Ces derniers temps, les missions avaient l'air de s'enchaîner pour Shoki. Toutes, cela dit, pouvaient être regroupées sous un dénominateur commun. Sans aucune exception, que ce soit hors des murs du village, au port Naragasa ou, cette nuit, au… Port Naragasa, encore, chacune de ses missions l’avaient conduit à travailler aux côtés de jeunes filles qui s’éloignaient énormément de l’archétype du shinobi lambda. Enfin, pas réellement, au fond, car il y avait aussi ce Yamanaka Kiyon – un nom de famille assez étrange, et un prénom… encore plus étrange – cette fois-ci, ce qui équilibrait quelque peu les statistiques. De l’autre côté, le Yasei allait devoir composer une nouvelle fois avec la peureuse de service, l’adolescente qui en avait sans doute trop vu pour son âge sur le bateau des horreurs…

En bref, le Kirijin se pressa un peu plus que la fois précédente, réduisant au possible son entrainement quotidien pour arriver dans les temps demandés par la mission, afin de ne pas être de nouveau mal perçu par ses camarades. Pour ce qui était de Mei, celle-ci avait sans doute déjà la pire opinion possible de lui, au même titre qu’une bonne partie des locaux que le jeune homme avait rencontrés, et si son attitude générale ne risquait pas de changer – Shoki étant ce qu’il est – il pouvait au moins ne pas passer pour un retardataire récurrent. Qui sait, peut-être que ce Kiyon aurait une bonne opinion de lui, et ferait un bon sparring-partner pour un prochain combat à mort d’entrainement ?

Alors que les premiers mâts étaient désormais visibles, le brun fût pris d’une certaine nostalgie en repensant à son arrivée ici. Il n’avait pas pleuré, ni même été sentimental, tant il était occupé à fixer Reikan de loin, ce jour-là, tel un pervers lubrique observant sa proie. Bien évidemment, les raisons pour le Grizzli étaient différentes. Il s’apprêtait, aujourd’hui, à rechercher ses alliés du moment, lorsqu’une voix pas tout à fait inconnue le surprit : il semblait qu’il n’aurait pas à faire d’efforts. Ignorant la foule, il se laissa guider par les mots de la Kaguya, jusqu’à la trouver du regard, en train de parler à Mr Propre, avant de s’en aller vers … autre chose. S’il était un Yasei, ce serait sans doute l’épouvantail, son animal totem. Enfin, ce n’était même pas un animal, au fond. Profitant du chemin pour détailler ce nouveau venu du regard, Shoki réfléchit aux façons dont il pourrait l’appeler. Si c’était trop direct, cela pourrait éventuellement dégénérer et créer un bain de sang au port Naragasa. Si c’était trop tendre, il risquait de passer pour un faible, une sorte de Bisounours plein d’empathie et tout boutonneux, qui aimait que les histoires terminent bien. L’entre-deux, voilà ce qu’il fallait faire :

« Bonjour, mesdames. Quoi que j’ai toujours un doute te concernant, Mei… Enfin, si j’ai bien compris, Dame Kiyon est responsable de la mission, aujourd’hui, alors peut-être que nous pourrons nous en sortir sans risquer nos vies ? »

Associer une longue chevelure au sexe féminin, voilà qui était une bonne manière pour le Yasei de ne pas faire bonne impression à ce Yamanaka. Il passerait aussi pour un misogyne, probablement, mais cela importait peu au fond. Pour lui, homme ou femme, ce n’était pas un élément déterminant, à moins que l’entre-jambe de certains ne leur confère une réserve de chakra supplémentaire… Présentant un maigre sourire, Shoki attendait maintenant les instructions du leader, qui ne pouvait faire pire que lui lors de sa dernière mission avec Mei.

L’erreur fût rattrapée avant que Shoki ne puisse verrouiller le genre de son équipier totalement dans son esprit. Il lui était difficile d’admettre qu’avec cette apparence le Yamanaka soit bel et bien un homme, mais comme disait l’adage « Il faut de tout pour faire un monde ». Lorsque Kiyon mentionna l’absence de risques de mort, le Yasei ne put s’empêcher de jeter un regard vers Mei pour s’assurer que celle-ci ne soit pas prise de souvenirs douloureux, liés à une mission qui partait d’une simple enquête pour terminer sur un dangereux combat à mort, non loin d’ici.

Laissant le côté discret de la mission prendre le dessus, chacun des camarades du Kazejin se transforma pour changer totalement d’apparence. Le premier, le chef, se contenta d’arborer une apparence assez peu discrète aux yeux de Shoki, notamment à cause du maquillage exagéré. De l’autre, Mei opta pour une forme assez musclée, tranchant totalement avec ce qu’elle était à l’origine. Alors, pour ne pas faire tache, le jeune homme décida de changer d’apparence également. Reproduisant les signes de ses alliés, il devint une toute autre personne, tout en gardant la même apparence : une moustache était apparue sous son nez, et des lunettes carrées sur ce-dernier. De quoi le rendre indétectable, pour sûr.

