Restait alors toute une foret à explorer. Et pas n'importe laquelle.
Dans cette entreprise, la trentenaire comptait tout d'abord sur sa patience et sa science de la cartographie pour générer peu à peu un semblant de carte. La méthode conventionnelle demeurait nécessaire bien que tout en ce lieu inspirait l'incertitude ; comme si chaque prise de vue semblait unique, destinée à se muer subtilement dès lors que l'on détournerait le regard.

Aussi il lui fallait le soutien de Hayashijin. Raison pour laquelle elle avait approché Shinpachi il y a un bon mois de cela. Néanmoins elle devrait faire sans lui, et Sora restait un candidat de fortune idéal pour l'épauler bien qu'elle aurait apprécié l'appui d'au moins deux autochtones. Outre l'aléatoire latent qui dictait le caractère du pays du Bois, d'autres formes de danger risquaient fort de chambouler et pimenter cette exploration qui avait peu de chance de ne constituer qu'une brève et charmante balade forestière.

Puis il y avait son joker éventuel.

Takara avait longuement médité à ce propos. D'une part car ce n'était là non plus pas sans risques, et d'une autre car cela dépasserait le cadre du partenariat éphémère - Puisqu'il s'agissait d'un contrat, ou plus précisément un Pacte.

Un Pacte qui ne lui était pas tant étranger bien que son exclusivité appartenait au clan Metaru, via la branche de Shuuhei, son ami d'enfance.
Les Gorilles. Ceux d'une tribu définitivement pas très tendre ni subtile. Et pour en avoir épisodiquement fréquenté certains par l'intermédiaire du défunt Raikage, l'esprit de la trentenaire ne pouvait qu'être saturé d'appréhensions. Cette tribu à elle seule expliquait assurément pourquoi elle avait toujours considéré les Kuchiyose d'un mauvais œil - Des animaux-totems véloces et belliqueux, tout aussi corrompus par le chakra que les shinobi. La loi de la jungle étant bien plus légitime aux yeux de ces créatures, la barbarie constituait donc une norme que la Suzuri s'essayait pourtant déjà à combattre auprès de ses pairs... On pouvait résonner des humains, mais des animaux ?...
Certes, ils n'étaient pas tous que de vulgaires bêtes.
Après tout, comme toute entité dite surnaturelle, certains les considéraient comme des esprits saints voire des dieux de la nature. Ce n'était pas le cas de la scientifique qui, à l'inverse, les associait plutôt à des anomalies énergétiques. Un jugement sévère. Sans appel ? Visiblement non, puisqu'elle comptait franchir le pas.

Comment ?

Par une marque constituée du sang du Nidaime reproduisant son propre Pacte. Vestige des premiers travaux de la Suzuri concernant l'Art des Kuchiyose, qu'elle avait délaissé par manque d'intérêts faute à ses idées d'alors. Shuuhei et elle s'étaient toujours disputés à propos de son retrait du monde shinobi. Lui s'était investi corps et âme pour son pays, elle s'était ancrée dans une philosophie opposée. Pour autant, il ne lui avait jamais rien refusé. Peut-être pas pour les bonnes raisons... si l'on énumérait le nombre de fois où il s'était essayé à "l'attraper" comme il le faisait au quotidien avec les midinettes qui croisaient sa route de prédateur éhonté.

Il avait malgré cela constamment gardé espoir qu'elle devienne, à son instar, une shinobi de taille œuvrant envers et contre tout pour la grandeur de Kumogakure.
Mêmes âges, mais pas le même parcours. Les distances n'avaient fait que s'accroître et ce jusqu'à sa mort...
Serait-ce lui rendre hommage que de récupérer son Pacte ? Là n'était pas le but. Seulement une méthode d'accès à un outil afin de servir une cause personnelle, encore une fois. Le méritait-elle ? Une question subjective que ni lui ni elle ne sauraient traiter. Seuls les Gorilles en décideraient selon leur bon vouloir.
Du moins... si le procédé d'invocation fonctionnait.

