MISSION:

Tokanaba dormait sous une brume matinale assez dense mais plutôt paisible. L'air était frais mais n'empêchait pas les paysans de cultiver les terres, tandis que les soldats gardaient rigoureusement la frontière du Kaminari. Avant-poste autrefois dévasté par les rixes sanglantes qui avaient opposé ce pays à ses persécuteurs, la ville se redorait peu à peu en se redonnant le prestige qu'elle défendait depuis des temps anciens : celui d'une forteresse impénétrable.

La cité regorgeait en effet de troupes armées que le daymio saupoudrait parfois de quelques renforts en rajoutant des escouades shinobi, notamment pour profiter de leurs talents de senseurs. Ainsi, Tokanaba s'offrait une sorte de flair et peu d'hommes pouvaient prétendre pouvoir échapper à la vigilance des gardiens de cet avant-poste, qui se dispatchaient souvent tout le long d'une ligne imaginaire qui marquait la fin de leur territoire.

Il avait pourtant fallu qu'elle tombe un jour, cette cité impénétrable. Aussi avait-on toutes les bonnes raisons de prendre quelques précautions, en enquêtant notamment sur ses failles. L'une d'entre elles, à ce titre, fut détectée par les autorités kumojins. Un groupe inconnu qui avait en effet fait mouvement non loin de l'enceinte et cela en toute discrétion. Alertée, une des équipes du Raikage avait investigué l'affaire. En vain, malheureusement. Depuis, le village n'avait plus aucune nouvelle de ses hommes.

Dans le village de Kumogakure, la nouvelle se répandit dans un murmure et provoqua une certaine agitation. L'attente des familles s'effrita comme une peau de chagrin : terrible, cette nouvelle les accabla dans des gouffres d'inquiétude et de questionnement. Une simple disparition était un constat bien trop maigre et visiblement trop imparfait pour satisfaire non seulement l'institution, mais aussi les proches des disparus. Il fallait ouvrir l'enquête. Un conseil décida de se réunir pour décider de la conduite à tenir.

--- La situation nous laisse peu de choix. Nous ne pouvons supposer qu'ils sont morts si ce n'est pas le cas. Aussi serait-il effrontément imprudent de notre part de lancer une traque pour abattre les membres de ce groupuscule sans les connaître, au risque qu'ils exécutent leurs possibles otages. Il nous faut donc enquêter.
--- À qui pensez-vous confier cette responsabilité ?
--- À un irresponsable, justement. Il existe dans le village un jeune garçon unique en son genre. Il a déjà opéré dans ce genre de situation. On raconte qu'il fait des prouesses.

Loin de là, on retrouvait le jeune garçon seul, assis sur un rondin de bois. Sa coiffe ténébreuse et hirsute, mal entretenue, tombait sur un front blafard qu'on aurait cru maladif. Ses grands yeux curieux observaient avec candeur le spectacle d'un jeune oiseau au plumage noir avec des reflets vert-gris. Cette scène aurait eu un quelque chose de poétique si un détail sordide n'avait pas démystifié l'instant : pour se défaire d'une ficelle qu'il avait autour du ventre et des ailes, il donnait des coups de bec frénétique qui atterrissaient bien souvent sur son abdomen. Ce faisant, il se déchirait le ventre. L'éphèbe, responsable de ce traquenard, observait ce spectacle malsain avec un plaisir sadique non dissimulé. Il était inconscient de ce qu'on attendait de lui.

Avec une immense faux dans le dos, il arriva dans la brume épaisse qui engloutissait Tokanaba. Les gardes identifièrent d'abord une sorte de silhouette sombre, avant que l'illustre meurtrier ne daigne sortir du camouflage naturel pour se démasquer. L'un des gardes, un barbu bedonnant au physique hirsute qui portait une armure en plaques de fer rouges, le hêla pour lui sommer de s'arrêter. L'éphèbe, dont le teint était aussi fantomatique que le regard, se figea. Il était seul dans un brouillard sombre, tel une âme égarée. Que pouvait-il bien vouloir pour oser se présenter ainsi devant cette cité guerrière ?

Le garde avec l'armure de fer descendit du mirador depuis lequel il observait les intrusions possibles, en compagnie d'un deuxième homme, un peu plus chétif, un peu plus beau aussi, mais vulgairement protégé par une cotte de mailles. À deux, ils abordèrent l'inconnu dans la brume. Le plus imposant des deux soldats se méfiait de tout le monde, et il redoublait de vigilance depuis la nouvelle de la disparition d'une escouade ninja. Voir un pareil olibrius avec une arme aussi imposante suite à ces circonstances ne lui inspirait rien de bon. Il entama les présentations.

--- Vous êtes ici à Tokanaba. Qui êtes-vous et quel est le motif de votre présence ?

L'enfant le regardait sombrement. Il avait un air absent et les gardes ne tardèrent pas à réaliser qu'il était suturé de toutes parts. De petits fils de coutures jonchaient son corps comme si on avait voulu recoller toutes les parties de ce dernier ; un peu comme une poupée rabibochée sur tous les angles. Il inspira un mouvement de recul au plus chétif des deux gardes, qui posa discrètement sa main sur la pommeau de son sabre. Mais celui en armure, jugeant que cela jetterait sur eux le discrédit, se dressa devant le voyageur comme un mur, ignorant le danger.

L'adolescent afficha alors un sourire en tirant sa faux, comme pour combattre.

--- Satetsu Nobusuke. Je suis missionné par le village de Kumogakure pour enquêter sur la disparition de notre escouade. Enchanté !

La visite était attendue. L'homme en rouge n'était guère enjoué à l'idée de laisser cet énergumène dans le village, mais il devait obéir aux ordres. Il afficha un regard froncé et inquisiteur, mais ordonna qu'on l'escorte.

Quelques heures plus tard, après avoir passé l'entrée du village, on le conduisit à une chambre d'hôte dans laquelle il s'installa. Il ne fallut pas longtemps pour que le guerrier responsable de la sécurisation de Tokanaba ne l'invite à le rejoindre pour déjeuner, sur le repas du midi. En présence d'un autre kumojin qu'il ne connaissait pas, le guerrier en question déballa une carte sur laquelle il pointa une position précise.

--- Voilà où l'activité suspecte a été détectée. L'escouade disparue a fait mention de quatre hommes, mais il y a de fortes probabilités que le nombre de protagonistes soit plus important. Nous n'en savons pas plus...

