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Depuis trente-minutes déjà les deux amis s’échauffaient dans l’enceinte du modeste dojo Kaguya, en plein centre du domaine éponyme. Sesshū éprouvait une confiance aveugle pour l’esthète ; il lui avait donc très tôt accordé un sauf-conduit jusqu’à sa demeure. Et par la force des choses, certains enfants de l’os commençaient même à considérer la shinobi à la longue écharpe comme l'une de leurs sœurs. D’autant que ses formes généreuses, mises en valeur par les bandages trempés de sueur qui épousaient idéalement son corps charnu, avaient le don de capturer les regards des hommes.

— Tu es en forme, Isami. Continue ainsi et ton retard sera bientôt rattrapé.

Un retard relatif, vis-à-vis des maîtres du Shikotsumyaku s’exerçant à leur art occulte depuis leur plus jeune âge. À ce niveau-là, la femme avait encore une longue route à emprunter – mais à cœur vaillant, rien n’était impossible.

— Aujourd’hui, et ce jusqu’à l’acquisition de cette leçon, nous nous focaliserons sur une technique cruciale de l’éventail shinobi : le dédoublement. Le potentiel martial pèse sur la balance ; mais la supériorité numérique peut très vite renverser la donne.

D’une série rapide de mudras, Sesshū voulut illustrer son introduction d’un exemple concret. Trois copies conformes de lui apparurent ainsi à ses côtés, prêtes à l’action.


— Bien qu’ils soient fragiles, leur nombre ouvre les portes à un royaume de nouvelles possibilités. Voyons comment tu te débrouilles face à eux.

Le Kaguya originel s’écarta de l’arène. Tandis que deux clones foncèrent sur la jeune femme pour la prendre en étau, un troisième s’enfonça dans le sol, alors invisible à l’œil nu, seules des ondulations discrètes trahissant son déplacement souterrain.

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Le plan de l’augure avait porté ses fruits. Menacée par l’étau des deux clones d’ombre de Sesshū, la shinobi n’eut d’autre choix que de les pourfendre d’un déploiement de son écharpe – baissant alors sa garde face à la pièce maîtresse du Kaguya.

À la manière d’un cadavre réanimé, une main s’extirpa du sol pour attraper la cheville de sa cible. Tandis que l’instinct d’Isami l’obligea à baisser les yeux vers cette nouvelle sangsue, Sesshū, quant à lui, effaça soudain la distance le séparant de son élève d’un revers de jambes. Alors il posa un dernier appui solide au sol. Leva son poing droit. L’insuffla d’une quantité phénoménale de chakra Doton. Et asséna enfin une frappe incommensurable à deux doigt du visage de la femme immobilisée.


La puissance du coup écrasa une masse d’air conséquente contre le mur.

— Et voici pour la démonstration.

L’augure composa un mudra ; son clone d’ombre disparut dans une légère fumée.

— Nous verrons plus tard comment combiner cette technique avec ton don inné, ou ton affinité élémentaire. Pour l’instant, il te faudra maîtriser les bases. Comme toute technique requérant de malaxer son chakra, celle-ci est liée à une variante du signe de la Chèvre. À défaut de joindre tes deux mains, tu vas les placer perpendiculairement, de manière à faire une croix.

Sesshū montra l’exemple. Après une série de mudras pour faciliter la transformation de son chakra, il conclut sur le fameux signe ; un unique double apparut à ses côtés.

— Première étape : ériger un double fidèle de toi. Tu lui demanderas quelle est sa couleur préférée, et il devra te répondre. Pour se faire, fractionne une partie de ton chakra, et matérialise-la sous une forme tangible, cohérente. Ça prendra ton apparence.

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La maîtrise du multi-clonage représentait un cap dans la vie d’un shinobi apprenti. Il y avait deux mondes : celui sans, et celui avec ; et passer de l’un à l’autre empêchait toute esprit sain de rebrousser chemin. Et pour cause, les doubles apportaient l’expérience gagnée au fil de leur existence à la version originelle. Fini les trop nombreux entraînements hebdomadaires ; il était possible de diviser par quatre leur durée.

Tandis que la femme s’exerçait à la création de son premier clone crédible, Sesshū échangeait d’innocentes passes d’armes avec le sien. De frappes en parades, d’assauts élémentaires en esquives, les deux alter ego dansaient dans un coin de l’arène pour ne pas refroidir les muscles de l’authentique Kaguya. De temps en temps, il jetait un coup d’œil à sa consœur ; mais sa curiosité s’affamait très vite face à cette incessante et stérile succession de mudras. Et puis, après vingt minutes de répétitions, il vit double.

