La Chinoike était alitée depuis longtemps. Elle supportait extrêmement mal cette immobilisation forcée, passait son temps à vouloir sortir, se balader dans la ville en fauteuil roulant, aller apprendre à des soldats certaines de ses techniques pour parvenir à ne pas tourner en rond dans cette cage diablement frustrante qui était liée à son erreur. Elle avait fait confiance à un hijin pour la protéger le temps d'un instant au milieu du combat et elle payait cette erreur à un lourd prix. Prix qu'elle pouvait cependant aussi attribuer à ce qu'elle commençait à attribuer à sa propre faute, celle d'avoir voulu aider ces gens là qu'elle ne connaissait pas à défendre leur cité, dans l'espoir que ses efforts soient reconnus au sein de la Coalition et qu'enfin on lui prête un tant soit peu de crédit. Mais pour l'heure, mis à part les promesses de l'Empereur, elle n'avait rien reçu, et ce constat la rendait amère.

Les gens du Sommet viendraient-ils seulement ici en ville ? Pourrait-elle discuter avec eux de ce qu'ils avaient apprit et ainsi obtenir des informations importantes sur ce qu'elle pourrait développer ? Pour l'heure, elle ne pouvait que continuer de patienter et d'espérer.

Allongée depuis ce qui lui paraissait être une éternité, elle voyait les infirmiers ou aides soignantes passer de temps en temps, se succéder pour vérifier brièvement l'état des patients, le sien également bien sûr, mais ils ne pouvaient rien faire.

Alors lorsque la porte s'ouvrit cette fois-ci, la demoiselle aux yeux sanguins et aux cheveux rosés ne prit même pas la peine de tourner la tête vers la porte. La personne viendrait, vérifierait deux ou trois choses, ses bandages éventuellement, puis elle repartirait et la laisserait à nouveau dans sa solitude.

Soupirant légèrement à cette pensée, Katsuko continua de regarder le ciel par la fenêtre, espérant de tout son coeur que bientôt, elle retrouverait ses ailes.

Le voyage avait été bien plus court que celui qui l’avait mené au Sommet depuis Iwa, mais pourtant avait semblé interminable. À peine sortis du chaos qu’avait été cette deuxième – et peut-être dernière – rencontre de la Coalition qu’une lettre lui était parvenue, un message déjà âgé lui relayant que Katsuko avait été blessée lors d’un combat contre un adversaire qui lui était totalement inconnu.

Taishi savait que la femme n’aurait jamais écrit ce message si ce n’avait pas été une situation des plus urgentes. Au-delà de leur histoire commune, l’Éclair Vert d’Iwa avait une dette envers l’informatrice, qui autrefois lui avait donné les renseignements nécessaires pour trouver une personne qui puisse sauver sa propre vie.

Une fois à Urahi, son chemin et celui d’Aimi avait temporairement divergés, alors qu’elle se devait d’aller rencontrer l’Empereur lui-même. Une sorte de conflit avait eu lieu dans la Capitale durant le sommet, dont la nature lui échappait. Le dirigeant de l’Empire avait été blessé grièvement, et les célèbres talents de la Taisho avait été requis, une demande que la belle rousse ne pouvait ignorer, non pas uniquement par diplomatie mais par un cœur aussi large que le continent. Un cœur qui ne faisait que faire battre le sien encore plus fort pour elle. Aimi les rejoindrait une fois rapidement, une fois qu’elle aurait évalué l’état d’Hanzo. Elle ne serait pas loin derrière.

Mais alors qu’il se renseignait à l’entrée sur la chambre qu’occupait la Rose, Taishi ne pouvait ignorer que ce serait une étrange rencontre. Il ne l’avait pas vu depuis Ame, une éternité plus tôt. Avait-elle changé ? Avait-il changé ? Probablement un peu des deux.

Il grimpait les escaliers deux par deux, son gros sac contenant un dindon encore endormis à l’intérieur. L’espoir du Yuukan, un tas de graisse et de plume, transporté comme un vulgaire sac de patates… Il y avait une douce ironie à la réalité. Mais loin de là étaient les pensées de Taishi.

Les numéros s’enchaînèrent et la porte désignée s’arrêtait comme si c’était le couloir qui défilait sous ses pas, plutôt que l’inverse. Le jônin avança une main vers la poignée, hésita. Il inspira avant de la tourner, d’ouvrir la dernière barrière qui le séparait d’un être plus que cher à ses yeux.

Elle était alitée, et si elle semblait avoir grandi, avoir vieilli… C’était encore elle. Et ce souvenir qu’il avait, il restait honoré, car la beauté de Katsuko était rare, unique et indélébile.

Mais son cœur s’écrasa, car il constait l’ampleur de ses blessures. Il comprenait tout à coup tout le sens de sa requête. Et pourquoi, malgré tout ce temps, elle était encore ici.

Il fit quelques pas en silence, la gorge broyée. Quand il rompit enfin le silence, c’était presque un murmure.

« … Katsu… »

Le sac tombait sur le sol sans cérémonie. Comme s’il s’éveillait de sa propre voix, ses yeux verts, toujours aussi fatigués, s’ouvraient bien davantage, comme un choc électrique à même son corps usé par le temps, encore plus incomplet que celui de la femme.

« … Katsu ! »

Il avait parcouru les derniers mètres, les derniers espaces d’une énergie qui ressemblait à s’y méprendre à celle du désespoir. C’était bien plus compliqué que cela. Et plus simple, à la fois.

Taishi mettait un genou au sol pour se mettre au niveau de la femme, qu’il refermait entre ses larges bras sans plus attendre, une étreinte sincère alors qu’il fermait les yeux. Une éternité passa, mais l’homme ne lâcha pas prise.

« … Si j’avais su… Si j’avais été là… J’aurais dû être là… »

Il savait que c’était lamentable, une vaine tentative de s’auto-réconforter. Mais il n’était qu’humain, et un humain des plus imparfait, au final. Il n’était rien de la légende qu’on aurait voulu dépeindre de l’Éclair Vert. Juste un type paumé, déchiré entre deux mondes.

« …Je… »

Lâcher prise lui semblait impossible.

Spoiler:

Perdue dans ses pensées plutôt sombres, la demoiselle au regard carmin mit quelques instants avant de comprendre et de réagir. La voix qui l'appelait n'était nullement celle d'un quelconque soignant, non. Elle la connaissait mieux que ça. Elle l'appréciait plus que cela. Elle lui manquait plus que cela. Beaucoup plus...

Se tournant enfin, elle sentit une bouffée d'émotions s'amasser dans sa poitrine, avant d'afficher un sourire, des larmes venant taquiner le coin de ses yeux. Il était venu. Il était vraiment venu. Elle se sentait si heureuse qu'elle n'aurait pu imaginer meilleure nouvelle en cet instant. Alors qu'il s'approchait d'elle, elle l'enserra dans ses bras, fermant les yeux, laissant quelques larmes de joie couler sur ses joues rosies par le plaisir de voir celui qu'elle aimait. Elle n'aurait su le décrire avec précision, mais quand bien même ils ne s'étaient pas vu depuis si longtemps, pour elle, rien n'avait changé.

« Je t'ai dit depuis le début que j'étais maître de mon destin, qu'il ne me contrôlait pas. Tu n'as pas à t'en vouloir mon amour. »

L'embrassant avec tout son amour pour qu'il cesse de se flageller pour une faute qui n'était pas la sienne, la jeune femme s'écarta après de longues secondes, tout en douceur.

« J'ai pris des risques et j'ai fait confiance à un garçon trop jeune pour me protéger pendant un instannt, je n'aurais pas dû, c'est normal que j'en paye le prix. »

Lui offrant un sourire tout en essuyant ses larmes à l'aide de son index replié, la vampirette prit une grande respiration. Elle avait envie de craquer, de s'effondrer en larmes dans ses bras, de se laisser bercer par lui en fermant les yeux, mais sa fierté surpassait cette faiblesse passagère. Garder la face autant que possible, c'était trop important pour elle, pour son ego.

