Au Loup de Mer [Katsuko]

Murashigure ne changeait jamais. Le décor était toujours le même, délabré, délaissé, sombre et en permanence sous la pluie. Le centre ville portait encore les traces des affrontements qui avaient eu lieu quelques temps auparavant, enfonçant la ville dans sa misère. Cette froideur, cette ambiance funeste, elle était très bien entretenue par le Daimyo en place et surtout par la pègre. Le pays, et plus particulièrement la capitale, étaient devenus une zone de non droit où la criminalité n’était pas moins présente que la pluie. Après tout, c’était aussi pour cette raison qu’Hiro s’était retrouvé là, quelques années auparavant.

Le jeune Nara arrivait aux portes de la capitale, comme d’ordinaire, vêtu d’un large poncho beige et les cheveux plaqués au front par la pluie. On entrait facilement à l’intérieur de la ville, mais on n’y restait pas bien longtemps si l’on avait rien à y faire. L’entrée était libre, mais le danger se trouvait plutôt en dedans.

Hiro était déjà venu plusieurs fois, accompagné de ses parents. C’était cependant la première fois qu’il s’engageait dans ces rues sombres seul. Il était venu pour trouver une certaine Neiko. C’était un des contacts de son père et elle était à la tête d’un important réseau d’information à travers tout le pays. En clair, c’était la personne que devait rencontrer le jeune manipulateur des ombres. Elle était fiable, influente et parfaitement en mesure de confier à Hiro sa première mission en solo.

Comme à son habitude, le chasseur de prime dégageait une assurance remarquable pour son âge. Très confiant, mais aussi très prudent, il avait tout pour réussir dans le milieu. Le grain de folie de la jeunesse, contrebalancé par les capacités intellectuelles hors normes héritées de son clan.

D’après son père, il trouverait son informatrice là où la famille l’avait toujours trouvée : la taverne du Loup de Mer. Évitant ainsi de s’enfoncer trop profondément dans la ville, Hiro se rendit dès son arrivée dans l’établissement. A l’exception de la pluie, l’intérieur de la taverne ressemblait à tout le reste de la ville. Sombre, mal fréquenté et peu rassurant. Un gamin ne passait pas inaperçu. Au contraire, c’était même une cible facile pour quiconque n’avait de code moral. A peine Hiro avait-il passé la porte et fait quelques pas en direction du bar, qu’un homme se leva et s’approcha. Il était au moins deux fois plus imposant que le Nara, et se dressait devant lui, dos au comptoir.

« Dégage. »

Katsuko était installée à la taverne du mizujin qui se clamaît pirate à qui voulait l'entendre. La taverne était calme, à peu près propre. Elle était dans la moyenne haute des établissements de la cité de la Pluie. Et c'était une des raisons pour lesquelles la jeune femme aux yeux carmin aimait bien s'y rendre de temps en temps. L'autre raison, c'était ses informateurs qui y allaient régulièrement, dont Maliki qui y séjournait régulièrement. La rouquine était plutôt douée et discrète, ce qui avait bien intéressé Neiko qui s'y était aussi un peu attaché l'air de rien.

Elle était au bar depuis bientôt une heure, à enchaîner les verres de saké tranquillement lorsqu'une figure inconnue en poussa la porte. C'était un jeune homme. Loin d'être un habitué, il était cependant d'Ame, c'était visible dans sa démarche, son expression. Un genre de méfiance permanente, meilleure défense dans ce pays de criminels.

Alors qu'il était rentré depuis quelques secondes, un des imbéciles heureux habitués du comptoir vint l'intimider. C'était quelque chose qu'il aimait bien faire, ce gros sac à vin, de faire peur aux nouveaux. Pour les tester. Elle ne jugeait pas tellement la démarche puisqu'elle appréciait aussi cette pratique de mise à l'épreuve, mais dans son cas, c'était juste nase. Et il n'y avait aucune espèce d'importance à ennuyer les clients d'une taverne, il n'y avait pas de question de confiance ni de profit là dedans. C'était juste un autre amateur de boisson. Qu'il le laisse en paix.

Enfin, la demoiselle aux cheveux détachés s'était légèrement tournée pour observer la scène, curieuse. Elle ne disait rien pour le moment, attendant de découvrir comment ce gamin allait s'en sortir. Elle doutait que la grosse brute en vienne aux mains, en général il ne faisait qu'ouvrir sa gueule, notamment parce qu'il ne voulait pas se faire virer de la taverne. Mais il aimait bien emmerder les autres, et aujourd'hui ne ferait pas exception. Le nouveau allait-il repartir la queue entre les jambes ou avait-il une idée de réponse à fournir à l'homme qui le dépassait tant en hauteur qu'en largeur ?