— Félicitations, Isami. Ton clone d’ombre est plus vrai que nature. Voyons maintenant s’il peut se mouvoir sans gêne. Le respect de l’apparence est une dimension cruciale ; mais à quoi bon se contenter d’un leurre lorsqu’on peut lui offrir le don du combat ?

Le Kaguya posa une main entre les omoplates de son double, l’invitant à rejoindre le cercle. La deuxième étape s’enchaînait sans transition : éprouver les capacités martiales du doppelgänger.

— Ton clone est certainement incapable de se défendre. À chaque fois qu’il sera détruit, tu le feras réapparaître. Si ce double inoffensif est une grossière boule de chakra, il te faut lui dessiner deux bras et deux jambes. Alimente son corps en entier pour lui donner vie.

Le clone d'ombre de l'augure se mit en position de combat. Habillant son poing d'une couche osseuse crantée, il l'envoya aussitôt dans la gueule de son adversaire éthéré.

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Isami avait toujours été une bonne élève. Ce jour-là encore, cela se confirmait.

Lorsqu'un énième clone avança in extremis ses bras pour contrer l’assaut du faux Sesshū, la jeune femme réussit le défi haut la main ; mais elle s’aventura toutefois vers la difficulté supérieure en ripostant d’un coup de pied chargé en chakra neutre. Dommage pour Isami, le double Kaguya disposait de la même expérience martiale que l’originel, et érigea donc de multiples os acérés sur tout son corps afin de stopper le coup.


Puis il tourna sur lui-même. Et mutila son adversaire balbutiant.


— Finalement, tu n’auras eu besoin que d’une journée pour assimiler cette arcane. Nous allons creuser davantage le sujet – mais d’abord, reposons-nous.

D’un mudra modifié de la Chèvre à une main, le jumeau de l’augure disparut en fumée.

Sesshu se rapprocha d’un autel à disposition, où il avait disposé une bouilloire encore chaud – un spectre parfumé s’échappant de son bec. Il le saisit alors par le col, et vint verser son contenu dans deux tasses de thé. Les narines d’Isami put reconnaître des saveurs familières, souvent utilisées par son maître de circonstance.

Il y avait là une concoction de chanvre, de miel et d’ortie.

— Cela t’aidera à récupérer. Ensuite, je te confierai le programme de tes prochains jours. Tu me trouveras certainement au Grand Dojo, si tu as le moindre problème. Mais tu ne devrais en rencontrer aucun, vu tes prouesses. Sois constante, et tu avanceras.

L’augure s’assit en tailleur, droit, solennel ; et porta finalement ses lèvres au breuvage. Le Kaguya clôt ses paupières. Se laissa enivrer par le tourbillon de saveurs. Et emboîta le pas aux vertus celées de ces herbes aromatiques, pourtant inoffensives d’apparence.

Après que le pic d’hormones laissa place à l’accalmie, Sesshū rapporta sa conscience à son apprentie, sans toutefois rouvrir les yeux. Il prit une grande inspiration, et continua :

— Il te faut persévérer pour créer deux doubles simultanément. La méthode n’a plus de secret pour toi ; maîtrise ton être intérieur pour arracher un second fragment à ta réserve de chakra. D’abord sans bras ni jambes. Puis tu pourras les alimenter. Reviens me voir lorsque tes doubles pourront s’affronter – et disposer de tout ton panel de techniques.

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Après avoir accepté sa tassé de thé, la jeune femme exigea des précisions quant à la suite de son parcours. Créer deux clones simultanément demeurait dans son champ de possibilité. Créer deux clones simultanément qui devaient se battre à armes réelles, en revanche, soulevait déjà plus de problèmes.

— Souviens-toi de comment faire apparaître un double de toi : tu fragmentes ta réserve de chakra et lui donne quasi forme humaine. Ainsi, si un clone s’exerce au clonage, il devra lui-même fragmenter sa propre réserve de chakra. Le résultat en serait dérisoire.

Sesshū reprit une gorgée de sa concoction – les yeux ouverts cette fois. Il reposa alors sa tasse devant lui, posa ses mains sur ses cuisses, et s’adressa à son élève.

— Il existe toutefois une technique, plus avancée, te permettant de scinder tes énergies physique et spirituelle en deux afin de disposer d’un clone solide, authentique, prêt à encaisser les coups à ta place – ou créer des doubles de lui-même. Mais nous n’en sommes pas encore là. Contente-toi de manipuler de faibles quantités de chakra.

