hrp : suite de On the road to knowledge

-"Enchanté, moi c'est Shisei." Soufflant sa fumée sur le côté pour lui en éviter le désagrément, il reprit sa marche, douce descente sur les sentiers de la Foudre, lente plongée dans l'Histoire de son clan. "Alors Rin, en quoi consiste ton travail, exactement ?" Historienne, ce mot ne sonnait d'aucune certitude pour le trentenaire, il en affleurait facilement le principe premier, mais de là à en saisir le fondement d'un métier à part entière... .

N'était-ce pas plutôt le reflet d'une curiosité devenant passion ? D'une existence condamnée à cet insatiable appétit, cette boulimie d'indiscrétions de ceux n'ayant pas vécu l'instant conté ? Les questions fusaient dans l'esprit du Suzuri, rythmées par les lueurs d'une cigarette aspirée, dont le petit point incandescent éclairait sa peau. Il lui brossant les pupilles d'une lueur rougeâtre, presque endiablée, illuminant alors son âme d'un démon patient qui se blottissait derrière ce miroir brisé. Pourtant, Shisei bénéficiait de ce calme propre à ceux ayant voyagé en de nombreuses places. Il croisa la route de bon nombre de gens, des rencontres éphémères vouées à satisfaire d'une façon ou d'une autre l'objectif de la mission fixée. Et en un sens, Rin n'y faisait pas exception.

Un brouhaha de liesse s'éleva par-delà les piques rocheux, véritable contrepied à cette époque au bord du chaos. Une troupe d'artistes itinérants, installée depuis quelques jours et qui démontrait toute l'ampleur de son art en un spectacle deux fois par jours, fêtait la fin d'une journée aux profits plus que correctes. La nuit approchant, le trentenaire proposa de s'y attarder, le temps d'un échange avec ces extravagants et bons vivants.

Lorsque la silhouette du tatoué apparue au milieu du camp, un "Shisei !" enthousiaste déboula à ses pieds, porté par la voix fluette d'un petit être grassouillet, chauve, une barbe deux fois plus épaisse que celle du Suzuri et à la carrure proportionnée par un destin farceur.

-"Salut Goro ! Tu sais où j'peux trouver Kimitsu ?"

-"Comme d'hab', hein. Planqué dans sa roulotte, il y préfère la solitude à notre petite fête. Oh !! Et c'est qui la charmante rouquine qui t'accompagne ?" Shisei pivota vers l'interpellée, un léger sourire malicieux aux coins des lèvres.

-"C'est une excellente question."

-"Goro est un cuisinier particulièrement talentueux, je m'en voudrais de t'ôter à cette découverte. Pose donc ton sac et laisse l'Histoire de cette nuit s'écrire d'elle-même, Rin. Nous partirons demain." Au fond, le Suzuri souhaitait également profiter des plats de son ami, mais son affaire avec Kimitsu se devait d'être réglée au plus tôt.

-"Pourquoi ne la confronterais-tu pas à ta légendaire hospitalité, mon vieil ami ?" Sourire en coin, Shisei abandonna l'historienne dans les mains expertes d'un animateur particulièrement efficace. Car lorsqu'il était question d'occuper le temps, personne ne parvenait à la cheville de Goro -et ce, malgré sa petite taille-. Le trentenaire rassura la jeune femme d'un clin d'œil amusé "Ne t'en fais pas, je ne serai pas long." Puis il disparu dans la foule amassée au coin du feu.

-"Mesdames et messieurs !" La voix du petit être tonna à travers la liesse générale pour en couvrir le brouhaha ambiant. "Montrons donc à notre nouvelle invitée, Rin, ce que le Taishou no Shuudan veut dire." Les réjouissances reprirent de plus belle, illuminant le ciel d'une beauté authentique, réchauffant les cœurs d'une générosité sincère. Un godet d'alcool fut placé dans les mains de la nouvelle venue, tandis qu'un morceau de tronc glissa derrière elle, en guise de banc sur lequel venait déjà s'assoir les plus curieux de cette troupe, un millier de questions aux bords des lèvres.

À l'écart de cette hilarité générale, Shisei se présenta à la roulotte de Kimitsu, une seule et unique question en tête. L'homme, d'une dizaine d'années son ainé, avait laissé le temps marquer sa peau de nombreux tatouages colorés, comme autant d'expériences à partager avec le monde extérieur, comme autant d'histoires imagées pour les animer lors des spectacles de la troupe. À l'instar de bons nombres de Suzuri, Kimitsu possédait le don de l'encre et retraçait, au gré d'une vérité revisitée, tant la fable de ses mémoires que celles de ses pairs.

