« Tarentules, grenouilles bleues, fourmis mortelles, serpents malicieux et quelques dizaines de milliers d'espèces d'insectes toutes aussi dangereuses que différentes »

Voilà comment ce livre récemment acheté par Fanghe résumait l'Île mizujine d'Ue. Mais au sein de l'archipel, Ue n'avait de mizujin que l'appellation administrative. Aucun village, aucun effort de peuplement mais surtout aucune carte complète de la région n'ont été établis depuis l'établissement de la Grande Cité Militaire de la Brume au sein de l'Île centrale. Cette terre reste inconnue pour le Village de Kiri et lorsque les forces armées postées dans le campement local font état d'une série de disparitions suite à l'émergence d'une brume épaisse sur l'ensemble des côtes de l'île du Sud, c'est un nouveau duo que la (feu) Tour de la Brume décide d'envoyer sur place : un Maître de l'Ostéogénèse, Kaguya Sesshu et le Maître de votre esprit, Yamanaka Fanghe.

Cette paire s'assemblait pour la première fois. L'un était un gradé confirmé, l'autre un Aspirant qui se considérait comme gradé sur-confirmé. Quoi qu'il en soit, ils ne connaissaient rien l'un de l'autre. Fanghe, cela dit, débutait avec un point d'avance. Son Précepteur, Wutu-Fuku la Main de Kiri, était lui aussi un Kaguya. De ce fait, ce dernier n'était pas étranger à l'art de ces gens-là. De toute manière, il faudrait être bien innocent pour vivre dans et servir la Brume sans avoir eu ne serait ce que vent des capacités d'un des trois Grands Clans Fondateurs de la Cité Militaire.

Ce duo atypique saura (t-il) s'avérer efficace (?). Mais avant d'embarquer pour l'un des rares trajets desservis vers l'Île australe, un temps non-négligeable devait être accordé à l'Homme au Kimono pour se préparer. Celui-ci prenait toujours soin de sélectionner ses vêtements parmi sa large gamme à disposition. Et à chaque accoutrement son utilité. Ainsi, pour une telle mission dans un univers si sauvage et peu favorable à la survie de l'Homme, le grand amant des longs kimonos devra échanger son appareil traditionnel pour une tenue plus courte, plus favorable aux mouvements. Si cela lui déplaisait, sa survie en dépendrait malgré tout pour ce voyage. S'attachant sa longue chevelure dans un chignon haut et sanglant son attirail de senbons ainsi que deux éventails à ses cuisses, le jeune homme (oui, oui, c'est un homme) était fin prêt, aux aurores, pour cette mission.

Rendez-vous au Port, comme le suppose toute mission hors de l'Île Principale. Faisant la rencontre de son Acolyte au point de rassemblement donné et aux informations confiées, Fanghe put constater en toisant son camarade sa longue chevelure blanche. Remarquant l'analogisme avec ses longs cheveux noirs, le jeune homme ne se retint pas d'esquisser un sourire en coin. Yin et Yang seront donc sur un bateau. Mais qui tombera à l'eau ? Non pas que le Yamanaka avait (déjà) l'intention d'assassiner son collègue, il éprouvait même, pour tout avouer, une certaine sympathie pour celui-ci. Chez Fanghe, les premières impressions sont très souvent définitives et voir un certain ego dans cet alter à travers la crinière de ce dernier le positionnait assurément en bonne place dans l'estime de l'Homme au Kimono.

Un léger sourire traduisant cette sympathie, il tendait sa main vers son acolyte du jour, initiant les présentations:

- Yamanaka Fanghe. Enchanté.

Spoiler:

D'entrée de jeu, le Kaguya revenait sur l'ordre de mission. Était-il anxieux ? Tendu ? Ou la plaisanterie que semblait exprimer son sourire était-elle légitime ? Après tout, la comédie est un des moyens les plus spontanés de supporter la pression. Ainsi donc, lorsqu'un fin sourire se dessina sur les lèvres de son homologue, Fanghe lui répondit avec la même expression. Non pas que son trait d'humour l'ait atteint, mais voir ce qu'il interprétait comme une montée de pression l'amusait.

Cela dit, un point important était soulevé. L'Île d'Ue est réputée pour sa faune insectoïde impitoyable voire mortelle. Et l'Homme au Kimono n'avait pas de technique lui permettant de résoudre ce problème de manière durable. Si encore il avait été capable de manipuler l'élément incendiaire du Katon la question ne se serait pas posée. Mais doté du Suiton, il allait falloir redoubler d'imagination pour considérer la problématique animale. Instinctivement, le regard du jeune homme se balada sur son camarade dans une quête vaine de jauger si celui-ci avait de quoi régler cette question durablement.

En guise de réponse, le jeune homme préféra ranger ses mains dans ses manches, allonger ses paupières et étendre un sourire fin voire chaleureux sur le long de son visage :

- Nous verrons bien.

Le duo enclencha ensuite sa marche jusqu'aux docks. Là-bas se rassemblait l'ensemble des gens sur le départ, leurs navires, et ceux qui au contraire rentraient. À force de justificatifs et de certificats, le binôme obtint l'autorisation de traverser le reste du Port de la Brume. Béni soit l'Été, en cette journée. Seule saison où le Port de Kiri n'est pas envahi par une épaisse purée de pois.


Cette attention, malgré sa bienveillance, était bien inutile. Fanghe ne mangeait pas ou peu. Il en avait les moyens, là n'est pas la question. Mais il préfère se réserver et manger ce qui sera digne de son palais plutôt que de manger régulièrement de la nourriture impie. Et même lorsque l'occasion se présentait, il ne mangeait pas forcément depuis la Résonance, lui aussi. Entre les missions et l'Entraînement, le temps du jeune homme était consacré à l'art calligraphique. Quitte à ne pas manger pendant plusieurs jours. L'égo surdimensionné de Fanghe l'a donc accidentellement habitué à de telles conditions de famine et par extension, l'a transformé en être idéal pour ce genre de missions de survie.

Mais après tout, la mission n'avait aucune raison de dériver en épreuve de survie. Le duo n'avait été envoyé que pour inspecter cette brume inhabituelle, rien de plus. On ne leur demandait pas de s’enfoncer au cœur de la forêt tropicale ou de cartographier les zones inconnues. Leur inspection se limiterait aux côtes, seules zones non-isolées de l'Île australe. Il n'y avait donc pas de quoi s'inquiéter.

- Votre prévoyance vous fait honneur, Kaguya Sesshu. Il ne reste plus qu'à espérer que vos vivres ne trouvent contexte à être utilisés.

Et finalement, leur attente prit fin. Le compagnon de Fanghe eut l'intelligence, la sagesse, la malice d'ouvrir la porte pour ce dernier et de le laisser passer. Décidément, en plus d'être prévoyant il était raisonnable. Une fois dans le navire, la paire put assister à une dispute de paysans. Un spectacle qui n'intéressait pas Fanghe et ne le concernait pas. Une affaire de fraude administrative, c'est tout ce qu'il avait retenu.

Plus concerné, lui, Sesshu échangea un regard en direction du Yamanaka. Qu'attendait-il ? Est-ce qu'il comptait rester sur place ? Le temps du brun n'avait pas la petite valeur de celle du blanc. Son regard semblait plaintif, cela dit. Avait-il une autre remarque à faire ? La pression lui tombait-elle sur la tête comme tantôt ? Reprenant son sourire et plissement d'yeux d'un peu plus tôt, Fanghe l'encouragea à ne pas rester immobile.

- Avançons, voulez-vous ?