Si ses origines étaient marquées à même son front, alors peut-être sa présence ici-même pourrait être perçue comme un affront.

Et pourtant, comment passer à côté de cela ? Le clan Suzuri lui-même tenait chaque année durant son propre recueil relatant les avancées de chacun de ses membres ; fait assez rare, une coutume visant à commémorer la vie. Inversement, les cimetières eux demeuraient Légion. La mort se gravait plus facilement, et ironiquement, attirait également d'avantage les esprits tumultueux.

Toutefois la trentenaire ne venait pas spécialement pour commémorer. Elle ne connaissait personne, si ce n'est certains noms. Mais la patte Kumojin restait responsable d'une bonne partie de ce "livre à ciel ouvert", aussi majestueux que regrettable. Une telle zone ne servait pas qu'à célébrer, mais aussi à fédérer - Ne pas oublier - et, souvent, plus largement, à attiser les émotions. Après tout, les corps enterrés ici recevaient le titre de "Héros", quel que ce soit leur vécu, quel que ce soit leurs choix intimes, quelle que soit la valeur de leur âme.
Encore quelque chose qui ne changeait pas.
A trop vouloir créer des héros, on créait également des prétendants au titre.
Spirale...

Takara se baladait donc, s'attardant parfois ici et là, humant l'atmosphère et épurant ses pensées autant qu'elle s'imprégnait de "sa nouvelle maison". Qui ne serait jamais la sienne. Encore moins lorsqu'elle serait d'avantage connue pour ce qu'elle est : Une étrangère. Qui plus est issue de Kaminari no Kuni.
D'ailleurs, avait-elle encore un chez soi ? Maintenant que ses vœux l'avaient séparée une fois pour toute de sa terre natale, combien parmi son entourage d'antan lui rappellerait cette décision ? Par des bravades ou des non-dits. Serait-elle condamnée à être inlassablement contestée de son vivant ? Pire, au bout du compte, serait-elle désignée à sa mort comme un héros parmi tant d'autres pour d'obscures raisons collatérales ?

De bêtes questions qui la faisaient doucement rire. Elle resterait une femme du monde, affranchie des codes, quoiqu'on en dise et quoiqu'on lui souhaite. Être comprise importait finalement peu, du moment que le fond de sa Mission permettrait au Yuukan d'éclaircir certaines zones d'ombre et de dévier doucement mais surement vers quelques changements progressifs.

La kunoichi s'éloignait quelque peu, se posant à proximité d'une stèle à ses yeux anonyme puis sortant son kiseru, le préparant puis happant quelques bouffées de fumée, songeuse.
Il y avait tant à faire.

Le hall des héros, ceux qui osent se sacrifier pour leur nation, leurs proches, leur vie. De simples pions courageux. Qui venait les visiter? Visiblement, c’était un lieu régulièrement fréquenté par des âmes en peines. Des femmes et des hommes venaient y verser quelques gouttes salés pour ensuite retourner à leur train de vie ennuyant. Chacun possédait ses tristesses et ses malheurs, mais les roses déposés sur les pierres n’atténuaient pas la mort de combattants. La guerre ne regroupait pas de héros, seulement des êtres prêt à tuer, des vilains. C’était pour cette raison que Mei restait loin des nations. Les grands affrontements, et même les petits, n’amenaient jamais de bonnes choses. Il y avait toujours un camp perdant.

Accostée à un arbre, la soldate se reposait. Cet instant de détente près des morts n’avait pas été considéré sur son chemin, mais pour une rare fois, son corps lui demandait une pause. Elle ne connaissait pas particulièrement le territoire de Hi no Kuni, elle se sentait étrangement perdue. Sa mémoire n’aidait pas à remonter un souvenir du passé. Ses pieds avaient déjà marché ces terres, mais quand? Mei soupirait et repoussait l’activité de son cerveau, cela ne faisait que l’épuiser un peu plus.