Passive et silencieuse, elle termina son verre et s'installa un peu plus confortablement sur son tabouret pour mieux profiter du spectacle qui allait lui être offert.

Physiquement, il était imposant. Intellectuellement, il avait l’air de l’être beaucoup moins. A peine Hiro avait-il mis le pied dans la taverne qu’il avait déjà trouvé son parfait antagoniste. Une montagne de muscles dont le cerveau avait été ramolli par l’éthanol, après de nombreuses années à tenir le bar, à n’en pas douter. Ne pas s’attendre à tomber sur un type pareil dans un tel endroit aurait été cruellement naïf de la part de l’adolescent. Bien sûr, il avait déjà réfléchi à la façon dont il devrait répondre.

Ce comportement était témoin d’une inexpérience de la part de la brute. Tout shinobi le sait, les apparences peuvent être, et sont souvent, trompeuses. Cependant, rien n’assurait à Hiro que son opposant était faible. Il était con, mais pas forcément faible. Le Nara avait laissé quelques secondes s’écouler avant de réagir. Ainsi, il pouvait rapidement observer les réactions des autres clients. Personne ne réagit, mais quelques habitués regardaient le colosse, comme s’il faisait le coup à chaque nouvel arrivant. A la table où il se trouvait avant de se lever, deux autres hommes étaient présents. Parmi les autres clients, il était très probable qu’il y en ait quelques uns bien plus fort qu’Hiro. Murashigure était mal fréquentée et la taverne était un important lieu de renseignement : une réponse explosive n’amènerait rien de bon.

Sans un mot, et discrètement sous son poncho, Hiro joignit ses mains. Son ombre s’étendit de quelques dizaines de centimètres jusqu’à rejoindre celle de la brute. L’occasion était parfaite pour faire sensation tout en évitant les problèmes, qui pouvaient survenir de n’importe où en ces lieux.

« Sinon ? »

La réponse était parfaite pour déclencher une réaction de la part de son opposant. C’était dit à la limite entre le flegme et la provocation, soutenu par un grand sourire. En fait, c’était surtout de la provocation. Ca avait fait son effet, comme prévu.

« Sinon, je t’écrase ! »

Au moment exact où il finit sa phrase, Hiro activa sa manipulation des ombres, toujours caché par son large vêtement. La brute se retrouvait ainsi paralysée, privée de tout mouvement. On pouvait lire la surprise sur son visage. Son regard croisa celui de l’adolescent. Il ne savait peut-être pas ce qu’il lui arrivait, mais il savait qu’il était incapable de mettre ses menaces à exécution. De l’extérieur, on pouvait presque penser à de la peur.

« Je pense plutôt que tu peux retourner finir ton verre. Je paie la prochaine tournée, ça te va ? »

L’emprise des ombres se libérait.

Katsuko eut un petit sourire. Il ne manquait décidément jamais à répondre comme on s'y attendait, ce gros balourd. Mais le garçon quant à lui eu une réaction plus surprenante. Il ne fit pas de mouvements visibles, caché sous sa tunique, mais la jeune femme avait fini par remarquer en quelques secondes à le détailler que son ombre n'avait pas une apparence naturelle. Elle avait trouvé la chose juste étrange au premier coup d'oeil, mais lorsqu'elle le vit défaire son emprise, elle en était cette fois certaine. Cet homme était un shinobi, probablement du clan Nara, ces manipulateurs des ombres qui vivaient à Kumo. Enfin, dans ce qu'il en restait. Cette pensée lui arracha un nouveau sourire et elle fit signe au garçon de s'approcher, l'invitant à s'assoir à côté d'elle.

« Konbawa jeune homme. On ne t'a pas dit que c'était dangereux, Murashigure ? »

N'ayant pas l'air de prendre au sérieux ce qui venait de se passer ni même la dangerosité du lieu et son taux de criminalité, la jeune femme sirotait son verre d'un air nonchalant. Elle observait tranquillement ce jeune Nara.

« Je suis une femme curieuse vois-tu, et j'aime bien savoir qui sont les nouveaux venus. Qu'est-ce que tu viens faire là, qui tu es, est-ce que je peux t'aider ? Je peux aider beaucoup de monde après tout, il n'y a pas de raisons que ce ne soit pas ton cas. J'aime bien aider les gens. »

Elle eut un petit sourire amusé, terminant son propos.