« Contente que tu te sois remis. J'ai entendu dire que toi aussi tu avais été gravement blessé face à Yonbi... J'aurais aimé être là pour t'aider moi aussi. »

Continuant de lui caresser le visage avec un sourire heureux et une douceur aussi grande qu'elle en était capable, la kazejine releva les yeux alors que quelqu'un venait frapper à la porte.

« Entrez ! »

Saluant d'un signe de tête la future Taisho, l'informatrice eut un petit rictus.

« Konnichiwa, Aimi. Hajimemashite, je suis Chinoike Katsuko. Désolée de ne te le dire que maintenant. Tant que ma famille n'était pas en sécurité, je préférais éviter toute chance que quelqu'un fasse le lien entre eux et moi. Je ne sais jamais qui peut me surveiller après tout... »

La main de la rouquine fut alors diablement lourde sur son épaule. Avec ses mots, elle manqua de s'effondrer à nouveau. Décidément, ces deux-là étaient redoutables pour sa façade indestructible. Des larmes recommencèrent à poindre. Avalant difficilement sa salive, la demoiselle fit un sourire difficilement tenable.

« C'est encore toi qui vient me soigner dans ma geôle, il ne faudrait pas que ça devienne une habitude... Je préfèrerai être libre lors de notre prochaine rencontre heh... »

La Chinoike prit une grande respiration pour se redonner une certaine contenance. Elle avait une question qui la démangeait.

« Est-ce que tu penses que tu pourrais me rendre une véritable jambe plutôt qu'une prothèse ?.. Est-ce que tu penses qu'il y a un moyen de le faire, qu'importe les efforts à fournir, les moyens financiers à débloquer, les difficultés à surpasser ?.. Ou est-ce impossible ?.. »

Elle avait eu du temps pour se préparer à la réponse, quelle qu'elle soit. Elle l'affronterait, quoi qu'il en soit. Et s'il fallait qu'elle retourne le monde pour retrouver son entièreté, alors elle le ferait.

Savoir qu’elle était en vie apporta à Taishi un sentiment de soulagement colossal. Sa tête pouvait enfin arrêter de se faire des scénarios impossibles. Il ferma les yeux brièvement, réconforté jusqu’au fin fond de son âme. L’Hayai n’avait jamais oublié ce lien spécial qui les liait, elle et lui. Lorsqu’il avait tourné le dos à son monde, à son village, elle avait été là.

Perdu dans les pensées et les souvenirs, il fut pris de court par le moment suivant, alors qu’elle s’écartait un instant pour subitement l’embrasser avec passion. Muet de surprise, il ne pouvait pas grand-chose d’autre que rien du tout, dans ces circonstances des plus… singulières.

Taishi n’allait pas s’en scandaliser, et si c’était clair que ça allait être une situation à clarifier, il fallait prendre en compte toutes les variables. Elle et lui avait toujours eu une relation libre et détachée. Et Katsu n’aurait pu vraiment savoir que quoique ce soit avait changé après tout. Les derniers temps avaient été plus que chaotiques, sans la moindre occasion de se revoir entre leurs vies tumultueuses. Et ce n’était pas le genre de conversation qu’on pouvait avoir par une simple lettre. Et une fois qu’Aimi avait avoué ses propres sentiments – à demi-mots, mais pourtant, c'était là que c'était devenu critique. À un moment qui ne lui avait donné aucune chance de compenser depuis.

« … Personne ne pourrait me convaincre de la futilité du destin si ce n’est que toi, Katsu. »

Il eut un sourire honnête. Toujours est-il qu’il fallait que ça soit mis au clair, et rapidement. Il la laissa parler pourtant, hochant de la tête en attrapant une chaise près du lit pour pouvoir s’asseoir.

« Qui était cet adversaire ? Un autre allié du Chapelier ? »

Elle mentionna ses propres blessures et Taishi hocha de la tête, relevant légèrement le bas son pantalon pour révéler le matériel travaillé des prothèses qui avaient remplacées ses jambes il y a quelques temps déjà. En cela, la Rose semblait avoir été un peu plus chanceuse, alors qu’il constatait qu’une partie de sa jambe manquait à l’appel.

« Un peu comme toi, j’ai mis ma sécurité secondaire à celle des autres, avec des conséquences. »

Dire qu’il avait donné l’instrument de sa salvation à Tsuyoshi… Un moment de silence, et Taishi se mit la main derrière la tête, l’autre sur celle que la femme posait sur sa joue ne sachant pas par où commencer, sinon qu’il devait commencer.

« Katsu, il faudrait que tu saches que -»

Mais c’est alors que la porte était frappée, s’ouvrant sur Aimi. Taishi s’efforça de conserver son expression faciale, mais mais sut instinctivement que la situation venait de se compliquer inévitablement, surtout alors que la Chinoike versait quelques chaudes larmes, que Taishi espérait être de joie. Il aurait beaucoup donné pour qu’elle soit arrivée quelques minutes plus tard, à cet instant précis.

« Je… Je n’avais même pas réalisé que j’avais utilisé ton vrai nom. C’est moi qui m’en excuse. »

Inclinant la tête, L’Éclair Vert se redressait un peu en arrière pour leur laisser de l’espace afin de discuter et inspecter les blessures de Katsuko. La conversation allait devoir attendre, et l’Hayai savait que cela aurait un prix aussi. Mais quand il s’agissait de questions médicales, malheureusement Taishi était d’une piètre utilité.

« J’accompagnais Aimi pour représenter Iwa lors d’une rencontre de la coalition. Beaucoup de choses sont arrivées et je n’ai reçu ta lettre qu’il y a quelques jours. Nous sommes venus aussitôt. »

La demande qu’elle posa, au sujet de sa jambe, l’Hayai la connaissait bien, et se doutait malheureusement de la réponse. Il avait dû faire son propre deuil jadis. Avec le temps, ces prothèses lui devenaient presque naturelles, l’Éclair Vert s’y était habitué. Mais ce ne serait jamais pareil. Les douleurs fantômes allaient et venaient pour lui rappeler que Yonbi l’avait rendu incomplet, et ce serait toujours ainsi désormais. La seule réponse avait été d’aller de l’avant.

Il resta ainsi silencieux, observant les deux femmes en songeant que dans un moment à l’autre, l’équilibre précaire allait tanguer d’un côté ou de l’autre pour se refermer sur lui comme un piège.

« Un mort-vivant, un samouraï d'un ancien temps qui manipulait le poison à une forte puissance. Il était capable de tuer n'importe qui en quelques secondes voire en quelques minutes s'il nous touchait avec sa pluie horrible... Il m'a atteint à la jambe avant que je ne sois à l'abri et surtout, il a touché mon clone sur son corps entier... C'était une sensation atroce. »

À la mention des blessures de son amant, la demoiselle sourit un peu tristement. Elle avait bien reçu la lettre d'Aimi qui lui avait indiqué son état. Et ainsi elle savait ce qu'il lui était arrivé. Caressant avec tendresse la joue de l'homme, elle voulait ainsi lui confirmer qu'elle l'accepterait ainsi. Et de toute façon, en ce jour, elle n'était pas dans un bien meilleur état. S'ils voulaient tenir, ils allaient devoir se soutenir.

L'attitude de Taishi, ses réactions et surtout la phrase qu'il commença juste avant que l'iwajine n'entre dans la pièce firent tiquer la jeune femme aux yeux sanguins. Il y avait quelque chose, elle ne savait pas quoi, mais il ne semblait pas détendu comme lors de leurs autres rencontres. Mais quand bien même elle l'avait perçu, sa joie de le revoir et le simple fait qu'il soit là la rassuraient, l'aidaient à passer outre ces détails. Ils n'étaient pas importants en cet instant.