Sa dextre caressant l'écorce d'un arbre à proximité, Takara respirait un bon coup. Cette clairière suffisamment éloignée d'Hikari conviendrait à son "rituel".
Elle se mettait alors à genoux, déployant la réplique du contrat devant-elle puis saisissant de sous son châle un flacon d'encre qu'elle laissait couler sur le papier. La substance se superposait aux écrits d'antan, l'imprégnant, puis, comme lors de ses méditations, elle se focalisait sur la circulation du chakra. Formulant son souhait, lui donnant vie par l'utilisation des mudra nécessaire à l'appel.

Échec ou réussite ?
Pas le temps de se poser la question, car déjà un nuage de fumée se répandait tout autours du parchemin ; et dans le même temps, une patte velue heurtait de plein fouet le buste de la Suzuri, coupant net sa respiration malgré la cuirasse et la projetant vivement contre un tronc voisin.
Les yeux révulsés, sa main gauche articulée plaquée contre le sol afin de pouvoir se redresser partiellement et détailler "l'ennemi" malgré le choc qui troublait dores et déjà chacun de ses sens...

Comment ose-tu ?!


...
Ce n'était pas le Roi, comme annoncé à travers les clauses de cette réplique de contrat. Juste un "larbin" chaud comme la braise ayant prêté oreille à cette requête étrangère visiblement malvenue. Si Shuuhei avait acquis un lien privilégié avec leur big boss, il y avait effectivement peu de chance que la Suzuri parvienne à appeler un tel poids lourd - Ce qui n'était sans doute pas plus mal. Car elle n'était pas le Nidaime, ni ne possédait ses talents.

Ni une ni deux, le colosse bondissait de plus belle afin d'abattre ses deux poings sur la trentenaire.
Cette dernière s'empressait d'esquiver, rassemblant ses forces et ses réflexes malgré la stupeur du premier impact quant à lui imprévisible. Une rencontre définitivement mal amorcée, même si derrière ses airs habituels la kunoichi n'était pas en reste en terme d'acrobatie. Le Gorille manquait donc sa cible et soulevait plutôt la terre dans un lourd vrombissement, faisant basculer le tronc au passage. Il s'arrêtait alors, détaillant sa proie avec mépris.

COMMENT OSE-TU ?!! Beuglait-il alors en attrapant l'arbre abattu, le soulevant puis le projetant vers son interlocutrice quelque peu dépassée par les événements. Celle-ci libérait un mur de l'une de ses notes afin de faire jeu égal avec la célérité de l'assaut adverse, mais se jetait tout de même au sol avant que la façade n'explose en partie sous le choc des matières, créant poussières et débris. De ses dents serrés, le grand singe grognait rageusement mais stoppait pour l'instant la surenchère.

Takara, revigorée par la mélodie rythmique de ses battements de cœur, ne perdait pas la moindre seconde et se relevait encore, bondissant cette fois-ci sur le côté avant d'effectuer de larges mouvements de bras. Non pas pour des mudra, mais pour appeler à la trêve...

STOP ! Je ne suis pas une ennemie !...

Loin de réellement calmer le jeu, cela provoquait au moins un bref épisode de neutralité où elle pouvait enfin toiser son adversaire sans craindre pour sa vie. Le bestial la dardait toujours d'un regard haineux, mais profitait de ce laps de temps pour soulever son pagne et se gratter une fesse. Outre cet humble vêtement marqué du symbole clanique Metaru, il ne portait rien d'autre, ce qui la confortait dans l'idée qu'il n'appartenait pas à une caste bien élevée. En l'état, cela ne changeait pas grand chose à sa dangerosité.

Comment ose-tu appeler notre Roi ?! Sa grosse pogne pourfendait la croûte terrestre, projetant bientôt une énorme motte de terre et autant de poussière à proximité de la Suzuri. Tu n'es pas Shuuhei, faussaire ! Shuuhei n'est plus ! Et toi, tu l'as trahi !
On le sait !
Tu as trahi ! Tu utilises son sang ! Tu convoques notre roi ! De nouveau de la rage, puis le son lourd de pas qui se rapprochent, agiles et non balourds. Frénétiques.