Le guerrier avait une balafre sur la joue gauche et des cheveux roux. Alors qu'il expliquait la situation, ses yeux commencèrent à rougir et s'humidifier : c'est ainsi que, retenant quelques sanglots, il poursuivit.

--- C'était des gars vraiment sympathiques. Je n'aurais jamais dû leur demander d'enquêter, surtout que...

Il craqua et cacha son visage entre ses mains. Le kumojin à côté de lui, plutôt compatissant, lui mit une main sur l'épaule pour le réconforter.

--- Bordel... ces deux gosses...

Fit-il en repensant aux deux genins qui avaient disparu, en compagnie du chuunin qui dirigeait la petite équipe.

Après avoir fait le point lors du déjeuner, Nobusuke fut abandonné par le chef de la garde aux cheveux de feu et laissé seul avec son compatriote kumojin, qu'il ne connaissait pas au demeurant. L'homme en question, un trentenaire dont la silhouette de chat maigre laissait supposer qu'il devait être capable de beaucoup d'agilité, enfila tout d'abord son thé aromatisé aux plantes avant de reprendre le fil de la conversation. Il travaillait avec le chef de la garde depuis plusieurs mois à présent, et il avait vu chez ce vaillant rouquin plus d'ardeur qu'il n'en trouvait chez les ninjas parfois. Il avait presque songé à troquer les arts ninjas contre une bonne lame, pour s'enrôler directement sous les ordres du preux soldat ; mais il avait trop à apporter en portant le costume du shinobi pour oser trahir son héritage.

Il balaya ses cheveux blonds vers l'arrière ; sur son teint basané, on pouvait apercevoir quelques tâches brunes, comme une évocation de soleil. Probablement qu'il était habitué à travailler au dehors.

--- La mission que tu t'apprêtes à mener comporte beaucoup de risques, jeune homme. Je ne veux pas que tu ignores certains aspects du contrat auquel tu t'es engagé. Si un chuunin accompagné de ses élèves à disparu, c'est guise de grands périls. Allons, je suppose que tu sais à quoi tu t'engages, n'est-ce pas ?
--- À l'évidence, ma vie sera mise en jeu. Mais celle de mes ennemis aussi. Peu m'importe de mourir, si j'emporte avec moi tous ces félons.
--- Stop. Je t'arrête tout de suite. Si je puis me permettre cette remarque, il ne s'agit pas que de ta vie. Ce serait trop facile. Vois-tu, rien ne garantit que nos hommes ne soient pas pris en otages ; aussi n'est-il pas improbable que nous puissions les sortir de ce traquenard et épargner plus de vivants que nous n'osons l'espérer à présent. C'est Nobusuke, ton prénom ?
--- Affirmatif. Satetsu Nobusuke.
--- Oh. Une denrée rare que les manipulateurs de la limaille de fer. Tu possèdes de précieux pouvoir ; pour autant, il te faudra trouver un moyen de te camoufler, et je ne vois pas comment ton pouvoir pourrait t'aider. De ce que je connais des capacités liées au fer, tout est orienté vers le combat.
--- C'est parfaitement mon cas.
--- Pourquoi le village enverrait-il quelqu'un qui n'est pas capable de se dissimuler dans une mission qui consiste justement à pouvoir étudier un adversaire sans être décelé soi-même ?
--- Que voulez-vous entendre par là ?
--- Allons, ne sois pas sur la défensive avec moi, jeune Nobusuke. Je préfère simplement m'assurer que le garçon envoyé par le village n'est pas un imposteur, ni un incompétent. Je ne doute pas des arguments que le village a su trouver pour justifier la mobilisation d'un combattant sur cette mission spécifique ; pour autant, je ne dispose d'aucune information sur ton cas. Tu comprendras qu'avec la disparition de l'une de nos escouades, nous avons toutes les bonnes raisons de nous inquiéter, même vis-à-vis de nos alliés. Ce n'est pas n'importe quel homme qui peut prétendre pouvoir éliminer une équipe kumojin, sauf s'il s'agit d'un kumojin.
--- J'ai déjà infiltré ce genre de groupes par le passé, avec deux autres camarades. Nous les avons tous décimé jusqu'au dernier. Je présume que c'est la raison pour laquelle le village m'a nommé.
--- Je vois. Plutôt qu'un bon traqueur, ils ont choisi un terrible assassin. Si je puis me permettre certains indiscrétions, comment comptes-tu t'y prendre pour cette mission ?
--- Très sincèrement... je l'ignore encore.

Le basané observa un moment de silence en plongeant ses yeux dans ceux du psychopathe. Il n'aimait pas l'idée qu'on eusse envoyé quelqu'un de si jeune pour une mission si risquée. Cela signifiait sans doute que ce garçon avait quelque chose de spécial ; et, à en croire ses dires, c'était précisément le cas. En étudiant plus rigoureusement l'éphèbe, il observa certains tics qu'il ne parvenait à contenir. Il s'agissait probablement de stress. Ayant terminé sa réflexion personnelle, il relança son interlocuteur.

--- Je peux te donner quelques pistes, Nobusuke. Pour ne rien te cacher, j'ai moi-même inspecté la forêt. J'y ai vu certaines choses qui pourraient t'intéresser. J'accepte de te prêter main forte, mais tu dois me promettre une chose : tout ce qui se passe à Tokanaba...
--- ... reste à Tokanaba, je présume.
--- Parfaitement.

Un éclair de malice éclaira le regard du kumojin. Quelque chose de malveillant émanait de lui : c'était un manipulateur.

Le pacte étant négocié, Nobusuke accepta de suivre le kumojin basané aux tâches de soleil sur la peau. L'inconnu le guida jusqu'à un appartement assez sobre, situé à quelques pâtés de rues plus loin. Le temps d'entrer, l'adolescent sinistre identifia très globalement la structure, qu'il jugea solide mais somme toute assez rustique. Peu de confort, mais un maximum de sûreté. Surtout, les murs semblaient si épais qu'on pouvait crier à l'intérieur sans être entendu au dehors. Il songea que s'il devait torturer quelqu'un, cet appartement serait idéal, à condition que le voisinage ne soit pas enquiquinant.

Comme pour confirmer son idée, il posa la question à son guide.

