L’impitoyable mer qui séparait l’île exotique d’Ue du village caché de la Brume constituait une traversée relativement paisible bien que longue et remplie d’appréhension, pour ceux qui s’y rendaient afin d’y passer l’épreuve qui visait à tester les jeunes pousses du clan des Sabreurs, leur potentiel à manier une des lames légendaires. Ce jour-là, défiant les vagues en ce matin d’été, un groupe de disciples avaient été sélectionnés par chacun des épéistes de la Brume (puisque la tradition consistait à choisir un disciple chacun qu’ils jugeaient digne de combler une place vide ou de leur succéder) Certains d’entre eux discutaient entre eux sur la nature de l’épreuve, partageant les ragots au goût du jour, leur crainte, voire leur excitation. Ils étaient tous aussi jeune que Taiyō, et surtout emplis d’ambition à l’idée d’être à un pas de rejoindre l’élite des Sabreurs, un clan de prestige et de grande réputation.

Certains d’entre eux traversaient même tout le pays voire migraient depuis l’étranger afin d’espérer se voir remettre une de ces fameuses épées, mais pour cela il leur fallait prouver leur aptitude à manier la lame, et être l’un des meilleurs dans ce domaine. Chacun des candidats partageant la croisière avait sa façon de gérer les minutes précédent leur arrivée à la berge de l’île, à commencer par ce garçon à la tenue de paysan qui ne savait pas tenir en place et s’échauffait tous les muscles du corps. Tandis qu’un autre était en position de méditation, prenant de la distance et s’enfermant dans une détente spirituelle, il dégageait l’impression de ne jamais avoir connu l’échec, un élève excellent pour sûr. Quant au reste, ils semblaient tout aussi aptes à faire partie des Sept, même si on ne pouvait pas en dire autant pour Taiyō dont l’apparence chétive pourrait inspirer un surplus de confiance de la part de ses concurrents.

Le capitaine annonce la fin du voyage, tout le monde se rassemble sur le pont avant de descendre sur le quai déserté, puisque c’était une île qui n’était pas accessible au public mais réservé à des usages militaires, en particulier pour l’entraînement des shinobis de la Brume. Sans oublier la Forêt de l'Épreuve dominant quasiment toute la superficie de l’île, qui avait été utilisée pour l’Examen international de la Brume qui s’est terminé il y a peu de temps. En somme, un lieu quasiment incontournable pour les Kirijins mettant un point d’honneur à parfaire leurs compétences, puisque c’est là qu’ils peuvent rencontrer une faune et une flore impitoyables, des animaux féroces et des plantes aux propriétés mortelles. L’endroit idéal afin d’endurcir les ninjas de la Brume.

Certains murmuraient déjà ce qu’ils avaient entendu sur cette forêt, racontant des rumeurs sur une épée démoniaque, ou un esprit gardant la forêt. Vous pénétrez la forêt et vous arrêtez à une clairière non loin de la lisière, apercevant un comité plutôt mystérieux encerclant un sceau marqué au sol avec des écritures illisibles pour les non-experts en Fuinjutsu. Tour à tour, vous prenez place au centre de cette arène particulière, tambour battant, bien que quelque peux intrigué par cette atmosphère ésotérique. Chacun se voit ordonné de planter sa lame au centre du sceau, avant de se faire transporter dans un voyage spirituel où il est confronté à l’esprit de la lame.

C’est autour de Taiyō. Les battements de taïko s’accélèrent, ainsi que les enchaînements de mudrâs, finissant par provoquer un vertige culminant en une perte de conscience. Tu rouvres les yeux avant de t’apercevoir que tu es dans une ruelle… Celle-ci est vide, et plus tu t’avances, plus l’impression de déjà-vu se renforce dans ton esprit. Ce chemin, tu as l’habitude de le prendre car il t’emmène jusque chez toi. Accélérant le pas de manière instinctive, comme appâté par la curiosité de retrouver tes proches, tu découvres ta maison d’enfance. Toutefois, c’est avec un frisson traversant le corps que tu relèves l’odeur du sang. En ouvrant la porte coulissante, tu découvres un démon dévorant ta famille, un démon ayant ton visage et dont les capacités physiques dépassent de loin les tiens, alors que tu n’es équipé que d’un simple katana, et non plus de ta lame légendaire. Tu comprends donc que tu fais face à une incarnation de l’esprit, qu’il te faut vaincre afin de progresser.

