La cascade Namida, célèbre pour son paysage à en couper le souffle, semblait animée ce matin d'une ardeur impétueuse. Mouvementées, les rapides au pied des chutes d'eau se fracassaient violemment sur les rochers éparpillés ici et là. Assez de mots ne seraient pas suffisants pour décrire le décor. Plus bas, près du rebord, s'agitait une silhouette qui par son ombre projeté sur le mur d'eau livrait un véritable spectacle d'acrobatie. Ses mouvements étaient si graciles qu'à s'y méprendre, on s'attendrait à la voir voler. Sans nul doute, ils étaient le fruit d'un entraînement impitoyable. En s'y attardant dessus, on pouvait très nettement distingué qu'elle s'agissait de celle d'un homme. Son visage marqué par l'épuisement et ruisselant de sueur, son regard n'en démordait pas. Comme habité, son corps continuait de se remuer malgré la fatigue. C'était là la marque des puissants de ce monde.
Bouillonnant de l'intérieur, sa sueur s'évaporait, et enveloppant son corps d'un nuage de vapeur, elle lui donnait un air impérial. Chacun de ses coups de lame semblait vous trancher l'âme en deux. Sa trajectoire semblait si légère qu'on ne pouvait imaginer l'étendue du poids qu'elle supportait. Tous ses muscles semblaient en tension permanente, parcourus de vaisseaux sanguins grossissant toujours plus, à tel point qu'on distinguait leurs reliefs.
Soudain, il s'arrêta. Posant son regard sur la cascade d'eau, il s'en approcha doucement. Plantant sa lame dans le sol compact sous ses pieds sales, il joignait ses mains marquées par l'effort pour s'abreuver d'eau fraîche. Buvant à sa soif, son visage rayonnait de joie. Il dégageait un charme particulier, en fait son allure tout entière transpirait la simplicité. Vêtu d'un simple sarong noir ceinturant sa taille, sur son torse découvert on apercevait de multiples entailles, certainement les souvenirs d'anciennes batailles.
Jetant son regard à droite, à gauche, il se sentait observé. Saisissant le manche de son arme, il l'arracha du sol où elle était fermement ancrée, détachant une motte de terre qui s'écrasa plus loin, il s'écria « Qui est là ?! ». Troquant sa mine joyeuse pour une attitude plus renfrognée, il semblait sur ses gardes. L'atmosphère devenait tendue, qui était cet inconnu venu l'importuner ? Un brigand ? Un marchand ambulant ? Qui était assez fou, si ce n'est d'autre que lui, pour se rendre dans un endroit si reculé ?
Tranchant en deux une feuille qui venait de tomber de la cime d'un arbre, il s'avançait vers la forêt verdoyante qui bordait le fleuve de la cascade. Qui pouvait donc bien se dissimuler derrière ce buisson ? Bientôt il en aurait le cœur net...
L'âme est soumise aux flots impétueux des pensées (Okami, Kyusei)