Quelle sacrée aventure fut cette histoire de Samouraï venu d'un autre temps. De sa rencontre à son appréhension jusqu'à sa mort en passant par son interrogatoire, l'Unité spéciale constituée de Takahashi Miya, Kaguya Shitekka et Yamanaka Kiyon s'était liée d'une expérience qu'eux trois seraient les seuls à comprendre en ce monde. Une histoire qui n'avait pas vraiment besoin de mots échangés pour que la triade soit soudée et présents l'un pour l'autre. Mais cette histoire était à présent terminée, aussi longue et particulière fut-elle. Était-ce vraiment la fin ?

À sa sortie de la grande cave qui avait servi de laboratoire à l'interrogatoire de Zukei Toshiro, l'Argonaute des Pensées avait vu ses propres flots envahis par le navire de la conscience du samouraï déchu. Une sensation qui lui avait glacé le sang, fait pâlir son visage et remonter une sensation nauséeuse. Jamais son esprit n'avait été investi par celui d'un autre depuis l'époque où ses parents lui avaient appris à se familiariser avec ses dons claniques. L'absence d'autres interventions malvenues du revenant lui fit refouler ce souvenir, espérant pouvoir le relayer au domaine de l'hallucination provoquée par la fatigue mais l'idée d'une vendetta le terrifiait. En l'instant, ne s'étant pas exprimé sur le sujet et n'ayant pas entendu ses camarades en discuter, il ignorait si cette expérience avait été partagée par Miya et Shitekka.

Quelques temps ayant passé et avant de pouvoir s'autoriser un repos après cette mission éprouvante pour le Maître-Esprit, les trois shinobis se rendirent au Palais de la Brume pour venir faire leur rapport personnel au Mizukage Nobuatsu Saji. En effet, le caractère inédit de leur mission ainsi que la fragilité des informations obtenues leur permettait d'outrepasser le rapport écrit afin de venir le présenter face à l'exécutif. C'était bien la première fois que le Chunin allait avoir affaire au Chef des Sabreurs et du Village en personne.

Gravissant les marches des escaliers jusqu'à atteindre le bureau de Saji, Kiyon essayait de se remémorer les informations collectées aux côtés de ses camarades. Les yeux dans le vide, il se repassait en tête les scènes de cet interrogatoire au fur-et-à-mesure jusqu'à ce que ...


Le Maître-Esprit secourait sa tête pour chasser cet écho. Ce n'était pas le Réprouvé qui s'exprimait directement mais la mémoire de ces derniers mots se ressassait dans son esprit perturbant le visionnage de ses propres souvenirs. Le ninja était perturbé et son âme tourmentée mais face au Chef du Village il allait devoir faire preuve de professionnalisme et chasser tous ces troubles.

S'arrêtant un instant dans son ascension pour se ressaisir, l'Épouvantail fermait durement les yeux en saisissant l'arête de son nez. Un soupir fut émis, puis il reprit sa marche jusqu'au bureau dont il franchissait la porte :

- Yamanaka Kiyon, Chûnin de la Brume. Au rapport. disait-il en se plaçant face au siège retourné de l'Ombre de l'Eau.

Depuis son réveil, Kiyon ne sentait pas cette journée. Si le souvenir et la présence de Zukei Toshiro semblaient être la cause évidente de ce malaise, la force des choses allait révéler qu'il y avait bien quelque chose de lourd dans l'air qui se tramait. Cette journée avait des airs d'arrivée dans le Pays des Merveilles. Toute chose auquel le shinobi s'attendait ne se déroulait pas comme prévu. Se rendant au Palais de la Brume pour y faire son rapport, il s'attendait à y trouver la compagnie de Kaguya Shitekka et de Miya. Rien n'y fut.

L'ambiance lourde se poursuivait jusqu'à la première prise de parole. Après la déclaration de son rapport, un certain silence prenait en longueur. Tout était décalé aujourd'hui, rien n'était respecté, comme si le monde entier le testait. Sous tension, l'Épouvantail restait silencieux tandis que sa conscience hurlait au Mizukage de faire cesser ce bruit blanc et de se hâter de répondre. Le petit instant qui avait pris des airs de purgatoire finit par être rompu mais l'atmosphère n'en devenait pas moins pesante.

Ce n'était pas juste cette rencontre mais depuis ce matin rien ne tournait rond, comme s'il marchait dans un rêve.

- Je ... oui tout va bien, Septième du Nom, une légère fatigue rien de plus, je ...