La remarque penaude de Taishi la fit sourire alors qu'elle se représentait plus formellement à Aimi.

« Ne t'en fais pas, ce n'est plus important depuis que ma famille est à l'abri. »

Voir l'embarrassement d'Aimi face à son nouveau nom l'amusa également, aussi accompagna-t-elle ses mots d'un geste de la main pour la rassurer.

« Tu peux m'appeler comme tu le préfères. Ça n'a pas d'importance pour moi. »

La suite de la phrase lui fit ravaler sa salive un peu plus difficilement. Bien sûr, ça n'allait pas être simple, ni instantané. Mais elle venait de lui affirmer qu'elle s'en sentait capable. Aussi l'indépendante prit une grande respiration.

« D'accord. Si tu as besoin de quoi que ce soit, des gens, des informations, de l'argent, des objets particuliers, n'hésite pas à me les demander. Si je dois retourner le monde pour t'aider à y parvenir, alors je le ferai. »

Il n'y avait aucune trace de doute ni d'arrogance dans la voix de la jeune femme alors qu'elle affirmait être prête à absolument tout pour obtenir ce qu'elle souhaitait. Elle avait toujours eu confiance en ses capacités et ce ne serait pas une bête prothèse qui l'affaiblirait pour parvenir à remplir ses objectifs. L’auscultation fut assez rapide et lui tira quelques grimaces de douleur, bien que celle qui demeurait en permanence avec elle l'aidait à ne pas trop ressentir les pointes sur l'instant.

« D'accord, je prendrais le temps nécessaire, mais j'ai confiance dans mon corps, je me rétablis toujours vite. »

Elle jeta un oeil au parchemin, réfléchissant aux détails qu'elle percevait de ceci. Ce serait bien suffisant pour être efficace. Peut-être demanderait-elle d'essayer de fabriquer un compartiment pour dissimuler une arme, ça pourrait avoir son intérêt. Réfléchissant à toute allure, elle pensa à son besoin d'informations sur le Sommet, et si elle n'avait pas de nouvelle du côté du Teikoku, elle avait désormais deux personnes qui l'appréciaient de ce qu'elle en savait et qui s'étaient trouvés sur les lieux de la réunion de la Coalition.

« Dites... Hanzo m'a promis de me faire parvenir les informations du Sommet via sa porte-parole, une certaine Seiun, qui devait y être présente, mais je n'ai pas de nouvelles de cette dernière depuis et j'ai découvert récemment qu'Hanzo était dans un sale état... Est-ce que vous accepteriez de me parler de ce qui s'y est passé ? »

Si elle avait besoin de les convaincre, l'informatrice avait un paquet de bonnes raisons à leur présenter, mais elle espérait de tout cœur qu'ils acceptent de les lui partager sans plus d'arguments.

« Enfin, on pourra voir ça quand tu auras récupéré ce dont tu as besoin... D'ailleurs j'y pense, j'ai croisé une Metaru en ville récemment, elle est peut-être encore là... Je paierai ce qu'il faudra. »

Taishi n’avait évidemment pas réussi à entièrement dissimuler le léger malaise de la situation, mais l’homme songeait que ça n’était pas vraiment possible, pas de manière prolongée en tout cas. C’était le genre de chose qui devait arriver malgré son inconfort, il ne pouvait vraiment y faire face que de front.

Aimi semblait avoir des nouvelles de la famille de Katsu, dont il savait l’existence mais n’avait jamais fait directement connaissance. Il espérait que ces bonnes nouvelles serait un baume sur les blessures de la Rose. Il songea qu’il n’avait pas vu sa propre famille, son clan paternel, depuis fort longtemps. Peut-être quand tout serait terminé… Mais les choses l’étaient-elles vraiment jamais ?

Sauver sa jambe semblait peu probable, mais Taishi en comprenait le désir c’était certain. Et si quelqu’un pouvait le faire, c’était Aimi. Il fut d’ailleurs surpris de la voir en énoncer la possibilité même. La rouge avait-elle fait des avancées médicales dans ses longues recherches des arts médicaux ? L’homme lui en toucherait peut-être un mot plus tard, mais songeait que la femme ne lui aurait pas sciemment caché une telle capacité, pas après la perte de ses propres jambes.

La médecin lui demandait de rester à l’écart et l’Hayai hochait de la tête en levant des mains innocentes – mais qui ne l’étaient définitivement pas à bien y penser -, poussant sa chaise pour l’écarter du lit et prendre ainsi sa place dans son coin, là où il pouvait ruminer ses réflexions, peut-être.

Elle parlait de rééducation et Taishi hochait de la tête.

« C’est très frustrant au début. Et ce ne sera jamais pareil. Mais avec un peu de pratique, ça ne me ralentit pas désormais. Tu t’en sortiras tout aussi bien, voire mieux. »

Il était définitivement plus fragile qu’auparavant, mais pas plus lent, c’est certain. De l’Éclair Vert il n’avait vraiment que le nom désormais, mais ça datait de bien avant les amputations. Une autre tragédie pour un autre jour.

À son habitude, Katsu était nullement abattue, toujours aussi optimiste, presque enjouée, comme si tout finissait toujours par s’arranger. On ne pouvait pas nier son talent à tirer son épingle de toute situation. De cela, elle n’avait certainement pas changé.

Elle demanda alors des informations sur le sommet et Taishi échangea un regard peut-être trop long avec Aimi, avant d’hocher de la tête.

« Le sommet fut… décourageant sur bien des aspects. Par ailleurs, le Chapelier et certains de ses lieutenants s’y sont invité pour essayer de le saboter. Mais nous avons appris quelques informations, et reçu quelques pistes, notamment sur la manière d’améliorer nos moyens de contrer la mobilité de notre grand ennemi. Et cela passerait d’abord par… Glouba, si tu peux le croire. »

La créature continuait à ronfler, du moins caqueter, enfoui dans son sac de voyage appuyé contre le mur. C’est alors qu’Aimi annonçait devoir partir brièvement pour récupérer de quoi prodiguer des soins à l’informatrice. Taishi sut instinctivement que ça cachait autre chose, et il n’était pas difficile de devenir ce que c’était. Elle quittait la pièce en fermant la porte et l’Hayai soupirait légèrement, ramenant sa chaise près du lit de la Rose, un sourire tout aussi léger au visage.

« Tu as un don pour te mettre dans le pétrin, hein. C’est un peu l’histoire de nos vies. »

Un petit rire. Il sembla réfléchir un instant, baissant le regard quelques secondes avant de ramener des yeux verts et fatigués sur elle.

« Malgré tout ce temps, ça n’a pas changé. Ce lien qu’on a. Tu as toujours été là pour moi. J’ai souvent l’impression que je n’ai pas réussi à faire de même pour toi. Parce qu’au fond, je suis quelqu’un de plutôt égoïste, de centré sur moi-même. C’est la personne que j’étais quand tu m’as connu. »

Il hocha de la tête doucement.

« Mais j’essaie, j’apprends. Et je ne suis plus exactement la même personne qu’avant. Et toi non plus je pense. Je crois que ce que j’essaie de dire, c’est qu’on a tous grandit. Et ça nous a amené ailleurs. Sur des chemins qui divergent, depuis un moment déjà. »

Il sembla hésiter, dans un état de vulnérabilité qu’il était très rare pour lui de montrer ainsi. Taishi prenait la main de Katsuko dans la sienne.

« Tu es une des personnes les plus chères à mes yeux, Katsu. Mais je suis… ailleurs dans mes sentiments maintenant. Depuis un certain temps. Avec tout ce qui s’est passé, je n’ai pas eu de moyens de pouvoir te le dire de face, et je m’en excuse. Le monde n’avance jamais dans une direction qui nous rassemble, au dirait. »


Taishi souffla.

