseille de vous rendre à l'évidence : sauf si vous travaillez pendant des années pour obtenir un résultat moyen, vous ne pourrez pas devenir eisei-nin. »
- « C'est frustrant. »
- « Oui. Mais voyez ça comme une porte ouverte, menant vers de multiples options. À vous de voir laquelle vous convient le mieux. Et surtout, en vous posant les bonnes questions. »
- « Merci docteur. Je vais y réfléchir. »

Et ce fut pensive qu'elle quitta son travail, ce jour là.

Une semaine plus tard, les paroles du médecin trottaient toujours autant dans l'esprit de la métamorphe. Des portes ouvertes ? Encore fallait-il savoir vers laquelle se diriger... Elle avait rapidement fait le deuil de cette idée de devenir eisei-nin, car après réflexion, si elle appréciait les aider et les soutenir dans l'ombre de son laboratoire, être elle-même au contact des patients la rebutait. Elle préférait largement la solitude et il s'agissait clairement d'un métier de contact. Elle n'aurait pas la patience ni l'empathie nécessaires pour faire ça, même si elle avait développé cela depuis son arrivée à Kiri. Elle avait fait des progrès : elle tutoyait quelques personnes, avait plusieurs proches et non pas un seul, et était capable de s'adresser à des inconnus pour leur demander des renseignements. Elle avait même rencontré sa famille alors qu'elle n'en avait pas vraiment cure jusqu'ici.

Mais ces progrès n'étaient clairement pas suffisants pour faire en sorte qu'elle côtoie des malades au quotidien et ait la patience de les écouter parler de leurs problèmes à longueur de journée. Un peu, oui, mais toute une journée lui semblait être au-dessus de ses forces. C'était donc plutôt une bonne chose qu'elle ne soit pas faite pour ça : elle aurait certainement fini par se sentir piégée dans ce rôle, et se serait sentie obligée de venir en aide à des gens dont elle n'avait clairement rien à faire.

« Akane ! »

Elle se tourna vivement vers sa collègue qui la tirait de ses pensées.

« Votre alambic a fini de goutter depuis plusieurs minutes. »
« Ho. Merci. »

L'alchimiste se retourna vers sa table de travail, et récolta avec précautions le fruit de son labeur dans une petite fiole qu'elle prit bien soin de fermer hermétiquement.

« Qu'est-ce qu'il vous arrive ? C'est la première fois que je vous vois quasiment rater une préparation. Vous êtes la meilleure d'entre nous pour ça, d'habitude. »
« Merci, mais je ne pense pas. D'autres sont bien plus doués que moi. Hiroki, par exemple. »
« Non, ça lui arrive parfois de recommencer. Pas vous. Vous avez vraiment un don dans la création de poisons et leurs antidotes. »

Akane lui adressa un sourire afin de la remercier pour le compliment. Un don ? Il était vrai qu'elle appréciait cueillir des fleurs, découvrir leurs propriétés. Les extraire, les mélanger. Créer des choses à partir d'autres. Elle avait d'ailleurs beaucoup aimé enseigner ses connaissances sur ce sujet à Arata, son élève. Mais si cela la flattait, ça ne lui permettait cependant pas de trouver vers quelle porte se tourner. Quelqu'un entra dans la pièce, et tous les regards se tournèrent vers le nouveau venu.

« Akane. On a besoin de vous en bas. Ce n'est... Pas très beau. »

Elle hocha la tête pour signifier qu'elle avait compris.

« J'arrive. »

Il lui faudrait juste le temps de ranger ses outils, de se changer, et elle pourrait aller donner un coup de main ailleurs. Dans un endroit que peu pouvaient supporter.

La féline descendit les escaliers de l'hôpital, afin de se rendre à l'étage le plus bas. L'endroit que l'on mettait le plus loin de tous les autres, que l'on cachait, et qui pourtant servait tous les jours et avait une importance capitale dans le fonctionnement de l'hôpital : la morgue. La première fois qu'elle était descendue ici, c'était par manque de personnel et surtout surcharge de travail, après la guerre civile. Elle avait été de courte durée mais pourtant avait fait quelques victimes. Voyant que la jeune femme avait le cœur bien accroché et ne s'émouvait pas de ce qu'elle pouvait voir ici, on l'avait rappelée quelques fois afin qu'elle puisse aider en cas de besoin. Lorsque l'un ou l'autre des médecins légistes étaient absents, par exemple.

- « Vous m'avez faite venir, Kenma ? »

Elle enfila la blouse présente à l'entrée, ainsi que les gants et le masque, et se dirigea vers l'homme présent au dessus d'un corps.

- « Oui, venez par là. »

La métamorphe s’exécuta et fut bientôt assez près pour voir ce qu'il regardait.