Nobuatsu Saji avait la réputation d'être un leader accessible. Ferme sur le terrain mais soucieux de ses sujets, il ne paraissait alors pas incongru à Kiyon que ce dernier s'enquière de son état malgré une familiarité déstabilisante au premier abord. Pinçant l'arête de son nez un court instant, un sentiment de vertige prit le Télépathe alors que tout autour de lui semblait être perçu de manière erronée. La voix de son interlocuteur était inconstante et son enveloppe pas moins volatile.

Drogue ? Genjutsu ? Pour ce spécialiste de l'Illusion, il ne fallut pas attendre longtemps avant que cette hypothèse le traverse naturellement. Une autre, plus incongrue, lui intimait qu'il se trouvait peut-être bel et bien dans un de ses rêves comme il l'affirme sans réellement le croire depuis ce début de journée. Après tout, ce ne serait pas le premier voyage onirique auquel l'Argonaute des psychés se livrerait.

Sans vraiment paniquer, le shinobi dégainait un senbon en demandant :

- Que se passe t-il ?

Plus récemment, le village l'avait déjà mis à l'épreuve sous l'examen de l'agile Arukisa. Il n'avait eu vent des suites de cette évaluation, faisait-il face à sa continuité ? Son nez fut alors piqué d'une odeur à laquelle les rémittences de la silhouette de Saji semblaient se confondre aux émanations gazeuses.

- Merde.

Trop tard. S'il pouvait en sentir le parfum, alors il était déjà trop tard. Il ne pouvait qu'espérer que ce fumet soit inoffensif et non responsable de ses divagations. Le Chunin savait reconnaître une illusion et s'en défaire mais il ne pouvait faire grand chose face au sabotage de son organisme par le biais de drogues.

Le Chant des Sirènes semblait à présent se stabiliser comme si la situation précédente qui semblait être originelle était in fine la véritable illusion et que la vérité se déliait. Le malaise, après avoir traversé un pic, connaissait une redescente grâce à laquelle le Yamanaka put se ressaisir, s'enhardissant de la saisie d'un second senbon dans son autre main.

La vérité semblait vraiment retrouver sa place à présent et quelques pistes d'explication venaient à la porte des considérations de Kiyon. On lui sous-entendait une autre autorité que celle du Chef des Sabreurs. Quelque chose qu'à vrai dire il ne soupçonnait pas. Que cherchait-on à lui révéler ? Quelque chose qui dépasse le Village de la Brume ? Pourquoi lui en parler ? Cherche t-on à l'y intégrer ? À l'éliminer ?

- Cessez les sous-entendus. Que voulez-vous ? déclarait-il en voguant du regard tant la localisation précise de la voix devenait de plus en plus floue. Non, les subterfuges n'étaient finalement pas terminés.

Nous sommes l'information et la source. Nous savons tout ce qu'il y a à savoir sur cette mission. Des Agents de l'Homme au Chapeau, du Ningen ? Non, nous verrons ce qu'on pourra tirer de ces informations. Ça signifiait clairement que les informations dont disposaient le Ningen sur Zukei Toshiro étaient aussi découvertes par cette même source.

- J'aurais aimé pouvoir tirer plus de ce Samouraï. Sa valeur était inestimable, ne serait-ce qu'historiquement.

C'est alors que la source des quelques paroles échangées trouvait un point précis dans le dos du shinobi, histoire de ne pas faire dans l'originalité. Presque amusé quoique conscient que sa garde devait rester levée, Kiyon ferma les yeux et laissa échapper un sourire nerveux, sourcils froncés. Il déclara alors :

- Ôtez-moi d'un doute, un simple Kai n'aurait pas suffit, n'est-ce pas ?

Se retournant pour faire face à celle qui lui fit mention du Kyoi, il fit la rencontre d'une nouvelle personne. Inconnue au bataillon, la femme semblait à l'aise et exprimait une certaine confiance voire un certain pouvoir dans sa façon de se tenir. Cette même confiance semblait lui permettre de s'adresser à Kiyon en des termes plutôt familiers :

- Un moment que vous m'observiez ? Intéressant, je ne crois pas l'avoir déjà remarqué.

Il accorda à son interlocutrice de quoi terminer sa phrase avant d'y apporter une réponse :

- Le Kyoi ? Oui, on nous a annoncé qu'ils composaient notre escorte pour l'interrogatoire du Samouraï. Mais pour moi cet organe a toujours représenté quelque chose de très nébuleux. Je suppose que vous le représentez, n'est-ce pas ? Vous qui semblez déjà tout savoir sur moi je ne sais rien sur vous, puis-je savoir à qui j'ai honneur ? dit-il en rangeant d'un geste discret ses senbon à l'intérieur de ses manches, contre sa peau.