--- Vous avez des voisins ?

Le basané lui jeta un regard incrédule, rempli de méfiance. Il avait un voisin, oui, mais il s'agissait d'un vadrouilleur et en l'occurrence, il n'était pas là.

--- Oui, au rez-de-chaussée. Mais il n'est pas là en ce moment. Pourquoi cette question ?
--- Simple curiosité.

Pour le coup, il s'agissait vraiment d'une question anodine mais l'autre kumojin le prit comme un affront. Si le garçon avait des doutes sur lui, cela risquait de compromettre leur collaboration et de le déstabiliser.

--- Écoute, Nobusuke. Nous devons nous faire confiance. Si d'aventure quelque chose ne te semble pas normal, ou bien si tu supposes que notre association n'est pas porteuse, alors je préfère que nous arrêtions les frais.
--- Il est trop tard. Je veux voir ce que vous devez me montrer.
--- Est-ce un contrôle ?
--- Non. Je suis simplement curieux. Je ne viens pas ici pour vous contrôler. Tout ce qui m'intéresse, c'est la réussite de ma mission.
--- Très bien. Alors vas-y, entre. Tu comprendras pourquoi tu dois me faire confiance.

Nobusuke entra. L'appartement était relativement sombre car peu de rayons pouvaient filtrer à travers la fenêtre ; en dehors du fait que le logement était mal exposé. Le kumojin referma la porte dans un bruit de cliquetis, avant de lever la voix.

--- Sakina !

Aussitôt, une gamine montra le bout de son museau. Elle était brune avec un teint blafard, avait probablement moins de 10 ans, et était habillée d'une tunique simple, attachée par des rubans au niveau de la ceinture. Le kumojin s'avança jusqu'à Nobusuke, et posa une main sur son épaule.

--- Lorsque je suis arrivé au village, je suis tombé sur cette fille. Elle était assise dans la rue, avec de vieilles guenilles en guise de vêtements, et elle demandait de la nourriture aux passants. Je l'ai prise en pitié et recueillie. Je n'ai jamais supporté de voir de si jeunes enfants souffrir autant, si bien que, en dépit des règles qui m'interdisent normalement de faire preuve de trop d'empathie et de garder un recul sur la situation, j'ai décidé de la ramener ici. Sakina est comme ma fille.
--- Quel est le lien avec ma mission ?
--- Sakina a longtemps vécu dans la rue, si bien qu'elle a vu certaines choses. Peux-tu expliquer au monsieur ce que tu as vu, ma belle ?

La gamine plutôt timide approcha. Son air candide la rendait mignonne comme un chaton lové contre le ventre de sa mère. Sa petite voix s'éleva dans la pièce.

--- Le soir, quand tombe la nuit, des personnes étranges se réunissent et observent le village. Ils sont très inquiétants. Ils sont à peu près cinq mais il est difficile de les suivre, car ils glissent dans la nuit. Presque personne ne les voit.
--- Ils glissent dans la nuit... Intéressant. Tu m'apportes de précieuses informations, mademoiselle. Cela dit, je me pose une question. J'espère que tu ne vois pas d'inconvénients à ce que je réfléchisse. S'il s'avère que personne ne peut les voir, comment as-tu fait ?
--- Moi, c'est différent. Ils m'aiment bien. A chaque fois, ils me faisaient coucou.
--- Ils te faisaient coucou ?
--- Oui. Ils étaient très gentils avec moi. Puis ils disparaissaient.
--- Et pour quelle raison faisaient-il cela, d'après toi ?
--- Parce que ça les amuse. Une fois, ils m'ont parlé. Ils m'ont dit que j'étais une petite souris. Que l'avantage d'être une petite souris, c'est qu'on peut tout voir.
--- Et donc, tout anticiper. Est-ce qu'ils t'ont touché ?
--- Non, jamais.
--- Je vois....

Quels étaient donc ces étranges personnages et quel rôle tenait la gamine là-dedans ? L'adonis ne le savait guère mais il se sentait sur le bon chemin.

Au gré de ses récentes pérégrinations, l'éphèbe obscur aux yeux de clebs était passé maître dans l'art du maquillage. Son visage androgyne en l'occurrence se prêtait à merveille à ce jeu d'apparence, si bien que, en dehors des quolibets railleurs dont il était le récipiendaire, il était considéré tel une pépite lorsqu il s'agissait de s'en prendre aux malfrats, car il suffisait de le travestir ; c'est du moins ce qu'avaient compris Saigo et Shisei, deux camarades kumojin avec lesquels ce mystérieux adolescent avait décimé les berserkers.

Mais cette mission-là était encore plus risquée que la précédente, compte tenu du fait qu'il ne pouvait compter sur personne d'autre que lui pour affronter les malfrats, et que ces derniers étaient visiblement capable de neutraliser une équipe officielle. A bien des égards, il lui fallait faire preuve de ruse et de retenue s'il avait l'espoir d'en sortir vivant.

Pénétré de cette réalité, il troqua ses vêtements ninjas contre des guenilles telles que Sakina pouvait en porter. Avec l'aide des deux hôtes qui avaient accepté de lui prêter main forte, il barbouilla son faciès de cendre et de terre, se fit un shampoing de crasse, et ôta tous les fils de suture visibles sur sa peau, manifestation notoire de son sado-masochisme. Il était, dès lors, difficile de pouvoir identifier son genre. Le kumojin aux tâches de soleil, contemplant l'oeuvre aux côtés de sa petite orpheline, se permit certaines remarques.

--- Tu es absolument crade, c'est formidable !
--- Te voilà devenue une petite souris, Nobusuke !

Ces manifestations de jugements artistiques ne l'atteignirent pas au demeurant, puisqu'il était tout absorbé par l'idée de pouvoir passer à l'action. Le soir arrivant, il mangea en compagnie de ses deux hôtes de manière copieuse et tapissa son estomac de plusieurs litres de soupe. Il laissa ensuite sa faux entre les bonnes mains du compatriote basané avant de sortir dans la rue et de marcher quelques minutes. Observant un coin discret, il s'y logeât sur son séant, prenant un air misérable, et mettant autour de lui un drap abîmé mais très chaud. Puis il attendit, comme un pêcheur au bord de l'étang, que ça prenne.

