Depuis plusieurs jours, Arukisa retournait la situation pour trouver une solution qui ne mette personne en péril. Malheureusement, malgré toutes les théories et subterfuges possibles, elle ne pouvait se résigner à s’engluer dans un tissu de mensonges. Son mensonge auprès de la hiérarchie était déjà bien assez lourd à porter pour le moment. Elle qui vouait une fidélité sans faille à son village d’adoption venait de falsifier un rapport de mission. Une simple histoire de bandits s’était transformée en une prise d’otage motivée par une vengeance haineuse. La Rose avait choisi de protéger Kanon Eri en ne dévoilant pas l’existence de sa mère à qui que ce soit à Kiri. Cela impliquait de ne pas la mentionner dans son rapport et d’obliger Otsuge à fermer les yeux sur ses actes.

Cependant, la dernière protagoniste de cette mission n’était au courant de rien. Arukisa n’avait rien dit à Misaki. Rien sur l’assassinat volontaire du malfaiteur, rien sur le rapport. Si elle ne jugeait pas nécessaire de l’informer des conditions de la mort de Sareda, la gladiatrice se résigna à la mettre au courant de ses conclusions. Avant tout pour sa sécurité, si elle ébruitait les détails de la mission, elle pourrait être interrogée par ses supérieurs et se retrouver dans une triste affaire malgré elle. Mais également pour qu’elle comprenne les motivations de sa sensei. Pourquoi avait-elle choisi de mentir ? Était-ce contraire au code shinobi ? La morale était parfois au-dessus des intérêts du village selon la jônin. Or, ce n’était pas l’avis de tous et encore moins de ses confrères.

La Rose avait donné rendez-vous à l’endroit le plus discret et le plus rassurant qu’elle connaissait : chez elle. Arukisa vivait dans un petit appartement près du port Naragasa. De l’eau chauffait sur le feu, prête à accueillir quelques brins de thé. Ce face à face pourrait nécessitait un peu d’arômes apaisants pour délier la discussion.
Arukisa n’avait pas vraiment idée de comment sa protégée pouvait réagir. Elle semblait dévouée à son village, tout comme la jônin. Mais pouvait-elle comprendre ? Était-elle capable de revoir ses principes ? Et surtout, dans la pire des situations, serait-elle prête à dénoncer sa sensei ?

Les contours scintillants de la belle blonde se dévoilèrent lorsqu’Arukisa ouvrit sa porte. Sa voix douce perça le silence qui entourait la jônin depuis plusieurs minutes. La propriétaire des lieux invita Misaki à entrer et à s’asseoir si elle le souhaitait. Son visage ne démontrait aucune crainte et ne présageait en rien de la discussion qui allait suivre. Elle arborait son sourire habituel mais elle avait du mal à partager sa bonne humeur communicative qui faisait d’elle une femme attachante.

La Rose attrapa sa bouilloire sifflante lorsque celle-ci se manifesta pour indiquer que le thé pouvait être préparé. Elle jeta quelques herbes aromatiques parfumées qu’elle avait achetées sur le marché du port Naragasa. Une vieille dame proposait souvent un étalage riche de plusieurs plantes à infuser. Ainsi, c’est sur des passiflores séchées que retomba l’eau bouillante, créant un petit fumet de vapeur. On disait que cette fleur magnifique permettait de diminuer le stress et aidait à trouver le sommeil. Un bon préparatif pour accompagner les mots qui allaient suivre.

- Je dois te parler d’un sujet très important, Misaki. Si je t’ai demandé de venir ici, c’est parce que personne ne doit être au courant. J’ai falsifié le rapport de notre mission avec Eri. Dit-elle de façon abrupte.

La gladiatrice ne voulait pas tourner autour du pot et mener son élève en bateau. Elle était sincère et directe comme à son habitude. Malgré les risques de ses actions, elle restait fidèle à ses principes dont celui de toujours être honnête avec son équipe.

- J’ai rendu un rapport conforme aux ordres de base, comme si nous étions allés détruire ce camp de brigands avec Otsuge. Elle s’assit sur un tabouret. Si j’ai pris cette décision, c’est pour protéger Eri et qu’absolument personne ne soit au courant de l’existence de sa mère, pas même les autorités. Dit-elle en regardant vers l’extérieur avant de reposer son regard sur la Yuki. Tu es peut-être déçue j’imagine. Tu te demandes si ma fidélité à Kiri est réelle. Tu dois penser que ce n’est pas digne d’une gradée de la Brume. Mais j’ai pris cette décision difficile pour protéger une civile. L’anonymat était la meilleure des protections dans cette situation. Affirma-t-elle avec conviction.