Ce voyage onirique qui un jour l'avait emmené entre les anneaux d'une femme saurienne blanche qui l'enserrait, fut-ce un rêve prémonitoire qu'avait-eu Kiyon cette nuit-là ? Empirisme passé et situation actuelle se confondaient en une expérience qui transcendait le temps. Les scènes fondaient l'une sur l'autre et des parallèles troublants se dessinaient sans laisser de place à l'hasardeux ou à la providence. Cette femme, Mitsuhide Fuki, incarnait parfaitement le serpent blanc anthropomorphique aux yeux rouges qui dansait autour de lui cette nuit-là.

L'ophidée continuait sa danse qui avait des airs de séduction macabre. Kiyon, Maître des Mantes avait l'habitude de côtoyer les meurtrières amantes et pourtant ce fut bien la première fois qu'il s'en sentait la proie.

- Je devrais donc vous laisser savoir tout à mon sujet sans même disposer de votre seul sobriquet ? C'est un échange ma foi bien inéquitable. Mais je saurais vous reconnaître un certain jeu dans cette injustice qui, je dois l'avouer, a un certain attrait. Vous êtes une grande joueuse, n'est-ce pas ?

Être une proie ne plaisait pas à Kiyon. Il ne pouvait nier avoir été effrayé dans un premier temps mais il ne servirait pas d'encas aujourd'hui, il se le refusait. Il était temps de se montrer à la hauteur des évaluations qu'on lui tendait. Il n'y aurait pas de souriceau dans cette pièce mais bien deux serpents se tournant autour. Il ne ferait pas de Mitsuhide son quatre heures, c'était indéniable, mais il ne pouvait se permettre de laisser l'inverse devenir une possibilité. Puisse Yamanaka Kiyon renaître de sa Mue.

Les écailles recouvrant sa peau se mettaient à luire, signe de la jeunesse et de la pureté de son nouvel épiderme. Cette assurance lui permit de transformer ce qui ressemblait précédemment à un jeu de la proie et du traqueur en un ballet ophidien. Ce soir sonneront les sifflements serpentins de ces serments susurrés.

- La raison de ta présence ?

À quoi bon vouvoyer le Spectre s'il souhaitait s'ériger à son niveau ? Le Cobra Kiyon laissa tomber les marques de ce fossé désuet qui les séparait auparavant.

- J'ai bien une petite idée.

Le Yamanaka n'était plus statique, il entrait officiellement dans la danse. Alors que les mouvements de la Belle formaient leur propres remous, le jeune homme accordait les siens à ceux de l'Autre, les reptiles se tournaient à présent autour.

- J'ai un jour dit à une amie qui m'est chère que la Brume m'apportait qui j'étais. Que "Yamanaka Kiyon" n'avait pas de sens sans Kiri. Ce Village m'a déjà confié une identité, elle lui appartient, alors la lui donner pour veiller à sa prospérité n'est qu'une extension de ce que j'ai toujours accompli. Je n'ai pas attendu le Kyoi pour agir ainsi.

Il était évident que l'Argonaute allait accepter ce qui lui était tendu par Mitsuhide Fuki, mais il devait faire comprendre ne pas dépendre de son offre s'il ne voulait pas se faire engloutir par la beauté serpentine.

- Ce n'est que la suite logique d'un chemin qui était déjà tracé avant que je ne me mette à marcher dessus. Un sentier gravé sous les divagations de la Brume contre le sol de cette nation, une brume à laquelle j'accepte volontiers de me confondre dans mon identité propre tant elle fut celle qui me l'a conféré et en est la seule et véritable Mère.

Non, Mitsuhide Fuki n'était pas celle qui détenait un quelconque pouvoir dans cette pièce, selon ses propres dires elle n'était personne. Mais Yamanaka Kiyon n'était personne non plus. Seule la Main de la Brume exerçait un pouvoir sur eux et en aucun cas l'un ou l'autre n'avait à se targuer de cette prétention.

La danse fut de courte durée. Si Kiyon avait gagné en assurance et en prestance pour s'ériger en égal de son interlocutrice, il fut assez vite rappelé que ce n'était pas le cas. Mitsuhide Fuki ne le rabaissa pas, non. Elle semblait même presque toute aussi convaincue que l'Épouvantail lui-même. Mais l'évocation de certaines obscurités assaillaient le Yamanaka de questions auxquelles seule le Spectre en face de lui avait quelques pistes de réponse. Le Chunin, lui, ne pouvait même pas avoir une idée de ce dont il était question. La force des choses lui rappelait la différence fondamentale qui se dressait entre eux deux. Mais au moins il avait eu le sentiment d'avoir réussi à prouver disposer du potentiel de cette relation égalitaire.

- Je suppose qu'il ne me sert à rien de te demander de quelles ténèbres il est question. Je ne pense pas pouvoir réaliser quoi que ce soit sans d'abord les accepter. Quel jeu cruel. ponctua t-il d'un sourire en coin.