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Sesshū n’insista pas face au zèle de son amie. Isami avait décidé de nettoyer le dojo Kaguya, alors celui-ci allait être nettoyé au moment où elle passerait le seuil de la porte. Depuis les lunes, le même rituel composait les fins d’entraînement de la jeune femme. Au début, l’augure s’interdit d’abandonner son élève derrière lui, à ranger des affaires qu’elle ne possédait même pas. Et puis, il comprit. Ce fut un moyen de rendre la pareille ; de remercier ses hôtes ; se montrer son dévouement aux Kaguya comme elle l’avait fait aux Kirijins en rejoignant les couleurs de son armée.

— J’ai rendez-vous avec notre chef de clan, ce soir. Je crains de devoir refuser ton aimable invitation. Mais si elle tient toujours demain, je passerai volontiers à la boutique.

L’augure singea les mouvements de son amie, et se releva, emportant sa tasse de thé avec lui. Il ingéra son breuvage tiède d’une traite, puis le reposa sur l’autel.

— Propose le reste aux autres, veux-tu, dit-il en désignant la bouilloire à moitié pleine.

Et pour cause, il y avait toujours une âme guerrière Kaguya s’entraînant dans le domaine.

— Bonne chance pour tes répétitions. N’oublie pas tout ce que je t’ai apporté aujourd’hui. Une fois cette technique maîtrisée, ton ninpō atteindra les sommets. À dire vrai, deux de mes clones s’exercent au Taijutsu en ce moment derrière ma demeure.

Sesshū courba l’échine d’une révérence. Et, se relevant, offrit un clin d’œil complice.

— Ne tarde pas trop. Tu auras resali le dojo bien assez tôt.

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Pendant plusieurs jours, Sesshū avait abandonné son élève à ses incessantes répétitions, jusqu’à oublier qu’il devait garder sa marge de progression à l’œil, l’esprit embourbé dans un emploi du temps surchargé – sans surprise. Mais lorsqu’il reçut le courrier d’Isami pour l’inviter à admirer ses efforts – à défaut de le traquer dans tout le village en espérant tomber sur lui – l’augure s’empressa de libérer un créneau pour lui rendre visite.

Lorsque le Kaguya rejoignit le dojo, le soleil déclinait déjà. Pour les deux amis, ce fut le meilleur moment pour s’entraîner, car ils n’avaient pas à s’encombrer de la présence certes chaleureuse, mais de trop, des enfants de l’os alentours. Ainsi l’augure ouvra les portes ; et promena son regard sur les clones en nage de son amie zélée.

— Bonsoir, Isami.

Sesshū referma la porte derrière lui, un baluchon dans les mains.

— Je vois que tu n’as pas chômé.

Il se rapprocha de sa consœur et la salua en bonne et due forme – d’une révérence sobre, comme à son habitude. Puis il se retourna vers les doppelgänger échauffés.

— Montre-moi ce que tu as appris.

Si les doubles étaient véritablement capables d'utiliser tout le panel de techniques de l'Isami originel, celle-ci effleurait du bout des doigts la maîtrise de cette arcane. Mais Sesshū, à la manière d'un certain saint, devait le voir de ses propres yeux.

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Les jumelles de la tisserande dansèrent en symbiose pour démontrer leurs nouveaux talents. Un spectacle grandiose ; une rixe percutante. Leurs foulards identiques virevoltèrent ci et là, chargés en chakra Fûton, aiguisés au possible, pour mettre à mal la résistance de l’Isami originelle. La femme endura l’assaut combiné de ses doubles avec une aisance folle. Sesshū n’eût pas été surpris d’apprendre qu’elles avaient pratiqué seize heures par jour pour atteindre ce niveau. Ses yeux ne pouvaient contenir tant de grâce. Un pincement de cœur composa les premières symptômes de sa fierté de professeur.

— Je ne peux que t’applaudir, Isami. À huit mains.

Et ce disant, d’un signe incantatoire, il invoqua trois copies conformes de lui à ses côtés. Tous les quatre disposaient maintenant du même baluchon singulier.

Et tous applaudirent de concert.

Sesshū fit l’impasse sur l’étrangeté soudaine de son élève. Il arrivait parfois qu’elle psalmodie en une langue obscure, connue de personne sinon d’elle, mais cela n’avait rien de méchant. Ses traumatismes lui appartenaient. Le Kaguya ne pouvait imaginer ne serait-ce un instant tous les maux ayant pu conduire l’existence de la femme jusqu’à cet état obscur – et pourtant, Isami lui avait déjà conté nombre de ses mésaventures.

— J’ai bien fait d’apporter un en-cas, alors. Tu le mérites amplement.

Le maître du Shikotsumyaku s’installa en tailleur en plein centre du dojo Kaguya. Il posa son baluchon devant lui, le dénoua, et présenta ainsi deux o-bentō empilés l’un sur l’autre.

— Tu apprécies le poulpe, si je me souviens bien ?

FIN