Chasseur nomade

Le regard figé alors que son œil restait concentré, Roka essayait de réguler sa respiration de sorte à ne pas trembler, repérer celle qu'il guettait depuis déjà une bonne vingtaine de secondes... Une femelle, le dos velu, les oreilles baissées, signe d'une baisse d'attention qui fait sonner la première note d'un assaut rapide et furtif en préparation.

Bras légèrement levé, le métallique le fit se mouvoir en un rien de temps, libérant de son corps une flopée de pieux aiguisés, taillés à leur création, fusant déjà sur celle qui venait de passer de biche paisible à proie et dont la future existence n'aurait bientôt plus aucune importance en ce monde.

...sssssfffss...

Le son fut rapide et difficilement perceptible, juste assez pour que la bête relève la tête un court instant, les oreilles maintenant relevées, à l'affût de la provenance du danger, prêtes à ordonner au cerveau, puis au reste du corps, de déguerpir avant d'avoir pu comprendre.

Malheureusement pour elle, un premier pieu se figea dans son épiderme fessier, suivi de deux autres, avant que plusieurs suivants n'arrivent finalement achever le court laps de temps de souffrance qu'elle pouvait ressentir, la traversant en plein crâne avant que son corps entier de s'écroule finalement, désarticulé, certains muscles encore aidés de sursauts nerveux.

Le sang s'étala sur le sol.

J'ai fait de mon mieux pour ne pas te faire souffrir. Pardonne-moi.

Des premiers mots qui eurent pour vocation de déplorer la mort de celle qui allait servir de repas à l'Hasegawa.

Voilà déjà plusieurs mois qu'il errait au sein du pays du rempart, sinuant les sentiers à la recherche de la beauté du monde, de l'éclat des ruisseaux et de la force fraîche du vent contre son visage estropié.

Il vivait pour lui et lui seul... Un mode qu'il avait adopté des années auparavant, lorsqu'il avait décidé de parcourir le monde, loin de sa famille, triste de la perdre, mais épris d'une sensation nouvelle de liberté, ainsi que de l'unique sentiment de la découverte. Une curiosité qui le piquait depuis toujours et dont l’insatiabilité n'avait d'égal que son mépris pour l'ordre.

Proche de la carcasse, Roka venait de parcourir la distance nécessaire à l'atteindre pour finalement transformer son bras droit en une arme à déchiqueter, début de la découpe de son repas, ou plutôt, de l'évidement qui lui permettrait de porter le gros des parties mangeables avec lui, jusqu'au camp sommaire qu'il entretenait depuis quelques jours.

Chasseur nomade

Le retour au camp ne prit qu'une vingtaine de minutes, course tranquille, sens aiguisé aux affûts, pour le chasseur affamé qui ne laissait pas la faim outrepasser son instinct de survie. Ce monde si dangereux lui avait déjà appris beaucoup, quand faire confiance ou non, quand rester sur ses gardes ou baisser son attention, ainsi que la suite d'événements qui pouvaient généralement suivre une atmosphère calme et paisible.

Roka avait déjà perdu son oeil de cette manière, heureux de pouvoir aider ceux dans le besoin, avant de se faire happer par la foudre destructrice d'un shinobi apparu de nulle part, bien trop rapide, violent et puissant pour que le jeune homme ait pu même réagir à l'attaque. A ce jour, il devrait être mort et pourtant il était bien là, préparant la carcasse du gibier qu'il venait de tuer et auquel il avait rendu hommage.

Un meurtre pour la survie. La véritable sauvagerie, naturelle et inévitable.

Ces mots, prononcés à voix baisse, sachant très bien qu'il était seul, n'avaient que pour vocation de le rassurer sur son acte, celui d'une vie ôtée, une capture d'âme pour la survie de l'assassin...

Voilà bien des mois que le métallique n'avait pas croisé un seul brin de civilisation, bien trop pris par la vie en nature, sinuant les sentiers et ruisseaux pour en apprendre plus sur la terre elle-même, un moyen de méditer en somme, de revenir sur ses propres valeurs et de... s'entraîner.

En effet, la dernière altercation de Roka l'avait mené à des blessures graves dont il ne pu jamais se guérir entièrement, malgré sa maîtrise de l'élement du métal et ses secrets, il aurait pu encore une fois perdre la vie... Une année auparavant. Raison pour laquelle il méditait, à proximité permanente de la nature, cherchant à contrôler son chakra du mieux possible... Il lui fallait atteindre le paroxysme de la maîtrise de son art... Ou sa prochaine bataille serait sûrement la dernière.

...

