A l’abri des regards indiscrets, en plein cœur des bois du Pays du Feu, un homme s’agenouillait comme pour mieux chercher quelque-chose à l’intérieur de son vêtement. Une commerçante ambulante, qui avait pour habitude de passer par ce chemin pour faire son travail, fut naturellement intriguée par la présence non loin d’un homme, tout de blanc et d’or vêtu. Un riche de haute estime, pensa-t-elle. Mais lorsque le visage de l’inconnu se tourna vers elle, elle y vit un sentiment de panique et une crainte pleine de haine qui la fit chuter. L’énergie meurtrière qui s’échappait du vieil homme avait fait fuir la jeune femme.

Le Saint-Père reprit ses esprits. Ce n’eut été qu’une simple passante, pensa-t-il. Il posa genou à terre, et dévoila le rouleau de parchemin, celui-là même dans lequel les Kumojins avaient accepté d’y voir scellé le Bréviaire des Dieux.

Il soupira. Tout était toujours là, à sa place. Il ne manquait plus que La Clé…

« Mamushi t’a trouvé. »

Le Saint-Père se retourna avec une vitesse qui défiait sa surprise. Alors qu’il découvrait l’une des Lieutenantes de l’Homme au Chapeau avec laquelle il avait pourtant fixé rendez-vous, il n’arrivait pas à se calmer de cette stupeur.

« C-comment as-tu fait ?! Je ne t’ai pas entendu arriver !
─ Le son est une arme pour Mamushi, lui répondit la Lieutenante, avant d’incliner la tête comme pour montrer sa perplexité face à la peur exprimée par le Saint-Père. »

La jeune femme regarda ce que le Fanatique avait dans la main. Elle comprit qu’avec ça et le rendez-vous que cet homme avait souhaité, cela ne pouvait signifier qu’une chose : l’Ordre des Fanatiques était désormais en possession de leur Bréviaire des Dieux. Et qu’ainsi, leur plan concernant les Dieux eux-mêmes étaient prêts à passer à l’étape suivante.

Une étape qui nécessitait apparemment l’aide de l’Homme au Chapeau, raison de la rencontre entre le Saint-Père et Mamushi en cet instant.

« Mamushi veut que tous tes sens et toi-même dormiez profondément.
─ Qu’est-ce qu… »

Le Saint-Père ne put maintenir sa conscience éveillée plus longtemps. Sous les courbes de la voix de Mamushi, il s’endormit si lourdement que rien ne semblait pouvoir le réveiller…

« Hmm…
─ Ah ! Il se reveille ! »

Les pupilles du Saint-Père se rouvrirent doucement. L’obscurité du lieu dans lequel il se trouvait n’était que faiblement éclairé par quelques bougies ci et là. Il reconnut pourtant facilement le visage de Mamushi, puis comprit qu’il était en présence de trois autres personnes. Inutile pour cet homme d’expérience de réfléchir davantage pour le savoir : il était face aux quatre Lieutenants de l’Homme au Chapeau.

« Je pensais voir votre chef…
─ Et bah il est pas là ! Estime-toi déjà heureux qu’on soit tous les quatre à ta disposition pour t’écouter, toi et tes conneries de dieux de mes- »

Rei fut stoppé net par la main de Raonaka Ao sur son épaule. Si le Yamanaka se dégagea vite de ce contact malvenu, cela avait été suffisant pour atténuer son énervement. L’ancien Seigneur de l’Eau prit la suite.

« Le chef ne peut pas être ici. Il se repose en jouant au shôgi. Mais il nous a chargé de t’écouter. Apparemment si tu es là, c’est que ton plan concernant le Réveil des Dieux a passé une étape et que tu as maintenant besoin de notre aide. Alors… »

Le Saint-Père était totalement réveillé, il en était de même pour ses sens. Il put alors distinguer clairement les quatre Lieutenants de l’Homme au Chapeau.

Kâtenshedô était toujours cachée dans sa marionnette à l’apparence humaine.
Yamanaka Rei avait presque le dos tourné, toujours énervé, sûrement parce que cette entrevue lui prenait un temps précieux.
Mamushi était assise à côté, jouant à peine de son shamisen.
Raonaka Ao, le balafré, se tenait devant lui.

