Ouais, ouais, ça fait des années que ça dure

Ma journée était déjà bien entamée dans ce pays de malheur qu'est Ame no Kuni. De malheur seulement par le temps, jamais une once de rayon de soleil vient nous rappeler les beaux jours qui existent par-delà ces contrées. J'avais comme à mon habitude, errer ici et là à l'affût d'un scoop ou d'un contrat. Malheureusement, les affaires naissantes de Seichi avec quelque peu ralenti l'économie du pays, ou du moins celle de nous, les mercenaires.

Cela faisait quelque temps que je n'avais pas eu un contrat bien excitant à me mettre sous la dent, si bien que mes loisirs se résumaient à traîner dans les bars, arnaquer les gens, tricher aux cartes et mentir aux femmes. Une vie sommes toute banale pour moi finalement. Presque une morning routine. Du coup, j'étais en train de marcher en direction d'un des bars miteux du pays, dans un petit village paumé. Aucune affaire ne m’amenait spécialement ici, mais mon flair affûté sentant l'odeur merveilleuse de l'argent avait guidé mes pas jusqu'à cet établissement.

Alors que j'arrivais à proximité, mon œil avare tomba sur la magnifique robe dorée et luisante qui traînait au sol, un ryo, pour sûr. Bien que je n'étais pas en manque d'argent, bien au contraire, une pièce reste une pièce, alors même si je devais fouiller les poubelles pour une poignée de bêtises et bien, je le ferais sans la moindre hésitation.

L'objet de ma convoitise était apparemment celui d'une autre personne. Une jeune femme à la cigarette clouée sur le bec venait de bondir sur la pièce tel un prédateur sur sa proie. J'aurais pu lui laisser bien gentiment et tourner les talons pour mon objectif de base. Mais comme dit auparavant, une pièce reste une pièce et maintenant que j'avais jeté mon dévolu sur elle, je n'allais certainement pas la laisser partir tranquillement.

-" Et bien, c'est ma pièce que vous tenez en main."

Mon regard toujours froid et l'émotion absente de mon visage, je venais naturellement de mentir à cette femme, sans la moindre gêne. D'une pierre deux coups, j'engageais la discussion avec une jolie jeune femme et j'empochais le maigre butin. L'objectif de ma journée venait de changer.

On ne juge pas le cyborg à son ossature

La jeune femme semblait quelque peu "bizarre", elle ne répondait pas immédiatement et affichait une légère mine enfantine, comme si on venait de la priver de son jouet. Elle était peut-être plus jeune que ce que j'imaginais. Bizarrement et sans aucun argument, elle se décida à me rendre la pièce. Putain, si tout le monde était comme ça par ici, je finirais mes jours dans un palais avec des serviteurs en quelques heures.

Sa main s'avançait vers moi, je tendis également la mienne de façon plutôt lente, la laissant sortir de mon manteau noir. Puis d'un geste, elle retira sa main, agrémentée de braillement d'adolescente. Elle était définitivement plus jeune que ce que je croyais. Elle s'amusait maintenant à jeter la pièce en l'air, véritablement contente de son butin si futile. Son air moqueur et une mine niaiseuse s'affichaient sur son visage.

J'aurais pu m'arrêter là, mais c'était bien mal connaître ma terrible passion pour l'argent. Cette pièce avait maintenant autant de valeur pour moi qu'un gros magot qu'on me donnait. Refuser de me céder cette pièce lui donnait une odeur et un goût particulièrement excitant. Au-delà de sa valeur ridicule, elle représentait la même chose qu'une partie de poker à présent. Elle venait de remporter la première main et les cartes étaient distribuées pour la suivante.

-" J'avais perdu cette pièce qui me permettait d'acheter du pain pour mes enfants... Je.. J'y tiens vraiment vous savez.."

Ma mine affichait maintenant une sorte de fausse tristesse camouflée par un léger mouvement de ma tête qui semblait regarder le sol. Mentir faisait également partie du jeu, c'était même la partie la plus excitante. Je tentais maintenant la pitié. Si jamais elle n'obtempérait toujours pas, alors ma capacité clanique saurait la faire plier.

Je veux faire le tour de ma planète.

Moi un SDF ? C'était cette femme puant la cigarette et l'alcool, se jetant sur la première pièce trouvée à côté des poubelles qui me disait ça? Certes mon apparence était quelque peu cadavérique, mais me faire traiter de SDF par cette énergumène aurait pu me mettre en rogne. Heureusement, il m'en fallait plus pour m'énerver et c'était moi qui avais un peu jouer sur la corde de la pitié. Également, ne jamais s'énerver contre quelqu'un sans vraiment connaître ses capacités. Même si elle avait l'air d'une parfaite clocharde en ce moment, elle n'en restait pas moins mystérieuse. Évitons les mauvaises surprises.

Elle l'avouait elle-même elle manquait cruellement d'argent. Ou alors elle était comme moi? Prête à tout pour le moindre sou? N'empêche qu'elle vînt de ranger la pièce dans sa poche et avait tourné les talons. Plus le choix pour moi, profitant qu'elle est le dos tourné, je pris place le long d'un mur, m'appuyant pour préparer ce qui allait suivre. D'un mouvement de main et visant la jeune femme, je transférais mon esprit dans le sien, quittant mon propre corps, le laissant adosser contre ce mur, les yeux fermés comme si je dormais à présent.