« Enfin, contre rémunération bien sûr. »

Neiko l'observa des pieds à la tête, ne se préoccupant plus de la grosse brute. Il était bien gentiment retourné à sa place de toute façon, trop appeuré par son incapacité à faire quoi que ce soit. Les shinobis avec cette capacité à terrifier les gens normaux parfois, dans certaines situations. De leur montrer la différence de puissance qui était présente entre eux.

La réaction du jeune Nara fut, à n’en pas douter, la bonne. La brute face à lui avait visiblement été perturbée par la manipulation des ombres et le calme de l’adolescent. Il s’était écarté d’un pas après que l’immobilisation soit relâchée, encore surpris, pour laisser libre l’accès vers le comptoir. Assise au bar, une femme lui fit signe d’approcher. Elle buvait, tranquillement, sans avoir l’air de se soucier de ce qui se passait autour d’elle. Elle semblait décontractée et anormalement à l’aise dans cette taverne pourtant dangereuse et miteuse. Hiro l’avait intriguée, et c’était tout à fait l’effet escompté. Il s’approcha d’elle, alors qu’elle lui adressait quelques mots sur la dangerosité du quartier. C’était un comble pour elle qui semblait si sereine.

« Bien sûr que Murashigure regorge de dangers, je le sais. J’ai grandi ici. »

Hiro était venu ici dans le but de rentrer en contact avec un réseau d’informations important. Dévoiler qu’il était Amejin, même si cela ne faisait que quelques années, servirait son propos. Il n’était pas rare de voir des étrangers pousser les portes de ce genre d’établissement, avant de repartir aussi vite qu’ils étaient venus après avoir pris conscience du danger que le pays de la pluie représentait vraiment. Lui, il connaissait Ame et ses travers. La jeune femme ne tarda pas à lui proposer son aide, un sourire malicieux accompagnant ses paroles.

« Je m’appelle Hiro, je suis un chasseur de prime et je recherche Neiko. »

Son prénom était Hiro, c’était vrai. Son nom, la jeune femme l’avait probablement deviné si elle avait été attentive. Chasseur de prime, il ne l’était pas encore vraiment, plutôt apprenti. C’était l’objet de sa venue. Et il recherchait bien cette femme, Neiko, et son instinct lui indiquait que la femme qu’il avait devant lui saurait lui apporter quelques informations à son sujet.

« Rémunération ? Vous imaginez bien, mademoiselle, que je n’ai pas grand chose à proposer… »

Katsuko observait ce jeune Nara, son verre à la main. Lorsqu'il se rapprocha, elle lui fit signe de s'installer, lui proposant directement de partager un verre avec elle en lançant une conversation, l'air de rien. Elle était amusée par la situation, elle avait bien remarqué sa technique, mais elle ne connaissait pas ses limites. Elle n'avait pas la moindre peur, après tout, qu'importe son niveau, il n'avait aucune raison de s'en prendre à elle, surtout qu'il ne semblait pas l'avoir reconnu.

Neiko échangea donc un peu avec lui avec cette flegme qui lui était caractéristique, totalement sereine en toute situation. Elle n'avait pas véritablement d'ennemis qui souhaitaient sa mort, et même si elle avait quelques cibles, ces derniers ignoraient qu'ils étaient sur sa liste des gens à massacrer. Seul l'Usurpateur pouvait vouloir la voir disparaître et il n'avait plus les moyens de s'en prendre à elle. Personne ne serait capable de la tuer pour le peu d'argent qu'il proposerait.

« Elle regorge de dangers en effet. Hiro donc, enchanté. Un jeune chasseur de primes ? Et pourquoi tu cherches Neiko ? Ya beaucoup de monde qui la cherche après tout. Pourquoi je t'aiderais toi précisément ? »

Toujours souriante, la jeune femme aux yeux carmins s'amusait de l'innocence du garçon qui ne semblait pas la connaître. Elle éclata de rire lorsqu'il lui indiqua ne pas avoir d'argent, ne s'attendant absolument pas à cette réponse.

« Aaahh... Tu vis ici depuis des années donc, et tu crois qu'il n'y a que l'argent qui peut m'intéresser ?.. Voyons... Il y a plein de manières de rémunérer les gens. »

Elle s'étira alors et termina son verre, croisant les jambes et faisant véritablement face à Hiro cette fois-ci.