Spoiler:

Le jour tant attendu était enfin arrivé. Taiyō avait tenté d'apprécier le voyage amenant jusqu'à l'île. Il avait alors essayé de se souvenir des encouragements donnés par sa mère, ainsi que par sa petite sœur. Accoudé contre la rambarde du véhicule durant toute la traversée maritime, son regard n'avait que fixé l'espèce d'épaisse brumasse ambiante. La brise l'obligeant parfois à replacer ses cheveux, faisant flotter ses bijoux d'oreilles. Son isolement avait eu pour effet d'attirer les regards. Lui qui par habitude était si actif, souriant à la limite de l'embêtement, était aujourd'hui étrangement calme. La pression de l'épreuve? Non. L'envie d'afficher un profil sérieux auprès des encadrants? Non plus, de toute manière Taiyō était probablement déjà catalogué comme cet énergumène à l'énergie débordante. En réalité, le sabreur en herbe ne pensait qu'à une seule chose : sa famille. Aujourd'hui était le jour de les rendre fiers, aujourd'hui était le jour où la famille Mikoto pourrait briller.

Ainsi, dès la fin de ce voyage, l'enfant avait saisi sa lame. Une espèce d'énorme glaive, légèrement courbé, mesurant pratiquement la taille de l'enfant. La lame noire reflétait le peu de lumière qui arrivait à percer la couche de brume. Hors de son fourreau, puisque l'arme n'en possède pas, le jeune Mizujin l'avait installé au travers de son dos, attaché par deux sangles. Une manière plus pratique de la porter, en raison de son poids conséquent. Un effort constant que le morveux tentait d'encaisser, à s'en habituer. Sur son côté gauche, l'homme pouvant avoir la prétention d'être à l'origine des prouesses de Taiyō, se tenait fièrement debout. Un homme fort porté sur les traditions, ayant arrêté sa carrière militaire depuis de nombreuses années. Son large chapeau de paille cachait la partie haute de son visage. Sa bouche quant à elle dévoilait se mouvait dans tous les sens, l'homme donnant son ultime réplique avant d'envoyer son poulain au casse-pipe.


"Reste simple, joue de ton caractère."

Une phrase qui en somme pouvait tout et ne rien dire. Des mots résonnant dans la tête de Taiyō, sans pour autant que celui-ci ne les comprenne. Pourtant, ce dernier avait répondu d'un simple hochement de la tête, comme si tout avait été acquis. Les minutes passaient, et le jeune adolescent s'était retrouvé au beau milieu de cette cérémonie. La lame plantée devant sa trogne, il était assis sur le sol. Les yeux du jeune homme se fermaient, tandis qu'une sensation de bien-être l'entourait. Petit à petit, un sentiment de flottement semblait l'accompagner avant de finalement le quitter soudainement.

En ouvrant les yeux, Taiyō s'était retrouvé dans une ruelle. Sans aucun doute, il avait reconnu les lieux. En tenue traditionnelle, il avait autour de sa hanche un fourreau abritant un katana. L'épreuve avait sans aucun doute débutait, pourtant la difficulté ne semblait pas encore présente. L'ambiance était calme, voire presque morbide. Guidé par son instinct, le gamin s'était empressé de trottiner en direction de sa demeure familiale. Le sourire aux lèvres, il espérait pouvoir serrer sa mère dans ses bras.

Pourtant, plus il approchait de son but, plus ce dernier était contrarié. Une espèce de mauvais présentiment qui tournait en obsession. Le sourire ancré sur le visage de Taiyō s'était effacé, afin de laisser place à son air inquiet. La bouche à moitié ouverte, le garçon s'arrêta soudainement face à la demeure. Elle n'avait pas changée, semblait comme dans ses souvenirs. L'ancienne baraque dans laquelle il avait grandi, avant de rejoindre le village de la brume. Dans son élan pour rejoindre la porte, une effluve ferreuse avait pénétré son nez, hantant ainsi ses sinus.

