Plantée au bord d’une des nombreuses embarcadères du port Naragasa, la sabreuse observait l’immensité de l’océan, mélancolique. Sa patrie déchue se trouvait quelque part au delà de l’horizon, si loin mais si proche à la fois… quelque part avait-elle envie de se jeter à la mer pour la rejoindre, qu’importe l’état dans lequel pourrait-elle la retrouver. Hélas, son choix avait déjà été fait. Sa patrie était désormais la brume.

“ Hmm… “

Tenant son imposant sabre en mains enroulé dans le fourreau fait de bandages qu’était le sien, la jeune femme semblait presque trop frêle pour le manier malgré sa grande taille. Après tout, celui-ci s’apparentait plus à une sorte de masse qu’à un véritable sabre au vu de ses bords épais et cassants n’étant pas fait pour trancher quoi que ce soit.

Mais assez de mélancolie. Attentive, la sauvage se pencha au-dessus de l’eau, semblant observer quelque chose intensément. Quelques secondes passèrent où seuls les iris de ses yeux ambrés bougèrent, jusqu’à ce que d’un geste vif et précis, la jeune femme vêtue de guenilles n’attrape l’objet de ses désirs à l’eau. Un poisson. Relativement large, long comme son avant bras, Kana l’avait pêché tel un ours.

“ Ha ! Je t’ai eu ! “

Néanmoins, reculant pour s’éloigner du bord, l’Okogoto se heurta contre une inconnue qu’elle n’avait malheureusement pas vue, laissant alors le poisson s’échapper de ses mains. Satané peau visqueuse.

“ Non ! C’est de ta faute… “

Vivement contrariée, Kana se retourna pour faire face à la jeune femme qu’elle avait bousculé, la tenant responsable de ce petit incident. Après tout, elle n’avait pas les yeux dans le dos !

“ Va m’en chercher un autre maintenant ! “

Grogna t-elle, mains sur les hanches du haut de son mètre 80.

Si elle pouvait paraître rustre, Kana n’était pas insensible à la fragilité de ses pairs. Ce petit brin de fille n’était manifestement qu’une enfant, inutile de la rudoyer. Néanmoins, peut-être pourrait-elle lui enseigner deux trois choses à la manière de son clan. Chez elle, l’âge n’était absolument pas une excuse.

“ Bon, pas grave. “

Dit-elle en lui donnant une petite tape sur l’épaule depuis sa taille triomphante. Tout aussi triomphante que ses muscles d’ailleurs qui, s’ils restaient ceux d’une femme, étaient visibles et tracés. Il lui fallait bien cela pour pouvoir soulever Akaban sans tomber au moindre coup porté dans le vide.

“ Un poisson. Tu sais pêcher ? “

Elle se rapprocha du bord, penchée au-dessus de l’eau. Si elle pourrait en récupérer un autre sans mal, Kana préférait appliquer oeil pour oeil dent pour dent et charger cette petite fille de rattraper son erreur. Erreur peut-être partagée mais Kana préférait se dire qu’elle n’avait absolument rien à se reprocher.

“ Tiens, regarde dans l’eau. Tu attends d’en voir un et quand c’est le moment, tu l’attrapes bien fort. Fais attention leur peau glisse. “

Regardant la petite, elle lui tapota le dos comme pour la forcer à avancer vers le bord. Si elle n’irait pas la jeter à l’eau, il fallait bien “l’encourager”. C’était du moins ainsi qu’on avait fait avec elle, et force était de remarquer que cela avait marché.

“ Allez ! ”

Insista t-elle.

Mains sur les hanches, la sabreuse se pencha en direction de la Yuki, approchant son visage du sien comme pour l’intimider. Décidément, les Kirijins n’étaient pas aussi débrouillards que les gens de son clan. Du moins pour le peu qu’elle avait pu rencontrer depuis son arrivée.

“ Tes parents ne t’ont jamais rien appris ou quoi ? “

Dit-elle en grinçant des dents, se demandant bien ce que l’on apprennait aux gamins ici. Chasser et pêcher étaient pourtant la base de la survie, difficile d’apprendre quelque chose de plus indispensable que cela. Le chakra, tout ça, c’est bien… mais cela passe en second plan. Du moins aux yeux de la guerrière.

“ Hum… “

Soudain, la petite frêle matérialisa un trident fait de glace sous le regard interloqué de Kana. Intéressant, elle n’avait pas vu les choses de cette manière. Manipuler la glace ? Génial, le concept lui plaisait déjà.

“ Hé mais c’est pas mal du tout ça. Bon, t’es toujours pas fichue de pêcher un poisson mais il y a de l’idée. “

Dit-elle en s’y prenant elle-même, approchant du bord avant d’attraper à nouveau un poisson d’une seule main. Celui-ci, gigotant entre ses doigts, ne semblait pas ravi à l’idée de devenir son prochain repas. Oui, Kana pourrait tout aussi bien aller manger au restaurant… mais les bonnes vieilles habitudes étaient dures à oublier. Et puis, inutile de dépenser son argent pour manger alors qu’elle pouvait le faire toute seule.

