Encore une fois, de nouvelles informations en main, Xûen se retrouvait à la bibliothèque à une heure tardive. Des dizaines de parchemins ouverts devant lui, certains n’ayant aucuns rapports avec les autres, il cherchait. Un lien entre la Banque Sabaku et une entité mystérieuse. Parmis les papiers, des documents récupérés dans le Désert lors de sa prime jeunesse, d’autres dans ce qui restait des quartiers du Premier Cercle après la Rébellion. Des lithographies du Dieu du Sable, des témoignages écrits par les victimes et les combattants, d’autres bons de banque de la fameuse entité aux millions de ryôs.
Quelque chose ne tournait pas rond et depuis son entrevue avec Ikaku, le bougre ne pouvait s’empêcher de réfléchir à cette sombre histoire. Ne pas savoir. Voilà qui était un autre fardeau, comme si on l’obligeait à avancer les yeux ceints d’un large bandeau ; celui de l’ignorance. Xûen détestait l’ignorance. En être ainsi badigeonné avec un pinceau tenu par le fameux distillateur d’informations aux compte-goutte avait le don, s’il ne l’énervait pas, de faire fonctionner ses neurones.
La porte grinça. Vu l’heure tardive, le ninja se demanda bien qui pouvait avoir des affaires en cours ici à cette heure mais ne s’empêcha pas de continuer ses recoupements sans grand résultat. Mais chaque morceau de parchemin était un morceau de la longue fresque. Là trônait un mot de sa femme listant les quelques tribus Meikyû qu’elle connaissait, là-bas la recette du porc au caramel de Benkei. Autant de fragments qu’il gardait habituellement scellé.
Il se mit à faire un peu de tri, scellant encore une fois les choses inutiles sur lesquelles son regard passait et qu’il ne se savait voir.
Les même pas. Plus proche. Exhalant d’un calme tout à fait légitime, il n’avait rien d’un cambrioleur et ses accréditations en tant que Shiden suffisaient largement à justifier sa présence un peu partout, certaines propriétés privées comprises.
Cette soirée, une fois de plus, fut placée sous le signe de l'éveil. L'apprentissage, la collecte de savoirs; ces activités qui brouillaient sa perception du temps au point qu'il ne se soit, cette soirée-la, rendu compte de l'heure que lorsque son précepteur attitré en stratégie militaire lui fit remarqué qu'il devait rentrer retrouver son foyer, et qu'il ne pourrait se répandre en heures supplémentaires.
L'homme, qui lui avait été assigné par Shyko de son vivant, s'était tout de même acquitté de sa tâche, par respect pour son ancien employeur. L'avenir du déchaîné à l'Académie n'était plus certain, depuis que feu Shyko avait rendu l'âme; et pourtant, lui-même tint à coeur de suivre les cours qu'il lui avait conseillés, pour faire de lui un professeur digne de ce nom. L'attrait de la connaissance, du progrès, et l'espoir de pouvoir séduire le prochain directeur pour atteindre son objectif de former la génération future motivaient ses efforts.
C'est donc pour cette raison, que contrairement au précepteur, il ne quitta pas la bibliothèque qui avait miraculeusement survécu au putsch. Du moins, il ne voulût pas la quitter les mains vides. En parallèle de ses débuts en tant que chūnin, de ses cours et de son entraînement personnel, Sabaru étudiait l'art des sceaux, qu'il expérimentait en conjonction avec sa faculté innée. L'art, noble et réservé aux esprits vivaces, l'avait séduit.
Néanmoins, lorsqu'il fit ses premiers pas à l'étage supérieur, le roi sans couronne remarqua une silhouette qui lui était inconnue. Au vu de l'heure, la présence de l'homme piqua son intérêt.
Ne perdant pas son propre objectif de vue, l'adepte s'affaira à récolter quelques ouvrages et parchemins, qu'il dût parfois même épousseter tant ils étaient peu sollicités. Et pour cause, son expérience pouvait l'attester: les pratiquants du fūinjutsu étaient bien rares, à Kiri. C'était, d'ailleurs, l'un des motifs qui l'avait poussé à s'y intéresser.