Le repas finalement fini, Roka s'allongea sur le dos, la tête directement en contact avec le sol, observant le ciel et l'extrémité des arbres les plus proches lui bouchant partiellement la vue. Il prit une inspiration profonde, ferma les yeux, puis... un bruit retentit, presque trop discret pour être naturel, trop étouffé pour ne pas se confondre avec une tentative d'approche furtive.

Non, il y avait quelqu'un, une présence qui approchait.

Chasseur nomade

L'oeil du chasseur s'ouvrit rapidement, vif, de l'unique couleur orange que sa mère lui avait transmise, une rareté en ce monde, le présent de celle qui l'avait toujours supporté et représentait ce que le chasseur aimait le plus. D'un mouvement lent de la tête vers sa droite, la tête de Roka se mit à observer, contemplant la forme qui venait de sortir des feuillages, une magnifique bête au pelage rayé de plusieurs couleurs dont l'obscurité naissante raréfiait le contraste. Les moustaches du félin pointaient sur les joues contractées que la bête arborait, le regard carnassier le fixant. Il était épié, une proie de la bête.

Le nomade restait immobile, le visage figé, la tête toujours plaquée contre le sol, tournée vers la créature majestueuse. Celle-ci marchait, pas à pas, en rond autour du campement, les mouvements de ses articulations visibles par la fine peau qui lui servait de pelage.

La nature t'as fait magnifique. Majestueux. Une véritable force en ce monde.

Les mots de Roka n'avaient pas été contrôlés. Malgré le danger, il restait serein, son instinct de chasseur aux aguets face à la moindre cambrure significative d'une attaque frontale. Pour le moment, le tigre paradait, s'évertuant à une démonstration de charisme et de force, comme un moyen de marquer son territoire.

Finalement, une idée parcourue le cerveau de l'Hasegawa. Son œil unique partit, le temps d'une seconde, fixer la carcasse de la femelle herbivore qu'il avait achevé lors de sa chasse… Ce ne pouvait qu'être ça… La bête avait faim. Depuis combien de temps errait-elle à travers cette forêt, si profondément, loin de toute trace de gros gibier dont seules les capacités de shinobi de Roka lui permettait de se nourrir, lorsqu'il ne jeûnait pas ?

C'est donc la faim qui t'accable… Rassure-toi, je ne compte pas manger l'ensemble de ma chasse, ce serait vouer une confiance aveugle à mon métabolisme.

Le tigre sauvage ne réagissait pas et pourtant, il continuait de l'observer, comme comprenant ce qu'il voulait lui dire, rassuré davantage au fil des secondes quant au potentiel agressif du chasseur nomade.

Chasseur nomade

La bête avançait, lentement, le regard fixé sur le chasseur de métal, maintenant certain qu'il n'était pas sa proie, mais bien son rival face à son unique cible... La carcasse puante de l'herbivore tué quelques temps plus tôt.

Approche.

Ce n'était pas la peur qui prenait le cœur de l'Hasegawa, mais bien de l'empathie, celle d'un survivant en rencontrant un autre, une épreuve qu'il ne pouvait s'arrêter de déplorer au fond de son esprit. Lentement, Roka releva le buste pour s'approcher lentement de la carcasse dont le sang ruisselait encore et toujours sur la surface de peau et de chair.

Comme étonnée, la bête se mit à serrer les dents par accoues, montrant à chaque mouvement qu'il était prêt à se battre pour l'animal, pour de la viande, pour survivre... Seulement, les mouvements lents et dextres du rôdeur furent assez doux pour ne pas insuffler le doute, ni la peur, dans le coeur du tigre.

Un coup après l'autre, la main transformée en une forme tranchante de métal, la bête parue intriguée, les yeux rivés sur l'homme dont les actions laissaient comprendre qu'il coupait la viande. Le tout dura une bonne dizaine de secondes, accompagné à la fin d'un morceau lancé au ras du sol dans la direction de l'animal sauvage.

Je ne te veux pas de mal. Tu as faim, mange donc.

Le tigre, si toujours sur ses gardes, se stoppa à chaque pas pour l'observer, avant de finalement mordre à pleine dent le morceau de barbaque, une énorme part de buste, assez pour réjouir le coeur et la confiance de la bête dont les côtes apparentes laissaient paraître une faim latente. La raison pour laquelle il avait osé s'aventurer proche d'un humain, prit d'un instinct de survie. Prêt à batailler pour finalement se sustenter.

Quelle ignominie c'est de te voir dans un tel état... On est un peu pareils, des chasseurs happés par les cicatrices des combats. Sauf que tu es bien plus présentable que moi. sourit-il.