- Si je veux savoir de quoi il s'agit je dois d'abord accepter de plonger dedans. Je dois donc en être affecté avant même de pouvoir m'y préparer. Que la vie est injuste.

À l'orée de ces quelques mots, les lignes du dos de Fuki se dessinaient sous le regard de Kiyon tandis que cette dernière jouait des mains pour faire taire les sifflements. Et pourtant, le Shinobi ne semblait plus pouvoir entendre rien d'autre que ces derniers. Du Fuinjutsu ? Du Genjutsu ? Il fut plongé dans le silence pendant deux longues minutes. Se posait alors très rapidement la question du pourquoi. Quel était l'objet de ce mutisme ? Était-ce une épreuve ? Devrait-il s'en défaire ? Une fois de plus la réponse lui échappait mais il décida d'aborder la chose de la même manière que jusqu'à présent : la docilité. Agir avec sérénité et calme montrait non seulement sa maîtrise de lui mais le mettait également lui et les autres en paix avec le fait qu'il était à sa place en ces lieux et en cet instant, qu'il n'avait rien à craindre. Du moins, c'est ce qu'il espérait. Personne n'était à l'abri de l'erreur, pas même quand on savait lire les esprits.

Le temps de ces considérations permit à celui du secret de s'écourter quelque peu dans l'expérience vécue de Kiyon dont la fin s'annonçait à l'arrivée de la brise dans la pièce. Instinctivement, les bras de l'Épouvantail se dressèrent devant lui, le regard acéré et sur la défensive. Pas si serein que ça, semblerait-il. Se dressa alors la silhouette masquée d'un individu à l'intersection de la paire ophidienne. La garde du soldat s'abaissait alors quelque peu alors qu'un Pacte lui était proposé.

- Instinctivement j'ai très envie d'agréer sans délibération. Mais il me semble que beaucoup de choses sont en jeu sans même qu'elles ne me soient appréhendables. Abandonner définitivement mon identité n'est pas un souci, mais qu'entends-tu par "Confier ma Voix" et quels seraient les effets de ce sceau ?

Voeu de silence ? Sûrement une formalité pour empêcher les Spectres de la Brume de communiquer des informations importantes en cas de capture et limiter la trahison, mais qu'est-ce qui prouvait à Kiyon que ce Sceau n'allait pas plus loin que cela ?

S'abandonner dans les profondeurs de la Brume. D'ordinaire, ce genre de processus irréversible aurait de quoi effrayer n'importe qui. Pourtant, le cœur de Yamanaka Kiyon battait à la chamade. Non pas que l'anxiété se soit emparé de lui, plutôt comme si cet organe ne commençait à prendre fonction qu'en ce jour. Il était séduit. Dans ce champ vierge qu'était son existence où il trônait en son centre en guise d'épouvantail crucifié, Fuki se tenait au loin vers l'horizon. La Brume gagnait la vallée et s'intensifiait selon la mesure des volutes dansées par la kunoichi. L'Épouvantail se détachait de ses cordes liées à mesure que son cœur prenait son rythme.

En posant son premier pied au sol, la paille qui constituait son épiderme se faisait absorber par la chair qui commençait à composer son visage. Ses orbites vides se remplissaient d'œillades vives alors que les mèches sèches qui lui servaient de crinière gagnaient en consistance. À chaque pas vers Fuki il devenait de plus en plus vivant. C'est en abandonnant son identité qu'il gagnait en chair, ironiquement. L'Épouvantail devenait Homme.

Alors que les explications s'enchaînaient, l'impatience de Kiyon se dénouait. Chaque mesure liberticide faisait accélérer sa tension comme s'il semblait avoir envie d'en être le tributaire, comme s'il l'avait toujours attendu. Jusqu'où s'étendait sa volonté de servir la Brume ? À quel point considérait-il que son existence-même tournait autour du village ? Quelles considérations l'avaient amené à voir chaque restriction comme une récompense ? C'est comme si ce qui ressemblait d'abord à un manque de confiance était traduit par Kiyon comme étant justement un gage de confiance. Après tout, certes de telles mesures sous-entendaient la prévention d'une trahison mais c'est bien bien parce qu'une confiance a été donnée qu'elle peut être trahie, sinon chaque villageois de la Brume serait soumis à ce sceau restreignant.

Une sorte d'ivresse semblait s'emparer du shinobi à mesure que son souffle se raccourcissait jusqu'à ce que Fuki termine sa prise de parole.

- J'y consens. Je confie ma Voix au Village. Puisse l'apposition du Sceau commencer car en ce jour je suis prêt à devenir le Murmure de la Brume.