« Et même maintenant, c’est un horrible moment. Mais je te dois la vérité, car c’est toujours ce qui nous a lié, le fait qu’on pouvait être sincères l’un envers l’autre. »

Il chercha ses mots, mais au final baissa les yeux.

« Depuis peu, Aimi et moi… Nous avons quelque chose entre nous. Je ne suis pas certain de ce que c’est exactement, et elle encore moins, mais… C’est quelque chose que je veux découvrir avec le temps. Et j’ai besoin que tu saches qu’elle n’a jamais agi dans l’objectif de te blesser – elle ne savait pas la nature de notre relation jadis. Comme tout le reste, nous avons été pris par surprise. »

Taishi comprendrait si elle était en colère, et n’allait pas la blâmer en ce sens. Ça aurait même été la réaction normale.

Pour autant, en dans toute sa maladresse, il avait dit ce qu’il avait à dire.

La vampire hocha la tête. Elle savait que ce ne serait pas facile. Mais elle s'y était préparée à l'instant où elle avait saisit son katana pour se séparer de sa jambe. Parce que si les difficultés traversées ces derniers temps et celles à venir promettaient d'être un véritable poids pour le reste de sa vie, sa vie était plus importante. Et ce sacrifice l'avait sauvé puisqu'aucun médecin n'était présent sur les lieux. Personne de capable n'était alors présent pour les sauver, et c'était ce qui leur avait coûté si cher.

La Chinoike avala sa salive. Quand bien même elle savait à peu près ce qui l'attendait, elle avait du mal à l'accepter. C'était un poids supplémentaire sur ses épaules, un poids dont elle se serait bien passé. Elle montrait une façade aussi solide que possible comme à son habitude cependant, trop fière pour montrer ses doutes, ses craintes. Plus que tout, elle ne supportait pas la pitié dans le regard des gens, et celle qu'elle avait cru percevoir l'espace de quelques instants dans les yeux de Taishi l'avait bien agacée. Heureusement, elle parvint à décaler la conversation sur le Sommet et ce qui s'y était passé. Et bien que parcellaires pour l'heure, les infos se montrèrent directement savoureuses.

« Par... Glouba ?.. Par les Kuchiyose donc ? Je comptais aller m'en trouver un dans les forêts de Hi mais j'ai été un peu ralentie dans mon projet... Il y a quelque chose de spécial que je devrais savoir ? De nouveau ? »

Laissant un peu de temps au shinobi de lui répondre, elle enchaina avec l'autre sujet qui l'intéressait, la présence de l'Homme au Chapeau et de ses acolytes.

« Je vois. Il y a eu des morts de votre côté ? Est-ce que vous avez réussi à en éliminer ? Et est-ce que vous avez enfin pensé à prendre une de leurs signatures chakratiques, voire toutes ?.. Qu'on puisse enfin commencer à les traquer plutôt qu'attendre qu'ils nous tombent dessus quand ils sont prêts et puissent se la couler douce le reste du temps ? »

Alors qu'ils terminaient leur échange sur les évènements du Sommet, l'attitude de Taishi changea alors qu'Aimi venait de partir. Silencieuse, Katsuko l'écouta parler. Sa première phrase n'avait pas vraiment de sens aux yeux de la kazejine. Pour elle, elle s'était au contraire toujours sortie d'affaire sans soucis, tout comme elle avait esquivé de nombreux problèmes. Mais elle le voyait chercher ses mots. Aussi garda-t-elle le silence pour ne pas le couper dans son élan comme la première arrivée d'Aimi l'avait visiblement fait. Elle n'avait pas voulu le voir, mais il ne semblait pas vouloir lui laisser le choix, et elle sentait qu'elle parvenait de plus en plus difficilement à avaler sa salive. Elle sentait que quelque chose n'allait pas, mais elle ne savait pas encore quoi.

L'informatrice lui laissa sa main sans broncher dans un premier temps, alors que les phrases de l'iwajin réintégré s'enchaînaient. les chemins qui divergent, il était ailleurs... C'était impossible de se voiler la face. Impossible de ne pas comprendre. Couplé à la surprise qu'il avait manifesté alors qu'elle l'avait embrassé plus tôt, comme une réticence... Voilà qu'il invoquait l'avancée du monde maintenant... Un mensonge... Il se cachait derrière le destin, encore une fois... Alors que ce n'était que ses choix qui l'avaient mené là.

Respirant avec difficulté, avec douleur même, la demoiselle aux yeux carmins sentait une froideur s'instiller dans son abdomen et remonter dans sa poitrine, une froideur si grande que même ses griffes ne lui semblaient pas capable d'être aussi cruelles. Essayant tant bien que mal de verrouiller ses émotions, la jeune femme tenta de rester fière et froide dans sa voix et dans sa tenue, se redressant et retirant sèchement sa main de celle de Taishi.

Plus encore que de choisir de l'abandonner, il lui indiquait qu'il avait préféré aller avec Aimi, l'une des seules personnes qu'elle connaissait et à qui elle faisait confiance à Iwa, une des raisons majeures pour lesquelles elle avait envoyé sa famille là-bas en plus de l'Hayai qui venait de l'assassiner dans son lit d'hôpital.

« Je t'ai embrassé devant elle et les autres le jour où nous l'avons aidé à reconstruire sa maison... Ne vous trouve pas plus d'excuses. Laisse-moi. »

Sa respiration s'accélérait tout en se faisant toujours plus saccadée. Elle retenait les larmes qui lui montaient, mais ce n'était plus qu'une question de secondes avant qu'elle n'éclate en sanglots. Si elle était trop fière pour accepter de montrer sa peine et sa douleur, elle ne parviendraient plus à les dissimuler bien longtemps. À quoi bon avoir passé tant de temps à travailler sur sa capacité à se cacher et à masquer ses émotions si elle était incapable de cacher sa souffrance alors qu'elle apprenait ce genre de nouvelle ? Tournant la tête vers le mur opposé alors que les premières larmes coulaient, serrant ses bras contre son ventre et étant parcourue de légers tremblements, elle ravala une dernière fois sa salive avant de crier.

« Pars ! Va-t'en ! »

Ce ne fut que lorsqu'elle entendit la porte se fermer qu'elle éclata en sanglots et s'affaissa sur le lit, se roulant en boule sur ce dernier. Si elle avait toujours été solitaire, si elle pensait avoir toujours été capable de se débrouiller en toutes situations, ce fut la première fois qu'elle sentit un véritable choc moral, une solitude profonde, qui lui semblait abyssale. Elle n'en revenait elle-même pas de l'importance qu'elle avait fini par donner inconsciemment à Taishi, lui qui l'avait balayée aussi simplement qu'il l'avait accepté. Ses mots de velours ne lui faisaient que plus mal, lui qui lui avait donné l'impression qu'elle avait été importante pour lui. Mais qui ferait ce genre de traitrise à ceux qu'il aimait ?..

Serrant sa jambe valide contre sa poitrine, la vampire éperdue en cet instant ne pouvait plus que pleurer, incapable de s'arrêter.

Jamais elle n'avait été si faible. Jamais elle n'avait été si seule.

Taishi secoua la tête, n’ayant malheureusement pas les informations que le Rose voulait. Ce n’était même pas une question de ce qu’il pouvait ou ne pouvait lui révéler; beaucoup de questions restaient simplement sans réponses.

« Une question d’invoquer des humains à la manière que nous convoquons des kuchyoses, indépendamment du temps ou de la localisation. Mais ce n’est pas aussi simple que ça a l’air. Nous en saurons plus une fois Glouba rétabli. »

Ils parlèrent de l’assaut par le Chapelier, mais encore là ni Taishi ni Aimi n’aurait pu en parler longtemps puisqu’ils n’y étaient pas.