Arukisa tenta de déceler dans le regard de Misaki une once de réaction. Un signe qui pourrait lui montrer ce qu’elle pensait de tout ça avant même de parler.

- Certains shinobis mettent leur village au-dessus de tout et serait incapable de désobéir à un ordre. Seulement, je pense que certains cas demandent un peu plus de réflexion. C’est ce qui fait de nous des humains avant d’être des shinobis.

L’attitude angélique de la Yuki changea du tout au tout quand Arukisa lui exposa les faits. Elle prit une posture qui montrait sa détermination à ne pas subir la situation. Malgré son inexpérience évidente concernant les choix complexes que pouvaient engendrer une mission, elle ne se défila pas et exposa son point de vue à sa sensei. D’ailleurs, la jônin n'apprécia pas son thé autant qu’elle l’aurait souhaité. Les mots forts de son élève ne furent pas une réelle surprise. Elle avait du répondant et un caractère bien trempé. On sentait que sa bataille incessante pour se faire une place au sein de son prestigieux clan lui avait appris à exposer son opinion clairement.

La Rose n’espérait pas vraiment de la compassion ni de l’empathie de sa part. Après tout, elle ne connaissait pas Eri aussi bien qu’elle et avec le recul, elle admettait qu’elle aurait peut-être agi différemment avec un civil lambda. Néanmoins, le lien étroit qu’elle avait tissé avec la marchande était inexplicable. Il y avait une sorte d’admiration mutuelle entre les deux femmes, chacune respectant le travail accompli et la réussite dans leur domaine respectif.

Misaki exposa donc ses exigences. Aru’ ne lui en voulait pas d’exprimer froidement sa colère. Le mensonge dans lequel elle l’avait entraînée était dangereux pour la suite de sa jeune carrière. Ainsi, lorsqu’elle la menaça à demi-mot de tout dévoiler si elle se sentait en danger, elle comprit sa réaction. Cependant, sa seconde requête ne fut absolument pas appréciée par sa sensei. C’était donc ainsi qu’elle fonctionnait ? La protection d’une civile devait-elle entraîner une service en retour ? Ses principes moraux semblaient s’éloigner de ceux de la gladiatrice. Arukisa prenait l’entière responsabilité de ses décisions et elle ne voulait pas que ce soit lié à un quelconque service en retour. Elle manqua de s’étouffer avec sa boisson et poussa un léger toussotement avant de répondre.

- Je ne t’en voudrais pas de me dénoncer si tu te sens soupçonnée. Je prendrais l’entière responsabilité de cette décision et je te protégerais. Tout comme Otsuge. Mais je suis déçu que tu vois cela comme un service. Protéger une civile, ce n’est pas lui rendre service, Misaki. Répondit-elle froidement. Je pensais que nous avions le même nindo : celui de protéger la population. Peu importe le prix. Ajouta-t-elle sur un ton de déception. Eri ne m’a rien demandé, c’est moi et moi seule qui ait pris cette décision. Si tu tiens absolument à obtenir un service, c’est à moi que tu dois t’adresser.

Elle reprit une gorgée de son thé. La discussion était montée d’un ton tout en restant courtoise. Les deux kunoichis faisaient face à leur premier conflit d’équipe.

Avait-elle trouvé les mots justes ? Le changement de comportement de Misaki était espéré et attendu, mais Arukisa fut tout de même soulagée de voir son élève finalement se ranger à ses côtés. Le jeune Yuki était une personne pleine de bon sens et qui démontrait encore une fois sa grande maturité malgré sa faible expérience. Loin d’être emportée par ses sentiments et un caractère fougueux, elle avait su prendre la mesure de la décision de sa sensei pour prendre du recul sur sa position. Jamais Arukisa n’avait voulu lui porter préjudice. La liaison qui commençait à se créer entre les deux kunoichis démontrait toute l’affection que la Rose portait à la genin. Même si elles avaient le même âge, elle la voyait un peu comme une de ses petites sœurs restées à Hi. Certes, elle ne devait pas la juger ainsi et lui octroyer des privilèges, mais sa personnalité attachante pouvait aisément la pousser à briser le lien hiérarchique qui les liait si elle se laissait aller.