Quelques choses vint chatouiller son nez.

« Atchoum ! »

Son éternuement ne manquait pas de discrétion, dérangeant probablement le calme du cimetière. Mei cligna des yeux au rythme d’un papillon qui s’envole. Ah cette odeur! Cela la ramenait dans sa jeunesse, sous les yeux de sa grand-mère qui lui dictait l’art du respect. Elle se souvenait de son regard dur et de ses pommettes trop hautes pour son âge. Mei frissonnait en repensant à cette vieille dingo, mais l’odeur ne la quittait pas. En se redressant et se frottant le nez, la mercenaire quitta l’arbre pour chercher la source de l’arôme.

Une femme qui fumait, voilà une explication simple. L’odeur n’était pas désagréable, bien que le nez de la verte soit sensible. Mei décida d’approcher, un pas, deux pas, un autre, et la voilà qu’elle se penchait vers le corps de l’inconnue. Elle respirait l’air intoxiqué en souriant.

« Humm, vous partagez l’odeur d’un vieux souvenir. »

Son ton était enjoué, peut-être un peu trop pour ce contexte. Mei se redressait et observait le visage de l’inconnue. Celui-ci ne montrait aucune tristesse, ni larme.

« Je ne m’excuserai pas pour mon incruste, je ne regrette pas, mais par pur curiosité, pourquoi ne pleurez-vous pas vos proches? »

Un son mignon.
La trentenaire en observait de loin sa source : Une femme à l'accoutrement particulièrement formel mais dont l'attitude trahissait une certaine insouciance. Elle s'était sitôt rapprochée. Dérangée par la fumée ? Malgré le plein air, il est vrai que la légère brise formait une locomotion pouvant importuner. Toutefois la Suzuri n'aurait pas à répondre du moindre agacement puisque si son interlocutrice s'était rapprochée, ce n'était que dans le but de partager quelque ressentis.
Elle esquissait donc un sourire, visiblement amusée par la question plutôt audacieuse au vu du sujet. Mais effectivement, ses yeux étaient bien secs.

Sans doute parce que je les ai déjà pleuré, ou qu'ils ne sont pas ici... si l'on part du principe qu'ils sont dans une quelconque stèle d'ailleurs.

Même pour aborder la mort, nombreux avaient besoin d'y associer quelque chose de physique. Ce n'était encore une fois pas son cas même si elle restait respectueuse envers la symbolique - Tout moyen permettant de s'alléger et de faire le point sur un sujet demeurait louable. De son côté, Takara ne comptait presque plus personne dans son cercle de proches. D'une part car il avait toujours été mince. D'une autre car la mort en avait prélevé la plupart. Shuuhei, Hisao, Shisei et bien d'autres Suzuri... Depuis la Résonance, le seuil de mortalité avait tant explosé qu'elle en avait perdu de sa sensibilité sur le plan de l'intimité. Elle, elle était en vie. Sa Mission n'en devenait que plus réelle.

Et vous donc ? Elle la détaillait posément des pieds à la tête. Vous gardez les lieux ? Vous ne semblez pas non au bord des larmes.

Elle s'en retournait à l'emploi de son kiseru, d'avantage pour ne pas qu'il s'éteigne que pour en inspirer une large bouffée.

« Hum, je vois je vois. »

La mort n’affaiblissait pas la mercenaire. C’était un mot et un état comme un autre, comme la vie, une étape logique au rythme du sablier. Un jour, le sable s’arrêtera, et nous tournerons l’objet pour la réincarnation. Classique des histoires barbares de sa famille, il était dit qu’un Homme mourant laissait son âme à un autre guerrier, le rendant toujours plus fort. Ainsi, les chefs se disaient posséder plusieurs âmes. Mei croyait surtout qu’il y avait le néant après le dernier souffle, rien d’excitant, rien d’inquiétant. Un sentiment vide, sans couleur, sans voix et sans raison.