« Pas de morts d’un côté ou de l’autre, ce qui pourrait être une victoire je suppose. Nos techniques sont pratiquement inutiles contre les lieutenants, du moins dans un assaut direct. Ces lieutenants ne sont pas complètement invincibles, mais à chaque fois que nous en poussons un dans ses retranchements, le Chapelier intervient pour le sauver. Tant qu’il les trouve utiles à sa cause, il fait des efforts pour les garder en vie, c’est ma compréhension. »

Contre un tel adversaire, il n’était pas si simple de le contrer.

« À ce stade, nous avons toutes leurs signatures chakratique. Ce n’est pas si simple que de le trouver et de le traquer. Le Chapelier, le Ningen, ils ne se cachent pas forcément. Nous sommes tout simplement incapables de les vaincre actuellement, et ils le savent. Et infiltrer est pratiquement impossible aussi longtemps que sa capacité à voir le futur sera active. Si l’espion nous informe de quelque chose que nous ne sommes pas censés savoir, il en aura une perception tôt ou tard »

La coalition était lente, mais elle n’était pas stupide. Nombre d’heures, lui le premier, avaient été passées à imaginer des stratégies. Katsu à son habitude avait beaucoup de certitudes en ses propres capacités, mais Taishi savait que ce n’était pas suffisant. Pas contre le Chapelier, du moins.

Mais ce n’était que la partie aisée de leur discussion. Suite à l’autre, il s’était réfugié dans un silence mêlé de gêne mais aussi de compassion. Il n’y avait aucune version de cette conversation qui aurait pu être aisée ou sans souffrance. Pour autant, c’était le mieux qu’il puisse faire à ce stade, disperser les malentendus, remettre la balance en équilibre. Prendre sa part de responsabilité.

Elle s’était redressée en retirant sa main brusquement et Taishi se figea quelques instants, les dents serrées avant de relever le torse à son tour. Les mots de la femme tranchèrent l’air et l’Hayai ne trouva rien à y répondre. Katsuko n’avait pas tort, même s’il fallait quand même voir dans la vérité plus qu’une seule teinte. Aimi aurait pu avoir eu bien des perceptions de ce moment-là, mais surtout… Pour la plupart, l’eau avait longuement coulé sous les ponts depuis ce temps. Mais Katsu n’était pas la plupart des gens.

Elle lui dicta de partir.

« Katsu… »

La réalité n’était pourtant pas plus complexe ni plus simple peut-être; si Aimi avait crû, ne serais-ce suspecté qu’il était encore en affection avec Katsu, elle n’aurait jamais osé s’ajouter à l’équation. Il n’avait jamais discuté de la chose avec la Rouge, pour une raison simple : parce que pour lui, c’était une relation libre et terminée depuis un bon moment. Et il avait toujours crû que c’était de même pour la Rose. De toute évidence, Katsuko ne le voyait pas ainsi.

Tout cela était sa faute, à un degré ou un autre. Mais il ne pouvait pas s’excuser de ce qu’il ressentait, pas éternellement du moins.

Elle se détournait au bout d’un instant avant de répéter son impérative, de manière plus marquée, et Taishi souffla avant de se relever après quelques secondes, se détournant pour quitter la pièce. Il traversa la porte à moitié, s’arrêtant un instant.

« … Aimi ne veut que ton bien. Ne la rejette pas à cause de moi. Je serai en bas. »

L’homme sortit en refermant derrière lui, réalisant que sa main tremblotait un peu. Il soupira en passant une main sur son visage fatigué. Après un moment d’inaction, il commença à descendre les marches de l’escalier pour retourner au lobby, bien des pensées se mélangeant dans sa tête.

Aimi aurait des questions auquel il n’aurait pas de réponse agréable à l’oreille. C’était un malentendu qu’il ne pouvait facilement expliquer, parce qu’on ne pouvait pas décrire les aléas du temps. La Rouge le savait imparfait, et ce n’était qu’un autre exemple.

Et on ne pouvait pas rationaliser le poids des sentiments non plus.

Et ce n’était ni blanc ni noir. Il aimerait toujours Katsuko, tout comme il aimerait toujours Sanadare. Mais… Sanadare n’avait jamais su comment aimer, pas plus que lui, et… Il ne pouvait pas, il ne pouvait plus aimer Katsuko comme elle l’aurait voulu.

Il sortit de l’hôpital, appréciant soudainement à sa pleine figure l’air frais de l’extérieur. Il n’alla pas bien loin, prenant place sur un des bancs du petit parc jouxtant l’entrée.

Elle avait besoin de temps.

Et lui, de réaliser qu’il avait oublié Glouba dans son sac, encore dans la chambre.

Les réponses de l'Hayai l'intriguaient. Les kuchiyoses étaient capables d'invoquer des humains ?

« Invoquer des humains ? Tous les kuchiyose en seraient capables ? Ce serait pratique... Une sorte de téléportation potentiellement à longue distance... Ça permettrait aussi de se tirer de mauvais pas, en envoyant notre Kuchiyose loin de nous à l'avance puis de lui demander de nous invoquer... Mais il y aurait la question de la communication à distance pour pouvoir le faire au bon moment, quand c'est nécessaire... Et comment on peut l'apprendre à notre Kuchiyose si jamais il ne sait pas le faire ? Ou comment en trouver un qui sache le faire ? Maintenant que j'y pense, ça pourrait aussi nous permettre de passer des obstacles ou de se faufiler par des passages minuscules pour peu que notre invocation ne soit pas l'une de ces créatures gigantesques... Oui, il y a plein de points à creuser, je vais devoir y réfléchir... »

Presque déjà plongée dans ses pensées qu'elle partageait à voix basse, elle s'arrêta quand Taishi reprit pour répondre à la suite de ses questions.

« Hmmm... Si je les avais, ainsi que leur apparence exacte... Je pourrais peut-être essayer de faire douter l'Homme au Chapeau de chacun de ses acolytes. Même si ce n'est pas sûr que ça marcherait... Pas sûr du tout. Je pense quand même que ça en vaudrait la peine si un jour j'en ai l'occasion. »

La discussion se poursuivit jusqu'au tournant inculqué par Taishi et son annonce. Cette dernière fit d'autant plus mal à la vampire que lui-même était totalement passé à autre chose à n'en pas douter au vu de ses paroles, de ses réactions. Elle se sentait d'autant plus stupide d'avoir donné autant d'importance à ce dernier. Désormais, elle serait seule, elle devait l'accepter et ne plus s'imaginer pouvoir penser à lui, pouvoir lui demander de venir la soutenir dans un moment pareil. Elle avait continué de l'aimer, mais pour lui, elle faisait partie du passé. C'était si dur à avaler... Pire que cela, malgré ce qu'il venait de lui sortir, elle n'arrivait pas encore à étouffer ses sentiments. Elle était partagée entre son amour toujours présent et cette évidence qu'elle devait tolérer. Entre le feu qui l'avait toujours soutenue et cette emprise glacée qui se répandait dans ses entrailles et la faisait souffrir en cet instant.

Elle pleurait toujours dans cette solitude glaciale lorsqu'elle entendit la porte se rouvrir entre ses sanglots qui s'arrêtaient pour ne laisser place qu'à des larmes silencieuses.

Immobile, renfermée sur elle-même. Elle frémit en sentant la médecin s'assoir à côté d'elle. Une haine vive, vicérale s'emprit d'elle l'espace de quelques instants. Plantant ses ongles dans ses paumes, elle s'imagina bondissant sur l'iwajine, la prenant par surprise et lui brisant la nuque.