"Non, pas ça !"


D'un geste brusque, il ouvrait la porte. Comme si son estomac avait subitement une partie de corde à sauter avec ses intestins, le Mikoto se sentait soudainement barbouillée à la vision d'horreur qui se tenait face à lui. Dégainant son arme, avant de pointer timidement l'entité qui se trouvait face à lui, tout en se tenant à la porte, Taiyō fixait du coin de l'oeil ce qui semblait être une représentation de lui-même, se nourrissant la chaire de sa petite sœur.

"Pourquoi sérieux? On aurait pu régler ça sur une partie de shifumi, tout aurait été plus simple ! Lâche-la !"

L'arme était légère, bien plus légère que ses outils d'entraînement. Après tout le garçon avait prit l'habitude de s'entraîner à manier la lourde lame qu'il devrait bientôt recevoir. Le katana dans les mains, le garçon se rapprochait de son adversaire de quelques pas. Puis, tout en criant de sa voix juvénile, le Mikoto donna un coup d'estoc en direction de l'épaule de sa copie probablement toujours occupée à arracher des bouts de viande. N'attendant pas de savoir si le coup fut contré, Taiyō recula immédiatement. En marche arrière, il se dirigeait jusqu'au palier de la porte. Les yeux humides dû à la vision d'horreur, l'enfant comptait faire sortir l'esprit de la demeure. Les morts ne méritaient pas de devoir subir l'affrontement qu'avait engagé le môme.

Le choc de voir sa propre effigie dévorer les entrailles de sa petite sœur, tu te sentais l’envie de régurgiter et pris d’un frisson transcendantal, en même temps que d’une suprême impulsion de colère dirigée vers le démon qui se faisait passer pour toi. Armé de ton katana tu te jetais à cœur perdu sur l’être démoniaque à forme humanoïde alors qu’il mordait encore dans un bout de chair bien juteux, il leva son visage à l’approche des bruits de pas que tu faisais sur le tatami de la maison. Tel un animal sauvage, ton double réagit instinctivement à ton attaque, bloquant la lame de ton épée de ses doigts. Doté d’une force surhumaine apparemment, la lame finit par casser en deux, ne te laissant alors que la moitié de ton épée pour te défendre ou attaquer. Il était inutile pour toi de chercher à le vaincre par des moyens conventionnels, cet adversaire était manifestement bien plus rapide, bien plus fort que tout ce que tu aurais pu imaginer.

A peine avait-il cassé ton arme qu’il se levait, le regard plongé dans le tien comme s’il lisait ton âme, tu pouvais voir dans le reflet de ses pupilles ta propre image, ton visage pétrifié par l’incompréhension voire la peur de ce qui allait suivre, dépourvu de tout moyen de te défendre. Sans que tu aies le temps de réagir, ton double démoniaque te frappa en plein estomac, te projetant à plusieurs mètres en arrière, avant que ta chute ne soit amortie par le tronc d’un arbre se trouvant sur le chemin. La douleur est grande, la douleur est forte, si tant est que tu sens ton corps sur le point de t’abandonner. Marchant vers toi dans le but de t’achever, le démon laisse sur son sillage des traces du sang dont il a été trempé, le sang de ta famille, le sang de ta sœur.

Aussi féroce qu’un sanglier, il s’élança dans ta direction, frappant de ses doigts crochus afin de te lacérer et te transformer en simples lambeaux de chair. La violence de l’assaut était telle qu’il finit par détruire l’arbre derrière toi, que tu parviennes à esquiver les attaques ou non, tu te doutais que cette épreuve était peine perdue et pourtant. Une voix dans ton esprit t’encourageait à te relever et à confronter ce démon qui était ton portrait craché. Tu étais le seul à connaître son point faible, car son point faible était le tien. Vaincre ton démon, reconnaître ta faiblesse et lui faire face était le seul moyen pour toi de l’emporter.