« Mes proches appartiennent à une terre lointaine, où le sol est froid et le vent glacial. Je ne suis ni une garde, ni une civile. Je suis, si je peux me permettre, peut-être comme vous? Nous sommes deux femmes qui portent le vert. » elle glisse une main sur son haut foncé aux lignes dorées. « Mais, qui suis-je pour supposer une telle information : Je suis Mei. »

Une longue, fausse, énigme pour enfin révéler son prénom. Elle se permit de s’asseoir avec la femme et de lui tenir compagnie, celle-ci ne l’avait pas repoussé, alors rien ne l’inquiétait pour l’instant. Puis, têtue et joyeuse, Mei n’allait pas quitter sans avoir tirer les ficelles d’une toile. Toutes personnes possèdent une ou des histoires que nous souhaitons entendre.

« Alors, que faire dans un lieu si peu ensoleillé? Même si je me couche sur l’herbe, je n’entends pas les morts chanter. Est-ce qu’ils vous parlent? »

Et moi Takara.

S'accordant malgré la conversation au calme du lieu, elle laissait son interlocutrice s'étendre avant de lui répondre plus encore. Notant les informations au fur et à mesure, cultivant probablement sa curiosité quant à ce pays glacé que sa comparse mentionnait. Un nouveau sourire suite à cette question sur les morts.

Il faut croire que non. Ou peut-être que je ne leur prête pas l'oreille non plus - Il y a déjà assez avec les complaintes des vivants. Et au moins ces derniers ont encore leur libre arbitre.

Même les défunts ne savaient exercer la moindre prise sur la trentenaire et sa sphère de solitude. En fait, sans doute était-elle plus stricte encore à leur égard puisqu'ils étaient Ailleurs, à ses yeux loin de toutes les questions que peuvent se poser les vivants. Quel que soit le sort final qui leur avait été destiné, la mort restait une forme de libération, d'élévation. Il ne fallait pas la craindre ni la souhaiter, elle demeurait l'acte final, une ouverture vers un autre monde régi par d'autres perceptions. Un mystère vierge à jamais. Autrement dit, un thème qui ne se retrouvait pas parmi la liste de la Suzuri.

Si appréhender et accepter sa propre mort apportait son lot d'enseignements, aller au devant ou vouloir comprendre "l'après" ne reposaient que sur des croyances ou hypothèses finalement plus abrutissantes qu'autre chose. La vie offrait une conscience et des sens, il fallait donc apprendre et utiliser ses outils là pour explorer son propre état et son propre environnement.

Parler aux morts ou à soi-même, il n'y a aucune différence. Il ne s'agit que de ressentis, de cultiver des émotions: De la tristesse à la rancœur... A chacun ses voix, j'imagine. Avançait-elle, plus prompt à l'introspection personnelle qu'au recueillement. Mais si je me trompe, alors cela m'étonnerait beaucoup que les morts enterrés ici aient de belles choses à dire aux deux étrangères que nous sommes. Terminait-elle sur le ton de l'humour, peu soucieuse de contrarier les quidams actuellement six pieds sous terre.

Pour sûr, le pays du feu avait toutes les raisons de se renfrogner et maudire les pays alentours. Surtout maintenant qu'il se réunifiait.

Pour ma part je suis kaminarijine. Je crois qu'en portant du vert j'ai largement de quoi faire parler les vivants comme les morts !

Elle s'esclaffait puis réarmait son kiseru, aspirant la fumée, visiblement sereine quant à sa nouvelle situation.
Oui, après tout, c'était mieux ainsi. On pouvait bien lui reprocher ses choix, pour autant, elle avait toujours été ainsi... Dans la mascarade actuelle, trouver sa place n'était pas forcément aisé dès lors qu'on ne se complaisait pas à cumuler des ennemis jurés. Mais Takara se taillait tout de même une nouvelle condition. Probablement instable. Peut être productive - Là était son seul souhait.
Il fallait essayer.