« … nous t’écoutons. Que pouvons-nous faire pour t’aider, toi et les tiens ? »

« Il n'est pas le seul ?! »

La voix de Yamanaka Rei s’était élevée dans toute la sombre pièce, allant presque jusqu’à éteindre les quelques bougies qui étaient disposées ici et là pour permettre à chacune des cinq personnes de se voir.

« Allons, Rei, le Maître nous avait plus ou moins prévenu. »

Malgré le calme et le ton posé de Kâtenshêdo, le balafré ne semblait pas se calmer. Pire encore, il pointait directement le Saint-Père du doigt, d’un air pire qu’accusateur. S’il était accoutumé de voir Rei s’emporter, lui qui était sans doute encore plus sanguin qu’Ao, il y avait dans son expression encore plus que ça. Il y avait un peu de peur, lui qui était pourtant l’un des Quatre Lieutenants.

« Mamushi a connaissance du Dieu du Désert. Elle l’a presque libéré sur ordre de notre Maître.
─ Voilà ! Merci ! Le Maître nous avait parlé de ce monstre de sable là, comme quoi c’était un Dieu et toutes les conneries… »

Il plongea un regard noir dans celui du Saint-Père.

« … mais jamais il nous a dit qu’ils étaient plusieurs ! »

Raonaka Ao, l’ancien Seigneur de Mizu no Kuni, fit un pas vers le chef inconsidéré des Fanatiques. Les lignes de sa moustache défiaient l’occlusion ambiante. Mais son regard, quant à lui, ne déviait pas et était aussi porté vers celui qui vouait un culte à ces Dieux.

« Tu as bien dit qu’ils étaient quatre ?
─ Oui. Certains de mes frères et sœurs sont partis à leurs recherches. »

Le Lieutenant Mizujin de l’Homme au Chapeau croisa les bras.

« Et maintenant que tu as récupéré ce livre, tu as besoin de notre aide pour chercher l’un des tiens, pendant que ton Ordre s’occupe de retrouver la trace de ces Dieux ?
─ C’est exactement ça.
─ Que lui est-il arrivé, à ton ami ? »

L’air du Saint-Père changea soudainement. Il n’y avait nul doute sur le fait qu’il éprouvait désormais une certaine hésitation, voire peut-être même de la peine.

« Ce n’est pas mon ami. C’est mon fils. Il est le seul membre de notre Ordre à avoir échappé à l’autorité des Daimyôs. »

Sous sa forme de femme, dégagée de toute marionnette ou dispositif, Kâtenshêdo reprit la parole d’une voix aussi féminine que pleine d’autorité.

« Et donc si l’on retrouve ton fils, lorsque vous trouverez ces Dieux, vous serez en mesure…
─ Attendez un peu là ! On parle de monstres qui sont capables de raser des villes entières ! Kaze, Taiyô, Dieu du Désert, ça vous dit rien ? Saint-Père de merde ou pas, je pense pas que le Maître aimerait qu’on s’en occupe, surtout si on risque de les réveiller. »

Ao le Balafré se retourna vers son comparse.

« C’est justement parce que leur pouvoir est immense que le Maître s’y intéresse. Et puis, de toute manière, tu dois rester ici, à Hi no Kuni. C’est nous qui nous chargerons de chercher le fils.
─ Tsss… »

Bien qu’hésitant, notamment à cause du fait qu’il se savait impuissant face aux Quatre Lieutenants, le Saint-Père décida finalement de se relever, comme pour laisser présager son départ et la fin de cette réunion.

« Si nous en avons fini, les Dieux eux-mêmes vous remercient de votre aide.
─ Pas si vite. »

Alors qu’il s’était retourné, le Saint-Père s’arrêta net. Il se retourna, obligé à nouveau de croiser le regard de l’ancien Seigneur.

« Le Dieu du Désert, j’étais déjà au courant. Mais les trois autres, ceux que vous cherchez, comment as-tu dit qu’ils s’appelaient ? »

Le Saint-Père ne put cacher un rictus en pensant aux divinités qu’il vénérait. Ce fut avec un plaisir et un honneur sans pareils qu’il donna leurs noms.

« Le Dieu de l’Eau, le Dieu des Éléments et le Dieu Singe. »