« Donc pour résumer tu t'appelles Hiro, tu es un chasseur de primes sans argent et tu cherches Neiko... Tu penses qu'elle te laissera l'approcher ? Vu son palmarès, j'suis sûre qu'elle est recherchée par quelqu'un. Elle m'en voudrait si j'amène un danger à elle. Va falloir être convainquant. »

Trouver Neiko ne s’était finalement pas résumé à entrer dans le premier bar venu, la demander au comptoir et la voir sortir de nul part. C’était utopique, naïf même, et Hiro n’y croyait pas vraiment, mais cela aurait été appréciable. Au lieu de cela, il se trouvait face à une femme dont il ne savait rien et qui lui posait un tas de questions, déjà prête à lui soutirer tout ce qu’elle pouvait.

Le Nara prenait place face à la jeune femme, et tous les deux sirotaient leur verre respectif, laissant s’installer une ambiance particulière. Elle savait qui était Neiko et Hiro en était certain. S’il voulait la rencontrer, il ne fallait pas laisser passer cette occasion.

« Je la cherche parce que je sais qu’elle a du travail à fournir. Elle est influente ici, et ses connexions m’intéressent... »

Pour ce qui était de ce qu’Hiro avait à lui offrir, concrètement, pas grand chose. Il lui restait encore à faire ses preuves dans ce milieu, n’était pas particulièrement fort et encore moins influent. Mais il fallait bien commencer quelque part, et plutôt que de chercher dans les bas-fonds de Murashigure, il valait mieux taper dans le haut du panier. Si Neiko ne se montrait pas, il serait toujours temps d’aller voir ailleurs.

« Je ne sais pas si elle me laissera approcher, mais je n’ai pas forcément besoin de la rencontrer en personne tout de suite. »

L’adolescent avait avant tout besoin d’un contrat. Neiko était un moyen d’en obtenir un et de se lancer. Mais si la jeune femme assise en face d’Hiro pouvait faire l’intermédiaire, elle ferait parfaitement l’affaire.

« Vous avez l’air de bien connaître Neiko. Peut-être pourriez-vous simplement l’avertir de la venue d’un nouveau prospect et lui demander si elle a du travail à me confier. Concernant la rémunération, je vous laisse m’en dire plus... »

Amusée du jeu qu'elle menait avec ce Hiro, Neiko le laissa dans l'ignorance, cherchant par la même à savoir ce qu'il voulait exactement d'elle. Patiente, plutôt silencieuse, elle laissait de longues secondes s'écouler entre ses quelques questions et remarques. Elle était détendue, sûre d'elle. Dans son environnement. Et elle connaissait la particularité de son camarade de boisson du moment.

« Du travail donc. Et des connexions. Mais tu sais que t'as pas besoin d'aller jusqu'à elle pour ça ? Je peux t'en fournir, moi. »

Sa remarque suivante lui fit hocher la tête. Il avait raison. Rien ne servait de se presser. Si tout le monde la croyait accessible aussi simplement, sans doute devrait-elle se faire plus discrète. Ou pas, remarque. C'était sa méthode jusque là, et elle s'était montrée plutôt efficace. Elle avait de nombreux moyens de fuite et de combat si jamais les choses tournaient mal après tout.

« En effet. Ce n'est pas nécessaire. »

La suite la fit carrément rire, rire qu'elle ne retint pas, bien qu'il restait très mesuré. À vrai dire, il tenait même presque plus du rictus qu'autre chose, mais elle lui accordait ce point. Il avait une certaine innocence qui était mignone et amusante à voir.

« Si je la connais bien ? Suffisament pour pouvoir lui parler en effet. Pour la rémunération cependant, tu ne me sembles pas bien inventif. Un travail suffira dirons-nous. Il me faudrait quelque chose de simple où je pourrais t'accompagner pour voir un peu ce que tu vaux sur le terrain... Hmmmm.... Une petite filature d'un musicien bizarre, ça te dit ? Je dois savoir si c'est bien lui le problème ou s'il est innocent. Histoire qu'il soit jugé honnêtement et non envoyé à la plèbe pour son besoin de sang. Je te donnerai les détails demain. J'ai à faire et ma pause arrive à sa fin. Ah, et détail qui peut avoir son importance. Les filatures, c'est de nuit ici. J'espère que tu as autre chose que tes ombres pour te défendre jeune Nara, sinon tu risques d'avoir des problèmes. »

Lui faisant un léger sourire, elle se leva et s'étira avant de finir son verre d'un trait et de le reposer avec un paiement sur le comptoir.

« Voilà pour ta note, barman. Hiro, on se retrouve ici demain, à la tombée de la nuit. Et je verrais si t'es au niveau. »

Lui faisant un dernier signe de tête, la vampirette sortit paisiblement du bar. Elle devait encore régler quelques petits problèmes de voisinnage avant de pouvoir aller se reposer pour la soirée.

HRP:

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