La mission pouvait démarrer, mais le chef d’équipe désigné presque malgré lui demanda si l’un ou l’autre de ses coéquipiers avait des questions à poser. De son côté, le Yasei se fichait un peu de la mission, pas Kirijin pour un sou, et ne se posait donc pas plus de questions que cela. Pour sa part, Mei sembla avoir des choses à ajouter. Commençant par se moquer de la cible de la mission, elle termina sur une question désintéressée à propos des risques encourus par le traître présumé. N’étant pas au fait de la justice de la brume, la change-forme s’essaya à une supposition :

« La traîtrise étant un crime très grave, je dirais qu’il sera sans doute pendu par les pieds pendant autant de temps qu’il faudra pour que la soif ou les charognards n’en aient fini avec lui… Enfin, c’était une des façons de faire avec les traîtres, à Kaze. »

La bonne vieille méthode Kazejine, voilà ce qu’il fallait pour ceux qui n’étaient pas capables de respecter leur patrie, ou faction. Enfin, c’était la façon de voir de bon nombre de personnes, mais pour Shoki qui n’avait presque jamais prêté d’allégeances, cela n’était pas une vérité absolue pour autant.

« Bien, je n’ai pas de questions pour ma part, je laisse donc notre chef donner ses consignes… »

C’était le tour du Yasei de devoir être materné, bien qu’il n’en ait pas vraiment le besoin. Ne rien décider pouvait être grisant pour certains, mais pour un adepte du combat comme lui, tant qu’il finissait par découvrir de puissants adversaires, le reste lui importait peu.

L’intervention de Kiyon quant aux questions de Mei était superflue, aux yeux de Shoki. S’étendre autant sur une question venant d’une jeune fille curieuse qui semblait simplement vouloir étancher sa soif de connaissance sur un sujet inutile revenait à perdre un temps précieux. Si, de son côté, le Yasei n’avait pas d’animosité envers son présent chef d’équipe, d’aucuns auraient trouvé malin de lui répondre quelque chose comme : « Ouais ‘fin raconte pas ta vie fils de pleutre ». Aucun mot ne fût prononcé par le Grizzli, qui comme à son habitude n’était pas très concerné par tout ce qui touchait à la stratégie. Un bon concours de torgnoles, voilà ce qui pouvait le motiver, dans la vie.

Ainsi, lorsque le moment de la séparation sonna, aucune larme ne fût versée. Enfin, ce n’était pas étonnant, car celle-ci ne durerait pas, et même dans le cas contraire, il ne connaissait pas vraiment ses deux équipiers. Seule la mention d’entendre des voix dans sa tête interpella brièvement le jeune homme, qui n’avait pas l’habitude d’obtenir ce genre d’informations. Quel genre de don ce Yamanaka possédait-il ? Il lui tardait de l’apprendre.

Suivi par son comparse obèse, le Yasei se demandait par où commencer. La taverne en question pouvait être une mauvaise idée, comme un coup de génie. Le Kazejin se tourna vers son camarade, et après l’avoir jaugé, lui demanda :

« Devrions-nous utiliser des noms de code ? Hum… je pense que tu pourrais être Harrudy, et moi… Laurelu. Cela évitera de faire connaitre nos noms. Dans ces lieux, je ne suis pas un inconnu, et ce bien malgré moi. »

Il avança donc dans la bâtisse déjà pleine d’ivrognes, dont certains visages ne lui étaient inconnus. A force de participer à des combats de rue, il était fréquent de retrouver des pochtrons à d’autres endroits du village. Un homme au nez cassé pouvait même se vanter de l’avoir obtenu du grand Yasei Shoki. Quoi qu’il n’y avait pas beaucoup à vanter là-dedans.

D’un rapide regard circulaire, le brun remarqua aussitôt ce qui allait l’aider à trouver des informations, tout en utilisant ses talents personnels. Un homme à la carrure démesurée proposait des duels de bras de fer. Pas difficile de dépouiller un orgueilleux ivre de cette façon, mais ce n’était pas ce qui intéressait Shoki. Lui était sobre, et son apparence presque frêle pouvait berner l’arnaqueur.

« Reste en retrait Harrudy, je m’occupe de notre affaire très rapidement… »

Il s’installa à la table, faisant face à la montagne de muscle – qui ne manquait pas de lui rappeler la transformation étonnante de Mei – pour le défier du regard :

« Quelles règles, molosse ? »

Le géant montra du regard un petit écriteau. Celui-ci indiquait « Mise de 200 Ryos ». Il s’agissait donc d’un petit joueur. Approchant son bras de celui de son adversaire, laissant sa paume embrasser celle de son opposant d’une façon très peu en phase avec les mesures sanitaires, le duel démarra donc.

« Si je gagne, je ne veux pas ton argent. Simplement des informations… »

La Bête souffla fort du nez, et son interprète se tenant derrière lui traduisit en langue des signes, qui fût ensuite traduite par un autre interprète en une langue plutôt étrange, avant que le dernier interprète présent ne donna la réponse : « Marché conclu. ». Cela en faisait, des personnes à rémunérer… La force allait maintenant pouvoir parler…

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