Je comptais sur l'acceptabilité de la jeune femme que je pensais friante de jeu d'argent comme moi. D'accord, le butin était important, mais la sensation de devoir tout remettre en cause, de tout donner, de tout miser sur la chance ou du hasard était là une encore plus belle sensation. Les frissons commençaient même à me gagner rien qu'en pensant aux possibles risques de tout perdre sur un jeu aussi hasardeux qu'un Shifumi. Sa première phrase allait même dans ce sens, elle semblait avoir de suite capté mon attention.

Mais elle vint rapidement mettre fin à mes espérances, occultant totalement les frissons et sensations procurées par un tel défi. Elle venait de complètement retourner ce que je pensais d'elle. J'avais été bête et naïf, je devais bien l'avouer. Moi qui croyais avoir découvert en elle un alter ego. Bien que nos hygiènes de vie étaient bien différentes l'une de l'autre, notre amour pour l'argent et le jeu m'avait fait miroiter de dignes affrontements à répétition pour des butins du plus modeste au plus gros. Il m'était rarement arrivé dans ma vie de me faire avoir, ou d'être aussi naïf. Malgré tout, je devais maintenant en assumer les conséquences.

Elle venait d'expulser une quantité phénoménale de chakra, poussant mon esprit à quitter son corps. Bien que je m'accrochais le plus possible pour maintenir ma technique et contrecarrer ses plans, sa puissance dépassait largement la mienne. Mon esprit quitta alors définitivement mon hôte. Petit défaut de ma technique clanique, il me faut un petit temps pour regagner mon corps originel. Un laps de temps relativement court, certes, mais assez pour qu'elle porte la charge vers ma carcasse encore vide, mon esprit errant entre nos deux corps.

Au moment même où je regagnais ma chair, mon corps fut frappé par deux boules Raïton en simultané. Mon corps tremblait, frémissait, et se retrouvait complètement ravager par l'impact de sa technique. J'avais mal calculé mon coup, mon corps et mon esprit gisait ici, à côté des deux cadavres, pas complètement dans le même état qu'eux, mais bien paralysé et frappé par sa technique. Je mettrais un moment à m'en relever pour sûr.

Alors finalement j'avais fait tout ses efforts pour rien, pour que tout ce joue à la puissance brut. Mon âme de joueur et de parieur fou venait d'en prendre un coup. Cela remettait en cause pas mal de chose en moi, l'esprit est une arme incroyable, mais la force brute à son mot à dire dans certains cas. J'avais rarement été mis dans des états aussi minables. Car là, elle pouvait m'achever sans le moindre problème si son humeur bipolaire venait à tourner à l'envie meurtrière. Si ce n'était pas le cas, j'en ressortirais grandi, je ne ferais plus confiance aux autres mercenaires sans aucun doute. Mes scrupules étant déjà limités, là il se retrouverait certainement à un point de non-retour.

Je demeurais au sol, mon corps frêle, happé par la puissance de ses coups, ne répondait plus de rien. J'étais encore conscient, du moins assez pour entendre toute sa foutue morale sur la vie. Je savais qu'elle avait raison, c'était exactement ce que je pensais au fond de moi, mais sur le moment, j'en avais clairement rien à foutre. Je venais de me faire étaler comme un gosse juste par excès de confiance. J'étais là, gisant sur le sol pendant qu'elle débitait tout son baratin de mercenaire ultra expérimenté.

Si mon paternel me voyait dans cette posture, il m'aurait certainement craché à la gueule et abandonné au premier carrefour qu'il aurait croisé. Il était comme ça, il détestait les faibles. Je pensais tenir ça de lui aussi, mais en l'occurrence, aujourd'hui à cet endroit, c'était bel et bien moi le faible. J'avais failli, étant trop imbu de ma personne, je m'étais persuadé que je m'en sortirais comme avec toutes mes autres affaires précédentes. J'avais clairement merdé, pourquoi avoir fait confiance à la première mercenaire que je venais de croiser? Absolument aucune idée. Ce qui était sûr, c'est que je me remettais clairement en question, sur beaucoup de points. Mon corps était si faible, il faudrait m'endurcir, il me faudrait aussi arrêter de bercer dans le sentimentalisme et poignarder dans le dos le premier en qui j'avais un doute.

Elle partait maintenant au loin, me laissant croupir près des deux cadavres, seul avec mes pensées. Elle emmenait la tête et le butin qui irait avec. C'était bien fait pour ma gueule. Le jeu et la confiance avaient eu raison de moi en ce jour. Mais, contre toute attente et malgré son discours d'il y a quelques instants, elle fit demi-tour se retournant vers moi en lançant la tête, signe de butin. Elle accompagna le tout de quelques mots.

Je lui en devais une? Elle venait clairement remuer le couteau dans la plaie, ok elle venait de gagner et maintenant elle venait me rendre la tête en mode "cadeau". Sur le moment, j'aurais préféré qu'elle me tranche la tête plutôt que d'accepter ses mots et sa foutue gentillesse. Par ego et avec le peu de force qu'il me restait, je parvins à prononcer quelques mots.

-" J'en veux pas de ce butin... J'ai perdu... Garde-la, et pars."

Mes yeux ne quittaient pas le ciel, même si mon expression n'avait aucunement changé, je restais le visage fermé. Je n'était plus que l'ombre de moi-même, me baladant dans mon propre esprit pour regarder en face les erreurs et là où j'avais merdé. Cette histoire venait de me changer et plus jamais je ne me referais avoir de la sorte.