- Tu ne me dois rien Misaki, il ne faut pas que tu vois ça de cette façon. La meilleure façon pour toi de me rendre la pareille, ce sera de former à ton tour d’autres genins un jour. C’est ce à quoi doit aspirer chaque sensei. Répondit-elle avec bienveillance.

En effet, leur discussion menait à un point essentiel du rôle de sensei. Ce rouage élaboré dans chaque village permettait la transmission du savoir et la protection de tous. Le sort futur de Kiri était entre les mains des senseis. Il était important que Misaki comprenne l’essence même de sa présence dans l’équipe. En somme, elle devait apprendre, pour ensuite apprendre à d’autres. Et, l’échange ne portait pas seulement sur de la technique, de la tactique et autres aspects propres aux shinobis. Il fallait aussi transmettre des valeurs. C’est là que la personnalité, la morale, et la conception du monde qu’avait chaque sensei entrait en jeu.

Les inquiétudes de Misaki sur la confiance qu’accordait la Rose à son élève ne la laissèrent pas insensible. Ce n’était pas l’effet escompté de son mensonge. Or, elle admit que cela puisse être perçu de cette façon. Cependant, c’était uniquement pour la protéger qu’elle avait agi ainsi. La Yuki découvrait le monde ninja et elle espérait sincèrement ne pas avoir à lui montrer cette facette si tôt.

- Ce n’est pas par manque de confiance que je ne t’ai pas prévenu tout de suite. Seulement, je cherchais une solution pour ne pas t’impliquer. Je suis désolée de ne pas avoir pu en trouver une. Tu es encore peu expérimentée et je ne voulais pas immédiatement briser des valeurs telles que le respect absolu du code ninja, de la procédure ou de la hiérarchie que certains aspirants ont en étant promu. Penser par soi-même ne fait pas parti des enseignements académiques… Dit-elle sur ton un peu amer. Mais j’ai réfléchi à notre entente et à ce que je voulais pour l’équipe, c’est pour ça que j’ai décidé après coup de t’en parler. Je pense que tu es assez perspicace pour comprendre la réalité parfois illogique et surprenante du monde shinobi. Et surtout, je ne voulais pas que tu te sentes trahi en le découvrant un jour par toi-même.

La peur de Misaki de voir ses projets anéantis par ses actes était compréhensible. Seulement, il était hors de question qu’elle remette en doute ses projets de carrière par la faute de sa sensei. Comme précisé quelques instants avant, elle comptait prendre l’entière responsabilité de sa décision. Aru’ termina son thé d’une traite avant de se lever et de poser sa main sur l’épaule de la Yuki.

- Ne t’inquiète pas pour ça. Aucun shinobi n’est irréprochable, crois moi. Tu verras des choses sur le terrain que tu n’imaginais même pas de certain. La difficulté est de poser le bon jugement sur la motivation de ces actes. Dit-elle en repensant à certains agissements de confrères qu’elle côtoyait encore. Je ne suis pas dans la Kenpei mais je connais plutôt bien certains de ses membres. Je ferai en sorte que tu obtiennes une mission pour que tu passes un test. C’est une promesse. Tiens ! Dit-elle en levant le doigt comme si elle venait de trouver une idée de génie. Tu n’as qu’à considérer que c’est le service que je te rends. Termina-t-elle en rigolant doucement.

Si la genin souhaitait réellement rejoindre les rangs de cette unité, Arukisa était capable de lui donner un coup de pouce. Elle lui devait bien ça, après tout.

En découvrant les motivations de Misaki concernant son entrée à la Kenpei, Arukisa eut plusieurs réactions. Premièrement, la surprise, visiblement soit les informations récentes concernant les Yuki déserteurs n’avaient pas transité jusqu’aux membres de son clan, mais elle en doutait. Soit, elle n’en avait pas encore été informée. La détermination dont elle faisait preuve en était peut-être la cause. Les plus éminents des Yuki n’avaient peut-être pas jugé bon de la prévenir des fraîches négociations avec Iwa. Ses mots faisaient ressortir toute la rancœur qu’elle avait en elle, était-elle prête à entendre la vérité ? Deuxièmement, la Rose nageait dans l’incertitude à propos des motifs de son envie d’intégration à la police militaire de Kiri. Elle fit d’ailleurs la moue pour afficher son embarras. Si traquer ses confrères était sa principale résolution, elle allait vite déchanter ou bien se mettre dans une position inconfortable dont même sa sensei ne pourrait la sortir. Cependant, son objectif de traduire en justice d’autres déserteurs rattrapait un peu le coup.