- « Qu'est-que c'est ? Des lacérations à l'arme blanche ? »
- « J’espérais que vous pourriez me le dire. C'est assez... Particulier. »

Elle lui lança un regard, reporta son attention sur le corps lacéré et compris qu'il l'avait faite appeler en partie pour ce qu'elle était. Prudemment, elle souleva la chair à plusieurs endroits afin de mieux voir et comprendre ce qu'il avait bien pu arriver.

- « Des griffes. Une multitude de traces de griffes. Comment est-ce possible d'en avoir autant ? »
- « C'est bien ce que je me demandais. Merci de confirmer mes doutes. »

La Yasei avait beau réfléchir, elle ne connaissait aucun membre de son clan capable de faire ça. Non pas qu'ils n'en avaient pas les capacités, mais parce qu'ils ne le feraient tout simplement pas, et encore moins dans Kiri. Même si un doute effleura son esprit.

- « Où est-ce qu'il était ? »
- « Il a été retrouvé dans un petit village à l'est d'ici. »

La métamorphe observa de nouveau le corps lacéré, se demandant bien ce qui avait pu lui arriver. Elle ne pouvait se résoudre à l'idée qu'un membre de son clan avait pu faire ça. Alors une bête sauvage ? Mais ça faisait beaucoup de blessures, pour un seul animal. Frapper quelqu'un à de nombreuses reprises, encore et encore, était fatiguant. Alors plusieurs ? Les traces étaient trop petites pour qu'il ne s'agisse d'un animal sauvage. Songeuse, elle se fit la réflexion que si le cadavre pouvait parler, cela les aiderait bien. Ce fut à ce moment là qu'elle eut l'étrange impression de le voir bouger, comme s'il répondait à sa demande. Mais sans doute était-ce simplement la fatigue qui lui faisait voir ce genre de choses. Ce fut du moins ce qu'elle tenta de se dire pour se rassurer. Mais lorsqu'elle releva le visage vers le médecin légiste, son expression lui indiqua qu'elle n'était pas la seule à avoir vu ce phénomène.

- « Recommencez. »
- « Pardon ? »
- « Je vous dis de recommencer. »
- « Recommencer quoi ? Ce n'est pas moi ! »
- « Si. Je travaille ici depuis bien longtemps, et ça ne m'est jamais arrivé. »
- « Hé bien, peut-être avez-vous été affecté par la... »

Vague de chakra. Celle qui l'avait elle-même laissée inconsciente durant plusieurs heures. Celle qui lui avait permit de débloquer son lien avec ses affinités. Et si ça avait eu d'autres conséquences ? Et si c'était vraiment elle, qui était à l'origine de ce qui venait de se passer ?

Circonspecte. Intriguée. Excitée. Akane avait bien du mal à définir dans quel état d'esprit elle se trouvait actuellement. Était-ce vraiment de son fait ? Ou bien était-ce le légiste ? Après tout, il était au contact des cadavres depuis bien longtemps et il était fort possible qu'il ait développé un lien particulier avec eux au fil du temps. Les deux s'observèrent sans oser réagir dans un premier temps. Puis la métamorphe posa de nouveau sa main sur le corps inanimé. Il n'y eut aucune réaction. Ils échangèrent tous les deux un regard, et le légiste tenta à son tour. Ce fut un échec pour lui aussi.

Alors elle recommença, et cette fois-ci s'imagina l'homme se mouvoir comme tout à l'heure. Elle se l'imagina vivant, et qu'il serait bien pratique qu'il puisse les aider afin de savoir ce qu'il lui était arrivé. Et, comme un peu plus tôt, il bougea presque imperceptiblement. Puis ses doigts s'étendirent sur la table. Et il ouvrit les paupières, révélant ses yeux sans vie. Tout son corps fut prit d'un frisson, mais finalement ça s'arrêta là. Les deux vivants de la pièce attendirent un peu, en vain.

- « C'est donc bien vous. »
- « Visiblement. Pourtant, vous êtes bien plus en contact avec les morts que moi. »
- « En êtes-vous certaine ? Je ne les côtoie qu'ici, presque un par un. Et vous ? »

Il avait raison. Tout ce temps, elle s'était concentrée sur les vivants. Tentant même d'apprendre à les soigner. Et si elle ne pouvait pas guérir les personnes encore en vie, c'était peut-être tout simplement car elle était davantage faite pour s'occuper des morts. Car au final, cela faisait bien longtemps que les morts faisaient partie de sa vie, sans qu'elle n'en prenne vraiment conscience.