Les heures passèrent. Malheureusement, il avait un air si lugubre qu'on lui accordait plus de méfiance que de pitié. Alors, on passait à côté de lui, et on ne lui donnait rien, sinon quelques accusations gratuites, du genre "va travailler". Pour le reste, il n'eut que quelques pièces et rien d'autre. Pas de méchant à se mettre sous la dent.

Le lendemain, le soleil se leva et, se sentant terriblement seul, l'éphèbe décida de se rendre à l'appartement du deuxième kumojin. Mais ce dernier n'était pas là. Il tenta plusieurs fois de toquer, sachant pertinemment que Sakina était derrière. Il lança un appel à travers la porte, s'efforçant d'être le plus discret possible, sans alerter les curieux.

--- Sakina. C'est Nobusuke.

Soudain, la porte s'ouvrit.

Sakina apparût, le visage humecté de larmes. Son petit air mignon était grossièrement avalé par un monstre de chagrin et de solitude. Si d'aventure le ninja s'était senti seul au dehors, que dire de l'orpheline ?

--- Que t'arrive-t-il, jeune fille ?
--- Il est parti... Ils ont reçu une alerte aux portes du village. On soupçonne le groupe que tu recherches.
--- Ainsi donc, ils ont décidé de passer à l'action. Je vois. Sais-tu me dire si ton père adoptif a laissé quelque chose ?
--- Ta faux est derrière, dans sa chambre. Il est parti avec précipitation... Nobusuke, j'ai peur pour lui. Que va-t-il lui arriver ?
--- Garde-la faux avec toi, pour le moment. Elle te servira à te défendre. Et ne t'inquiète pas pour lui. C'est un ninja. Les ninjas savent se battre. Je vais le rejoindre, reste ici et n'ouvre que si c'est nous.

Sans attendre davantage, l'éphèbe ténébreux se mit en route vers l'entrée du village, sautant de toits en toits dans un rythme effréné pour faire au plus vite.

Nobusuke était tout en sueur quand il arriva à l'entrée du village. Il remarqua, tout le long de l'échelle du mirador, des tâches de sang ; et sur la plaine, des bouts de tissus et encore plus de sang. La place semblait visiblement avoir été le théâtre d'un âpre combat. Il remonta le museau et identifia une ombre recroquevillée sur elle-même derrière le muret du mirador. Cette dernière, en le voyant arriver, se précipita jusqu'à dépasser du muret protecteur. Nobusuke reconnût le garde du premier jour, celui qui précisément l'avait accueilli aux côtés du guerrier en armure rouge.

--- C'est vous le ninja de Kumogakure ! Ne tardez pas ! Mon chef est parti dans cette direction avec votre collègue !

Lança-t-il en pointant la forêt du doigt, dans une direction qui indiquait sans doute la suite des hostilités. Aussitôt, Nobusuke prit un appui à quatre membres avant de bondir vers son avenir.

--- Attendez !

Cria alors le garde. L'éphèbe s'arrêta derechef et tourna la tête pour savoir à quoi rimait cet excès, sans dire le moindre mot.

--- Votre ami a dit qu'il connaissait une des planques de vos adversaires. Mais il a aussi précisé qu'il y en avait beaucoup d'autres ! Faîtes attention à vous !

C'était une information cruciale pour l'adonis qui, cette fois, au lieu de se jeter droit devant, se figea pour réfléchir. Si l'adversaire avait en effet des planques et que ces dernières n'étaient pas toutes décelées, c'est qu'il s'agissait de caches. Probablement qu'elles étaient souterraines, commença à se dire Nobusuke. Si tel était le cas, cela signifiait que le groupe était réellement devenu le maitre de cette forêt. Il se souvint alors que le kumojin basané avait justement évoqué le fait qu'il avait trouvé quelque chose dans la forêt. Le rapprochement était facile, à présent. Mais pourquoi lui avoir montré la fille plutôt que la planque ?

Nobusuke ignorait que si le kumojin en question avait procédé de cette manière, c'était par certitude que le détraqué se serait jeté dans la gueule du loup en cherchant les planques, comme pour poursuivre l'adversaire. Sakina, pour avoir pu approcher de près les ennemis de Tokanaba, était la preuve qu'il existait une alternative. Affronter ces criminels dans le village était chose plus sûre que de les poursuivre dans la forêt : s'ils avaient pu décimer une escouade shinobi, c'était forcément qu'ils étaient passés seigneurs de ce territoire parfait pour se camoufler et tendre des embuscades. D'une certaine façon, le basané avait sans doute sauvé la vie de son compatriote ; mais l'adolescent, se demandant toujours pourquoi l'autre avait gardé cette information pour lui, ne parvenait pas à comprendre cette stratégie affective.

Plutôt que de courir, Nobusuke pénétra donc dans la forêt de manière plus prudente, plus feutrée, tout en essayant d'accélérer la cadence. C'était une étrange combinaison de vitesse et de discrétion qu'il n'avait pas pour habitude d'avoir, mais qui néanmoins était indispensable pour progresser avec plus de précautions. Il remarqua, après une centaine de mètres parcourus, un épais rondin de bois suspendu à deux cordes, qui se balançait sur place. Il était attaché au houppier d'un grand arbre ; en bas, proche des racines, un petit fil presque invisible à l'oeil nu semblait avoir été sectionné. Un piège. Le rondin se balançait à hauteur d'hommes : celui qui avait coupé ce fil l'avait fait soit pour supprimer son piège, soit il était tombé dedans. Dans tous les cas, il était parvenu à esquiver un rondin destiné à lui fracasser le crâne.

Il continua de progresser en étant encore plus vigilant. Ça et là, il remarqua de petits trous dans le sol au fond duquel un dard de fer était logé de façon verticale, comme pour crever le pied de celui ou celle qui marchait dedans. Il avait l'impression que tous les pièges venaient d'être désactivé. Cela le jetait dans une sorte de trouble. Il quitta le sol et monta dans les branches. Il sauta sur la première, puis la deuxième. Cependant, la troisième se rompît dès qu'il mit le pied dessus, et le fit chuter sur une dizaine de mètres. Il effectua plusieurs mundras aussi vite qu'il le pût, de sorte à amasser de la limaille sous son corps et à la faire léviter pour alléger son poids : mais cela n'empêcha pas la chute. Il s'éclata sur le sol avec fracas, ce qui lui déplaça quelques vertèbres et lui coupa net la respiration. La chute aurait pu être mortelle. Au lieu de ça, il eut l'impression de suffoquer quelques secondes, tout en se tordant de douleur. Quand il eut réussi à reprendre ses esprits, il toussa et reprît de grandes inspirations. Il avait mal.