Émergeant de l'allée, il s'autorisa un coup d'oeil sur l'oeuvre de l'autre homme, qui était toujours sur les lieux. Ce dernier triait visiblement des écrits, dont certains comportaient des symboles distincts qu'il reconnut comme appartenant au domaine des sceaux, alignés auprès d'autres bien plus complexes et distincts qui devaient appartenir à une caste bien spécifique d'adeptes. Il n'en fallut pas plus pour l'appâter.
Sans trop se gêner, mais envahir l'espace vital de son compatriote, il s'installa à sa table, quelques places plus loin. D'abord silencieux, et affairé à disposer ses sujets d'études et parchemins vierges autour de lui, il se décida à briser le silence religieux de l'établissement, qui n'était jusqu'alors qu'agrémenté par le bruit du papier vieillissant et des pages qui défilaient.
« Ces symboles sont complexes. Vous y comprenez quelque chose ? »
Nul besoin de porter le masque de la bienveillance ou de la flatterie, comme il l'aurait fait en temps normal pour s'assurer de tirer ce qu'il voulait de ce ce confrère d'avidité. Il avait un pressentiment que cela, pour une fois, ne le mènerait à rien.
Ils avaient la même odeur. Ni son frère d'idéaux Aomine, ni le sympathisant Ren ne pouvaient s'en targuer.
Son ouïe ne l’avait pas trompé ; bientôt un homme à la stature qui trahissait son implication dans la vie de militaire de Kirigakure no Satô fit son apparition. Contrairement à ceux peuplant les rangs il avait pourtant une aura et un physique assez atypique pour attirer l’une de ses pupilles une demi-seconde, mais pas beaucoup plus. Très vite, il se replongea dans son étude et son classement, laissant vaquer l’inconnu à ses propres recherches. Pas plus taciturne qu’il ne l’était réellement, il écouta toutefois la voix grave du Mizujin. Elle avait des teintes baroques, comme s’il ne parlait pas son langage maternel. Il en était maintenant sûr ; le sans-nom était particulier, comme avait pu l’être Reikan à sa façon.
« Disons que je sais les déchiffrer, mais pas les écrire. » Son index foula l’une des longues inscriptions, héritage d’un temps passé. À Kaze, il aurait facilement trouvé interprète et fanfaron pour se moquer avec outrecuidance ; mais il n’était plus le cadet du Butai. Et en sa position, il se comportait autrement.
« Vous êtes peut-être même plus qualifié que moi. » Ce n’était en soi pas sorcier. Ne cachant pas les quelques lignes qui parlaient d’un cocon Asaara capable de retenir sa cible à l’aide de sceaux divers recouvrant le sable chakratique, il leva le regard pour capter celui à la peau marquée d’encre.
« Qu’est-ce qui vous retient à une heure si tardive entre ces murs ? » Frôlant la politesse, sa question n’était pas sans fondement. Que pouvait-il bien faire à ce stade avancée de la nuit qui ne pouvait attendre le lendemain
Ainsi, l'homme n'était pas l'adepte qu'il avait imaginé. Le visage impassible de la sentinelle ne trahit pas la pointe de déception qu'il ressentait dès lors. Rencontrer quelqu'un de plus avancé que lui lui aurait permis de glaner quelques menus enseignements; ce ne serait pas le cas, ce soir-la.
Si l'homme lui-même n'était pas le puits de savoir qu'il recherchait, ses notes étaient tout autres. De celles qu'il pût discerner et comprendre, elles parlaient de techniques issues des contrés du Vent. Il est vrai qu'il est plutôt bronzé, pour un mizujin, pensa-t-il avant d'être interrompu dans ses songes, par la question à un million de ryōs, celle de la raison de sa présence.
« La même chose que vous, j'imagine. »
Sa main se déposa sur sa propre pile d'ouvrages, portant tous sur les arts occultes des sceaux et des recherches ayant mené à leur conception. Il s'agissait là d'écrits mizujins, décrivant les découvertes des natifs de l'eau exclusivement. Tout comme l'homme qui les étudiait, les savoir contenus dans les livres n'avaient probablement jamais quitté le pays. Ainsi, les notes « exotiques » de l'homme représentaient à la fois un intérêt certain, et une nouveauté inédite pour le déchaîné — surtout que d'aucuns disent que les natifs du Vent, notamment le clan Meikyū, disposent de sceaux légendaires réputés inimitables.
