Revenir des enfers, des limbes de l'inactivité, combattre sa flegme pour remettre en marche la machine.

Ce n'était plus une question de paresse, de nonchalance et de révolte envers l'autorité, une quelconque hiérarchie ou un village. Pas encore vingt ans et l'impression d'en avoir le double, comment pouvait-elle se sentir aussi vide? Usée, bonne pour la casse, comme une arme émoussée. Comme le rejet, une expérience ratée qu'on délaisse pour concentrer son attention sur celle d'après. Revenir du Tartare, échapper au règne de Pluton, était-ce vraiment le meilleur choix ?

Retrouver la joie de vivre, s'émerveiller devant les capacités extraordinaires de ses congénères, paniquer et supplier les Dieux de ne pas détruire ce monde. Combattre, même dans des combats perdus d'avance, disparaître et laisser derrière soit sa légende. Pour que les générations suivantes reproduisent les mêmes choix, en s'inspirant des prodigieux guerriers du passé, que chaque cycle se calque sur le précédent.

Dix neufs ans, dans une autre vie elle n'aurait été qu'à l'aube de la sienne. Mais quand même un gamin de dix ans pouvait être un tueur démunis d'émotions, atteindre la quarantaine semblait être un rêve inatteignable. En acceptant cette réalité, ces faits, elle ne baissait pas les bras, elle se délivrait de la frustration et la colère qu'elle trouvait légitime jusqu'à présent, en finissant son auto-introspection Jun Joo passait à la prochaine étape. Atteignant la maturité en rejetant la boule de nerfs qu'elle était autrefois.

En perpétuel changement, la maîtresse des sauriens, affichait désormais une expression neutre sur son visage d'habitude si renfrogné. Des yeux plissés en permanence, se détachant du genre humain pour mieux le comprendre. Rien ne la choquerait plus à présent, car l'ancienne Kumojin avait acceptée l'hilarité profonde du monde shinobi, des pouvoirs stupidement attribués à des êtres tout saufs parfaits et digne de les posséder. La déserteur de la foudre n'avait pour elle sa seule maîtrise du fer, la confiance et la connaissance de sa lame, et des centaines de crocs pour déchiqueter ses ennemis.

En observant les crocodiles à ses pieds, la jeune femme avait finit par leurs emprunter certains traits de charactère. Patient, ne craignant pas la mort, ignorant les effets du temps et ses ravages, se contentant d'exister sans prétentions. Capable de dommages colossaux sur l'environnement, de broyer os et chair avec indifférence, mais se contentant du minimum syndical. Si ils n'étaient pas particulièrement pour leurs agressivité, menacés ou dérangés chaque individu démontrait une résilience et une réponse à chaque danger.

Joo n'avait fait de mal à personne, et pourtant, pourtant l'on venait la sortir de sa torpeur volontaire, et si pacifique était son état d'esprit du moment, se laisser occire n'était pas non plus à l'ordre du jour.

-Wadatsumi.

Derrière elle, dans l'obscurité, un vent chaud soufflant sur son dos. Les effluves qu'il apporta auraient sans doute rendus malade plus d'un homme, mais la Lieutenante avait l'habitude. Le râle d'outre-tombe, le sol tremblant à côté d'elle, une entrée théâtrale dramatique.

-Vous sortirez bientôt des profondeurs votre altesse.

Le bruit dérangeant, horrifiant s'apparentant à un rire fut la seule réponse qu'attendait la native du fer. Sa longue chevelure de jais tombant largement sur ses épaules, le visage dénué de sentiments ou d'émotions, affichant en vérité ce qu'elle avait toujours été. Vide, l'envie d'accomplir quoi que ce soit n'avait jamais été présente, au mieux elle s'était mentit à elle même en affrontant des ennemis plus puissants.

Jun ne referait pas cette erreur, et ce n'était pas de se savoir traquée qui piquerait sa curiosité. Si elle devait repartir avec les sangs froids, soit. Si elle devait combattre les enfers et ses démons, soit. Et si Jun Joo ne se sentait exister qu'au travers les combats, si il n'y avait qu'ôter des vies qui pouvait combler le vide la rongeant, alors soit. Qui pour la juger? Elle, qui s'assumait comme l'être imparfait que tout humain était. Pourquoi aspirer à la perfection et à une existence maussade, quand c'était dans tous les tars de son espèce, que résidait cette authenticité. Bien ou mal, qui avait définit les règles à suivre ou à ignorer.

Libre, elle l'était, affranchie d'un quelconque sens moral, s'acceptant comme elle était, Jun Joo pouvait tout faire sans rien craindre. Tout entreprendre sans peser le pour ou le contre, et cette pensée était la clef de voute sur laquelle reposait cette nouvelle philosophie.

Ou bien était-ce les délibérations de quelqu'un de fou, dont la solitude avait rongée les dernières chaînes la reliant à la société?