Au lendemain de cette nuit agitée, le réveil du court sommeil d’Arukisa fut des plus étranges. Elle ne sut si elle émergeait d’un rêve ou d’un cauchemar éveillé. Tout ce qui venait de se passer pendant les heures précédentes semblait irréel. Comme un lendemain de soirée arrosée, son esprit était dans les vapes. Une brume perpétuelle qui ne se dissiperait que lors de sa rencontre avec le Mizukage.
La Rose n’avait pas encore assez de recul pour savoir si le risque qu’elle avait pris n’avait pas mis en péril la situation politique de Kiri. Certes, elle avait obtenu des documents importants et accompli sa mission, mais à quel prix ? La jônin ouvrit le tiroir de sa table de chevet afin de vérifier que le précieux sésame était toujours à l’intérieur. Le parchemin qui lui avait presque coûté la vie, et celle de son équipier, pouvait faire de sa personne l’ennemie publique numéro une du Daimyo. Sa chance arrogante lui avait certainement permis de ne pas dévoiler son identité mais une personne en particulier pouvait aisément avoir des soupçons sur les auteurs de ce vacarme… Une personne qui n’avait pas reçu la part de son marché. Pour le moment.

Empressée, Arukisa, bondit de son lit et enfila sa tenue de shinobi. Le seul moyen de retrouver un semblant de paix intérieure était d’expliquer à Saji-sama le déroulement de cette nuit. Le cavalier de feu avait été prévenu de la décision de la kunoichi de cambrioler le palais. Et nul doute que dès l’aube, ses propres messagers lui avaient rapporté les événements. La colère de Naragasa Shingen résonnait sûrement encore entre les murs de son domaine. Si bien, que la Rose eut l’impression de l’entendre retentir dans son propre crâne.
D’un pas déterminé, la gladiatrice se dirigea vers le Palais de la Brume. Elle prit soin de cacher de son chaperon le document pendu à sa ceinture de combat.

En arrivant dans le couloir menant au bureau du Mizukage, le cerveau d’Arukisa se mit à cogiter. Depuis son accident avec Gine, elle se savait surveillée par ses supérieurs. Ses compétences n’étaient pas remises en cause, mais ses décisions parfois hâtives n’étaient pas toujours vues d'un bon œil. Et si c'était l’erreur de trop ? Une mise à pied pouvait être envisageable. Pire, elle pourrait être écartée de son poste de chef d’équipe. La Rose ne savait pas quelle posture adopter, devait-elle défendre ses décisions ou courber l’échine afin d’en minimiser les conséquences ? Une moue contrariée se dessinait sur son visage. En réalité, le contenu de ce document pouvait être la clé de sa porte de sortie. Si les informations découvertes étaient d’une importance capitale pour les desseins de Saji-sama, la prise de risque de sa subordonnée pouvait être acceptable. Son destin pouvait être scellé par ce bout de papier qu’elle n’avait pas osé consulter avant son supérieur.

Le poing fermé de la jônin tapa contre la porte du bureau avant que celle-ci ne l’ouvre. Elle était probablement attendue avec impatience.

- Saji-sama. Dit-elle en s’inclinant comme le souhaitait le protocole.

Elle décrocha le document de sa ceinture et le posa sur son bureau.

- Voilà le résultat de tous ces ennuis. Affirma-t-elle sur un ton bien loin de son enthousiasme habituel.

Pour l’instant, elle n’avait pas encore vraiment osé le regarder pour déceler son état d’esprit, ni vraiment aborder la discussion. De toute façon, son masque empêchait quiconque de lire ses émotions. Seule la tonalité de sa voix pouvait aiguiller la kunoichi. Arukisa resta immobile, attendant sa sentence.