« Quant au fait que je sois plus qualifié, c'est discutable. Je suis certes capable d'écrire les sceaux... »
Comme pour illustrer ses propos, il releva la manche de son bras gauche, pour dévoiler les marques qui s'y étendaient — elles s'éclaircirent même l'espace d'un instant, tandis que du chakra y circulait — avant de poursuivre.
« ... mais ma faculté à déchiffrer ne dépend que de mes connaissances; et comme en attestent tous ces livres, et l'heure jusqu'à laquelle je les étudie, elles sont pour le moment encore limitées. »
Puis, pris d'une idée, le maître des liens se saisit de l'un de ses livres. Il était le plus épais, et le plus décoré, tant et si bien que sa reliure semblait elle-même couverte de sceaux. La couverture était frappée d'une seule et unique inscription déchiffrable : « Recueil des sceaux — symboles et composites de Mizu ».
« Je me demandais, comment avez-vous mis la main sur ces notes ? J'imagine que vous avez dû beaucoup voyager; la bibliothèque elle-même ne fait que survoler les savoirs d'ailleurs, en matière de sceaux notamment. C'est un peu triste, mais cela ne m'étonne pas. Kiri n'a jamais été qualifiée de terre des savants, à juste titre. »
Alors qu'il parlait, le déchaîné ouvrait son recueil, sans y jeter un oeil. Les coudes posés sur la table, le menton appuyé sur ses mains jointes, il regardait le basané droit dans les yeux. S'il l'intriguait lui-même, la provenance de ses notes l'intéressait d'autant plus. Peut-être même qu'avec un peu de chance, il aurait l'occasion de les passer au crible, encyclopédie à l'appui; mais les règles de bienséance prévalaient. Chaque chose en son temps.
Xûen analysa la marque sur le bras de l’homme. L’espace d’un instant, il pensa à découvrir son épaule pour mettre au jour ses propres marques ancrées ; mais ce n’était nécessaire d’en venir là. À les voir, cela témoignait d’un certain niveau dans l’art compliqué des sceaux. En jetant un oeil à la pile, il comprit ce que voulait dire Sabaru par limité. Effectivement, Mizu no Kuni n’était point le sommet des lieux qu’il avait visité quand il s’agissait d’architecture du scellement. Les yeux toujours sur l’ouvrage tenu en main par son interlocuteur, il entendit son propos et vint à y répondre sur un ton monolithique, l’esprit perdu sur ses pérégrinations passées et futures.
« Effectivement. Je ne suis Mizujin à proprement parler que depuis quelques années, et Kirijin depuis bien plus récemment. Je suis un voyageur par essence et j’ai parcouru de nombreux autres pays, habité certains et côtoyé leurs peuples. C’est d’eux que je tire tout ce que je sais. Les notes dont tu parles viennes de Kaze no Kuni ; et là-bas les Sceaux sont quelque chose qui touche au sacré que beaucoup passent leurs vies à étudier. » Son index tapota une de ses possessions pour marquer le tempo pendant qu’il parlait jusqu’à que ses lèvres s’arrêtent de bouger ; il continua de réunir le reste de ses affaires sans se presser pour autant.
« Si cela t’intéresse vraiment, tu devrais envisager un voyage là-bas. Tu pourrais apprendre beaucoup plus qu’entre ces murs. » Lâcha-t-il, les yeux maintenant rivées sur une lettre au cachet encore fermé.
La situation lui était étrangement familière. L'exotisme, les objets venus d'ailleurs, les histoires inédites que nul Mizujin n'avait entendu avant lui. À nouveau, il se retrouvait face à son ignorance de sédentaire de l'Eau, tandis qu'une personne peut-être plus jeune que lui pouvait se vanter de son vécu et de ses voyages. Autrefois, il n'en aurait eu cure. Malheureusement, ou plutôt heureusement, il avait rencontré Yasei Reikan, et elle avait réussi à ébranler les convictions du déchaîné. Sa curiosité, suscitée, fut d'autant plus titillée par les paroles du voyageur devenu soldat de la Brume. Les savoirs d'ailleurs, qu'il ne trouverait pas dans ses livres...