-"Je cherche le phare maudit de Shinpachi." Ni préliminaire ni détour, le trentenaire plongeait dans le vif du sujet sans autres formalités. Un comportement semblant faire écho chez l'artiste qui, bien que gardant son silence intact, anima ses dessins le long de son torse dénudé.

Alors Shisei y vit l'oiseau de feu et le loup d'encre se mêler en un tourbillon de chaos. Il y vit l'horreur de deux mythes, s'écharpant l'un l'autre, briller au centre d'un pic reconnaissable. "Funshitsuyama." Souffla-t-il, absorbé par l'histoire qui se dessinait sous ses yeux d'enfant. Le cap trouvé, il pouvait enfin s'autoriser une soirée de liesse, s'abandonner aux plaisirs simples de la vie avant que son périple ne les conduise, Rin et lui, dans les tréfonds d'une montagne égarée. Satisfait de la réponse, il retourna auprès du feu et de la réalité du présent.

-"Eh beh !? On perd pas de temps à c'que je vois." Il plongea un verre vide dans un tonneau d'alcool et le leva en direction de la rouquine qui se mêlait à la foule d'une simplicité déconcertante.

-"Totalement hors sujet, Rin ,mais... est-ce que t'es claustrophobe ?" Lui demanda-t-il alors qu'il l'avait rejointe.

-"Pour la même raison que tu parcours le monde, je suppose. Ils errent à travers les montagnes de la Foudre, sans autre attache qu'eux-mêmes, et profitent de leurs richesses, libres." C'était également tout le paradoxe de leur réussite, des parias reclus hors des grandes villes qui attiraient autant qu'ils effrayaient.

Son regard se porta alors sur l'inconnu désigné par Rin. "Qui sait... tu lui as p't'être piqué la vedette !?" Sourire amusé, Shisei ne décela aucune menace dans ce regard insistant, sinon la fatigue d'une soirée sans fin succédant à une journée d'efforts, et un manque de tact indéniable. Mais derrière leurs airs de bons vivants et d'âmes avinées, Goro et ses amis maitrisaient tant l'ambiance que la sécurité de leur camp, alors ni le tatoué ni la rousse ne s'exposait à un quelconque danger. Le trentenaire se garda toutefois de le lui préciser... .

Goro bouscula les deux invités pour s'installer entre eux, d'une nonchalance assumée. "Tu nous sors tes p'tits potes, Shisei ?" Son regard se fit presque larmoyant, le mime d'un caprice déformant son visage qui aurait tôt fait d'user la patience du Suzuri, alors il céda dès cette première requête.

Shisei anima une partie de ses tatouages, les vagues d'encre s'étalèrent en trois flaques. Les mouvements de ses mains balayaient les tâches pour y tracer les débuts d'une esquisse. Le pinceau invisible ajoutait ça et là les formes de petits êtres difformes et masqués, comme des enfants malformés jouant de leur différence comme d'un déguisement. L'imagination du tatoué ne souffrait d'aucune limite, mais ces trois petits diables qu'il pensait n'être que l'aléa d'une improvisation, ce soi-disant fruit du hasard reflétait pourtant une part de l'esprit torturé du dessinateur.

Des trois formes s'extirpèrent trois démons, Am, Stram et Gram, un triptyque impudent et farceur qui noya l'audience de leur présence bien audible.

-"Woh putain !? V'là qu'on est encerclé les copains !"
-"Ca pue."
-"Oui... ça pue."
-"Pourquoi tu fronces les sourcils, mon con ?" Am pointait de son doigt boudiné le regard insistant de l'inconnu ayant dévisagé Rin plus tôt. "T'es naturellement crispé ou tu quiches depuis tout à l'heure ? Pwaaah, c'est lui qui pue !!" La remarque fit éclater de rire un Goro pleinement satisfait et lança les hostilités de ces trois vauriens. Les remarques fusaient sur chacun des convives, de façon plus ou moins déplacée en fonction de celui qui les prononçait, jusqu'à ce que le plus petit des trois, Gram, ne vienne s'asseoir aux côtés de Rin, les jambes ballotant dans le vide d'un sol qu'il ne parvenait pas à toucher.

-"T'as de la famille ? Ils ont tous les cheveux rouges comme toi ?"

-"Oh que oui ! Terriblement secrète et dévastatrice." Ironisa Shisei. Il n'y avait de secret que l'incapacité à partager cet apprentissage avec quiconque ne maitrisait pas l'encre, mais pour un Suzuri... les plus jeunes du clan la maitrisait mieux que lui. La nuit se poursuivit entre rires et apaisements, dans la quiétude d'un instant de vie.