Tapotant sur le bureau un brin nerveux de ne pas avoir encore reçu de nouvelles de l’ambassade kirijine envoyée au Palais, ceux-ci étant partis hier de bonne heure afin de participer à une audience exceptionnelle avec le daimyô. Bien qu’il avait pleinement confiance en ces ninjas pour accomplir leur mission, il n’en était pas moins conscient des répercussions qu’un échec pouvait avoir dans le cas où l’équipe de la jounin ne saurait agir avec le discernement que leur imposait un tel rôle. Il se demandait ce qui avait pu les ralentir ainsi et plutôt que d’agir dans la précipitation en convoquant une nouvelle équipe de renseignement afin de comprendre ce qui était arrivé au dernier groupe, il fut interrompu dans son élan par une série de coups à la porte. Levant sa tête vers cette dernière, il invita la personne à entrer dans ses quartiers, dévoilant ainsi le visage de la chef d’équipe sur laquelle il s’interrogeait à l’instant. Elle était enfin de retour, et pourtant, loin de trahir le soulagement de retrouver les siens, son faciès n’augurait visiblement rien de bon. Silencieux, le chef de la Brume se leva de son siège et accueillit le document au creux de main gantée. Naturellement, la première question qui lui vint à l’esprit était:

— De quoi s’agit-il?

Et la Gozan de lui répondre en des termes énigmatiques qu’il s’agissait là du “résultat de tous leurs ennuis”... Il marqua un temps à dévisager son interlocuteur à travers sa visière d’acier comme pour deviner la contenance de ce rouleau, avant de dénouer le noeud jusqu’à ce que le manuscrit et les lignes écrites à l’encre noire de jais ne se reflètent dans le métal placide de son masque, parcourant avec une certaine patience l’ensemble du contenu avant de se figer en milieu de page comme s’il venait de comprendre la signification de ce qu’il tenait entre les doigts. Un objet historique d’une valeur inestimable et qu’il n’était pas normal pour lui de posséder, il imaginait l’enchaînement de circonstances qui avaient dû conduire à un tel résultat. Quand bien même il eut été forcé de s’en emparer, il n’était pas possible que ce soit avec le consentement du daimyô … étant donné le poids du passé que représentait le document officialisant le partage du pays de Wasure.

Il se rasseya en déposant délicatement le document sur la table, avant de reprendre la conversation avec un ton grave mais mesuré.

— Je suppose que tu as une bonne explication pour cela. Qu'as-tu découvert?

Bien qu’il fût rassuré de voir la gradée rentrer saine et sauve, il ne voyait aucun de ses coéquipiers à ses côtés, et redoutait déjà le pire.

En observant Saji-sama se rasseoir sur sa chaise, la Rose comprit par ce mouvement que la discussion risquait d’être intense. La gladiatrice avait utilisé l’un de ses messages nocturnes pour porter le courrier de la princesse au Kage de la Brume avant même d’entamer son casse. Celui-ci indiquait clairement la proposition de la demoiselle : son aide pour cambrioler le palais en échange du document ici présent. La distance entre les deux lieux étant longue, il était possible que le frêle colporteur n’ait pu arriver à destination. A moins que le Cavalier de feu ait bien reçu la missive mais n’ait pas été prévenu des événements de la nuit passée. Peut-être n’avait-il aucun espion aux alentours de la demeure du Daimyô.
Dans tous les cas, son supérieur lui demandait des éclaircissements et le ton employé ne semblait admettre aucun écart sur l’authenticité des mots à venir. Arukisa se lança alors dans le récit de cette nuit agitée.

- Notre entrevue avec Naragasa Shingen s’est soldée par des informations peu utiles et déjà connues de tous. Au moment de quitter la demeure du Daimyô, la princesse nous a informé par message qu’un document important concernant les armes légendaires se trouvait dans les archives. En échange de son aide, nous devions lui remettre un autre document mentionnant l’île de Wasure. J’ai pris la décision d’accepter et de prendre le risque. Je suis la seule responsable de ce choix. A ce moment, Honryuu avait déjà quitté le palais sans donner de raison. Mais le jeune Ryûken a tenu à continuer la mission avec moi. Dit-elle en soulignant le courage du genin. Nous avons attendu la tombée de la nuit et avons réussi à pénétrer dans les archives.

La kunoichi omit les aventures en solitaire des deux rescapés pour récupérer la clé qui leur avait permis d’atteindre leur objectif. Laisser un genin seul au milieu des gardes du Daimyô serait certainement mal accueilli par son interlocuteur, bien que ses actions furent essentielles au dénouement de l’histoire.
A mesure que le déroulement de la nuit était exposé par la jônin, il était difficile pour elle de déceler la réaction de Saji-sama. Cette absence d’émotion était glaçante et l’angoissait légèrement. Elle n’avait qu’une hâte, c’était de terminer son discours et d’entendre son jugement final. Ainsi, elle commença à accélérer son débit de parole inconsciemment.