Il irait peut-être bien les étudier de lui-même.
« Vous me rappelez quelqu'un. »
Ponctuant sa phrase, il referma son livre. Les notes de l'homme ne l'intéressaient plus; s'il était de la trempe de la demoiselle, ses histoires seraient autrement plus instructives.
« Enfin, je manque à tous mes devoirs. Je suis Sabaru, de la famille Nō, chūnin de la Brume. »
Et il tendit sa main droite à l'homme, pour une poignée de main vigoureuse. En tant que premier Nō, fondateur de cette famille qui n'en avait pour l'instant que le nom, il se devait de répondre à une étiquette convenable. Le respect appelait le respect; c'était l'une des lignes de conduites du déchaîné.
« Je m'assurerai d'un jour me rendre à Kaze, quand Kiri sera de nouveau sur pied et que la nouvelle génération sera de taille pour la protéger. Si vous avez des conseils quant aux destinations les plus à même de m'en apprendre d'avantage sur les sceaux, et l'histoire même de la nation, je prends volontiers. »
Tout serait bon à engranger, en prévision de ce lointain voyage. Dans les déserts arides de la nation du Vent, il lui serait bien aisé de se perdre, figurativement comme littéralement. Peut-être devrait-il suggérer à Reikan de l'y accompagner; il s'agissait de sa terre natale, après tout.
À son affirmation il eut un maigre sourire peu convaincu. S’il n’était pas orgueilleux, il était bien sûr d’une chose ; il était bel et bien unique et cette unicité, il l’avait éprouvée aux quatres coins du monde. Mais il ne sembla pas le comparer à quelque chose de réducteur et n’en aurait pas fait une grande affaire si c’était le cas. Ce rictus fut donc la seule réponse à sa prose, même si la curiosité lui indiqua de demander à qui il se referait, bien que le Mirage n’en fit rien.
Regardant la poussière voler tandis qu’il faisait se refermer les pages de son propre ouvrage, les yeux dorés du Mirage vinrent croiser ceux du tatoué tandis qu’il parlait et se présenta. Xûen écouta attentivement sa dénomination et rendit avant la parole le répondant au geste, serrant de sa propre dextre celle tendue avec vigueur, sans toutefois quelconque forme de véhémence. « Xûen du Mirage, Jônin Kirijin. » Sa tête s’inclina quelque peu par réflexe protocolaire tandis qu’il s’était levé pour se tenir face à lui en fléchissant quelque peu ses appuis.
Se laissant retomber dans son siège, il écouta ce que le dénommé Sabaru avait à dire pour lui répondre sans laisser de temps mort, comme si sa phrase avait été pensée tandis qu’il parlait encore, ce qui ne saurait être trompeur quant à la vérité.
« Sage décision, je nourris un projet similaire bien que pour des raisons qui divergent. Kirigakure a plus que jamais besoin de ses hommes en son sein. » Il tourna alors la tête sur le côté vers le grand rouleau pour en tirer une carte repliée sur elle-même et scellée par de la cire, qu’il fractura d’un simple coup d’index pour la déplier entre eux.
« Si c’est le Fûinjutsu qui vous intéresse, il y a bien sûr Kaze no Kuni. » Son doigt glissa vers l’étendue sablonneuse représentée sur le croquis. « Joheki possède aussi des écrits sur le sujet, bien que plus précis quant à leurs utilisations. » Son doigt se déplaça encore. « La jungle d’Hayashi renferme aussi des secrets si on trouve les bonnes personnes à qui en parler. » Un sourire mystérieux fendit ses lèvres. « Et enfin, Ame. Le climat est propice à la guerre, mais soyez sûr qu’en payant le bon prix, on peut trouver tout et n’importe quoi à Murashigure. »
Ayant éclairé sa lanterne, le shinobi la poussa délicatement pour que le Nô puisse se faire une idée d’un possible parcours à réaliser. S’il pouvait aider à l’emprise de Kirigakure no Satô sur le monde, alors ce serait avec un plaisir non-dissimulé.
