Quelqu'un a sonné le Gjallarhorn. Me voilà plongé la tête la première dans un simili Ragnarök, impuissant, mes quatre murs explosant pour laisser place à des rais de lumière matinale. Et bordel, je déteste la lumière matinale. Comme celle du crépuscule d'ailleurs. Trop orangée. Pas assez vive. Faible. Avec une pointe de sarcasme, car madame te nargue de sa semi-présence pendant son entrée ou sortie de scène. Il y aura un beau jour ‒ haha ‒ où je montrais sur les planches ! lui ai-je dit en m'éclatant les dents sur un bol de riz assez compact pour combler un trou dans un mur. Ooh ! Nos superviseurs devraient allumer les braséros et en faire d'immenses fournées. Peut-être qu'ils pourraient réparer ce capharnaüm en trois coups de cuiller. Un peu comme une maison en pain d'épices.

— Rara, t'attends quoi putain ? Faut y aller !

Hein ? Ah oui, c'est vrai. La guerre civile. La prestation de Mr. Chapeau. Il devrait peut-être le faire tourner dans les rangs, nul doute que des collègues veuillent chaleureusement le remercier. Mais est-ce que ça m'arrange, moi ? J'étais bien ici. Avec mes petites habitudes. Mon petit lit, mon petit sol, mes petits murs, mon petit rat. Un honnête nid douillet, en somme. Est-ce que je pourrais retrouver la même chose dehors ?

— Rara !!!
— Ooooy, attends un peu. Je rassemble mes affaires et...
— Mais tu n'as PAS d'affaires ! Dépêche-toi de filer, il n'y aura pas d'autres occasions !

Tout de suite, les grands mots. Ce n'était pas si terrible. Bon, dans mon malheur, on me donne quand même l'occasion d'aller montrer au Soleil de quel bois je me chauffe. Du chêne, principalement. On va bien voir qui brille de mille feux. Il ne va plus se la ramener quand je vais exploser en pleine nuit pendant sa petite sieste ! Nananère.

— J'arrive, j'arrive...
— Je pars devant ! Fais gaffe à toi, j'ai entendu dire que les gardes nous abattaient à vue pour essayer d'imposer le calme. Ils en sont capables, les fumiers...

Allez, allez. On se lève, époussette ses jambes, s'étire convenablement, d'abord la nuque, puis les épaules, les bras, les poignets, le bassin, les genoux, les chevilles, et me voilà échauffé comme ja-mais. Besoin de tenir un sprint pendant cinq minutes ? Rira bien qui rira le premier courbaturé ! Mais je ne leur jette pas la pierre pour autant. Ils ont peur, ça se comprend. Il ne me reste plus qu'à récupérer mon rat de compagnie, et me voilà fin prêt à prendre les voiles. Sans voiles ni eau, précisons-le. C'est une métaphore. Mais le fait est qu'il est peut-être temps de quitter cet endroit. Après HUIT ans de bons et loyaux sévices. Ooooh, les souvenirs... Je me rappelle encore mon premier jour ici...

J'espère que la nostalgie ne me frappera pas trop fort là-dehors.

— En avant, Ra. Je n'ai pas oublié le bout de fromage que tu m'as promis !

Et voilà un pas de fait dans ce dédaaaaale de couloirs. Pfiou, ça fait bizarre. Personne pour m'accompagner dans le cagibis ! C'est que je risquerais de me perdre, dans tout ce chaos. Il y a des flammes qui crépitent, de l'écho, des « aaaaah ! » de douleur, et dans tout ça, je n'ai aucun moyen de repérer la sortie. Ni la silhouette de mon ami de tantôt qui... eh bien, qui a dû se faire la malle sans moi. Il va falloir improviser sans lui !

Pic-nic-douille-c'est-toi-l'an... douille.

Par là ! Allons-y, Ra, je suis persuadé que c'est le bon chemin. C'est le hasard qui me l'a soufflé à l'oreille, hihi. Et il a toujours raison. Toujours.

Attention, à votre gauche, un collègue s'improvise roi du barbecue en faisant les quatre cent pas dans sa cellule en proie aux flammes. LE SOL C'EST DE LA LAVE ! Oops, sa manche a été prise dans le brasier. Aïe, il prend feu. Ooooh, mais ça va vite en plus. Le torse. Les pantalons. Haha, la peau maintenant ! C'est qu'il hurle fort, le bougre.

— Eh, oh, arrête de crier, tu veux. Tu en verras d'autres !

Tsss, aucun respect pour le voisinage.

— Rara !!!

Hein ?

— FAIS VITE DEMI-TOUR, ILS ARRIVENT !

Mon camarade me fonce dessus avec un visage sur le point... d'exploser ! Il est tout rouge ! De la suie plein les joues ! Pas le temps de s'arrêter, il me prend la manche et...