- Une fois à l'intérieur, Ryûken a mis la main sur le document. Je n’ai pas eu le temps de le consulter et je préférais vous attendre, mais il semblerait que les informations sur le partage de Wasure et les armes légendaires soient liées. Mais peu importe. Dit-elle en faisant un mouvement de la main en se reconcentrant sur son récit. C’est là que les choses se sont gâtées. L’alarme a été sonnée et les gardes ont commencé à arriver jusqu’à nous. Par chance, nous avons réussi à quitter le château avant d’être reconnu, j’en suis presque certaine. Mais, j’ai dû faire quelques dégâts matériels pour qu’on quitte l’endroit sans se faire arrêter… Admit-elle en faisant la moue. Je pense que la salle des archives est inaccessible pour quelque temps. Je tiens à vous informer que nous n’avons fait aucune victime pendant notre fuite. Ryûken et moi-même sommes revenus au milieu de la nuit par voie aérienne, en bonne santé. Il aura surement besoin de quelques jours pour se remettre de ses émotions.

La Rose souffla un grand coup avant de continuer son discours. Elle se sentait déjà un peu plus libérée.

- J’ai conscience d’avoir pris un grand risque en m’attaquant au palais du Daimyô et que ma décision peut être lourde de conséquences. J’en accepterais les sanctions. Finit-elle avec sincérité.

Pensait-elle minimiser sa punition en prenant les devants ? Non pas vraiment, elle ne pensait pas le Mizukage si facilement manipulable. La kunoichi remplissait simplement son statut de shinobi gradé et respecté. Si ses supérieurs jugeaient ses actes irresponsables, elle devait en payer le prix et assumer ses actes.

Le document qu’il venait de lire était de nature unique. Sous les lignes officialisant le partage du pays oublié entre les grandes puissances de ce monde on pouvait reconnaître le sceau du daimyô de l’Eau à l’époque où le traité fut signé. Plusieurs générations de daimyôs s’étaient succédés en préservant le fameux secret de ce partage, sans que personne durant deux siècles ne réalise l’existence-même de cette île sur la carte. Le fait de mettre la main sur pareil document serait sans doute capable de provoquer des secousses dans les hautes instances mizujines, mais à en croire la Jounin, ils n’auraient laissé aucune trace susceptible de les mettre sur leur piste. Et pourtant, cela ne les empêchera pas d’être listés comme suspects du fait de la coïncidence entre leur audience au Palais censée explorer les tréfonds de l’histoire mizujine notamment le passé des épéistes de la Brume et la nature du braquage ayant permis d’entrevoir l’intérieur des archives du Palais de l’Eau.

La décision de poursuivre la mission malgré le refus de donner suite à l’audience par le daimyô, le fait de ne pas avoir complété leur objectif leur avait laissé un sentiment amer, le sentiment de ne pas avoir accompli le devoir en tant que shinobi de la Brume. Le pari était risqué et pourtant, ils parvinrent à obtenir des informations cruciales en coopérant avec la princesse de l’Eau qui n’est autre que la nièce du daimyô, sans laquelle ils n’auraient jamais réussi à pénétrer les Archives. Sans trop savoir ce qu’ils cherchaient, ils mirent la main sur ce document légal, qui n’avait pourtant aucune information sur l’origine des armes légendaires… bien que celle-ci semble être liée à ce qui s’est passé sur Wasure à l’époque. Trop peu d’informations par rapport à l’immensité des risques, la disproportion était bien trop flagrante pour que le Nobuatsu ne considère pas de pointer du doigt l’irresponsabilité de la Gozan dans cette affaire qui pourrait profondément ternir leurs relations avec le daimyô, une confiance qui avait pourtant été restaurée encore récemment.

— Tu as pris une décision qui aurait pu mettre en danger notre relation avec le Daimyô de l’Eau. Si tu acceptes d’assumer la responsabilité de tes actes, alors tu ne verras pas d’inconvénient à ce que tu sois livré en tant que prisonnier au Palais.

