Cette fois encore par commodité, le guerrier de pierre s’était laissé pousser des ailes imaginaires pour rapidement parcourir la distance entre les plateaux sud et le Dojo des Assimilateurs. Son poids réduit à celui d’une plume qui restait mue par des kilos de muscles lui autorisait des manœuvres pointues et particulièrement précises, et c’est avec cette maestria que l’Oterashi descendit des cieux par l’ouverture au centre du grand bâtiment, là où le feuillage de l’arbre géant tendait à tutoyer lui aussi le ciel. Ralentissant progressivement sa descente, frôlant l’écorce rugueuse et accueillante à la fois du pilier végétal, Yanosa fronça les yeux en repensant à ces sensations qu’ils percevait de plus en plus souvent le parcourir, chaque fois qu’il s’envolait au-dessus d’Iwa, chaque fois que le vent frappait son corps enrubanné en se glissant dans le moindre interstice. Le Chûnin calciné était coutumier du fait, habitué à sentir les mutations du chakra en lui, ses transformations, particulièrement depuis son « entremise » avec Yonbi.

Le chakra du démon avait bien failli lui coûter son intégrité, son identité, et avait semé le trouble de nombreuses semaines dans son corps. Le guerrier sans visage, durant cette période, avait dû se battre, se purger, pour recouvrer le contrôle de son pouvoir d’Assimilation. Ce qu’il sentait se faufiler en lui de façon presque imperceptible, ces derniers temps, était toutefois bien différent. Sa connexion avec la Terre était à son apogée, ne souffrait d’aucun parasitage quel qu’il soit, et pourtant… Pourtant, le Tellurique arrivait de moins en moins à ignorer ce qui était en train de se passer. Et si ces impressions se transformaient en nuisances ? Et si, au final, ces vagues de chakra qu’il sentait s’immiscer en lui n’avaient rien d’anodines ?

Yanosa se glissa par l’ouverture en hauteur donnant dans ses quartiers, y déposa son matériel et réfléchit quelques instants, une main sur le menton. Peut-être, cette fois-ci, aurait-il besoin de davantage que ses simples réflexions et que sa paranoïa pour résoudre le problème, un problème qui d’ailleurs n’existait pas encore… pour autant qu’il sache. Sans plus attendre, l’Oterashi se glissa donc jusqu’à l’atrium en s’allégeant à nouveau, s’engouffrant dans la foulée dans un corridor dans lequel il se propulsa comme si la gravité n’avait pas d’emprise sur lui. Plusieurs fois il bifurqua dans ce petit dédale de pierre et de bois qu’il connaissait par coeur, propageant ses sens à l’intérieur pour repérer l’aura de l’individu qu’il recherchait. Un Chûnin au caractère acerbe et au talent certain avec lequel le Tellurique n’avait jamais réussi à converser plus de cinq minutes d’affilée. Et ce fut sur les traits de son visage que son regard se porta alors, sitôt qu’il arriva dans la salle d’entraînement des initiés du vent.

Ichirô était là, au centre, entouré d’une demi-douzaine d’autres shinobi d’âges très divers, et si le petit groupe était clairement au milieu d’une activité, celle-ci s’arrêta net lorsque l’arrivée de Yanosa fut constatée par toutes et tous.

« … J’ai à te parler. Disposez un moment... » fit-il aux élèves du membre du Cercle.

Quelques mots échangés, souvent murmurés, et la salle bientôt se vida de tout occupant à l’exception du guerrier de pierre et de l’éolien.

« ...Erhm… J’imagine que tu as une bonne raison, pour débouler comme ça au milieu de mon cours ? »

Pendant un moment assez long pour provoquer l’ire d’Ichirô, le guerrier de pierre resta silencieux, s’enfermant dans un mutisme contemplatif tandis qu’il parcourait la salle à pas mesurés tout en sentant les différents chakra qui venaient de s’y mêler.

« ...Tu comptes accoucher un jour ? Les autres tolèrent peut-être tes grandes pauses dramatiques mais pour ma part, j’ai vraiment pas que ça à faire. »

C’était comme si l’Oterashi ne l’avait même pas entendu, ses yeux se fermant un instant pour laisser cette impression persistante s’immiscer en lui comme elle l’avait fait alors, au Dojo de Tenzin, et bien d’autres fois auparavant également, tandis qu’il tutoyait les cieux grâce à sa maîtrise du poids et de la gravité. Il avait appris à connaître Ichirô, en dépit de leurs liens limités, et savait pertinemment que malgré ses dernières paroles, il n’irait nulle part sans avoir pu écouter ce que Yanosa avait à lui dire. Dans un mouvement lent presque fatigué, ce qu’il était légitimement vue la nuit de patrouille qu’il avait passé, le Tellurique s’assit au sol à quelques mètres de l’Assimilateur venteux, relevant alors enfin son regard vers lui tout en expirant.

« … J’aurais besoin de ton aide, Ichirô. »

Entendre ainsi l’Oterashi jouer aussi franc-jeu avec lui arracha un haussement de sourcils à l’éolien, accompagné par une bouche entrouverte ne sachant quoi rétorquer à une telle marque de reconnaissance et d’honnêteté à la fois. Malgré tout, le Senten se ressaisit vite, comme le guerrier de pierre s’y était attendu, et adopta aussitôt une posture plus décontractée.

« Et, euhm… En quoi je pourrais t’être utile, au juste ? »

Yanosa déglutit légèrement, jamais vraiment à l’aise lorsqu’il devait solliciter l’aide de qui que ce soit sur un sujet dont il n’était même pas sûr de la véritable nature. Tout ce qu’il avait pour l’instant était une vague intuition, des expériences floues et erratiques, ainsi qu’un sentiment tenace que quelque chose d’inachevé se trouvait encore fondamentalement attaché à la mort de Tenzin, son ancien mentor. Quelque chose de personnel et par conséquent… de délicat.

« … Tu n’as jamais eu l’impression, par moments… par exemple, pendant une confluence, de… ressentir le chakra de l’un de nous, qui t’aurait traversé, qui t’aurait… suivi ?
- Eh, non, je… Mais c’est quoi cette question, qu’est-ce qui te travaille, comme ça, hein ?
- Konran Tenzin. Tu l’as connu, je suppose… ?
- Connu, c’est vite dit, mais… Oui. Oui, je le connaissais. Quand je suis arrivé, beaucoup me comparaient à lui d’ailleurs, c’était… un peu malaisant, parfois.
- Il a assurément laissé un grand vide, quand il est parti… Mais c’est justement ce dont je voulais te parler, Ichirô.
- De quoi, de Tenzin ? Sérieusement ?
- ...J’ai l’impression… qu’une part de lui est encore là. Ici, fit-il en plaçant un poing fermé contre son poitrail.
- Whoaaa, mais je rêve… Yanosa Oterashi… le Clairvoyant… ! Qui se met à faire du bon sentiment ? C’est la meilleure…
- Je ne parle pas de sentiment, Ichirô. Je te parle de ce qu’il était, de sa nature. De son chakra. »