Ses prunelles courant sur les dédales nocturnes de ce port laissé à l’abandon, hormis par les éclats de voix des âmes s’adonnant à des instants de beuverie, Shironome se frayait un chemin jusqu’au cœur névralgique de l’esplanade, l’air à la fois perdu et d’une curiosité certaine. Son attention s’échoua à nouveau sur le morceau de papier tenu entre ses doigts fins, reçus il y a quelques heures. Un ordre de mission, si l’on puis dire, pour celui qui découvrait encore l’agencement de la Brume. Les échos de ses relations avec le Pays des Neiges, étendue blanche où l’adolescent s’était éveillé dépourvu de souvenirs de son existence, n’avaient pas manqué de filer entre les mailles de son attention. S’il pouvait parvenir à suivre les brides de son passé, ne serait-ce qu’en fil de poussière laissée derrière soi en s’engageant ainsi, Shironome suivrait cette voie laissée ouverte à sa présence effacée, pour aussi longtemps qu’elle lui laisserai entrevoir l’once d’un espoir.
Du coin de l’œil, il remarqua les détours d’une bâtisse de laquelle s’échappaient des onces d’alcools et d’épices, reconnaissant, étonnement, l’endroit même où sa maladresse l’avait mené à la rencontre d’un de ses aînés. S’il ignorait encore de quoi cette nuit serait faite, le sentiment de pouvoir retrouver un souvenir familier, tranchant avec tout ce à quoi il avait été habitué jusqu’à présent, ouvrait cette soirée sous l’égide de la bienveillance.
Peu à peu, les pas de l’enfant des neiges le guidèrent plus profondément au sein de cet espace maritime, où les navires et cargaisons demeuraient sous le joug du silence, aussi surprenant que cela puisse paraître. Il se souvenait, à son arrivée, de la cacophonie des ouvriers et des marins, des exclamations de voix suivant les amarrages et départs de certains de leurs confrères, du tonnerre de sons qui gisait dans cette baie excentrée. Ce soir, semblait-il, la vie s’était apaisée au profit des lueurs chaleureuses de bars et divers établissements de repos. Les auberges ne manquaient pas, ni l’alcool.
Devant toute cette agitation sourde, Shironome se demandait laquelle de ces édifices serait le théâtre de leur tâche nocturne ; à lui, et la coéquipière qui se tiendrait à ses côtés pour parfaire l’avancée.
Aussi, conscient de l’absence de cette dernière, le jeune homme laissa sa silhouette s’adosser contre l’une des nombreuses caisses de bois qui, s’il en jugeait le son et l’odeur, contenait herbes et épices certainement provenus d’un pays extérieur. Et avisant la foule avortée de visages anonymes, il se demandait quant est-ce que cette dernière le rejoindrait et comment tous deux sauraient qui était l’autre. Je me demande si elle n'est pas déjà sur place...
S’il n’était ni particulièrement en avance, ni fondamentalement en retard, le céruléen avait encore tout à apprendre des opérations telles que celles-ci ; peut-être même, les réapprendre.
Miyuki n'avait pas l'habitude de ce genre de mission. Elle ne pouvait pas simplement venir avec son katana et régler les problèmes par la force de sa détermination. Non. Bien différente de ses missions habituelles où elle devait globalement soit protéger soit attaquer, elle devait ici jouer les festives pour s'incruster dans une taverne et découvrir si un prêcheur antipatriotique ivrogne avait séduit quelques ouailles ou s'il était seul à débloquer dans son coin. La Danseuse savait qu'elle serait accompagnée pour cette mission, mais elle n'appréciait pas beaucoup l'idée de devoir passer du temps dans une de ces tavernes putrides du port.
Si d'aucun dirait que sa vision était biaisée, elle savait pour sûr que l'alcool y coulait trop et que les rejets des clients n'étaient pas des plus délicats, en plus d'être nombreux. La noblesse n'était pas dans l'image de Kiri et ce n'était pas pour rien. Pour autant, la jeune femme s'en accomodait très bien en général, mais de là à devoir faire parti de ce paysage... Elle aspirait à plus de grandeur que ça venant de sa ville, de son pays.
Elle avait donc passé quelques heures à s'affairer, se préparer pour ressembler à ce qu'on pourrait attendre des filles de quartiers. Une tenue grossière, un peu racomodée à la va-vite, une hygiène moyenne, un peu trop de maquillage, une coiffure pseudo travaillée. La Mawehara était plutôt fière de son apparence moins rigoureuse qu'à l'accoutumée, estimant qu'elle se ferait moins repérer.
Allant sur place, elle salua son camarade de mission qui cherchait autour de lui. Lui faisant un signe de la main puis un salut respectueux et mesuré qui n'avait rien à voir avec son apparence, la jeune femme aux yeux grisés se redressa, ses deux katanas cachés dans un des replis de sa veste qu'elle avait laissé attachée autour de ses hanches.
« Konbawa, Shironome-san. Je suis Mawehara Miyuki, on va devoir travailler ensemble pour découvrir si cet homme a réussi à convaincre des gens ou non. Tu es prêt à y aller ou tu veux qu'on détermine un plan au préalable ? »
À l'écoute de son camarade genin, la blonde le regardait avec sa droiture habituelle, montrant toute sa taille de par sa posture parfaite là où son image aurait voulu qu'elle se tienne à moitié pliée sur elle-même. Mais pour l'instant, tout allait bien, elle n'estimait pas à déjà devoir jouer la comédie.
Mission / C, Germes de traîtrise — ft. Mawehara Miyuki
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