Il marqua un temps de pause intentionnel afin de préparer son interlocuteur au pire qu’il pourrait lui arriver, bien qu’au fond de lui il savait que cela ne serait pas nécessaire, pour le moment.

— Toutefois je n’ai pas reçu de message de la part du Palais pour l’instant, à l’exception de ceci. Il sort un rouleau d’un tiroir et le présente à Arukisa. Avant que tu ne me donnes ton rapport, je n’étais pas certain de qui il pouvait s’agir, mais maintenant, c’est plutôt évident.

Spoiler:

— Ceci est donc ta dernière chance d’éviter le pire scénario pour toi comme pour Kiri, tu te sens à la hauteur d’accomplir cette dernière tâche? Je te conseille d’y aller accompagné. Il pourrait aussi s’agir d’un piège, mais je doute que le daimyô ait pu aussi vite arriver à la conclusion que nous étions responsable de ce qui s’est passé, donc il ne peut s’agir que d’une personne qui était déjà au courant de votre infiltration. Alors, que choisis-tu?

Un flot de pensées sombres s’immiscèrent dans l’esprit déjà brumeux de la Rose dès lors qu’elle perçut la réponse stoïque du Mizukage. Prisonnière ? Kiri la laissait donc tomber ? Un frisson glaçant lui parcourut l’échine jusqu’à venir le transpercer dans le dos. Une lame spectrale, conséquence de son irresponsabilité, la déchirait sans prévenir. Jamais elle n’avait imaginé une telle conséquence. Dans le pire des cas, elle se voyait mise à mort en guise de pardon auprès du Daimyô, et elle aurait certainement préféré cette issue plutôt que de périr au fond des geôles du palais impérial. Son visage se délita, affichant une bouche qui luttait pour ne pas se déformer de chagrin. Ses yeux s’abaissèrent vers le sol, encore plus bas, jusqu’à ses pieds. Le silence qui suivait les paroles de Saji-sama ne fit qu’amplifier le mal être étourdissant qui gagnait chaque membre de son corps tétanisé. Un acte tel que le sien valait certainement la perpétuité. Si elle s’était déjà imaginée mourir sur le terrain, elle haïssait l’idée de croupir comme un rat entre quatre murs.

Arukisa s’apprêta à balbutier quelques mots à son supérieur mais elle fut finalement coupée dans son élan par la reprise de parole de celui-ci.

Avant même d’avoir terminé de lire le rouleau, la jônin ressentit l’étreinte qui l’étouffait se desserrer lentement. Son souffle retrouvait son rythme habituel, elle vivait de nouveau. La kunoichi avait une carte à jouer. Sa mission n’était pas terminée. Si elle n’avait pas pu accomplir sa part du marché vis-à-vis de la princesse, celle-ci l’invitait à se rattraper. Du moins, c’est ce que le message laissait présager. Une conclusion possiblement hâtive mais la situation et les mots laissaient penser qu’il s’agissait forcément de l’héritière du pays de l’Eau. Aru’ attrapa dans ses mains la missive pour la relire une seconde fois et capter chaque information. Saji-sama lui offrait une porte de sortie, un moyen d’échapper à un triste sort. Un regain d’ardeur naquit en elle tandis qu’elle récupéra sur le bureau les documents volés au château d’Ukiyama. Ses pupilles encore frémissantes voyaient naître en elle une lueur d’espoir.

- Je préfère mourir dans cette auberge plutôt que de croupir dans une geôle. Lui répondit-elle d’un ton résolu. C’est pas la fin que je m’étais imaginée.

La Rose n’avait aucun doute sur la personne qui l’accompagnerait afin de la sortir de ce bourbier. La seule personne en qui elle avait totalement confiance à Kiri.

- Yuki Misaki viendra avec moi. Dit-elle en saluant la Mizuka avant de prendre la sortie.

En réalité, il valait mieux que son élève soit auprès d’elle pour l’aider à s’extirper des soupçons. Si Aruki avait fini dans une geôle, la Yuki aurait certainement réagi, et certainement de la plus violente des manières.