Qu'est-ce que c'était bon.

Au lieu de se morfondre, un sourire se dessina sur ses lèvres. Il avait l'impression d'avoir été frappé par un gourdin et d'avoir eu plusieurs côtes brisées : c'était un plaisir dans son petit esprit de psychopathe sadomasochiste en puissance. Il regarda vers l'avant. Il avait hâte d'en découdre, mais il ne pouvait se permettre de se précipiter. Il mourrait d'impatience de faire payer cette tartufferie à ses ennemis. La limaille se répandît autour de lui comme un fantôme : le démon s'était éveillé.

--- Ma vengeance...

Cinquante mètre plus loin, alors qu'il continuait de progresser en esquivant les trous et les fils, voyant les rondins de bois en l'air, les branches fissurées, les flèches bandées sur des arcs de fortune clouée contre des troncs, et d'autres supercheries censées piéger l'ennemi, il entendît le bruit de choc des lames. Des rixes clinquantes de fer et d'acier. Des cris. Des chocs. Il songea qu'il n'était plus très loin...

--- Ma vengeance...

Répéta-t-il encore une fois, visiblement guidé par ses pulsions meurtrières.

La forêt était comme un monde onirique terrifiant maintenant que tous savaient qu'elle était piégée de toutes parts. Les deux hommes partis en précurseur, le shinobi basané ainsi que le chef en rouge, avaient à leurs dépends compris qu'ils auraient beau fouiller de fond en comble ce territoire si proche et qui semblait si étranger pourtant, ils ne parviendraient néanmoins jamais à trouver toutes les planques et tous les pièges de ces criminels des bois auxquels ils avaient décidé de faire la guerre. Le shinobi basané avait la chance de maîtriser quelques techniques liées à la foudre, et surtout d'appartenir au clan Nara : la forêt était un lieu de choix pour lui. Pourtant, il n'avait encore effectué aucune technique d'ombre, attendant que ses ennemis l'emmènent là se tenait le coeur du sujet : le camp principal. Consentant pour cela quelques sacrifices, il avait accepté l'idée de faire croire aux criminels qu'il était dépassé en force, ce qui n'était pas véritablement le cas, pour que ces derniers se sentent à l'aise et suggèrent qu'il ne représentait pas une véritable menace. Pour bien peaufiner ce scénario du dominé, le Nara avait même accusé quelques entailles et sacrifié son pied gauche dans l'un des trous à pointes. Il avait également reçu une flèche qui s'était fichée dans son bras droit, l'handicapant pour ses mundras et le forçant à rester sur une position plutôt défensive. Tandis qu'il combattant, une question taraudait son esprit : pourquoi le groupe avait-il décidé d'agir maintenant ?

Le chef en rouge, lui, était un rustre. Il balayait ses adversaires avec une longue hallebarde et avait déjà tué deux membres de cette dizaine de protagonistes en cavales qui les attiraient visiblement vers un endroit où le duo ne saurait avoir de renfort : toujours plus loin dans les terres de l'ennemi. Il eut comme un mauvais pressentiment. Il voulait ordonner au ninja de cesser la poursuite, mais ce dernier luttait si ardemment avec son électricité que l'interdire de poursuivre aurait été un affront. En face, un homme semblait lui aussi bénéficier de capacités spéciales, mais liées au vent. Il repoussait sans cesse les assauts du basané qui, de plus en plus loin, semblait repousser ses limites.

S'il mourrait, il comptait bien emmener plus d'un pèlerin avec lui.

--- RRRRUUUUUAAAAAAAAH !

Le cri résonna dans toute la forêt avec une intensité bestiale faisant fuir toutes les bêtes.


Et il n'échappa aux oreilles attentives de Nobusuke qui, continuant de courir après l'inconnu, progressait de plus en plus vers la position du clash, résolu à porter secours aux hommes de Tokanaba, et surtout à vider de leurs entrailles ces brigands des bois. Néanmoins, tout accaparé par l'idée de l'affrontement alors qu'il commençait à se sentir à portée de l'ennemi, il entendît une flèche siffler. Trop tard. Elle se planta dans son dos en lui arrachant un hoquet de surprise et de douleur. Il se retourna. L'homme se tenait en hauteur, sur une branche plus sûre que celles qui avaient été sciées. Une deuxième flèche était déjà bandée à son arc, prête à être décochée contre ce fantôme enveloppé de particules de fer qui n'augurait rien de bon pour l'organisation criminelle.

La flèche partît tout droit en direction de l'éphèbe au manteau de ténèbres qui esquiva en bondissant sur le côté. Tout de go, il effectua quelques mundras et quelques particules se condensèrent entre elles pour former des hastes de fer qu'il expédia en direction de l'archer, qui lui même continuait de décocher ses flèches, quand bien même le kumojin s'était mis en mouvement lui aussi. L'une d'entre elles perça la cuisse de Nobusuke. Les hastes de fer se fichèrent dans les troncs d'arbres au fur et à mesure qu'elles étaient lancées, retraçant le parcours de l'archer qui volait de branches en branches pour esquiver les techniques Satetsu. Voyant qu'il esquivait trop bien et que lui-même était en désavantage, Nobusuke tenta d'anticiper les mouvements de son adversaire. C'était inutile. Il reçût une autre flèche, dans la même cuisse, ce qui le ralentissait considérablement et le rendait encore plus vulnérable. Il avait mal démarré. Comme pour se reprendre, il roula sur le côté et tira une salve de couteaux à titre dissuasif tandis que d'autres flèches secouaient le sol. Une nouvelle fois esquivés, ses couteaux partirent dans les airs. C'est alors que l'un d'eux, commandé par les mains de l'éphèbe, fit demi-tour et se logea dans le mollet de l'archer.

--- Rrrraaaah !
--- Crève, imbécile.

Des centaines de billes de fer se condensèrent devant le ninja et furent projetés sur l'adversaire. L'archer tenta de bondir, mais son saut fut trop court à cause de son mollet déchiré. Les billes lui défoncèrent le torse. Il chuta et se fracassa sur le sol. Nobusuke le laissa pour mort en continuant de poursuivre dans la direction où se tenait encore le clash contre les bandits. Le son s'était un peu éloigné, et lui avait une jambe blessée, ce qui le ralentissait. Il tenta de faire au mieux.