Ainsi, il s'agit d'un jōnin, se fit-il intérieurement. À part l'actuel Mizukage, Kagai Inja, il n'en avait jamais côtoyé. Les huiles ne se mélangeaient vraiment pas avec les quidams de l'Eau, aussi ironique que cela puisse paraître. Contrairement au Kagai, le mystérieux Xūen à l'épithète sibyllin n'était pas très extravagant, ni même imposant, sans pour autant en être quelconque. En revanche, son bagage et l'expérience dont il faisait preuve n'avaient rien d'ordinaire.
Sans dire mot, le déchaîné se contentait de hocher faiblement la tête en suivant des yeux le tracé imaginaire que peignait l'élite sur la carte qu'il venait de disposer entre eux. Une fois qu'il eut fini, il s'empara de son propre carnet, qu'il ouvrit à côté de la carte, pour y annoter quelques informations. Le nom des pays, notamment, afin de débuter diverses recherches quant à leurs relations avec la Brume, ainsi que les villes portuaires où il pourrait faire escale. Si le tracé semblait être d'une simplicité frappante, il n'était pas exempt de risques.
« Je vois deux options. »
Rompant le court silence s'étant imposé tandis qu'il grattait le papier, avec une mine de charbon, il déposa son index sur le pays du Feu.
« D'après cette carte, pour passer de Joheki à Kaze, le plus simple serait de traverser le pays du Feu pour regagner la mer, ou de contourner toute la péninsule du pays en bateau pour ne pas y poser le pied. Je sais que Hi a connu deux ou trois accrocs, avec nos frères shinobis... je me demandais donc s'il était risqué de couper au travers, pour gagner du temps, ou s'il valait mieux opter pour la sécurité et rester en mer pour profiter de notre aisance sur les flots. »
Si la réponse semblait être flagrante, l'optique de devoir se ravitailler à Joheki pour reprendre la mer, jusqu'à Kaze, suffisait à faire douter le déchaîné. Ils n'y aurait pas d'hypothétique escale entre le pays du Rempart et celui du Vent, puisqu'il n'y avait que les terres du Feu sur leur route.
« Je n'ai pas peur de ces parvenus du continent, soit dit en passant. J'aimerais juste éviter un incident diplomatique. »
Bien évidemment. Un Kirijin n'avait peur de personne, c'était un fait établi; mais il n'était pas question de laisser les non-dits suggérer une quelconque couardise. Son voyage, s'il avait lieu, ne serait assurément pas de tout repos. S'il venait à prendre la mer, il le ferait avec la certitude de devoir jouer des coudes pour se frayer son chemin.
Le monde craignait la Brume et l'inconnu, y voyait les chimères de l'hostilité. En s'y confrontant sans respect et avec l'arme à la main, ils y trouveraient leur compte; c'est ainsi que les choses se passaient, avec les natifs de l'Eau, et le Nō ne ferait pas exception.
Xûen suivit calmement l’index de Nô sans afficher quelconque signe tandis qu’il discourait sur l’hypothétique chemin à adopter pour effectuer ce long et fastidieux voyage ; l’un de ceux qui forgeait l’âme et affûtait comme rien d’autre les compétences. Le Mirage hocha la tête une ou deux fois jusqu’à qu’il soit arrivé à la conclusion de son plan et opta même pour un petit rictus à la fin de celle-ci, tapotant finalement Hi no Kuni, sujet principal de son court monologue. Sa vision des choses étaient presque réel quant aux tensions, voir prémonitoire si les deux hommes avaient su ce qu’il se tramait là-bas. Avec toute l’assurance qu’il était capable d’exhaler, adossé à son fauteuil, le bras toujours tendu, il prit la parole.
