Comment décrire Ikema ? Avec son cache-œil, ses cheveux gris de jeune trentenaire, son uniforme de jonin qui incarne la dualité de l’homme, tant il peut être impeccablement ferré et repassé, ou au contraire, anarchique, chaotique, le haut replié autour de la taille avec une simple chemise à lacet en guise de frusque pour le haut. Un vague air de mercenaire endurcie par les combats, tout cela lui donne un air agressif, renforcé par l’éternel air maussade sur son visage, preuve qu’on peut être au sommet de la hiérarchie et toujours…

« J’en ai plein le cul des civils ! » S’énerve cette dernière en lisant un énième rapport de police, « ce n’est pas la ligne de quelques fiottes à l’académie, ou même à la Gun… à l’Hellal, l’Hanen ! » Se corrige la spécialiste des gaz de combat, « ce n’est pas la ligne d’une poignée de fleuristes pédants et endimanchés qui a mené Kiri là où nous en sommes. Ce sont les grosses bottes de la Kempei qui ont écrasé des gorges quand il le fallait ! »

Dehors, il y a une tomate qui s’écrase contre la fenêtre de son bureau, créant une grosse tâche rouge sur le verre. Elle se retourne pour constater l’immondice tout pourri qui vient de salir sa vitre, puis se retourne, insatisfaite. Elle se sert un verre de saké et nous en propose un à nous aussi, une fois qu’elle s’est enfilée son précieux remontant, elle reprend la parole en secouant la tête.

« Nuit d’émeute à Kiri, ne me demandez pas pourquoi, même les types qui foutent les boxons ne le savent pas. » Elle se lève, nous invite à la suivre et tandis que nous allons à l’armurerie pour nous équiper, elle continue de nous résumer le programme de la soirée. « On nous signale des agitateurs et des émeutiers partout en ville. Alors enfilez vos grosses bottes et écrasez des têtes contre le pavé dans les mauvais quartiers de la cité. Il fait nuit, la plupart des ninjas dorment, on va laisser les genins faire pour cette nuit. » Elle nous ouvre les grosses portes ferrées de l’arsenal du village, « prenez ce qu’il vous faut et aller savater tous les plébéiens qui ont décidé de ruiner ma nuit de garde, je vais avoir l’air sotte demain si on apprend que des commerçants ont vu leur boutique détruite pendant la nuit.
-Que devons-nous faire des émeutiers arrêtés ? »

Ikema se fige, elle cligne de l’œil un instant avant de se rendre compte qu’elle est borgne et que ça n’a pas la même signification lorsqu’on est monophtalme. Elle s’éclaircit la gorge et pointe Otomo du doigt.

« Tu vois ton camarade ? Avec sa chemise, ses petites lunettes noires de jingoïste et son habitude de faire des ramens ? Eh bien faites des ramens : vous allez voir les malcontents locaux, vous leur cassez la gueule jusqu’à ce qu’ils aient du mal à respirer, puis quand ils sont réduits à l’état de flaque douloureuse par terre, vous passez au suivant.
-Mais… On ne procède pas à des interpellations ? » Elle plisse de l’œil.
« Si vous voulez, le but est d’obtenir la paix sociale. Les taxes sont déjà bien assez basses comme ça, on ne va pas encore baisser les impôts quand les gens qui foutent le bordel n’en paient pas, faute de moyens. Alors, puisque la carotte ne marche pas, on va employer le bâton et de préférence, un gros bâton en fer. Faites-vous plaisir, pour une fois que vous avez le droit de casser des gueules. Ah oui, ne faites aucun mort, Kiri maîtrise toujours sa force. Si certains se blessent mortellement, c’est de leur faute, pas de la vôtre, compris ?
-A vos ordres ! » Elle se tourne vers Otomo.

Ses petites lunettes de l’intolérance laissent la ninja songeuse, à moins qu’elle ne regarde son reflet dans les verres du spécialiste du renseignement.

« Les lunettes sont proportionnelles au grade, si tu en veux de plus grosses, il va falloir monter de grade. » Elle regarde ses chaussures, « et pour les chaussures, conseil, ramène des trucs à coque d’acier, c’est résistant une paire de cervicales. »

Ikema abandonne ses sarcasmes emprunts de vérité et me lance ma hache, ainsi qu’un gros bâton pour faire régner l’ordre. Elle fait de même pour Otomo qui écope d’une matraque. On récupère un peu de corde pour attacher des émeutiers et on sort dehors.
Si les beaux quartiers de Kiri sont calmes, ce n’est pas le cas des bas-fonds de la cité, plus pauvres.
Quelques instants plus tard, nous arrivons sur les toits d’un avant-poste de la Kempei, principalement constitué de genins assez jeunes pour la plupart. D’ordinaire, la surveillance interne est une tâche aisée, qui sert à préparer les aspirants aux missions plus rudes, mais ce soir, avec la montée du mécontentement pour une raison qu’on ignore encore, c’est une mauvaise soirée qui les a surpris. Perchés sur les toits, incapable de réagir au chaos en contrebas, ils restent stupéfaits, inaptes à réagir. Ils voient des dizaines d’hommes et de femmes marauder dans les rues, torches à la main, avec des casseroles, des outils de paysan : les faux, les pelles, les cognées, les houes, ils sont là pour répandre le chaos, faire savoir qu’ils se sentent floués et pour ça, ils vont tout casser.
Ma hache glisse mes mains dans un réflexe primal.

« Bon, Otomo, » je me tourne vers lui, « j’ai un plan… » Je laisse plâner un silence alors que l’adrénaline d’un nouveau combat m’emporte. « Blitzkrieeeeeeeeeeeeg ! »

Je saute dans la mêlée. Une ninja contre vingt émeutiers, les chiffres sont en ma faveur !