Quand il arriva au milieu du pugilat, il avait un filet de sang qui lui coulait tout le long de la cuisse et le visage tout en sueur. Il tenait dans chacune de ses mains un couteau, et la limaille de fer continuait de danser autour de lui. Il jeta un regard rapide pour faire un état des lieux de la situation. Une dizaine d'hommes tenaient tête au kumojin basané (qu'il ne savait pas être un Nara), ainsi qu'au chef de la garde, tout de rouge luisant à cause de son armure mais aussi du sang qui inondait ses muscles (à la fois le sien, mais aussi celui de ses adversaires). Trois cadavres éparpillés gisaient sur le sol mais visiblement, les bandits avaient encore l'avantage : numériquement, ils étaient supérieurs, et leur moral irradiait la scène. A l'inverse, celui du chef de la garde et de l'autre kumojin semblait au fond des chaussettes.

--- Attention !

Une lame d'air passa juste devant l'éphèbe au manteau de fer et lui coupa une mèche, avant de venir déchirer l'écorce d'un arbre. Le responsable de cette attaque surprise était le ninja adverse, le seul dans l'escouade ennemie. Heureusement, l'alerte donnée par le basané avait provoqué un déclic chez l'adolescent qui, sans réfléchir, avait effectué un mouvement de retrait de son buste, ce qui lui avait sans doute sauvé la vie. Nobusuke remarqua alors les blessures des deux autres. Ils semblaient mal en point, bien plus que lui-même. L'ennemi semblait fort, mais il continuait de battre en retraite. Sans doute pour profiter de ses pièges.

Un coup de hallebarde repoussa deux attaquants qui comptaient s'en prendre au Satetsu, en garde, qui affichait désormais ses deux couteaux avec la conviction de se battre. Le chef de la garde, après avoir balayé ces deux adversaires de façon temporaire, se présenta en écran. Sans se retourner vers Nobusuke, il lui murmura quelques mots.

--- Ne les tue pas. Nous devons les repousser jusqu'à atteindre leur camps.
--- Bien reçu.

Quelqu'un de plus futé et espiègle aurait fait mention des trois cadavres gisant par terre, mais ce n'était pas le cas du Satetsu. Il était trop docile pour vouloir discuter les ordres, et en tant que genin, il était mal avisé de sa part de croire qu'il avait prétention à faire ses propres choix, à moins que les circonstances ne l'y contraignent. Il envoya ses couteaux sans intention de toucher, mais avec suffisamment de précision pour que cela représente une menace.

--- Un deuxième ninja ! Retraite !
--- Mais chef !
--- Retraite !

Les ordres étaient donnés par le shinobi, mais visiblement l'un des hommes semblait vouloir exprimer quelques incertitudes quant à cette décision. Etait-ce parce que le trio s'approchait du camps principal ? Le Nara se fit la réflexion que c'était bon signe. Il y avait une faille quelque part. Tout en continuant de faire danser son électricité, il cogitait. L'étrange apparition du Satetsu était bon signe. Cela leur donnait un pouvoir de pression supplémentaire, et créait donc plus de doutes chez l'adversaire. La faute ne tarderait sans doute pas être à commise. Il esquiva une lance qui pointait sa tête, puis pivotant sur lui-même, il asséna un coup de pied tournant à son adversaire pour le faire reculer. Deux flèches arrivèrent sur lui. Utilisant son affinité naturelle, il boosta ses capacités physiques pour esquiver et foncer vers l'adversaire. Il dégaina un tantô et asséna une frappe verticale sur un des hommes au sol, qui para avec son katana. Une lame d'air courut jusqu'à lui, qu'il esquiva à nouveau en boostant ses déplacements. Sa blessure l'obligeait à consommer encore plus de chakra. Il ne pouvait plus s'amuser à ça longtemps.

Soudain, le shinobi adverse effectua une série de mundras et déclencha une puissante bourrasque. L'un des brigands fut propulsé dans le dos, comme s'il était sacrifié. Le trio fut ralenti, tandis que les autres bandits continuaient de battre en retraite. S'accrochant à ce qu'il pouvait, Nobusuke parvint à se retenir à un arbre. Le Nara, lui, s'adossa contre un autre arbre. Le chef de la garde, contrairement à ses partenaires, resta sur place. Plantant sa hallebarde dans le sol, il ne recula pas malgré la puissance de la bourrasque. C'était une véritable brute.

--- Cette fois-ci, ils battent vraiment en retraite. Nous ne devons pas les laisser fuir !

Il planta son hallebarde encore un peu plus loin devant lui et avança malgré la tempête. Derrière le shinobi adverse, le groupe de bandits fuyait à grandes enjambées, à l'exception d'un archer qui ciblait le chef de la garde.

--- Non !

Trop tard. Le projectile partît tout droit en direction de l'homme en armure rouge, et se ficha dans sa poitrine. Il s'affaissa, avant d'être balayé par la force de la bourrasque bien loin derrière, le mettant définitivement hors jeu.

--- Nobusuke ! Accroche-toi !

Il n'avait plus le choix : le Nara révéla son art. A dos contre l'arbre qui l'empêchait d'être éjecté de la zone, il effectua les mundras pour faire partir son ombre qui courût presque instantanément vers le shinobi adverse. L'ombre des arbres semblait parfaite pour faciliter la technique, qui arriva à son but en immobilisant la cible. La bourrasque cessa. Nobusuke, aussitôt, fit une série de mundras et expédia une haste de fer contre l'archer qui ciblait déjà le Nara. La haste traversa le bandit et le fit tomber de l'arbre dans lequel il était perché. Il était mort. Une autre haste de fer naquit près de l'éphèbe au manteau de ténèbres, et se précipita vers le shinobi adverse, encore immobilisé par le Nara ; mais, au dernier moment, ce dernier sortît de la prise en la brisant et dévia le projectile avec un sabre un peu plus long que les sabres normaux. En crachant de l'air par la bouche, il se propulsa vers l'arrière, facilitant sa retraite.