« Vous devriez. Nara Alderan ? Le Soshikidan ? Ce sont des personnes dont il faut respecter la puissance à défaut de les craindre. Je suppose aussi que contourner ce genre de problèmes par la mer est la meilleure chose à faire. Si votre voyage est bel et bien à but d’érudition. Les flots sont plus calmes que les nôtres, vous n’aurez pas besoin d’un capitaine excellent pour y parvenir. Il reste bien l’option terrestre, toutefois il vous faudra un homme du Feu pour vous aventurer là-bas sans risques ; c’est très vaste et les chemins sûrs sont connus de peu. » Il ne pouvait, lui qui y avait passé quelques mois, pas se targuer d’être l’un d’eux.
Doucement, il fit revenir son bras qu’il croisa avec l’autre.« D’aventures, si mes fonctions me le permettent, je serai intéressé par un tel voyage. Je ne suis peut-être pas Hijin, mais je connais le Désert, ses clans et ses oasis comme personne. » Un sourire serein s’afficha sur son faciès à l’idée de retourner en ses terres natales.
Il ne le connaissait pas et voyageait habituellement seul ; quel mal y avait-il toutefois à se prémunir de compagnons pour une telle entreprise ? Il pouvait aussi lui confier quelques documents à faire parvenir sur place si d'aventure, il refusait de se voir accompagné ou qu'il ne pouvait pas se libérer.
Sa mine se renfrogna, à mesure que Xūen lui énonçait les noms nébuleux de personnes, ou groupuscules, à craindre. Définitivement, il excluait l'option du passage par les terres, au vu des embûches qui parsemaient les routes du Feu. Épuiser ses forces à se défendre, ou même à augmenter ses tours de gardes, creuserait dans ses ressources. Il n'aurait, d'ailleurs, pas grand chose à glaner dans ce pays de malheur, d'après le jōnin; aucune raison de se faire du mal, en somme.
« Va pour la voie des mers. J'ai quelques compétences en matière de navigation, et mes dons particuliers s'y appliquent assez bien. »
Il laissa volontairement planer un voile d'ombre sur ses fameux « dons », en digne shinobi de la Brume, bien qu'il n'ait pas vraiment d'intérêt à les cacher.
Stoïque, il se redressa peu à peu alors que son supérieur lui proposait son concours. Ses yeux parcouraient d'avance l'itinéraire qu'il s'imaginait, tandis qu'un court silence s'installait. Quelle raison aurait-il de refuser son offre ? Aucune ne lui venait à l'esprit. Sa connaissance du désert pourrait bien lui être utile, cependant; mais était-ce nécessaire ? Il comptait déjà proposer à Reikan, qui y avait vécu, de l'accompagner. Elle saurait sûrement le guider.
« Pour tout vous dire, j'avais déjà ma petite idée concernant mon guide pour Kaze. Bien évidemment, je ne suis pas contre votre participation. Avec un jōnin chevronné à nos côtés, nous réduirions considérablement les risques. Si Kiri peut se passer de vous, et je ne souhaite que cela, je serai ravis de vous compter à mes côtés. »
D'une certaine façon, si la Brume pouvait se permettre de laisser quelques chūnins et un jōnin partir en expédition, cela signifierait qu'elle se serait remise de tous les coups durs qu'elle venait d'essuyer.
« Rien ne presse, cependant. D'ici là, je vais avoir besoin de temps pour mener à bien quelques projets pouvant contribuer aux préparatifs, tout en remplissant mes devoirs de chūnin. »
Il soupira, alors qu'il se remémorait les missives mentionnant l'affectation à une équipe de genins. Pas de lassitude, bien évidemment, puisqu'il aspirait de toute façon à l'enseignement; mais bien parce qu'il manquait déjà de temps, en ne s'occupant que de son propre entraînement. S'il voulait s'éclipser du village, il devrait soit y laisser son équipe, soit la préparer à le suivre... ce qui prendrait, là aussi, du temps. En plus de demander plus de ressources.
