C'était dans un ryokan, une auberge hijin de surcroit que l'exilé fit une halte à quelques lieux de la capitale. Cette paisible entreprise avait ça de bon de n'être guère le refuge des militaires bien trop proches de leur foyer pour s'y soustraire et offrait ainsi un paisible et quiet havre pour cette âme en peine Shinrin. Dégarni de sa cape et ses survêtements de voyage, il profitait de la fraîcheur du matelas de jonc pour rester là et fixer le plafond en l'attente d'un invité qui se faisait attendre.
Ses dernières aventures furent pour le moins épineuses et les longues nuits où le sommeil lui avait fait défaut s'étaient inscrites en son visage devenu bien pâle et où les sombres cernes violacées côtoyaient les microfissures d'un derme mal entretenu et puni par l'affliction. Mais las de replonger dans ces funestes remembrances à chaque crépuscule. Ce soir il allait revoir un vieil ami, pour sûr ça lui réchauffait le cœur rien qu'à l'idée, mais il savait que cette réjouissance ne serait que de courte durée tant les sombres nouvelles qu'il avait à lui partager n'allaient point ravir l'ambiance. Pire, il savait que sa franchise risquait de lui jouer des tours et que cette nuit pourrait être marquée par de désolantes et préjudiciables idées.
Mais à son grand malheur, il portait à cœur une certaine dignité qui rendait ce genre de choses non négociables. Car après tout, il devait plus bien qu'une simple amitié au colosse d'Hi no kuni, ça oui…
Soudain, le plancher grinçait, étirant son grondement jusqu'aux murs qui semblaient pleurer sous l'annonce d'un pas lourd et nonchalant. Rabaissant les yeux à l'horizon, le client Shinrin se relevait alors, l'œillade dirigée vers sa porte de chambré close. En lui il cultivait là l'espoir et une certaine peur de savoir son camarade au seuil de sa piaule.
"C'est toi ?" chuchotait-il d'une voix étouffée et affaiblie par le voyage.
Cette drôle de sensation. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas ressentie ? Ce frisson mêlant peur et excitation, le Kogami ne l’avait plus senti lui parcourir l’échine depuis qu’il avait quitté la vie de vagabond. D’autant plus que sa vie récente était marquée d’ébats amoureux ou la peur et l’idée même d’angoisse n’avaient pas leur place. Pour une fois avait-il eu droit d’apprécier le fait d’être en vie sans s’embarrasser de tous les problèmes qui étaient siens ou non.
La venue de son vieil ami vint définitivement perturber cette courte euphorie. Au moins avait-il repris contact et amorcé ces retrouvailles bien avant qu’elles ne puissent se faire, laissant au Kogami le temps de se préparer à ce que pourrait bien lui réserver leur rencontre. Revoir Hanzo lui faisait inévitablement plaisir, mais son statut de déserteur couplé aux sombres nouvelles dont il le devinait porteur ne put l’empêcher d’être empreint d’appréhension.
“ … “
S’arrêtant aux portes du lieu choisi, il posa une main pleine d’appréhension sur la poignée de son katana. Non pas qu’il se pensait pris dans un guet-apens, mais savoir son ami recherché le poussait à la vigilance. Qui sait s’il avait été reconnu et suivi. Quand bien même le savait-il débrouillard, Akira gardait une certaine prudence.
Heureusement n’eut-il pas à rester sur ses gardes bien longtemps. Une fois à l’étage, la ou le parquet trahissait honteusement une présence qu’il ne cherchait pas à dissimuler, le jeune homme put entendre la voix reconnaissable du Shinrin depuis la chambre devant laquelle il s’était arrêtée. Une voix portant les stigmates du fugitif. Ainsi, après un court moment de flottement, le lieutenant poussa la porte grinçante sans un mot, refermant derrière lui après avoir pu constater qu’il s’agissait bien d’Hanzo.
Du peu qu’il lui restait de l’époque ou il était encore soldat.
En effet, son ami semblait abîmé par les affres d’une vie mouvementée. Etait-ce vraiment étonnant ? Après sa mission suicide, sans doute pouvait-il s’estimer heureux de le retrouver en un seul morceau. Tout comme lui d’ailleurs, qui revenait tout droit des territoires de l’humanité sans cicatrice en stigmate de ce court voyage.
“ Tu as l’air… accablé de fatigue. “
A l’inverse, Akira ne s’était que rarement aussi bien porté. S’il avait dû encaisser deux lourds échecs, sa peau halée semblait vierge d’aspérités et ses yeux dorés toisaient son vieil ami de cette même placidité qui l’avait toujours caractérisé. En un sens, le Kogami n’avait pas changé. Du moins… si l’on occultait cette étrange aura laissant penser qu’il avait encore et toujours progressé.
