Les visites à son bureau s’enchaînaient à un rythme infernal en cette journée d’hiver où il lui fallait s’occuper de trier encore des vieux dossiers et recevoir des clients qui souhaitaient demander des services au village de la Brume qui ne cessait de gagner en attractivité, en particulier depuis la parution de la dernière édition du Kunaï émoussé. Les nouvelles allaient vite et avec l’aide du daimyô de Mizu, il parviendrait à rétablir l’ordre dans tout l’Archipel et en explorant une bonne fois pour toutes les îles encore trop dangereuses pour être cartographiées, découvrir les clans comme celui des hommes-poissons et autres peuples aborigènes… L’activité que connaissait le village à présent était exceptionnelle tant les tâches qu’il leur incombait de remplir s’était accumulé, mais grâce à l’organisation et la formation des shinobis, ils n’eurent aucun mal à trouver les équipes qui mèneront à bien la mission.

Au milieu de cette ruche administrative qu’était désormais le bureau du Nanadaime, alternant entre rapports de mission et demandes de rendez-vous pour des raisons diverses, il lui arrivait naturellement de perdre en concentration ou d’écouter d’une oreille distraite les paroles de son interlocuteur, ou lui demander de se répéter. Le coude sur la table, le poing collée à la joue, cette fin de journée se révélait rude pour les nerfs du Nobuatsu. Il fixa l’horloge en se demandant pendant encore combien de temps cet homme qui venait le voir pour un trouble du voisinage allait l’occuper en enchaînant les digressions inutiles qui lui faisaient perdre le fil.

C’est alors qu’il s’arrête de parler, semblant attendre la réponse du Nobuatsu qui ne sut que dire sur le moment, jusqu’à ce que quelqu’un se manifeste à la porte d’entrée: un gradé posa le genou à terre, le poing au sol et la tête baissée, il annonça des noms au tintement familier qui lui redonnèrent suffisamment d’allant pour terminer ce rendez-vous ennuyeux, curieux à l’idée de savoir quelles nouvelles les Kaguya apporteraient de leur excursion à Wasure.

Déjà, le fait qu’ils aient survécu constituait une bonne raison d’être soulagé, même s’il ignorait encore quels genres d’informations il avaient pu apprendre sur l’île, il se demandait s’ils avaient pu mettre la main sur ce qu’ils cherchaient? La preuve des expérimentations, des indices sur la situation dans le Pays Oublié… Reste-t-il encore des prisonniers? Des survivants? Il termina enfin le rendez-vous avec le civil, pour faire signe au gradé à la porte de faire entrer Wutu-Fuku et Shitekka. Des visages qu’il était ravi de revoir en ces temps troublés.

“Vous êtes de retour. Qu’avez-vous appris?”

Ils étaient revenus en vie, c’était l’essentiel. Quoique ces retrouvailles auraient pu être plus chaleureuses, il se retint de leur proposer un verre de saké de la bouteille que la Main lui avait offerte plus tôt, juste avant de partir, de manière symbolique pour célébrer leur retour sain et sauf. Il leur fallait parler de choses sérieuses concernant le clan et l’état du pays dans lequel ils avaient voyagé. Shitekka montra les preuves au Nobuatsu qui les inspecta de plus près, feuilletant les pages endommagées mais que les affres du temps et des circonstances avaient eu la bonté d’épargner.

De l’autre côté, un rouleau qu’il reconnut immédiatement comme étant un rouleau de technique à en juger par ses bordures dorées, et les incantations à l’intérieur… il n’y avait aucun doute: un rouleau de technique, mais pas seulement, il s’agissait d’un rouleau de technique enseignant le Byōkotsumyaku à un Kaguya n’étant pas atteint du Mal de la Sorcière Blanche. La seule existence de ce rouleau de technique permettait de faire le lien entre les expérimentations sur Wasure et l’implication des hauts dignitaires du clan Kaguya.

Le raisonnement de Shitekka se tenait parfaitement, surtout si l’on se référait au passage du carnet évoquant des échanges de cobaye avec “R.” qui pourrait probablement désigner Renzaburô. Mais les scientifiques semblaient eux-même ignorer l’identité du commanditaire et se contentaient de pratiquer leurs tests sur des sujets qu’on leur fournissait. Des numéros, des cages comme pour enfermer des animaux… Ces pratiques étaient tout à fait inhumaines et d’une cruauté sans nom.

Wutu-Fuku commença par lui raconter leur combat face à une des expériences sur les femmes Kaguya, dont l’apparence n’avait manifestement plus rien d’humain, le corps décharné et les orbites vidés de leurs yeux, ils avaient fait face à un adversaire redoutable maîtrisant le Shikotsumyaku à un stade supérieur. Le fait qu’elle ait recours au cannibalisme pour se nourrir des os concordait avec les résultats de la prisonnière Kaguya Hanae et son autopsie par le Kyôi.