Son rôle de guide prenait encore le dessus sur la conversation. De toute évidence, elle n’avait pas été mise au courant du sort des Yuki déserteurs. Son clan aurait dû l’en informer mais il fallait freiner ses ardeurs immédiatement. C’était son devoir de contrôler la genin et de la remettre sur le droit chemin. Un peu déconcertée de devoir lui révéler quelque chose qu’elle n’avait pas du tout eu le temps de préparer, elle redoutait sa réaction. La gladiatrice s’attendait probablement à une colère froide. Misaki ne semblait pas du genre à exulter sans prévenir, d’autant plus qu’elle était en présence de sa supérieure. Dans un milieu plus confortable, son élève aurait pu totalement perdre son sang froid en découvrant que l’une de ses motivations principales allait s’écrouler.

- Je vois que tu n’es pas au courant Misaki. Que ce soit par le biais de la Kenpei ou de ton propre chef, tu ne pourras plus traquer ceux qui ont déserté ton clan. Dit Arukisa en lui annonçant cela brutalement. Les Yuki déserteurs ont trouvé refuge à Iwa. Le Mizukage et le Tsuchikage ont trouvé un accord pour qu’ils restent là-bas en tant que citoyen du village de la Roche sans représailles de la Brume. Leur sort ne doit plus être une motivation ni un objectif pour toi, tu m’entends ? Insista-t-elle en marquant sa question. Tu ferais mieux de les oublier si tu les détestes tant. La Kenpei te donnera d’autres opportunités de combattre de réelles menaces à Kiri.

La Rose observa sa protégée avec encore plus d’attention, attendant sa réaction. Elle ne voulait pas la décourager mais il valait mieux éteindre les braises avant qu’elles ne s’enflamment.

Le visage de la Yuki sembla se décomposer à l’écoute des mots de sa senseï. En quelques instants, elle avait eu beaucoup d’informations à encaisser. Entre les vérités d’Arukisa à propos de sa mission et les révélations sur son clan, c’était peut-être trop pour aujourd’hui. La jônin savait que la discussion allait être houleuse mais elle n’avait pas prévu d’aborder ce second sujet.
Cependant, elle n’était pas embarrassée par la situation. Elle faisait preuve d’empathie envers son élève et comprenait sa frustration. Cet échange venait de marquer une nouvelle étape dans leur relation. Le lien de confiance qui les liait serait encore plus fort. Aru’ profitait de chaque moment qu’elle passait avec son équipe pour créer une synergie indéfectible qui les unirait parfaitement pour qu’ils soient prêts lorsque leur union sera mise à l’épreuve. La sensibilité de Misaki était une qualité indéniable mais aussi une faiblesse si elle ne la contrôlait pas. Elle devait être parfois bousculée pour se renforcer et ne pas se laisser dépasser par ses émotions. Les larmes qui coulaient le long du visage sybillin de la Yuki renfermaient toutes les émotions qu’elle venait de traverser. Or, cet instant de vulnérabilité fut accueillie comme un gage de confiance de la part de Misaki. Même un shinobi a le droit de pleurer. La plupart le font en cachette et laissent couler leur peine en solitaire. La genin semblait assez à l’aise avec sa sensei pour ne pas se dérober devant elle.

La Rose posa sa tasse sur la table et mit sa main sur le dos de son élève.

- Tu ferais mieux de te reposer. Tu as beaucoup de choses à encaisser pour le moment, prends le temps de les accepter.

La Yuki ne devait pas se surmener. Les conseils d’Arukisa étaient remplis d’affection envers sa protégée. L’émotivité de la kunoichi ne devait pas être de nouveau bousculée aujourd’hui.

- Ne te pose pas trop de questions. Concentre-toi sur tes réels objectifs, ceux qui feront de toi une shinobi accomplie. Vise la Kenpei, explore ton Hyôton, réussi tes missions et entraîne-toi durement.

En y repensant, avoir une motivation supplémentaire pouvait être une bonne chose pour avancer, mais les desseins de Misaki dépassaient assurément son statut actuel. Elle devait absolument se recentrer sur des choses accessibles pour le moment. Le temps où elle deviendrait un membre influent de son clan se présenterait bien rapidement si elle continuait de progresser aussi vite. En attendant, elle devait absolument profiter de cette attente pour progresser dans le calme.

- Tu peux rester te reposer ici si tu veux. Je vais refaire du thé.