« He who makes a beast of himself gets rid of the pain of being a man. »

La nuit était d’un noir de jai, l’un de ceux que Roki avait toujours connu. Dissemblant de son rythme cardiaque bas et presque indiscernable de ses respirations, l’éphèbe trouvait quelque chose d’extatique à l’averse abreuvant les terres de glaise jonchées de pierres l’entourant. Ses getas ne s’enfonçant pas le moins du monde dans cette mélasse informe sous un large janome orné canidés stylisés, les rues de la bourgade étaient aussi désertes qu’on pouvait l’imaginer sous une tel torrent.

Au loin, une lueur accueillant sembla phare dans la nuit, salvation et dernière escale à son périple nocturnal tandis que ses membres inférieurs continuaient au même rythme lent à s’en rapprocher. Désormais loin de Murashigure et de ses coupes-gorges, les bourgades avoisinantes n’en étaient pas moins dangereuses et grouillantes de travers propre au Pays de la Pluie.

Celui qui n’était ni shinobi ni civil dans les sens premiers de ces termes arriva finalement à bon port et s’invita sans frapper dans la bâtisse qui résonnait de rires de fracas et de discussions en tout genre en refermant son parapluie délicatement sous le regard de quelque quidam intrigué par cette entrée peu théâtrale. Comme s’il y était prédestiné, il alla s’installer à côté d’un homme aux tempes grisonnantes et leva sa main à mi-hauteur jusqu’au niveau de son menton, index et majeur comme seules extrémités de sa dextre visible pour passer commande. Ceci fait il attendit dans un le silence taciturne qui l’entourait coutumièrement puis tira vers lui du doigt le plus près de son pouce le récipient offert en offrant de son autre main jusque là cachée quelques pièces.

“ Je vous cherche depuis assez longtemps pour que ça en devienne presque insultant pour mes talents de pisteur, Soji-san. ” Le vieillard se contenta d’acquiescer à ce qui pouvait paraître comme invective dissimulée et se contenta de s’imbiber un peu plus de son propre poison, ce que l’Averse répliqua en un geste calculé et lent. Il se devait de conduire l’échange, après tout.

“ Je n’ai cure de la prime. Pas plus que des quelconques informations que vous auriez pu récupérer par vos fréquentations ; du moins pas celles que vous pourriez croire. Je cherche un homme ; l’un de ceux qu’on n’oublie pas. L’Etoile du Matin, ça éveille quelque chose en vous qui pourrez vous inviter à la conversation? ”

« Le Mirage. Rutilante singularité. Comme la flamme, il a connu le cycle que connaît chaque chose. Il fut braise, devint brasier. Puis cendres. C’est tout ce que j'ai à dire. » Stoïque au possible, il assimila l’information et se leva de son siège aussi calmement qu’il l’avait rejoint, vida son verre d’une traite et tourna les talons. Il ne mentait pas, il l’avait vu aux ridules de son visage, à l’intonation de sa voix ; à cette autre voix, intrinsèque. L’avait-il toujours su ?

Dans la glaise, pourtant, bien que les conditions n’eurent pas changées, son pas sembla plus lourd. Roki cherchait une réponse ou plutôt une confirmation, voilà qu’il l’avait eue. Pas de protections cette fois ; chaque gouttelette venant s’écraser dans sa longue chevelure gémelle avec l'empyrée pour l’humidifier jusqu’à qu’elle vienne à coller sur ses joues fines et taillées.

Doucement, il s’accroupit. Que devait-il faire ? Les enseignements de jadis et ceux que lui avait durement inculqué ses peu nombreuses années passées à fouler cette terre. Les dogmes de ce même homme qui provoquait la guerre intestine dont il était le Champ de Mars. Sa paume se tendit pour attraper les pleurs métaphoriques se dégrafant des nébulosités. Il n’était ici pas question de verser des larmes. Tout n’était que choix et voies ; croisements et concepts.

Lui-même ne sut combien de temps il passa la, statique et à la merci de ce qui rongeait l’Homme et abreuvait de vermeil les terres de son pays natal. Ce qu’il savait néanmoins, c’était comme agir une fois debout, rebroussant chemin.

Ses doigts vinrent saisir un carnet situé dans sa poche et il l’ouvrit pour y lire une liste de kanjis sommaires qui s'effaçait au fur et à mesure du giboulé ininterrompu jusqu’à n’être que flaque d’encre informe. Soit, elle était imprimée dans son esprit.

« He who makes a beast of himself gets rid of the pain of being a man. »

La première partie d’un plan parfait. Oh Roki n’avait certes pas toujours eu ses talents actuels, mais son intellect lui l’accompagnait depuis bien des années ; à vrai dire depuis que son système de pensée s’était construit. Il lui devait sa survie, ses expériences et ses rencontres.

Réveillé avant l’aurore plus par mécanisme qu’à cause d’une nuit agité, il enfila son sempiternel veston au formes hexagonales kaki sur sa peau moite et ouvrit le panneau de bois de sa cabane sommaire, cadeau d’un Shinrin il y a fort longtemps. Face à lui un paysage semblant liturgique, dans une autarcie qui convenait parfaitement à ses besoins actuels.

Après s’être silencieusement étiré, l’Averse attacha sa longue masse de cheveux afin de ne pas être dérangé par ces derniers et attrapa un bokken laissé là, dans un saya carmin. Sans un regard pour Brise-Glace posé sur son socle au milieu de la maisonnée, il entama donc ses katas pendant plusieurs minutes qui se transformèrent vite en heures.

Il fallut que le soleil atteigne son zénith pour que le vagabond daigne enfin lâcher son arme factice pour s’offrir un repas bien mérité ; la transpiration s’écoulant par de nombreux pores sur son corps simplement vêtu.

En mangeant son riz agrémenté de légumes, sommairement assit sur le bord de sa petite terrasse, il ne put s’empêcher d’être nostalgique ; une douce emprise de ces moments où une voix guidait ses mouvements. Il repensa à Gamasenjin et à Mikai. À son échec cuisant ; mais les choses avaient changés et le garçon à peine capable de refroidir une pièce n’était plus qu’une ombre.

Pourtant le amejin ne pouvait s’empêcher de penser, de supposer. Ce que la vague de chakra avait offert, et si elle le reprenait ? Tout cela n’était peut-être que temporaire. Roki jeta un autre rapide coup d’oeil vers son ensemble noir et blanc plié au millimètre dans un coin de la pièce.

Doucement, il se traîna sans convictions vers une grosse malle irriguée de canaux tous faits d’encre pour en sortir un volume relié ; un héritage à ce qu’il en semblait. Ses doigts vinrent frôler le papier puis il l’ouvrit. Petit à petit il feuilleta le livre jusqu’à trouver enfin le passage ciblé...