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Le duo avait plié bagage au petit matin, laissant derrière lui les souvenirs joyeux d'une nuit piquante et festive, d'un moment de partage. Ils continuèrent leur chemin vers le Nord, bifurquant au détour d'un sentier de roches pour s'enfoncer un peu plus dans les cimes montagneuses du pays.

-"Que pensent ton père et ta sœur de ce que tu fais ?" Rin avait évoqué leur existence la veille, au coin du feu. La réponse intéressait le tatoué, notamment pour l'aider à définir quel cadre de vie poussait quelqu'un à l'exile, dans le Temps et l'Histoire ?

Leur route les mena finalement au devant d'une ouverture béante sur la paroi d'une montagne. Une bouche sans fond, aux crocs rocheux acérés et à l'allure néfaste. L'antre s'enfonçait dans les entrailles de la terre, aux confins d'un monde que peu connaissait et que beaucoup redoutait. "Voici Funshitsuyama, le Mont de l'Egarement."

Le trentenaire extirpa de sa besace un bocal contenant de la résine. Il y plongea un linge avant de l'enrouler autour d 'une branche sèche, et alluma l'ensemble en une torche de fortune. "On raconte que personne n'en est jamais sorti vivant." Puis éclatant de rire sous la lumière rougeâtre de son flambeau, il s'y engouffra, le pas assuré.

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Depuis leur départ du camp, une silhouette armée les avait suivis. Elle s'engouffra à son tour dans la grotte quelques minutes seulement après le passage de l'historienne et du shinobi, une faible lueur auréolant ses mains et dévoilant au devant de ses pieds la roche humide qui descendait dans le cœur de la montagne.

Les craintes de Rin étaient peut-être fondées... .

Le trentenaire laissa Rin s'attardait sur les peintures murales, retirant son propre regard des ténèbres qui s'épaississaient devant eux. "Il s'agit de l'œuvre d'un incompris qui a emporté ses secret dans la mort, il y a longtemps." Une âme damnée ayant tâché la roche de l'art Suzuri. Un soubresaut du temps, une empreinte du passé laissée en témoignage. L'œuvre ne manquerait pas d'attiser l'historienne de cette curiosité indulgente qui la définissait si bien.

-"Certains prétendent qu'il s'agit là d'une mise en garde, peinte par le sang d'un démon à l'agonie." La frontière ténue entre réalité et légende s'affinait de génération en génération, à tel point qu'il était à présent impossible de dissocier l'un de l'autre sans tomber dans l'incertitude.

-"D'autres..." À la lueur de la torche maintenue par la jeune femme, il plaqua sa main sur l'une des arabesques et, d'une impulsion de chakra, y fit déverser ses tatouages. "...y lisent le manifeste d'un des leurs." Encre sur encre, l'âme du présent affluait sur les parois teinte par un ancêtre Suzuri et s'y mêlait d'une alchimie évidente, et comme une promesse d'antan faite à travers ce lieu, les dessins s'animèrent de leur histoire. Y était alors conté le récit bicentenaire d'hommes, de bêtes féroces, de leur culte et de la Mort. Ainsi qu'un combat épique entre un oiseau aux flammes noires et un loup géant tracé à la pointe d'un pinceau tout aussi démesuré.

Quand bien même Shisei ne commandait aucunement les mouvements de ces esquisses, la vigilance restait de mise. Car la narration qui ressortait de l'humidité de la roche restait celle d'un Homme à jamais connu pour sa folie et dont l'histoire corrompit nombre de ses semblables.

-"Ne te laisse pas distraire par le rêve de Suzuri Kyuu, cette fable est morte avec son créateur, il y a plus d'un siècle. Nous sommes ici pour retrouver une archive particulière..." L'antre fut le repère d'une faction dissidente du clan, une troupe de comploteurs détruite bien avant la transformation de Shitaderu en Kumo. Il n'y résidait à présent que les rumeurs d'une époque révolue et tout ce qu'avait bien voulu laisser intact le chef de clan de jadis. "Une lettre marquée d'un sceau interdit." Lequel s'afficha dans le creux de la main du trentenaire. Un texte au dialecte ancien et indéchiffrable s'enchevêtrait aux motifs du sceau.

La bouche entrouverte, le tatoué s'apprêtait à prononcer quelque chose lorsque une pierre fusa dans sa direction et le propulsa en arrière, happé par l'obscurité et vraisemblablement assommé. Une seconde lumière se joignit alors à celle de Rin, une lueur emprunte d'une animosité inexplicable et, paradoxalement, d'un profond désespoir.

-"Où est-elle !?" Fut la première et unique sommation de l'inconnu.