Les deux kumojins échangèrent un bref regard comme pour se mettre d'accord. Nobusuke partît vers la droite, et le Nara vers la gauche. Tous deux étaient blessés, mais fermement résolus à découvrir le camp principal. Se séparer n'était sans doute pas la meilleure des idées : c'est pourquoi cette idée était bonne. En continuant de progresser, Nobusuke remarqua d'autres pièges tout en continuant de surveiller la retraite des bandits, ainsi que les mouvements du shinobi adverse. Il était plus redoutable qu'il n'en avait l'air. Il fallait trouver une solution pour le mettre hors d'état de nuire. Une solution que le Nara avait intérêt à trouver rapidement, car voyant les deux kumojins se séparer, l'utilisateur du Fuuton jeta son dévolu sur lui. Depuis le début, le stratège était une véritable épine dans le pied : l'évincer était la meilleure solution pour venir à bout des poursuivants, déjà trop proches de leur camps.

Tous les animaux avaient fui. Les arbres résonnaient au rythme du clash. La forêt toute entière semblait se tordre de douleur en subissant les affres d'un affrontement incisé dans son coeur malgré elle, en dépit d'une quiétude qu'elle prônait en silence. Des cris d'oiseaux. Des branches cassés et des écorces brisées. Du côté du Nara, la bataille faisait rage : le pied troué et le bras percé par une flèche, ce qui n'était rien d'autre que deux blessures un peu plus profondes que toutes les autres au regard de tout ce qu'il avait essuyé, le kumojin basané continuait de repousser avec ardeur les assauts intempestifs du shinobi venteux et de ses combattants. De l'autre côté, avec moins de fracas, Nobusuke envoyait des piques de fer en tenant à distance les bandits en retraite. Sa seule présence forçait le shinobi ennemi à se tenir sur ses gardes : s'il s'exposait trop, le coup décisif lui serait porté dans le dos. Il lui fallait, pour éviter cette sentence, agir avec parcimonie. Il avait bien mesuré que l'éphèbe appréciait attaquer à distance. Cela en faisait un ennemi redoutable : le coup pouvait partir de n'importe où, et arriver n'importe quand. Il en déduisit que le duo était plus espiègle qu'il ne l'avait envisagé. Ils avaient deviné qu'il se concentrerait sur le Nara qui semblait être le leader du trio de poursuivants. Mettre l'attaquant à distance dans son angle mort était finement pensé. L'inverse aurait été stupide.

S'il n'avait pas eu ce profil de combattant à distance en tant qu'associé, le Nara ne se serait jamais permis une telle stratégie. Avec Nobusuke, il pouvait envisager ce qu'il n'aurait jamais pu espérer avec le chef de la garde. Mais une stratégie ne suffisait pas. Il fallait qu'elle aboutisse à quelque chose pour être parfaite. Il esquiva une nouvelle lame d'air. Tout se joua sur une seconde. Il lança son ombre. En même temps, deux adversaires fondirent sur lui pour protéger le shinobi venteux. Il rappela son ombre, et s'écarta. Sa volonté était de faire reculer le shinobi adverse. Encore plus. Cela le rapprochait de Nobusuke. Les piques de fer de ce dernier frôlèrent l'homme. Il avait spontanément lancé ces projectiles en voyant la manoeuvre. Le shinobi venteux, ayant senti le coup arriver, comprît qu'il ne serait pas aisé d'officier dans ces conditions.

--- Halte !

Le groupe de bandit s'arrêta sur place.

--- Nous n'aurons pas la paix tant qu'ils continueront de vivre. Vous trois, concentrez vos tirs sur le gamin !

Fit-il en désignant trois archers, qui s'orientèrent alors en direction de l'éphèbe Satetsu, restant dans les hauteurs pour profiter de la protection naturelle des arbres.

--- Toi, descend l'affronter.

Il désigna un homme plutôt fin muni de deux hachettes qui s'exécuta en se laissant tomber de sa branche et courut en direction de Nobusuke.

--- Les autres, on se concentre sur le premier !

Dard-dard, les concernés bifurquèrent pour assiéger la position du Nara, qui dût reculer encore davantage pour éviter d'être décapité, mesurant le risque de perdre tout contact avec Nobusuke. Le shinobi venteux, comprenant cet avantage, créa une nouvelle bourrasque, plus légère cette fois, pour accélérer le déplacement de ses bandits. Ils arrivèrent bientôt à distance d'épée du Nara qui n'eut d'autre choix que de les immobiliser en utilisant le kageman. C'est le moment dont profita le shinobi adverse pour lancer une nouvelle lame d'air qui, pour une fois, atteignît son but en lacérant le torse du kumojin basané, trop occupé à vouloir élaborer un nouveau plan d'attaque, en ayant été déconcentré par ses nouveaux opposants.

--- Aaaarg...

De l'autre côté, Nobusuke respectait la consigne qui lui était donné. Il affrontait le bandit aux deux hachettes tout en s'efforçant de riposter sur la position des archers afin d'éviter les flèches décochées. Sa limaille dansait autour de lui et se rigidifiait tantôt pour bloquer un coup, tantôt pour attaquer. Ses mouvements étaient difficiles à cause de sa jambe sanguinolente. Il finît par former un boulet de canon qu'il expédia droit contre l'adversaire au sol, qui reçut le projectile en pleine poitrine avant d'être propulsé plusieurs mètres en arrière, en montrant quelques signes de fatigue et de douleur. Malheureusement, l'éphèbe n'avait pas le choix. Il devait se débarrasser de lui. Lorsqu'il vit que le Nara avait été touché par la lame d'air du shinobi venteux, il comprît qu'ils étaient tous deux dans un moment critique. A lui seul, il ne pouvait contenir tout ce groupe.

Mais l'ennemi l'avait compris aussi. L'homme aux deux hachettes se mit en garde de façon hermétique. Sa mission était de tenir tout en continuant de harceler le psychopathe. Il fonça droit en criant. Nobusuke, voyant l'offensive, effectua quelques mundras avant de cracher une gerbe de feu qui enflamma le sol devant lui. C'était parfait pour empêcher le combattant de le rejoindre au corps-à-corps. Mais trop occupé à éloigner cet olibrius, il ne put esquiver une nouvelle flèche qui se plante dans son autre jambe.