Immobile, elle constata l'horreur de sa vision qui venait de se dérouler dans son esprit. La peur et la fuite qui en suivraient. Et la haine qu'elle aurait contre elle-même. À quoi bon ?.. Cela ne lui rendrait pas l'amour de celui qu'elle aimait, mettrait sa famille en danger, ne la consolerait même pas. Parce que cet éclair de haine était déjà passé. Elle savait qu'elle ne pouvait pas leur en vouloir. Ni à l'un ni à l'autre. Comment juger les sentiments des autres... Ils étaient simplement différents des siens... Et elle n'aurait jamais son mot à dire entre ces derniers. Elle n'était plus importante, elle devait l'accepter.

Immobile, elle surpassa ce démon et son idée. Elle appréciait Aimi, elle aussi. Et si elle lui en voulait de ne pas s'être souvenue de ce qu'elle avait vu, elle ne pouvait s'empêcher de penser à toutes ces fois où elle s'était souvenue d'évènements que les autres avaient oublié. Si l'instant avait eu une importance pour elle, qu'elle était plongée dans ses émotions, c'était normal qu'elle s'en souvienne, là où pour les autres, ce n'était pas crucial. C'était même oubliable... Alors il était normal qu'elle ait oublié...

Amère, elle se détendit doucement, les larmes coulant encore sur ses joues. D'un mouvement lent, elle se redressa et tourna la tête sur le côté, évitant le regard de la Chiwa.

« Celui que j'ai aimé... Que j'aime encore... Il ne m'aime plus. Tu n'as pas à t'en soucier, je dois juste accepter... Mais... C'est dur... Plus que je ne l'aurais imaginé... »

Essuyant ses larmes du revers de ses mains avec force comme si elle pouvait ainsi les ravaler, les faire cesser voire disparaître, l'informatrice renifla peu glorieusement avant d'enfin replonger ses yeux dans ceux de l'irounin. Elle devait se calmer et arrêter d'y penser. Elle devait se faire soigner maintenant, retrouver sa liberté. Une fois qu'Aimi serait repartie, alors elle pourrait s'abandonner à nouveau à sa peine.

Mais pour l'heure, il fallait avancer. Encaisser. Se relever. Comme elle l'avait toujours fait.

« Tu sais quand est-ce que je pourrais me faire opérer ? »

Focalisant toutes ses forces mentales pour se concentrer sur l'opération à venir, elle espérait au plus profond d'elle que la femme aux cheveux rougeoyants n'insisterait pas. Parce qu'il n'en faudrait que très peu pour qu'elle s'effondre. Véritable château de cartes, elle tenait à peine face à cette douleur lancinante qui s'ajoutait aux autres qui la hantaient.

Aimi n’était pas quelqu’un de lâche, elle avait toujours assumé ses choix et ce qu’elle entreprenait. Mais certains aspects de la vie trahissaient cette confiance qu’on pouvait avoir pour soi-même. La Chiwa était vraiment inexpérimentée face aux aléas de la vie amoureuse. Pourtant, Musashi, qui lui avait brisé le cœur, lui avait bien fait comprendre à quel point l’amour pouvait être aussi beau que moche.

Alors, lorsque Katsuko expliqua ce qu’il se passait, forcément, elle repensa à sa propre histoire. La douce se sentait idiote de ne pas avoir pensé à la proximité qu’ils avaient eu il y a deux ans de cela, comment aurait-elle pu savoir en toute honnêteté ? Une chose était certaine, c’était sûrement de sa faute si cette jeune femme se retrouvait en larmes, et elle se haïssait pour cela. Ses poings se serrèrent sur le tissu de sa blouse prêtée par les infirmières. Elle tentait de se contenir, mais son regard en disait long sur sa culpabilité.

Aimi ne savait tout simplement pas quoi dire de plus. Comment ne pas s’en soucier ? Comment le pourrait-elle, alors qu’elle s’était attachée à la Neiko et qu’elle avait de sincères sentiments pour un homme qu’elle aimait toujours ?

« Je… Si j’avais su… Je n’aurais jamais… Je suis désolée… »

Elle bafouilla quelques paroles, perdant toute l’assurance dont elle était fière d’arborer, la plupart du temps. Ses pensées se dirigèrent vers l’Hayai, qu’elle n’arrivait même pas à détester. Elle se doutait que cela ne devait pas être facile pour lui. En fait, elle avait l’impression que si elle avait continué à le repousser, rien de tout cela ne serait arrivé. Peut-être qu’elle devrait simplement rester en retrait…

La Rose tenta de changer de sujet, mais la Chiwa tenait vraiment à exprimer ce qu’elle ressentait, sans insister forcément. Elle voulut lui prendre sa main, la prendre dans ses bras, pour lui montrer à quel point elle l’appréciait… mais elle ne le fit pas, car cela serait sûrement mal venu en ces circonstances.

Alors elle se contenta d’attraper les bandages et l’eau désinfectée par le chakra médical. Sans lui lancer le moindre regard, elle commença par user de son chakra médical autour de la plaie et des muscles pour atténuer la douleur.

« Cela ne changera jamais mon affection pour toi, même si tu me détestes... Je n’ai jamais voulu interférer dans quoi que ce soit ou blesser qui que ce soit. »

Après la réalisation de quelques mudras de la main gauche, la kunoichi fit apparaître un scalpel de chakra verdoyant afin de découper la chair en trop et celle bien trop abîmée. Le but étant de faire un moignon parfait pour accueillir la prothèse et l’embout sur lequel sera reliée sa jambe.

« Je serai toujours là pour toi, jusqu'à que tu l'acceptes. » Ennonça la jeune femme d’une voix basse, mais suffisamment audible pour être entendue. Puis, elle reprit la parole plus distinctement, arborant une mine plus sérieuse et déterminée.« Ma priorité est de te soigner. J’ai seulement besoin de trouver quelqu’un apte à m’aider à confectionner les prothèses comme Shinrin Hanzo et Metaru Mairu ont pu le faire. Tu m’as parlé d’une femme Metaru, peut-être que c’est elle… Et pour l’argent, ce n’est pas nécessaire, j’ai tout ce qu’il faut. »

Après avoir découpé les morceaux de peau inutiles, l’eiseinin vint réparer les muscles ou nerfs abîmés, afin de les consolider pour l’opération. Enfin, elle imbiba le bandage dans le liquide désinfecté et entoura le moignon avec, pour empêcher une quelconque infection et pour le garder intacte.

« Je vais m'atteler à rechercher cette femme. Shinrin Hanzo n’étant pas vraiment en état de m’aider, je reviendrai dès que je pourrai t’opérer. Est-ce que tu as des questions sur la suite ou sur quoi que ce soit ? »

Que pouvait-elle faire ou dire de plus en cet instant ? La santé de Katsuko était tout ce qui comptait de toute façon.

La vampire avait la gorge serrée. Parler de ce qui devait être considéré comme appartenant au passé la torturait. Malgré cet état de fait, elle ne parvenait pas à bloquer ses sentiments, à les oublier. Pour son plus grand malheur, elle l'aimait toujours. La réaction de la Chiwa lui fit à nouveau ressentir une profonde culpabilité. Elle lui en voulait, et ainsi elle s'en voulait de lui en vouloir. C'était stupide... Elle n'arrivait pas à croire qu'elle était ainsi enfermée dans ses sentiments, elle qui avait toujours cherché à calculer les risques pour faire les meilleurs choix, ne jamais se tromper, ne jamais faillir. Et la voilà là, perdue, éplorée pour un homme qui ne l'aimait plus, et visiblement depuis longtemps. Il était passé à autre chose alors qu'elle était toujours plongée dans son récit. Celui où elle pouvait revenir le voir n'importe quand, qu'il l'accueillerait à bras ouverts et la réconforterait si elle en avait besoin. Il n'en était rien. Et elle devait l'accepter.