Pas le temps ni pour la justification ni la négociation. Si d'ordinaire Takara trouvait des interlocuteurs plus ou moins compréhensifs, ce n'était pas le cas ici. Néanmoins elle ne comptait pas courir dans tous les sens jusqu'à ce que cette créature plus véloce et endurante ne parvienne à ses fins. Elle devait lui parler.
Alors il devait se calmer.

Chargeant un kunai auquel une note spéciale était accrochée de son chakra futon, elle le projetait ensuite frontalement à vive allure, gardant son sang froid. Le gorille toujours en mouvement l'interceptait malgré tout sans même se couper et, dans un mouvement rotatif, le renvoyait aussitôt à sa propriétaire. Tout se passait alors très vite : Si le kunai en soit n'était pas bien menaçant, la note quant à elle libérait un dessin d'encre venant s'apposer à même le torse du colosse, prenant les allures d'un sceau qui ne tardait pas à s'étendre tout le long du corps et immobiliser purement et simplement le gros gabarit. Erreur toutefois, Takara avait sous estimé les réflexes de ce dernier et l'arme de jet ne manquait pas de lui cisailler le bras malgré une déviation improvisée à l'aide d'un autre kunai de son arsenal.
... Maudit singe.
Quoique ce n'était pas la première fois que la trentenaire subissait des blessures largement évitables. Certes elle apprenait de nouveaux tours, certes elle développait ses capacités, mais rien ne pouvait remplacer un entrainement assidu et régulier ou de véritables confrontations avec d'autres personnes. "La mémoire corporel". Voilà ce qui lui manquait, à trop se tenir à l'écart de la routine shinobi.
Elle avait beau le savoir, ce n'était définitivement pas son genre de s’entraîner avec d'autres personnes ou de simuler des conflits afin de se faire les dents...

Elle grimaçait en regardant son avant-bras partiellement ensanglanté, puis revenait à ses moutons, ou plutôt son gorille. Celui-ci étant cloué au sol, enveloppé d'encre avide - Aucune chance que ce gros singe ne sache se défaire d'un tel sceau.

Plaquant sa dextre contre la plaie de son bras gauche, elle approchait alors la bête captive.

Oui Shuuhei a su mettre au tapis votre Roi, et il était votre ami... c'était aussi le mien.
Il était fort. Bien plus que nous c'est certain. Mais voilà, il est "mort", et aucun être vivant ne peut revendiquer une victoire face à lui... Car ce qui l'a tué, c'est la Résonance. J'imagine que ça, tu le sais aussi, n'est-ce pas singe ?

Ce dernier la regardait d'une colère sourde, ou plutôt contenue par la force d'un arcane à l'antipode de ce qu'il maîtrisait le mieux. Takara le détaillait de ses yeux de jade, agacée.

Je ne suis pas l'héritière de sa volonté. Juste une vieille amie qui cherche à comprendre pourquoi et comment il est mort, comme toute une multitude d'autres personnes. Je me moque du clan Metaru ou de la grandeur de Kumogakure... Mais j'aurai peut-être bien besoin de votre force pour dompter ce lieu et tirer des choses au clair...
A moins que cette foret soit trop dangereuse à votre gout...

Si l'allégeance de ces gorilles se prêtait jusqu'ici au sein de la famille de Shuuhei, les candidats se faisaient logiquement rares. En réalité Takara ignorait si les générations précédant le père du Nidaime possédaient également ce Pacte, aussi tenter sa chance n'était peut-être pas si orgueilleux. Il y avait eu un malentendu : Celui d'invoquer le Roi-Gorille, mais cela qu'y pouvait-elle ? Son défunt ami en bon amateur de défis s'était attaqué au sommet de la chaîne afin d'asseoir son autorité, encouragé par son propre paternel et toute la fierté qui animait alors encore le clan Metaru.
Mais pour Takara, tout ceci ne représentait pas la moindre importance.
Pour prendre contact elle n'avait eu d'autres choix que d'utiliser la ressource confiée par Shuuhei - Si le destin en avait voulu autrement, le Roi aurait pu répondre à cet appel et, s'il s'était senti autant offensé que semblait indiquer son subordonné, alors elle serait certainement morte dès la première baffe.