— Eeeee ! Pas si viiiite !
— Tu me remercieras plus tard !

Et me voilà embrigader dans une aventure contre mon gré. Superbe. Je suis donc la marche à cloche-pied, manquant de m'écraser sur le sol à chaque bond, tandis que mon guide est tout aussi perdu que moi. Et attention, si cela ne suffisait pas, on tombe sur un carrefour à trois branches. Gauche, droite, ou tout droit ? Haha, j'en ai aucune idée.

— Je crois que j'ai laissé le feu allumé dans ma chambre. Je devrais...
— RARA, CONCENTRE-TOI BORDEL.
— Keuwa ?
— Je ne sais pas ce qu'ils t'ont fait, mais je te jure qu'on va s'en sortir. D'accord patron ?

Patron ? C'est un drôle de surnom, ça. C'est... Hm. Non, ça ne me dit rien. Je croyais que... mais... non, rien de rien... Hmm. ... c'est vraiment bizarre... j'ai l'impression de rater le coche... quelque chose... mais ce ne doit être qu'une sensation passagère...

— On s'en sortira. Et on se replongera dans les affaires comme à l'époque. Nous étions les rois. Les Seigneurs allaient tous nous manger dans la main.
— Hihi, comme les oies !

Oh, cette grimace sur son visage ! Il est dé-pi-té ! Je la reconnaitrais entre mille. Je l'ai vue pas mal de fois, ces dernières années. Je m'en laisserais ja-mais.

— On s'en sortira...

Prends la clé ! Prends la clé ! Et me voilà sorti du bastion du crime avant la fin du temps imparti par la clepsydre. Même pas eu le ton de dire «OOF!» !

Mon compagnon me regarde avec des gros yeux, le souffle haletant, toute la détresse du monde dans son regard châtain. Euh, marron plutôt. C'est compliqué, les couleurs. Bref : il est dans un sale état. Le cardio, ça se travaille ! Qu'ils prennent exemple sur moi, hehe. Un pa-ran-gon d'endurance. Si tu veux ce que je veux dire.

Clin d’œil, clin d’œil.

— Merci pour la balade, c'était sympa'.
— Tu restes ici.
— Oh.

OOF !

— Tu restes avec moi.
— Tu veux qu'on fasse ami-ami ?
— Bordel Rara, fais un pas vers moi, d'accord ? Ça n'est vraiment pas facile de te voir dans cet état. Il faut que l'on trouve quelque chose pour te faire revenir. Des bribes de ce qu'on a vécu, d'une aventure... quelque chose. Tu te souviens... des tomates ?
— Des tomates...

Mais qu'est-ce qu'il me raconte ? Qu'est-ce que les tomates ont à faire avec les souvenirs ? Leur jus agit sur le cerveau ? Un peu comme le citron dilué dans de l'eau, avec du miel et du thym, que l'on prend quand tout fout le camp ? Maman avait l'habitude de m'en préparer quand je toussais trop fort. J'avais la gorge enflée, c'était un calvaire. Mais cette potion magique me soignait en deux temps, trois mouvements ! C'était magique.

— Merde, ils nous ont rattrapé !

Oh, des invités surprise ! Il faut leur dire bonjour !

— Rara, n'écoute pas tes pensées !

Et voilà qu'il tire encore ma manche. Il faut vraiment qu'il arrête avec cette manie. Elle va s'arracher, avec l'usure. Et je suis sûr qu'il fait frisquet ici une fois la nuit tombée.

Les messieurs en uniforme dégainent des sabres.

Ah oui, en effet, ils ont l'air dangereux. Je devrais peut-être prendre mes jambes à mon cou. Mais je ne suis pas si menaçant, au contraire : je suis la bonté in-car-née ! Comme l'ongle d'un orteil – tout pareil. Je mettrais ma main au feu – et il n'est pas loin – qu'ils me laisseraient tranquille si je leur demandais poliment.

— Excusez-moi messieurs, est-ce que j...
— RARA !

Mon collègue s'invite dans notre discussion entre adultes, me pousse en arrière, ME FAIT TOMBER, et sur les FESSES en plus ! Bim, bam, boum, le rabat-joie se prend trois coups d'épée dans la bouche. Qui est prit qui croyait prendre ! Qui vole un œuf, vole un bœuf ! Un tien vaut mieux que deux tu l'auras ! Un chasseur chassant sacher doit chavoir...

— Pourparlers ?

Ils n'ont pas l'air enclins à parlementer. Et ils sont trois. Contre un. C'est-à-dire moi. Je pense, en toute théorie, sur le papier, en utilisant seulement les mathématiques et non la raison, que je suis dans le pétrin. Non ? On va éviter de tomber dans un quiproquo et de perdre un bras inutilement. Déjà que ma manche risque de ne pas passer l'automne...

Fermez les yeux, les gars. Je vais briller...

... de ...

... mille ...

... FEUX.