Ce confort ne lui serait pas permis. Pas cette fois en tous cas. Elle devrait se remettre, peut-être chercher à nouveau. Ou abandonner cet espoir. Peut-être qu'elle devrait se limiter aux coups d'un soir. C'était comme ça que ça avait commencé après tout. Peut-être aurait-elle dû s'arrêter là. Ne pas en vouloir plus. C'était peut-être plus sage. Elle n'en souffrirait pas si ça avait été le cas. Sans doute avait-il vu la chose ainsi. Et sans doute était-ce plus simple pour lui.

Un peu soulagée par le chakra de la Chiwa, Katsuko se détendit légèrement avant de grimacer aux paroles de la médecin. Elle ne voulait pas la détester. Elle lui avait fait confiance au point de lui parler de sa famille, de l'envoyer à Iwa. Elle avait bien compris que même si pour elle, les souvenirs qu'elle avait partagé avec Taishi étaient cruciaux, ils étaient au mieux en arrière-plan pour cette femme qu'elle n'avait vu qu'à trois reprises en vérité. Et c'était simplement parce qu'Aimi ne l'avait pas dénoncé qu'elle avait décidé de lui donner sa confiance, puisque celle-ci paraissait alors évidente. Elles ne se connaissaient donc que peu, et les requêtes qu'elle avait pu faire pour en savoir plus sur l'état de l'Hayai n'avaient sans doute pas paru étranges à cette dernière, ne lui avaient pas fait comprendre le lien qu'avait ressentit la Chinoike. À vrai dire, au delà de ça, à partir de l'instant où Taishi considérait que tout était fini, elle avait tout les droits de le croire et d'accepter ses avances, si tant est que ce soit lui qui l'ait séduite. C'était sans doute le cas maintenant qu'elle y pensait. Elle voyait mal la médecin surbookée parvenir à aller draguer çà et là. C'était plutôt tous les blessés qui devaient tenter d'attirer son attention, et l'Éclair Vert avait été plus adroit que les autres...

Silencieuse, elle encaissa les mots d'Aimi avec difficulté, se mordant la lèvre tant pour oublier la douleur liée aux soins que celle causée par les mots pourtant bienveillants de l'Iwajine. Sa tentative de changement de sujet fut finalement acceptée et elle put souffler quelque peu alors qu'Aimi lui expliquait brièvement ce qu'il lui manquait pour l'opérer. Quelqu'un capable de créer une prothèse donc. Simple. Elle espérait que la Metaru ne soit pas partie et que cette dernière puisse effectivement faire une prothèse. Se souvenir de son nom en cet instant lui semblait bien complexe. L'avait-elle seulement donné ?.. Perturbée par les évènements tout comme par ses douleurs, la kazejine hocha légèrement la tête, évitant le regard de la Chiwa. Elle avait profondément mal mais elle n'avait pas de solution sinon d'attendre que celle-ci diminue avec le temps. Peut-être un jour parviendrait-elle à s'habituer à cette douleur elle aussi...

« Je... Ne crois pas que ce soit elle... Je ne me souviens plus de son nom... ou de si elle me l'a donné... A moins que... Si ! Mais elle a pas dit s'appeler Metaru alors qu'elle manie le métal... Gentoku Yamiko, c'est... c'est sous ce nom qu'elle s'est présentée... »

Neiko s'arrêta pour s'essuyer à nouveau les yeux et retenir un sanglot avant de reprendre.

« Pas de question... Non... Mais ma proposition tiens toujours... Si tu as besoin de quoi que ce soit pour me rendre une véritable jambe... Je te l'obtiendrais... »

Avalant sa salive avec difficulté, elle se rallongea et se remit en position foetale, sur le côté. Elle était si fatiguée qu'elle ignorait combien de temps elle tiendrait avant de craquer à nouveau, ou même de si elle parviendrait à rester éveiller. Peut-être était-ce ça le mieux. Dormir, attendre. Laisser son corps et son coeur se régénérer. Et ne plus se laisser faiblir. Elle avait ouvert un peu de son coeur et aussitôt avait-elle été punie pour son audace. Pour sa prétention. Peut-être devrait-elle simplement refermer son armure et s'y blottir confortablement, loin du danger. Était-ce si mal d'être seule après tout ? Se sentirait-elle aussi seule qu'en cet instant si jamais elle décidait de le rester ? Pas sûr. C'était peut-être à tester...

La situation était plus qu’étrange, même son propre chakra devait ressentir son malaise. Son pouvoir se reflétait à ses émotions et il se voyait légèrement instable. Pour autant, sa détermination à soigner la rose était plus forte et elle reprit le dessus sur ses sentiments contradictoires.

Entre les mots et le traitement de sa jambe coupée dans l’urgence, la moue de la Chinoike n’était pas des plus agréables à regarder : entre grimace et tristesse, la douce évitait presque de croiser ses pupilles rubis.

Pour calmer la chose, la kunoichi n’hésita pas à enchaîner sur un autre sujet, le principal même. Ses recherches à Urahi allaient être difficiles, ne connaissant que très peu de personnes. Elle avait tout de même retenu que Katsuko connaissait quelqu’un ici apte à l’aider. Le nom de Gentoku Yamiko ne lui disait rien aux premiers abords, mais une kumojin maîtrisant le métal ici signifiait que le destin avait fait en sorte qu’elles se rencontrent.

« Très bien, je te remercie Katsuko. » Dit-elle avec une certaine douceur« Je le prends avec moi… Je te dis à plus tard, profite en pour te reposer. »

Finit-elle par dire, déposant ses lèvres sur la tête de la jeune femme. Son regard écarlate se posa sur le sac de Taishi qui contenait le dindon encore bien endormi. Elle ne put s’empêcher de sourire avant de l’attraper délicatement. Elle salua de la tête la Neiko qui s’était renfermée dans sa bulle et quitta la pièce.

Dévalant les escaliers en faisant attention à ne pas réveiller l’invocation endormie, la kunoichi chercha de ses pupilles écarlates la silhouette de Taishi. Elle avait beaucoup à lui dire, elle était même furieuse d’avoir été mise dans une telle situation.

Elle arriva aux portes de l’établissement et tomba sur un beau brun qui étrangement, ne lui donnait pas envie de l’embrasser pour le moment. La kunoichi de la roche s'approcha d'un pas certain avant de poser doucement Glouba à côté. Ensuite, la jeune femme se plaça devant lui et croisa les bras, ses pupilles écarlates s’encrèrent dans ses émeraudes, une certaine fureur émanait de la rouquine.

« Comment as-tu pu me mettre dans une telle position ?»

Demanda la Chiwa à la recherche d'une explication valable. Elle s'en voulait elle-même de ne pas s'être plus interrogée sur le passé et le présent de Taishi, mais quand même... Il aurait dû lui dire, comme elle l'avait fait avec lui. Presque hors d'elle sur le moment, la jeune femme laissa ses pas la guider vers un endroit plus calme. La colère faisait naître des larmes non désirées, elle ne voulait pas qu'il la voit ainsi, alors elle se contenta de lui tourner le dos.

Il ne fallut pas bien longtemps pour que les portes de l’hôpital s’ouvrent à nouveau, dévoilant cette fois la Rouge. Taishi était resté sur le banc du parc, plus ou moins à l’attendre, sans pourtant trop savoir comment la situation allait évoluer. Comme il s’y attendait, la femme semblait de bien mauvaise humeur. Le jônin s’attendait au pire voir à une gifle, mais celle-ci ne sembla pas venir, des accusations plus générales en revanche traversèrent ses lèvres, dont le ton était manifestement irrité.

« … »

Elle avait déposé le sac contenant Glouba et Taishi mettait la main dessus, reconnaissant malgré tout, aussi idiotement que ça puisse paraître, de lui éviter d’avoir à aller le chercher dans la chambre dans l’atmosphère actuelle. La magnifique femme, même dans sa colère, faisait quelques pas de côtés en s’éloignant. Après quelques instants à considérer la situation, il se relevait, une sangle du sac retournée sur son épaule.