À commencer par sa mère, dont l'un des seuls souvenirs qu'elle gardait d'elle était le jour où elle avait été tuée.
Puis tous les meurtres qu'elle avait elle-même commis lorsqu'elle était sous les ordres de Tatsuzô.
Sa sœur, son monde, son tout, avait périt et l'avait laissée seule.
Elle avait tué quelques uns de ses poursuivants durant ses années de fuite, et surtout l'homme qui l'avait entraînée à sa manière.
En arrivant à Kiri, elle avait dénombré les morts par dizaines, tentant de les identifier suite à l'attaque sur le village par des nukenins.
Le port au sol rougit par le sang des victimes l'avait marquée, comme le fait qu'il n'y avait eu aucun survivant.
Elle se souvenait aussi des victimes de la voleuse de l'île d'Aato, qui avait fait s'écrouler un bâtiment sur eux.
Elle avait été peinée par la mort des animaux sur l'île d'Ue, qui les menaçaient.
Yami, Shyko et bien d'autres avaient périt durant la guerre civile.
Le sacrifice de Shiori, celle qui aurait dû être son mentor, son sensei, qui avait été un kage et serait toujours un modèle, était exemplaire.
Et elle avait elle-même ôté la vie de nouveau, saisissant l'ouverture que la Watanabe lui offrait.
Car même si le peuple l'ignorait, c'était elle qui avait tué Kewashiioke et avait mit fin à la guerre civile par ce geste. Sauvant les vivants en ôtant pourtant la vie.

Alors oui, la mort faisait entièrement partie de sa vie. Les deux n'allaient pas l'un sans l'autre, car l'on mourait tous un jour. Tout cela ne faisait partie que d'un cycle sans fin. Et ceux qui avaient autrefois été vivants servaient ceux venant après eux en nourrissant la terre, les animaux, les mémoires, ou en... Leur obéissant et se battant pour eux. Soudainement bien plus confiante, la femme à le chevelure couleur corbeau ôta le masque qui la gênait, puis leva les mains au dessus du corps pour l'instant inanimé afin d'y insuffler son chakra.

- « Lève-toi, maintenant ! »

C'est ce qu'il fit. D'abord lents, ses gestes gagnèrent en vigueur. Et bientôt le cadavre fut debout dans la pièce, animé par la seule force de la volonté de la métamorphe. Celle-ci s'en approcha, et observa ses yeux vides. Elle se concentra sur eux, et ils eurent soudainement un meilleur aspect. Tout comme ses blessures qui disparurent au fur et à mesure qu'elle les regardait.Il ne resta plus qu'un homme qu'on aurait cru presque vivant. Physiquement, seul son regard aussi terne que son teint prouvait qu'il était bien mort.

- « In... Incroyable ! Je n'aurais jamais cru voir ça un jour... »

Akane se tourna vers lui, et l'homme réanimé en fit de même. Tandis que le vivant eut un mouvement de recul. Son visage était presque aussi pâle que celui du mort. Un pouvoir qui intriguait et effrayait à la fois ? Ce n'était pas comme si elle n'avait jamais vécu cela. Mais à présent, elle se fichait pas mal du regard des autres. Elle jugea cependant qu'il était temps pour le « patient » de reprendre sa place sur son lit, et il y retourna seul, bien docilement. Ce ne fut que lorsqu'il fut certain qu'il ne se mouvait plus que le légiste reprit la parole.

- « Vous êtes une nécromancienne ! »
- « On dirait bien que j'ai effectivement un lien spécial avec les morts. Il me suffit de m'adresser à eux pour qu'ils me viennent en aide, tout comme avec la Bête que j'ai à l'intérieur de moi. »
- « La Bête... ? Votre capacité Yasei ? »
- « C'est cela. J'ai l’impression que ça fonctionne de la même façon. Comme une sorte de contrat, d'alliance, entre eux et moi. »
- « Ce qui explique pourquoi vous avez compris aussi vite comment faire. »

Elle hocha la tête pour confirmer.

- « Je suis désolée, pour le... »

D'un geste, elle montra le cadavre dont les blessures avaient disparues. Il était désormais difficile d'en faire un rapport. Ils remontèrent cependant la piste, et trouvèrent le coupable : le chat du fermier, qui l'avait attaqué avec des renforts des environs, ne supportant plus ses mauvais traitements. Il s'était visiblement rebellé suite à la vague de chakra qui l'avait affecté.

Comme elle avait aussi affecté Yasei Akane. Qui était désormais devenue nécromancienne en plus d'être métamorphe. Pouvant ainsi commander à son kamui comme aux cadavres. À moins qu'il ne s'agissait tout simplement de quelque chose qu'elle avait depuis toujours en elle, et qu'elle n'avait jamais su jusqu'à présent. Qui pouvait bien le savoir, après tout ?