-" Désolé, mais je vais devoir récupérer ma pièce."

Lui disais-je maintenant, utilisant sa voix roque de fumeuse invétérée. On était maintenant deux dans ce corps et dans cette tête. J'en profitais pour mettre la main de la femme dans sa poche, récupérant la pièce qui s'y trouvait. Je ne comptait pas simplement la lancer dans la direction de mon corps, véritable coquille vide à ce moment-là, et la récupérer en regagnant ma carapace d'origine. Rester dans son corps et profiter de l'effet de surprise me plaisaient bien, j'avais décidé de jouer un peu avec cette pauvre femme. Je me mis alors à jouer avec la pièce, la faisant tournoyer avant de la récupérer au creux de sa paume de main.

Comme les anneaux de Saturne.

La surprise fut totale au premier abord. Elle semblait ne pas s'attendre à une telle réaction de ma part. En même temps, qui aurait pu deviner qu'un passant au visage fade comme le mien puisse cacher une compétence aussi efficace et flippante que celle du clan Yamanaka. En tous cas, elle avait reconnu d'entrer de jeu la maîtrise de mon clan, et au vu de son sourire, elle avait déjà quelques antécédents avec nous. Enfin, quand je dis son sourire, actuellement, c'est plutôt notre sourire, et croyez moi que je suis bien déçu d'afficher un râtelier aussi jaunâtre que cette fumeuse de cigarettes. Comme quoi, la clope fait des ravages.

Son ton moqueur et son faux air innocent avait laissé place à un ton bien plus sérieux. Le fait d'être rentré dans son esprit et au passage lu raviver quelques souvenirs avait l'air de l'avoir quelque peu énervé. Elle semblait vouloir en découdre dès à présent, la petite chamaillerie pour une simple pièce allait-elle devenir une véritable scène de combat? Aucune chance, mon intention n'était clairement pas de me battre contre elle, qui semblait en plus confiante quant à briser ma technique. Et dans tous les cas, je ne suis pas un combattant, rien qu'un modeste mercenaire avec des facilités. Je rattrapai une nouvelle fois la pièce, que je venais de relancer, avec la paume de sa main, utilisant sa bouche sentant l'alcool de mauvaise facture pour lui adresser quelques mots.

-" Calmons-nous un instant. Que dirais-tu plutôt de jouer à pile ou face? Si je gagne, je garde la pièce, si je perds, c'est toi qui la garde. Tout miser sur le hasard est plus intéressant que se taper comme des ivrognes, tu ne crois pas?"

Ma proposition était lancée, je restais toujours l'esprit à l'intérieur de son corps, préparant quand même à me "déconnecter" et retourner dans mon corps si elle venait à ne pas considérer ma demande et tenter de briser ma technique.

Comme les anneaux de Saturne.

Malgré notre petit différent du jour, j'avais comme l'impression qu'on s'entendait plutôt bien, enfin du moins, qu'on avait un énorme attrait pour l'argent et pour le jeu. Des amoureux de l'or et des jeux, il y en avait des centaines dans ce pays miteux, mais avec autant de repartie et un caractère aussi sûr, c'était bien plus rare.

Visiblement, elle venait de percer ma technique à jour, j'aurais évidemment pu tricher aisément en truquant le lancer. Comme quoi, elle était peut-être bizarre, mais elle n'en restait pas moins maligne. Elle proposa alors une alternative, un shifumi dans les règles de l'art. Elle, la main droite, et moi, la main gauche. Cette proposition me tira un léger sourire, même si elle était ponctuée par une menace. J'affichais alors les dents blan..blanches ? Dix secondes avant elle avait un râtelier de mangeur de gravier et là elle venait de passer à une dentition plus éclatante que n'importe qui? Remarque, pour l'instant comme j'étais dans son corps, cela m'allait totalement. L'haleine aussi avait changé au passage.

J'esquissais donc un léger sourire avant d'accepter sa proposition. Le suspens montait d'un cran.

-"1"

La tension venait de s'intensifier. Le poids du silence devenait insupportable.

-"2"

Des fourmillements gagnaient l'intégralité de notre corps partagé. La sueur commençait à perler sur notre front.

-"3"

L'air devenait irrespirable, le stress montait en flèche.

-"Ciseaux" -"Pierre".

Je venais de perdre, quelle indignité.. Mais il fallait bien l'accepter, les joies du jeu résidaient aussi dans la défaite. Je ne pourrais pas me considérer comme grand amateur de jeu d'argent si je n'acceptais pas un minimum la défaite. Et il fallait bien le dire, le maigre butin ne me faisait pas vraiment de peine au final. Et de toute façon, ce n'était que partie remise, je comptait bien prendre ma revanche un jour ou l'autre. Sans plus de mondanités, j'annulai ma technique, reprenant rapidement possession de mon propre corps, toujours avachi contre un mur.

-" Bravo. Mais ce n'est que partie remise. Gardes cette pièce précieusement, je reviendrais te la prendre."

La phrase était posée, et d'un signe de la main en guise d'au revoir, je tournais les talons, reprenant ma direction initiale : le bar du coin. Pour me passer le goût de la défaite, j'allais devoir plumer deux/trois ivrognes. Quelle vie.