Il la suivit en silence alors qu’ils s’enfonçaient dans le petit parc, qui dans les méandres de la saison était gris et silencieux, accentué du bruit des oiseaux sauvages par moment.

Elle s’arrêta enfin prêt d’un grand arbre fruitier, lui tournant toujours le dos, ce qui était compréhensible dans les circonstances. L’Hayai fit encore quelques pas.

« … Comme toutes les autres fois je suppose. Un mélange de circonstances et de maladresse de ma part. »

Il se posa une main derrière la tête en soupirant légèrement.

« Je ne savais pas qu’elle nous croyait toujours ensemble. Je n’ai pas vu Katsuko depuis plus d’un an, nos chemins nous ont menés dans des directions opposées, et ce depuis bien plus longtemps encore. »

Il n’y avait pas de manière agréable de le dire, mais ils n’en étaient plus à cela désormais.

«Et je pensais, sincèrement, qu’elle avait comme moi accepté que notre relation ne pouvait pas survivre indéfiniment à nos destins et que… C’était voulu ainsi. Nous avions convenus que ce lien ne pouvait pas être un frein à nos responsabilités. À ce égard, ce n’est pas si différent du nôtre, Aimi... »

Il secoua la tête. Tout était fragile face aux aléas de leurs vies.

« La Katsuko que j’ai connue était pragmatique, bien plus terre à terre sur la question que moi-même je ne l’étais. Mais il semble bien que je m’étais trompé sur les faits, ce que j’ai vite réalisé une fois dans la pièce. Et je ne pouvais pas faire autrement que lui dire la vérité, parce que je la lui dois autant qu’à toi. »

Taishi était bien conscient que ça ne jetait pas une bonne lumière sur lui, qu’au final il avait dansé entre les lignes et les limites. Il avait toujours été ainsi.

« Katsuko et moi avons vécus des choses difficiles. Je lui dois beaucoup de choses, et je ne l’oublierai jamais. Nous avions besoin de l’un l’autre, et je l’aimais. Et c’est encore le cas, mais… Cet amour est celui d’une amitié sincère aujourd’hui. »

Il s’avança pour être à sa hauteur, à côté d’elle, mais il continua à regarder le grand arbre, peut-être pour lui donner un peu d’espace, qui sait. Son regard vert se tourna vers la future Kage et il osa poser les doigts sur sa main.

« C’est là où les semblances cessent. Je, toi et moi nous avons aussi cette amitié, Aimi. Nous étions déjà si proches. Mais… Je n’ai jamais rencontré quiconque dans cette vie pour qui ça me semblait si… Intolérable. Impensable. Insupportable. »

Il baissa les yeux, comme s’il cherchait comment exprimer sa pensée.

«… Intolérable parce que chaque instant loin de toi est une torture. Chaque moment depuis ce jour-là, sur cette colline lors de notre voyage vers le Sommet… Chaque seconde sans toi m’est impossible. Chaque mot, chaque geste que nous échangions depuis l’Émergence de Yonbi, depuis la perte de mes jambes, c’était un coup de poignard… Et à l’aube d’un monde sans chakra, qui plonge dans les ténèbres… Toutes mes pensées ne sont jamais qu’envers toi. »

Il eut ce léger sourire triste qui le caractérisait.

«… Je ne sais pas ce que ça veut vraiment dire. Pas encore. Mais je sais que je ne pouvais pas prétendre devant Katsu, lui mentir en face de ce que je ressens. Je m’excuse de t’avoir infligé cela, et je m’excuse de la faire souffrir à un moment où elle a besoin d’espoir. Espoir que je ne peux pas lui donner - »

Sa voix mourut dans sa gorge et il porta la main à ses propres yeux. Le silence reprit ses droits quelques instants.

«… Je comprendrais si tu me détestais Aimi, mais je t’en supplie, aide la malgré tout. »

« Aimi… »

Taishi se mit la main derrière la tête en soupirant. Elle espérait de lui une éloquence qu’il ne possédait pas. L’Hayai avait toujours été quelqu’un d’incisif, mais personne n’aurait jamais dit qu’il était pour autant doué avec les mots. Comment expliquer tout en marquant la différence.

« J’essaie juste de dire qu’on faisait passer nos responsabilités avant ce qu’on ressent. »

Et que c’était encore nécessaire, comme ça l’avait toujours été. Ce n’était pas peut-être pas juste mais c’était la vie qu’ils avaient choisi.

Il avait fait son mieux pour expliquer, comme il pouvait. À un moment il pensait avoir réussi à communiquer, mais de toute évidence ce n’était pas un succès puisqu’elle le poussait avec force, manquant de le faire tomber. Le Jônin songea que c’était mérité, partiellement du moins. L’Hayai soupirait à nouveau en secouant la tête.

« Aimi…- Je sais que… Je sais cela. »

Ce n’était pas aussi simple mais comment lui dire ? L’Hayai sembla réfléchir quelques instants avant de relever les yeux.

« Je sais que… Tu n’abandonnerais jamais un patient. Jamais personne. C’est juste moi qui… Qui a peur de voir les gens autour de moi souffrir, par ma faute. »

À l’éveil de Yonbi. À la conquête de Kumo. Et tout le reste. Tout avait un poids qui était devenu tellement lourd avec le temps. Qui ne semblait s’alléger qu’avec elle, par ailleurs. Il recombla la distance entre eux, comme une montagne à gravir. Mais pour elle, il aurait escaladé les plus hauts sommets du monde.

« Je veux… Faire mieux. »

Il souriait presque tristement, via un optimisme rêveur peut-être. Sa main se portait à sa joue, se posait sur sa peau en balayant quelques larmes du pouce.

« Être moins nul, ok ? »

Il l’entoura de ses bras, la serra contre lui sans vraiment en dire plus. L’Hayai ne savait pas quoi dire alors il l’exprimait de cette manière. Qu’il essayait de faire mieux, de ne pas juste vivre dans ses propres démons. D’être honnête, transparent. De partager ce qu’il ressentait. Ce n’était pas une mince affaire, et ce n’était sans doute pas assez pour elle.

Mais il essayait. Il voulait tellement être, faire… Rattraper le temps perdu et être là pour elle, tout simplement. Au bout d’un long moment de silence, il la relâchait, presque, probablement à contre-cœur, gardant ses mains sur ses avant-bras.

«… Je veux le meilleur pour Katsu. Elle mérite une chance de pouvoir vivre à nouveau normalement. Et je dis cela en sachant que je viens de lui faire mal, de mettre à mal la confiance qu’elle avait envers moi. Et je m’en désole, mais… C’était la bonne chose à faire. Elle sera libre. Libre de vivre autre chose. D’aimer quelqu’un d’autre. »

Il hocha légèrement la tête.

« De vivre le bonheur que je ressens chaque instant avec toi. »

Pouvait-il faire de même ? La rendre heureuse ? C’était le genre de questions dont on ne savait jamais vraiment la réponse. Mais il voulait essayer, faire de son mieux. C’était un objectif qui le rendait tellement plus fier de lui-même que de combattre le Chapelier, de combattre les dieux, de combattre les hommes. Il avait tellement l’impression d’être juste… Mieux avec elle. Plus positif pour ce monde, pour ceux qui l’habitait. Loin du doute, loin des démons.

Et près de son cœur.

« Pour le moment, il vaut mieux que je la laisse tranquille. Te laisser travailler pour réaliser sa prothèse. Quand le temps sera venu, je ferai de mon mieux pour lui expliquer. Pour qu’elle puisse commencer le prochain chapitre de sa vie. Et moi le mien. »

Et nous le nôtre.