Bien que c'était souvent le propre des "intermédiaires" que de surjouer des réactions afin de se faire remarquer par les plus grands. Comme partout, l'ascension primait sur bien d'autres philosophies. Et c'était d'autant plus vrai chez les grands singes...

Bon... Laissons ton Roi en dehors de ça, d'accord ?
Fais plutôt savoir à ta communauté que je cherche un allié à la hauteur de cette foret. Mon propre sang est déjà là pour prendre le relais... Soulignait-elle en détendant vivement ses doigts, projetant ainsi quelques gouttes relatives à sa plaie récente sur la moue renfrognée du bestial.Un jour et une nuit, je n'attendrai pas plus ici. Je n'ai pas l'intention de me lier à ceux qui manquent d'audace.


L'animosité de son adversaire s'était dissipée et il avait pu retourner d'où il venait une fois libéré, respectant étonnamment sa défaite.
La Suzuri s'était quant à elle enveloppée le bras d'un tissu après avoir nettoyé la plaie et appliqué quelques plantes, des soins rudimentaires qui suffiraient à calmer une blessure finalement superficielle comme celle-ci. Armée de son kiseru, elle demeurait dans l'expectative d'ici d'avoir des nouvelles. Ce "joker" n'était pas une valeur sûre, d'une part parce que les gorilles en question se laissaient d'avantage mener par la poigne d'un dos argenté que par les artifices d'une artiste.
D'une autre parce que cette foret n'était pas la leur, et que leur instinct tout comme leur rapport privilégié au chakra ne suffiraient peut-être pas à s'acclimater à ces bois si spéciaux. Dans tous les cas, un appui de plus serait bénéfique, surtout pour une kunoichi peu portée sur les assauts frontaux.

Ce court épisode l'avait par ailleurs fait réfléchir. Que ce soit ses ambitions ou le contexte qui déroulait de plus en plus d'opportunités sous ses pieds, tout la poussait à faire preuve de d'avantage de vigilance et de talent afin de ne pas se faire faucher au gré d'une rixe improvisée. Le savoir théorique de Takara pesait très lourd dans la balance, voire justement trop lourd. Même en se maintenant en forme, en répétant des gestes et en perfectionnant son équilibre physique et spirituel afin de bercer le flux continu de son chakra, il lui manquait cette fameuse mémoire corporelle dont disposait la majorité des combattants. Si elle pouvait surprendre par des démonstrations plus ou moins spontanées, saurait-elle réellement en faire de même dans le feu de l'action sous la pression ? Face à des monstres de vitesse plus dégourdis encore que ce gros singe, on pouvait légitimement se le demander.
Instaurer le bon cadre afin de jouir pleinement de l'étendue de ses capacités restait une perte de temps face à certaines personnes plus prompts à foncer en ligne droite, hélas très efficacement. Certains réflexes devaient être reconsidérés et développés plus encore, puisqu'elle s'était assurément trop reposée sur de vieux acquis à ce niveau. En témoignait cette stupide blessure.

De toute évidence, la trentenaire allait devoir abattre de nouveaux murs pour accompagner efficacement sa progression.
Pourtant, elle avait déjà ce sentiment. En quittant son ermitage, elle avait rejoint des rangs armés, participé à des missions, développé de nouveaux mouvements et aujourd'hui revenait même sur son rapport délicat aux Kuchiyoses... La frontière avec le shinobi lambda devenait de plus en plus trouble. S'attacher aux nuances était une chose pour le moins secondaire tant chacun donnait de l'importance à des idéologies plus ou moins distinctes. Quant à prôner la retenue, même si elle y tenait particulièrement et constituait sa personnalité propre, cela représentait une difficulté de plus dans ses manœuvres et ses chances de succès en condition réelle.
Pour palier à cela, il lui fallait développer des arts exclusifs. Elle le savait depuis longtemps... quand bien même les accès étaient difficiles. Il fallait persévérer.

Oui.
Trop de surplace. Il était temps d'avancer...