Il fit ensuite un rapport sur l’état du pays, qui était comme on pouvait s’y attendre, plongé dans le chaos depuis la libération des prisonniers. Ils avaient pu noter plusieurs lieux-clé qui pourraient les intéresser, mais en raison de leur objectif prioritaire, ils ne voulurent pas prendre le risque d’engager le moindre combat, ce qui était raisonnable de leur part. Il posa ses deux coudes sur la table, croisant les mains devant son visage au milieu d’une réflexion intense, à digérer toutes les informations qui venaient de lui être données.

“Vous me placez dans une situation délicate. Vos accusations à l’égard d’un chef de clan et membre du Conseil de la Brume ne sont certes pas sans fondement, puisque vous avez là des preuves que les hauts dignitaires Kaguya pourraient être liés aux expérimentations. Et ce R. qui pourrait très bien désigner Renzaburô, demeure malgré tout insuffisant pour l’inculper… Même si comme vous, je pense qu’il serait préférable de s’en méfier voire de prendre des actions préventives qui pourraient l’empêcher de menacer l’ordre au sein de votre clan, et par extension dans le village. Je place en vous ma confiance toute entière pour garder cette affaire en interne, en essayant de découvrir toute la vérité en se confrontant directement à lui ou aux Anciens. En tant que Mizukage, ma priorité est que cela ne finisse pas en guerre civile ou que nous abattions nos cartes sans connaître tout le fond de l’histoire, ainsi je mettrai à disposition des membres du Kyôi pour surveiller les agissements du clan et essayer d’extraire des informations dans le domaine Kaguya… A moins que vous n’ayez d’autres propositions sur l’approche à adopter?”

Il avait maintenant de bonnes raisons de placer le quartier sous surveillance. Mais peut-être que les deux Kaguya préféraient une approche plus directe et musclée qui condamnerait immédiatement le Démon Blanc? Le Nobuatsu se doutait que ce dernier devait avoir ses raisons pour avoir accepté les déportations, mais il craignait encore plus la raison pour laquelle il y avait consenti.

“Pour ce qui est du projet “GN”, il s’agit certainement des initiales de l’expérimentation conduite sur Wasure, mais je vous avoue que rien ne me vient pour l’instant. Le carnet parle des sujets Kaguya comme étant plus propices à subir ce genre d’expérimentation grâce à l’allongement de leurs os, je suppose que cela est lié.”

A vrai dire, il n’en savait rien, et il ne s’agissait pas de la priorité pour l’heure puisque toute leur attention devait rester sur la meilleure façon dont ils arriveront à convaincre Renzaburô de confesser ses crimes qui pourraient certainement dater d’avant la fondation de Kiri, puisque la Prison Inavouée existait depuis presque deux siècles.

Une certaine déception pouvait se lire dans le regard de ses congénères de la Brume, espérant trouver une solution claire et directe pour éclaircir les jeux d’ombres qui ont lieu au sein du clan Kaguya, or ni son autorité ni les preuves à sa disposition ne pourraient à l’heure actuelle lui permettre d’inculper avec certitude Renzaburô pour les déportations des femmes atteintes du Mal Blanc à Wasure. S’il y avait des raisons évidentes de le suspecter, pour autant, il leur manquait encore quelque chose pour que le jugement parvienne à convaincre l’ensemble du clan Kaguya et préserver l’unité.

Le risque était réel, dénoncer le chef de clan dont l’influence était encore profondément ancrée dans les esprits de ses partisans, sans preuve suffisamment convaincante, c’était se confronter à l’éventualité d’une révolte du clan, entre ceux qui demanderont des réponses au Démon blanc, et ceux qui le défendront avec ferveur à moins de les mettre devant le fait accompli. Un pari que le Nanadaime n’était pas prêt à prendre au vu du passé de Kiri et du risque que cette affaire interne ait un impact sur l’ordre et la stabilité du village…

Une alternative fut proposée par Shitekka qui demandait la confirmation de Wutu-Fuku, une analyse scientifiques de la matière osseuse composant les techniques de osseuses de Renzaburô, et la comparer aux échantillons d’os qu’il avait prélevé sur la Sorcière Blanche qu’ils avaient affronté sur Wasure. C’était une idée qui se tenait et qui pourrait leur apporter cette pièce à conviction qui leur manquait encore, mais pour les membres du clan qui n’étaient pas très portés sur les sciences ou qui n’avaient aucune confiance en celles-ci, peut-être se persuaderaient-ils que ces analyses étaient faussées? Justement du fait qu’elles ont été conduites par le Directeur du Complexe qui est connu pour sa relation de rivalité avec le chef de clan.

La Main de Kiri révéla d’ailleurs qu’il avait auparavant l’intention de le défier au cours d’un duel judiciaire et en profiter pour révéler ses suspicions sur ses agissements. Mais son besoin de vengeance fut rapidement dominé par une idée plus raisonnable et judicieuse, qui pourrait offrir au coupable une façon de se repentir en trouvant la solution au Mal Blanc. De cette façon, ils pourraient s’assurer d’agir ensemble pour le bien du clan. L’intérêt général par-dessus tout, et ainsi ne pas agir seulement par justice pour ceux qui ont souffert des sévices de Wasure mais aider aussi les personnes présentes et futures contractant la maladie. Et ainsi, nourrir l’espoir de plusieurs générations Kaguya de purger enfin cette malédiction.