“ Voilà. Ce n’est pourtant pas bien compliqué. “

Dit-elle en agitant la poiscaille sous le nez de la Yuki. Faire ce genre de choses était si banal pour elle que la jeune femme en oubliait parfois être née dans une tribu de nomades bien différente des citadins vivant à Kiri ou même dans les autres villages du Yuukan.

Kana n’avait pas à se plaindre. Son éducation l’avait rendue forte. Ses vêtements, s’ils semblaient légers, trop légers pour les températures mizujines, l’étaient justement par habitude. Kana était capable d’affronter les températures les plus froides sans avoir besoin de fourrure, si bien qu’elle ne faisait même plus attention à sa tenue.

“ Rien n’est facile. Mais ça, disons que ce n’est pas compliqué. “

Dit-elle en jouant sur les mots, madame voulait toujours avoir raison. Ou du moins le pensait, elle qui avait été éduquée avec un code moral strict ne tolérant aucune digression quelle qu’elle soit. Difficile d’être nuancée.

“ Ah, tu veux essayer maintenant ! “

Tant mieux. S’agenouillant contre la pierre, genoux découverts, la jeune femme au crâne cornu se pencha au dessus de l’eau, immobile et attentive.

“ Il faut anticiper la trajectoire du poiscaille. Si tu essayes de l’attraper sur sa position actuelle, il sera plus rapide. “

Dit-elle en illustrant ses explications par la pratique. Attendant qu’un poisson se dirige vers sa position, elle écarta les doigts… avant de plonger la main à l’eau. Vitesse, précision, et anticipation. Bien qu’elle dise le contraire, la tâche n’était pas simple.

“ Et tu l’attrapes en serrant bien fort. Au niveau de la tête ou de la queue, à toi de voir. Si tu le prends par le corps, aussi fort que tu veux ses écailles glisseront entre ta peau. “

Elle ressortir finalement le poisson de l’eau, triomphante une fois de plus.

“ Satisfaite ? “

Finalement, la petite parvint à attraper son poisson plus vite qu’elle ne l’aurait cru. Kana sembla ravie, presque impressionnée même. Car ce qu’elle ne lui avait pas dit, c’était le temps qu’elle avait elle-même pris avant de pouvoir pêcher ainsi. Kana avait commencé jeune et avait dû essayer des jours durant avant d’attraper son poisson. Et des semaines de plus pour pouvoir en pêcher un à coup sûr. Cette jeunette n’était finalement pas si mauvaise que ça, pouvait-on même dire qu’elle était douée !

“ Tu vois quand tu veux ! “

Dit-elle en récupérant son tribut, rangeant la prise dans une petite sacoche qu’elle avait à disposition. Son repas de ce soir était tout trouvé, en espérant que Ken ait pu ramener mieux de son côté. Le poisson c’est bon, mais la sabreuse préférait largement une bonne entrecôte. Néanmoins, sortir du village en étant genin n’était pas vraiment possible.

“ Mais si tu ne pêches pas, comment tu manges ? “

Demanda t-elle, curieuse vis à vis des moeurs de Kiri et des clans qui y vivaient. Vu son physique, sans doute avait-elle encore des parents pour s’occuper d’elle et lui faire à manger. Ah, la vie des gosses du continent. Ils n’ont vraiment pas grand chose à quoi penser, si ce n’est leurs prochains examens. Quelque part, la sensation d’être mise à leur niveau en tant que nouvelle arrivante la mettait dans une drole de situation. La grande gaillarde qu’elle était avait vécu avec de grosses lacunes en terme de ninjutsu toute sa vie, si bien qu’elle se retrouvait au niveau d’un pauvre genin débutant.

“ Je goûterais bien les spécialités de ton pays. “

Dit-elle en ramenant l’imposant sabre sur son épaule sans aucun problème.

Kana restait une femme agréable à regarder et soignait malgré tout son image. Si elle ne se parfumait pas, la sabreuse dégageait des effluves végétales rappelant l’odeur d'une certaine variété de fleurs comme si elle sortait tout droit d’une forêt. En un sens, de par cette simple odeur, l’Okogoto mêlait son côté sauvage et raffiné à la fois. Raffiné à sa manière du moins.

“ Ha. Alors des gens pêchent pour vous. Comme quoi ces choses la ne se perdent pas facilement ! “

Dit-elle en balançant le bras pour placer son imposant sabre sur son épaule droite, souriante. Si elle pouvait sembler rustre, Kana pouvait se réjouir d’un rien. Pas de raisons de faire la tête, la vie avait encore beaucoup de choses à lui offrir non ?

“ Les fruits de mer hein… “

Kana s’imagina des pommes venues des océans. Si cette vision était sûrement fausse, la jeune femme n’avait jamais vraiment mangé ce genre d’aliments. A Yuki, le gibier était l’alimentation principale… ce qui expliquait en partie le physique de la jeune femme et des autres membres de son clan. Mais la proposition de la jeune fille l’extirpa de ses pensées.