« Enfin. J'imagine qu'en tant que jōnin, par les temps qui courent, la notion de « devoirs envahissants » ne doit pas vous être bien étrangère. »
Visiblement il avait à faire à une oreille attentive qui savait démêler l’intérêt de ses propos. Il hocha la tête à l’affirmation du Nô, s’interrogeant sur lesdits dons. Rien de bien sorcier à découvrir si l’envie lui en prenait, en allant par exemple farfouiller dans les dossiers des shinobis ; bien que certains manquaient à l’appel avec les événements récents, ceux à venir n’allant rien arranger à ce problème administratif. « C’est exact ; mais je suis très mitigé sur cela. Il y a et aura beaucoup à faire pour Kirigakure no Satô en des temps pareils. »
Il comprit aussi l’intérêt de ne pas presser le processus ; ce genre de parcours ne s’organisait pas du jour au lendemain et Xûen ne savait rien de l’avis du nouveau Mizukage sur tel périple, l’autoriserait-il même ? Il préféra taire ses doutes non pas pour ne pas le décourager, mais ne préférant pas parler sans savoir.
« Effectivement, encore plus depuis que j’ai rejoint le Shiden. Et je pense que tu t’apprêtes à la côtoyer dans une moindre mesure à ton propre grade. » Sabaru imaginait-il l'entièreté de ses responsabilités et les attaches qui le liaient à ce sol boueux et parfois infertile ?
Lui avait longtemps vécu libre et ressentait l’étau qu’il avait lui-même choisi ; en était-il de même pour le tatoué ? La désillusion pourrait avoir bien des effets sur un esprit fabulant à des voyages et des parcours dans tout le Yûkan. Xûen espérait qu’il aurait cette chance ; rien n’était plus formateur que cela, mis à part la douleur rencontrée parfois sur ce chemin sinueux.
Doucement, il commença à amasser ses quelques affaires, traînant autour de la carte, jetant une oeillade à un pays en particulier, dessiné sur le papier. Ame. Sa prochaine affectation.
Bien installé contre le dossier de sa propre chaise, le Nō ruminait et retournait ses idées de voyages. Pour un casanier n'ayant jamais quitté Mizu, et n'ayant voyagé hors de l'île principale qu'une fois, cette perspective de découvrir le monde en dehors de livres et de cartes était une nouveauté. Depuis qu'il avait rencontré Reikan, qu'il avait esquissé quelques projets, l'idée de voyager s'était insinuée dans sa tête, cachée quelque part, ensommeillée. En parler ainsi avec une nouvelle connaissance, gradée et probablement responsables qui plus est, avait ravivé l'idée et lui avait donné une consistance nouvelle.
Puis, tandis qu'il disait appartenir au Shiden — fait remarquable en soi, mais qui n'eut pas vraiment d'effet sur le tatoué perdu dans ses songes —, le natif du Désert ramena le Mizujin à la réalité. En tant que chūnin, il aurait des responsabilités; mais plus que tout, c'est ce pourquoi il s'était engagé à côté de sa carrière de soldat qui le retiendrait à Kiri quelques temps.
« Je ne suis jamais parti, n'ai jamais voyagé. Et je crois bien que c'est parti pour durer encore un peu, parce que malgré la relative liberté d'un chūnin comparé à ses supérieurs, j'ai décroché un poste à l'Académie. »
Sa main droite se déposa sur son visage, tandis qu'il soupirait, excédé. Il n'avait même pas eu de nouvelles quant à son poste plus officieux qu'officiel, de la part du village. Shyko étant mort, restait-il même des traces de son entretien et de l'épreuve réussie ? Son professeur lui-même, pourtant attitré par Shyko, n'en savait pas le fin mot.
Du coin de l'oeil, le Nō remarqua que son supérieur commençait à réunir son matériel. Faisant de même, il referma ses manuscrits, puis se leva tranquillement.
« Je ne vous retiens pas plus longtemps, Xūen. Il commence à se faire tard. Si l'offre tient toujours, nous nous reverrons sans doute. »
En s'éclipsant, livres sous le bras, il inclina brièvement la tête, avant de disparaître au détour d'une des nombreuses rangées d'étagères de la bibliothèque. Si l'entrevue avait été courte, elle fut riche en inspiration. Xūen avait lancé le chūnin sur une première piste de réflexion, qu'il aurait tout le temps de fignoler avant d'arriver au jour où il pourrait enfin s'autoriser cette virée d'érudit dans le Yuukan.
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