Car je suis aujourd’hui et pour toujours, soldat.
Le vent du changement, de par ses bourrasques musclées et déchaînées, avait emporté avec lui le souvenir d’un mirage, maintenant lointain, d’une pathétique kunoichi, une faiblarde de genin incapable de survivre à la cruauté d’un monde sans pitié pour ceux et celles ne pouvant combattre pour leur propre salut. Le cocon doré, le conte de fées, il s’était terminé, pour ma part, dès la pseudo-désertion de Kumo en compagnie de ma Lieutenante, Jun, effectuée, une fois l’Arche Grise délimitant le village caché des nuages du reste des contrées de la foudre, franchie. Rien n’aurait pu me préparer à ma nouvelle vie, à cette réalité ô combien différente de la précédente, au choc que cela allait occasionner chez moi. Une perte de repères complète, des personnes qui m’étaient proches, de ma famille, de mon village et, à quelque part, de mon identité, de ma juste place dans cet univers; l’ancienne moi, l’ancienne Natsumi, avait rapidement cédée la place à un être inédit, une Natsumi toute neuve, fabriquée de toutes pièces par ma Lieutenante que, dorénavant je servais fidèlement, avec obéissance, une touche de zèle et, de toute évidence, un attachement profond, une forme de dépendance à son endroit. Une forme quelconque d’amour, bien que malsain, avait su naître en mon esprit. Ce qu’il fallait, sans doute, afin d’écraser, et pour de bon cette fois, les restants d’une personnalité fantôme rebelle et arrogante envers son guide. Moi, la Natsumi actuelle, marchait dorénavant aux côtés d’une femme qui avait toute mon admiration, mon respect et... mon amour.

À l’image de cette transition psychologique, mentale, mon apparence avait fluctué à travers le voyage au Pays du Fer et les événements vécus lors de ce triste parcours initiatique. Les vêtements, mais pas que, changèrent au gré des rencontres et des avancées toutes plus traumatisantes ou, d’un certain point de vu, enrichissantes, les unes que les autres. Un symbole de ma psyché, quoi. Ainsi avais-je troqué mes piètres parures souillées du sang (et... d’autres trucs dont il ne sera point mention ici, merci de me pas demander de précisions) de ce misérable rônin que j’avais sauvagement achevé et décapité peu de temps auparavant dans une forêt de bambou, alors que nous faisions route, ma Lieutenante et moi, en direction du centre du pays. Un kimono identique à celui que portait celle qui me supervisait et que je considérais dorénavant comme une mère me recouvrait de la tête aux pieds, ou presque, un demi-masque comblant l’espace inférieure offert par mon visage de gamine. Une étape phare, que dis-je, une renaissance, avait résulté de cette macabre rencontre avec la mort. Une expérience qui, à ma plus grande satisfaction, s’était révélée plus que satisfaisante, puisque c’est à travers elle que ma métamorphose en soldat impérial avait pu se produire. Suivit un entraînement des plus intensifs avec Jun pour mentore visant à m’initier et à parfaire ma maîtrise du maniement du sabre, ainsi que tout ce qui entourait les pratiques guerrières des rônins de Tetsu no Kuni. Un apprentissage pour le moins fastidieux et passablement éreintant, mais qui portait fruit et qui ferait, petit à petit, de l’apprentie samouraï que j’étais, une féroce combattante, capable de tenir tête à n’importe qui sur les champs de bataille, capable de servir ma Lieutenante à la hauteur de ses espérances.

Notre relation maître et élève s’était développée au-delà des limites préalablement établies, dépassant le cadre fixé, de par l’intime proximité que nous pouvions par moment connaître, le point tournant ayant été cette... étrange soirée, où ma JooJoon m’avait fait don du précieux katana dont elle ne se détachait pourtant jamais. Rien pour ne pas renforcer une loyauté déjà solide, mais qui se révélerait ensuite sans failles, pour peu que l’on sache l’entretenir comme il se devait.

Mon apparence se vit conséquemment modifié suivant ce jour, s’ajustant pour ainsi dire à ma progression, à mes apprentissages quotidiens. Si ma chevelure ne changea point, des éléments distincts d’armure accompagnaient dorénavant le sabre et son fourreau à ma taille, plaqués contre ma hanche gauche, dont un casque traditionnel, ou kabuto, et un demi-masque carmin recouvrant presque l’entièreté de mon visage, mais laissant tout de même l’espace nécessaire pour ne pas gêner ma vue inutilement et pour afficher mon sourire nouveau, aux dents taillées en pointes. L'ensemble, d’aspect assez sombre, se voyait cependant agrémenté de touches de pourpre et de rouge ajoutant ne serait-ce qu’un tantinet de vie à ce tout. Un contraste assez choquant, me direz-vous, avec la moi d’antan, qui témoignait de sa naïveté et de son innocence à travers les atours dans lesquels elle s’enveloppait misérablement jour après jour.

C’est donc sous ce jour inédit que j’accompagnai ma Lieutenante pour une rencontre qui se voulait déterminante. Là, je vous le jure, dans une caverne obscure à l’abri des regards indiscrets, une princesse déchue de la lignée des Taira, récemment anéantie, régnait en solitaire sur un royaume de cristal qu’elle avait elle-même bâti. Observant timidement la couronnée debout devant son trône, je suivis maladroitement (la prothèse, toujours la prothèse !), sous l’insistance de mon accompagnatrice, la tradition voulant que l’on s’agenouille devant pareille royauté. Une seconde... Deux secondes... Nous reprîmes ensuite, à l’unisson, une position un poil plus naturelle. La discussion qui débuta alors me laissa visiblement perplexe. Se connaissaient-elles ? Tant de familiarité malgré l’apparente hiérarchie qui les divisait, il ne faisait aucun doute en mon esprit qu’un lien unique les unissait. Enfin, son regard se fixa sur moi, déterminé, mais interrogatif, tout juste avant qu'elle ne questionne Jun au sujet de mon identité. Je m’empressai de répondre à sa place:

« Pardonnez-moi, Votre Altesse... Je... Je suis le soldat Harusame, ancienne kumojine, apprentie samouraï et disciple de la Lieutenante Jun. C’est un honneur de vous rencontrer, et de vous savoir en vie, surtout, Princesse. Vous pouvez compter sur moi. » dis-je en retirant aussitôt le kabuto, en abaissant le regard et en inclinant légèrement le haut du corps tout en plaquant le poing contre mon torse, en signe de respect. « Vous semblez vous... connaître, vous et ma Lieutenante. Je me trompe? » demandai-je, curieuse, pour confirmer une hypothèse. L’ancienne moi aurait probablement fait une bêtise, l’arrogance aurait transpirer de ses propos et agissements. Or, cette dernière était morte et enterrée. Servir Jun, ma Lieutenante, et l’Empire du Feu; voilà ce qui subsistait et perdurerait, aujourd’hui et pour toujours. Car, oui, un soldat était né des cendres dans la précédente estropiée. Un soldat du Teikoku.