Automne 203, Temple Seidou, village de Kiri.
Au cœur du Temple Seidou, où l'odeur âcre de la mousse et du cuivre venait se mêler à la fraîcheur d'un hiver ne souhaitant que parer le monde de ses couleurs ternes, la silhouette d'Aditya demeurait allongée au bord de ce hameau naturel, cet étang, dont le temple avait paré de ses plus beaux attributs sylvestres. Dans l'ombre prolongée des branchages d'un saule pleureur, garant de la paix des lieux, ses prunelles d’azur arpentaient la voûte d’un ciel désireux d’imposer le joug d’une nouvelle saison, au cœur de ce mouvement tempêtueux d’autant de pensées que cette méditation pouvait amener à lui. Seules ses jambes, immergée dans l’eau, ramenaient une partie d’entre elle à la réalité, entre monde illusoire et authentique.
Il se laissait aller le long de la vague de ses pensées, en cette aurore matinale où les instants qui le séparait de l’avènement de l’hiver se raréfiait, annonçant la venue de leur départ pour Hayashi au fur et à mesure que la route stellaire se perpétuait, encore et toujours. Aujourd’hui, elle était venue à son terme.
Un soupir s’échappa des lèvres de l’ascèse, dont les yeux tardèrent à s’ouvrir à nouveau sur la majestuosité d’un ciel clamant la blancheur de la glace, sur ces arbres dont les feuillages s’abandonnaient au sort du monde, sur ces fleurs dont la rosée en proie au givre leur donnait un air hors du temps ; et alors qu’il s’apprêtait à se redresser dans la caresse de ses mèches d’or, l’éclat d’une voix guida son regard vers l’orée du temple. Vers une silhouette dont les brins rougeoyants n’avaient jamais quitté son souvenir. Un sourire tendre s’installa sur ses lèvres, alors qu’elle s’approchait.
« Encore en train de rêvasser ?
— Tu es venue.
— Tu pensais que non ? J’aurai pu. »
Sans tarder, Aditya extirpa ses jambes de l’étang où elles reposaient et la rejoignit aux prémices de ce jardin intérieur, dans la fraîcheur de cette eau qui roulait désormais sur sa peau.
« De quoi voulais-tu me parler ?
— Ai-je besoin d’une raison pour vouloir te voir ?
Il vit l’ombre d’un sourire passer sur les lèvres de Junko, bien vite effacé par la fierté ; et avant qu’elle ne le tarisse d’une nouvelle taquinerie, il laissa sa voix répondre à sa question.
« Je voulais te donner quelque chose. »
Le sourcil relevé, la jeune femme lui adressa un regard interrogateur ; mais devant son court départ à l'intérieur de ces murs de pierre, elle abandonna ces réflexions. Déjà, il revenait à elle, dans ce berceau où la fraîcheur de l’hiver ne manquait pas de raviver leurs joues de ses couleurs. Elle n’eut que quelques instants pour aviser l’objet tenu entre ses paumes, tandis qu’il se plaçait devant elle, interdit. Junko ne pouvait que deviner de quoi il s’agissait, face à l’évidence.
Un uniforme du village, identique à celui qu’elle l’avait vu porter quelques fois, lorsque les obligations le forçait à délaisser le confort de ce sari qu’il aimait tant. Le visage de la rougeoyante se renfrogna, dans une émotion entre dégoût, appréhension et curiosité. Pendant une poignée d’instant, lui non plus ne dit rien, avant que le calme de ce silence automnal ne ploie à nouveau devant l’écho de leurs voix.
« Féliciations. »
Le regard de Junko vint trouver le sien, dépourvu de cette once de doute et d’interrogation qui l’animait, plus tôt. Elle semblait peser ses mots, son attention alternant entre le visage de celui qu’elle connut comme un mentor, puis un égal, et désormais… Elle ne savait plus comment le nommer.
« Vais-je devoir quitter ton équipe ?
— C’est habituellement ce qui est indiqué lorsque l’on est promu Chûnin., glissa-t-il sur un ton bienveillant. Pour que tu prennes la tête d’une autre escouade et enseigne à ton tour.
— Moi, enseignante ?
— Oui, je sais. », répondit-il, amusé. Il connaissait sa réticence à s’enticher d’autrui, d’autant plus par devoir.
Comme par dépit, elle prit le vêtement entre les doigts de ses mains et l’étudia, plusieurs minutes. Devant son mutisme, Aditya reprit la parole.
« Te souviens-tu lorsque je t’ai parlé d’Hayashi, il y a bien longtemps ?, il la vit acquiescer, et relever son regard vers lui. Je vais devoir partir, pour quelques temps.
— Là bas ?, un regard échangé suffit à lui répondre. Pourquoi ? »
Ses yeux se parèrent du même silence auquel ses lèvres étaient soumises.
« Tu ne peux pas me le dire. », soupira-t-elle en détournant les yeux. Elle croisa son regard, une énième fois. « Ne me regardes pas comme ça. Tu m’annonces que tu ne veux plus de moi auprès de toi et que tu t’en vas, là où je ne peux pas te suivre. Comment veux-tu que je le prennes ? »
Avec délicatesse, Aditya enserra le poignet de la jeune femme, comme une promesse de la garder auprès d’elle et de demeurer à ses côtés. Un geste, que ses paroles ne tarderaient pas à formuler dans un murmure, tandis que sa seconde main rejoignait celle de Junko, pressant ses paumes entre les siennes avec toute la force d’une tendresse demeurée à demi-mots. Ses yeux vinrent se loger dans ses iris d’or, s’assurant que l’aube de son silence lui assure, encore une fois, de la profondeur de son engagement.
« Il s'agit simplement une preuve de ta progression, et d'une obligation, pour ma part. Rien de cela ne signifie que je ne veux plus de toi auprès de moi... Bien au contraire. »
L'ascèse sentit l'une de ses mains se détacher du vêtement et venir se lier à la sienne, discrètement. Comme toujours, avec elle, il s'agissait davantage de gestes que de mots.
« Cela ne devrait me prendre quelques semaines, peut-être plus.
— Tu comptes me laisser autant de temps seule avec des élèves ? Tu dois avoir bien confiance en moi pour penser que je ne vais pas avoir envie de les étriper à la première occasion., sa remarque arracha un léger rire à l'intéressé, laissant place à un sourire sur leurs deux visages.
— Cela te surprend tant ?, murmura-t-il en glissant ses bras autour d'elle ; une étreinte qu'elle ne tarda pas à lui rendre, dans l'ombre de lèvres pressés sur la tempe de la rougeoyante. Tu en es capable, mon absence ne changera rien à cela. »