“ Tu m’invites ?! J’te le revaudrai ! “

Kana n’oubliait pas si facilement ce genre de gestes. Tout à coup, ses poissons semblaient bien maigres en comparaison.

“ Oui oui allons-y ! “

Dit-elle sans même écouter ce qu’elle disait, pressée de passer à table surtout pour goûter aux spécialités locales. Voir un peu de nouveautés ne pouvait que la ravir.

Inutile de dire que Kana faisait forte impression. Son crâne de bouc, ses vêtements courts, sa chevelure verte, cette grande épée qu’elle traînait ou sa taille… La jeune femme n’avait pas l’air d’être du coin. Ni même d’aucun coin à vrai dire, tant son allure excentrique semblait la faire provenir d’un autre monde.

“ Hmm… “

Elle huma l’air. Plusieurs senteurs s’y mêlaient, si bien qu’il était ardu de les différencier entre elles et de deviner les fruits de mer. Heureusement pour elle, la jeune fille tira sur le peu de vêtements qu’elle portait pour la rappeler à l’ordre.

“ Et bien allons-y ! “

Dit-elle d’un pas décidé, suivant sa camarade avec enjoie. L’idée de manger la ravissait au moins autant que la bagarre, surtout lorsqu’il s’agissait de découvrir de nouvelles spécialités. Malgré ce que l’on pourrait croire, Kana restait ouverte au changement.

“ Mais dis moi ces fruits de mer, Qu’est-ce que c’est exactement ? Les seuls fruits que je connais viennent des arbres. “

Demanda-t-elle innocemment. D’une part parce qu’elle n’en avait jamais mangé, d’une autre parce que le langage commun n’était pas celui de sa tribu. Ainsi, il était parfaitement possible que la traduction puisse l’induire en erreur comme cela arrivait parfois.

Les explications alambiquées de la jeune fille n’aidaient pas la Yukijine à comprendre. Des fruits qui ne poussent pas dans les arbres et qui sont vivants ? Pourquoi les appeler fruits dans ce cas ? Ce qui s’annonçait être une simple dégustation se muait peu à peu en véritable enquête. Kana voulait tirer cela au clair à tout prix.

“ Bah. Plutôt que d’expliquer, je verrais par moi-même ! En plus j’ai faim. “

Dit-elle en arrivant finalement devant la devanture. Gardant sa couronne d’os, la jeune femme entra à la suite de Misaki pour s’installer à la table choisie, ne pensant guère à autre chose que de se remplir la panse et l’esprit. Après tout, l’informatio serait toujours ça de pris pour elle qui ne connaissait pas grand chose de Kiri au final. Sa patrie ne l’était que depuis peu de temps.

“ Mais… c’est ça, un fruit de mer ? “

Dit-elle, éberluée devant la créature chitineuse qui leur fut servie. Kana n’en avait jamais vu auparavant, sans doute le climat de Yuki était-il trop extrême pour ces créatures à pinces. Néanmoins, son apparence menaçante donnait l’eau à la bouche de la jeune femme, elle qui estimait toujours la valeur de ses plats par la difficulté qu’elle avait à les chasser.

“ Ça a l’air pas mal. “

Arrachant une pince de la bête, l’Okogoto mordit à même la carapace pour en atteindre la chair sans vraiment savoir comment s’y prendre. Grimaçant, elle retira les petits morceaux restés entre ses dents et commença à mâcher la chair du crustacé, concentrée. Verdict: pas si mal. Même… plutôt bon.

“ Mais c’est pas mal du tout ça ! “

S’attaquant ensuite à une seconde patte, sans oublier de laisser de quoi manger à sa nouvelle amie, Kana semblait se satisfaire amplement de ce nouveau plat.

Imitant la Yuki innocemment, Kana s’empara d’un morceau de chair défait de sa carapace avant de le tremper dans la sauce. Chez elle, on ne mangeait pas de sauce. Mais il fallait bien avouer qu’elle relevait nettement le goût, si bien qu’elle se tenta à gouter la sauce sans accompagnement avant de réaliser que l’intérêt était justement de la déguster avec un aliment extérieur.

“ Hm, c’est bon ça. “

Dit-elle, simple. Kana s’exprimait à sa manière, directe et parfois sans doute un peu simpliste. Peu lui importait, au moins, tout le monde la comprenait.

“ Yuki no kuni ! Le pays des neiges. Et toi, née ici ? “

Elle haussa les sourcils, la bouche en coeur lorsqu’elle demanda des “takoyakis” à la serveuse. Qu’était-ce donc ? Si le met était aussi bon que les précédents, ce serait avec grand plaisir que la sabreuse s’en repaîtrait.

Puis, lorsque le met arriva enfin, la jeune femme se pris à loucher sur les petites boules, intriguée. Les pieuvres, elle connaissait. Mais ça ne ressemblait, pour sûr, pas du tout à cela. Serait-ce une variété différente ?

“ Ça, de la pieuvre ? Ou sont les tentacules ? “

Dit-elle en gobant une des boules, intriguée. Sentant la matière caoutchouteuse croquer sous sa dent, la jeune femme s’empara d’une seconde. Elle était dores et déjà conquise.