Posant ses coudes sur la table et croisant les mains devant son visage, le Nobuatsu tentait d’agencer toutes ces réflexions afin de trouver une solution viable prenant en compte tous les paramètres énoncés plus tôt. Son regard descendit enfin sur le rouleau à reliure dorée que Shitekka avait déposé sur sa table. Il repensa au fait qu’il leur manquait une preuve… Mais pour en obtenir une, il leur faudrait une opportunité de fouiller le domicile de Renzaburô, ou encore le bâtiment principal servant de quartier général du conseil des Anciens. Mais même pour des personnes aussi discrètes que le Kyôi, il sera délicat de procéder à une recherche d’une telle envergure sans risquer d’être détecté.

Une distraction qui obligerait l’ensemble des Anciens et à Renzaburô de ne pas demeurer à l’intérieur.

— Un Agni-Kai.

Il prononça ses mots à voix haute, comme une épiphanie qui venait de lui traverser l’esprit, il posa ses mains sur la surface de la table, reculant son dos sur sa chaise en essayant d’expliquer ce qu’il avait en tête.

— Il nous manque une preuve incriminante pour être certain qu’il soit bel et bien le responsable du sacrifice des femmes enceintes à Wasure. Le Kyôi aura besoin d’une fenêtre d’opportunité pour pénétrer à l’intérieur de la demeure du chef de clan et mettre la main sur des indices qui pourraient nous aider, mais pour cela, il faut une distraction.

Pour cela, il se tourna vers la Main de Kiri en lui suggérant ce rôle qu’il pourrait remplir s’il l’acceptait.

— Pendant que tu livres le duel contre Renzaburô en prétextant vouloir prendre sa place de chef, tout le clan sera rassemblé à l’extérieur, ce qui laissera la possibilité à Shitekka et au Kyôi d’aller inspecter la demeure clanique. Et y trouver un indice: un rouleau, des notes, quelque chose qui nous mette sur la voie. Mais il se peut nous ne trouvions rien et que tu mettes ta vie en danger inutilement... Et pour ce qui est des os de malades que tu souhaiterais analyser, je te ferai parvenir des échantillons qui avait été prélevés sur Hanae.

Un combat à mort dans lequel se jouerait le destin du clan, le choix appartenait à Wutu-Fuku.

Le plan était plutôt risqué, il ne le cachait pas à Wutu-Fuku qui avait certainement le rôle le plus difficile à jouer. Il mettait en jeu sa propre réputation, sa vie, ses convictions, sa position de Directeur… En y réfléchissant bien, le Nobuatsu se sentait presque coupable d’avoir posé cette suggestion à son ami qui se semblait accepter sans hésiter car il avait déjà réfléchi à livrer un combat à mort avec Renzaburô. Quand bien même, leurs options se résumaient actuellement à une seule. S’ils voulaient vraiment faire d’une pierre deux coups, il fallait se reposer sur l’intuition de Wutu-Fuku qui, il fallait l’admettre, avait rarement tort quand il avançait ses théories.

C’est pourquoi il obtint la confiance du Mizukage qui accepta de lui prêter l’assistance du Kyôi, lesquels infiltreraient le domaine pendant que les Kaguya seraient rassemblés à l’extérieur, et pour ainsi obtenir les preuves nécessaires à l’inculpation du Démon Blanc. Bien qu’il était regrettable d’imaginer qu’un chef de clan soit coupable de ce genre de manigance, le Nobuatsu avait davantage foi en la personne du Directeur que dans celui dont les rumeurs de magouille ne cessaient de s’accumuler. Comme le déclarait l’homme au kimono, le seul fait qu’il “agisse sous les radars” pouvait justifier qu’ils enquêtent là-dessus. Que pouvait-il bien cacher? Avait-il vraiment travaillé avec la prison de Wasure et été impliqué dans les déportations des femmes Kaguya?

— Dire que la clé de toutes ces énigmes se trouve possiblement à quelques pas d’ici, dans la demeure des anciens Kaguya. Je pourrais demander une perquisition officielle, mais nous risquerions d’éveiller les soupçons et de manquer des indices que nous trouverions s’ils baissaient leur garde. Mais cela reste une possibilité si tu changes d’avis, Wutu-Fuku. Prends le temps d’y réfléchir pendant ta préparation.

L’essentiel reposait sur les épaules de la Main de Kiri, et aussi sur la réussite de l’investigation du Kyôi dont faisait partie Shitekka. Naturellement, l’appartenance de ce dernier à l’unité spéciale n’était connue de personne d’autre que de ses membres, ce qui n’empêchait pas que cette affaire pouvait l’affecter émotionnellement et potentiellement lui faire découvrir une vérité qu’il ne saurait accepter.

— Bien évidemment, nous gardons tout cela entre nous… jusqu’à ce que le moment soit venu. Tu nous en informeras Wutu-Fuku.

Sur ces mots, il leur demanda s’ils avaient encore d’autres sujets avant qu’ils ne se séparent et vaquent à leurs occupations respectives.