Une nouvelle lame d'air déchira le torse du Nara qui s'écroula sur un genou, obligeant les otages de son ombre à faire de même. Du sang se mit à couler de sa bouche et de ses narines. Il arrivait à bout de force. Plus haut, le shinobi venteux arma une nouvelle lame d'air, quand soudain...

--- RRRRRUUUUUUAAAAAAAAH !

Le vaillant guerrier en armure rouge refit surface comme s'il surgissait des enfers. La flèche qui s'était fichée dans sa poitrine avait été brisée de ses mains. Visiblement, la pointe ne s'était pas suffisamment enfoncé dans son épiderme pour toucher l'organe des sentiments. Son corps écarlate se présenta comme une masse herculéenne faisant irruption dans le chaos. Tel un fauve, il attrapa le kumojin basané et le tira sur plusieurs mètres pour lui éviter d'être tranché par une nouvelle lame d'air. Le Nara, ne pouvant résister à une telle hardiesse, dût renoncer à sa technique d'emprise des ombres en relâchant ses otages. Le chef de la garde, faisant danser sa lourde hallebarde, se mit en position de garde, défiant du regard le shinobi adverse responsable de tout ce manège.

De l'autre côté, Nobusuke peinait à rester debout. Derrière le parterre enflammé qui le séparait de la menace au sol, le guerrier aux deux hachettes se tenait prêt à bondir. Il avait bien vu cette flèche qui s'était logée dans la jambe de l'éphèbe. Désormais, ce dernier ne pourrait plus fuir. Braver les flammes ne lui était pas interdit, et il consentait volontiers à risquer quelques brûlures s'il pouvait soulever la tête du gamin au-dessus de lui une fois qu'il l'aurait décapité. Plus haut, camouflé dans le houppier d'un vieux chêne, l'archer encochait une nouvelle flèche.

Une nouvelle lame d'air lancée par le shinobi venteux offrit l'opportunité à tout le monde de réagir. Le chef de la garde fit voler le Nara sur le côté et sauta pour esquiver l'attaque. Aussitôt, les bandits assiégèrent ce dernier, mis à part l'un d'eux qui préféra se concentrer sur le shinobi blessé. Le chef de la garde fit dévier une première lame, puis une seconde. D'un seul mouvement qui semblait être celui d'un titan, il repoussa trois adversaires. Un autre bandit vint sur le côté. Il fit courir sa hallebarde pour faire une coupe latérale, déchirant le ventre de l'effronté qui croyait le prendre par surprise. Il jeta un oeil en direction du Nara.

Il était trop tard. Le kumojin gisait par terre, deux épées en croix dans son torse. Sans un mot, il avait expiré la dernière gerbe de son âme en tentant d'affronter son opposant au corps à corps. Le temps qu'il se figure le sort de son camarade d'arme, il ne vit pas une dernière lame d'air qui vint déchirer ce qu'il restait de la flèche plantée dans son coeur, en même temps qu'elle ouvrit son armure en deux.

--- On y va.

Déclara leur adversaire. De l'autre côté de cette scène tragique, l'homme aux deux hachettes recula en effectuant plusieurs flip-flap. Nobusuke lui envoya derechef des piques noires de fer, mais l'homme esquiva. Une nouvelle flèche se planta dans sa jambe déjà endolorie. Il observa la retraite des bandits sans pouvoir les poursuivre.

--- Bande de... lâches...

Abandonné à son sort, l'éphèbe réalisa au bout de quelques instants qu'il ne restait plus que lui. Il avança pour retrouver ses compagnons. Il trouva le Nara baignant dans son propre sang. L'homme était parti les yeux ouverts. Pour le laisser dormir, Nobusuke ferma les paupières du brave avec ses doigts, lentement, comme pour ne pas le réveiller. C'était triste pour un si grand homme. Cependant, l'éphèbe à la psychologie plutôt particulière n'émît pas le moindre signe de chagrin. La mort était une chose tout à fait naturelle selon lui et tout comme la douleur, cela n'engendrait dans son esprit nul once de sentiments. Il se dirigea ensuite vers le chef de la garde en armure rouge. Il respirait encore. La longue entaille ouvrait son armure en deux et aboutissait sur de la chair déchirée, à vif.

Il traîna sa jambe jusqu'au dehors de la forêt, durant plusieurs heures...

* * *

Le chef de la garde se réveilla presque dix heures après avoir été tranché. A côté de son lit de malade se tenait un de ses hommes, alerte, qui semblait surveiller son état. Le regard paternaliste du convalescent se posa sur le guetteur qui se leva comme pour lui présenter ses respects.

--- Chef...

Un long soupir fut évacué pour l'opulent poitrail du blessé à la chevelure de feu.

--- Je présume que nous avons perdu leur trace. Quel est le bilan ?

Le garde sembla hésiter un instant. Il n'était pas à l'aise avec ce qu'il devait révéler.

--- Nous avons retrouvé les corps des bandits qui vous ont attaqué. L'un d'eux à survécu, et nous pourrons sans doute l'interroger pour en apprendre plus. Il est actuellement hospitalisé sous étroite surveillance. Malheureusement...

Le chef de la garde ferma les yeux avec une sérénité qui en disait long sur sa pensée. Il avait compris ce que son subordonné allait lui dire.

--- Le shinobi du clan Nara n'a pas survécu. Seul vous et le jeune Satetsu êtes encore en vie.

Une larme coula des paupières fermées de l'écarlate.

--- De plus, trois de nos hommes sont tombés dans des pièges au milieu de la forêt.

Son épaisse main vint sécher le sanglot qui s'était échappé de lui. Il se redressa en ignorant la douleur qui lui tordait le ventre pour s'asseoir et avoir une posture plus digne d'un chef.

--- Faîtes venir le Satetsu. Je veux tout savoir. Et préparez les obsèques de nos hommes ainsi que du kumojin qui s'est sacrifié pour nous.

* * *

Un peu plus loin et dans le même temps, Nobusuke se retrouvait face à Sakina. La gamine s'était effondrée en apprenant la nouvelle. L'éphèbe la regarda avec une sorte de nonchalance naturelle en même temps qu'il cousait ses propres plaies, après les avoir désinfecté à l'alcool. L'ambiance était glauque. En même temps qu'il savourait le délice d'une douleur toujours vive en suturant son corps, il observait avec un plaisir inavoué la détresse de la gamine. Comment pouvait-il tant se réjouir de la souffrance des autres ?