“ Je suis heureux de te revoir. J’ai l’impression qu’il y a une éternité que je n’ai pas revu un visage amical. “
Shinpachi, Kamui, King, Gozen… bon nombre de ses meilleurs amis étaient morts ou disparus. L’un du fait de celui qu’il venait de retrouver, sans qu’il ne soit, ironiquement, au courant. Qu’importe. Au diable ceux qu’il avait perdu, puisse-t-il profiter de celui qu’il venait de retrouver. Et bien qu’il s’en réjouissait, le lieutenant semblait indécis, immobile, ne sachant pas comment exprimer sa joie de retrouver un ami qu’il avait longtemps cru perdu à jamais.
Lentement, il observait cette porte s'ouvrir et cette forme de silhouette devenir de plus en plus réelle et consistante. Sombre et fine au début, le colosse se détaillait alors de gauche à droite, trahissant son être sous l'effet de la lumière de chambrée qui éclairait à présent aussi bien la pièce elle-même que l'individu à son seuil.
"…"
Le Shinrin demeurait quiet, comme si il en était rendu à ne plus convoiter les retrouvailles avec son ami. Mais les premiers du Kogami donnèrent le ton et lui rappelaient alors qu'en son propre esprit il n'y avait pas que de l'appréhension, il était bienheureux que de revoir sa face, qui semblait quant à elle assez radieuse si ce n'est rafraîchie.
"Oui… ça n'a pas été simple… mais je suis de retour à présent."
Si ces mots pouvaient sonner la fin des hostilités, il n'y avait guère besoin d'être malin pour comprendre que c'était bien plus compliqué que ça. Mais s'il faisait plaisir de voir que son ami semblait bien portant, la sensation qui saisissait au foi le Shinrin le laissait quelque peu perplexe tant il pouvait humer dans l'atmosphère et percevoir dans l'éclat de ses yeux que toute la vérité ne se reflétait guère sur sa simple silhouette. Mais "qu'importe" pensait-il, certainement qu'il trouverait réponse à ses errances de l'esprit au cours de leur conversation.
"…"
Ne mouftant guère face aux paroles de bonhomie du Lieutenant, il ne put s'empêcher de le rejoindre d'un pas aussi quiet que sa parole, l'enlaçant sans honte ni gêne comme n'aurait jamais pu le faire le soi qu'il était auparavant. Les affres de son périple avaient eux ça de bon de le dépouiller de toute fierté superfétatoire. Il avait appris à profiter des siens, de la plus pure des manières en faisant fi de tout parasite.
"Je suis heureux de te revoir également mon frère, pardonne mes manières, j'ai du mal à respecter les usages. "
Se désolidarisant de son étreinte, empoignant ses épaules comme un oncle disparu aurait pu le faire à un neveu, il lorgnait sur le bougre d'un œil de haut en bas, entrevoyant ainsi dans sa démarche et ses évolutions physiques que le temps et l'expérience lui avaient encore une fois étaient bénéfiques.
"Je vois que la vie également n'a pas été tendre envers toi. Il faut que tu me racontes tout."
Sourire au bec, Hanzo le compagnon était de retour.
De retour. A quel prix ? Akira le savait, Hanzo avait des projets pour le futur de l’empire. Tout comme lui. Et il allait sûrement falloir faire des sacrifices pour les mener à bien. Seule se posait la question: fallait-il attendre ? Et si oui, attendre quoi ? La fin de la guerre ? Ce contexte trouble faciliterait sûrement leur projet de réappropriation du pays. Tant de questions fusaient déjà en l’esprit du Kogami.
“ Pour de bon j’espère. Nous avons… beaucoup à faire. “
Avoua-t-il en lui jetant un regard entendu. Mais par ou commencer ? Akira n’avait même pas idée de tout ce que pouvait savoir Hanzo, et encore moins de ce qu’il pourrait trouver intéressant. Beaucoup de projets avaient germé de son côté, la plupart n’ayant aboutit à rien si ce n’est l’abandon.
Pris de court par l’accolade de son ami, Akira n’ayant jamais été très démonstratif au vu de la barrière qu’il avait tendance à mettre entre lui et autrui, il plaça néanmoins une main rassurante dans le dos du Shinrin. Difficile de le traiter comme s’il était n’importe qui après tout.
“ Je ne sais pas quels sont les usages lors de retrouvailles de longue date. “
Sûrement avait-il agit comme il le fallait. Hélas, la suite ne s’annoncerait peut-être pas aussi optimiste.
“ Je pense n’avoir que peu de choses à raconter en comparaison à ce que tes périples t’ont apporté. Je me suis entraîné. J’ai connu la victoire, mais les rares défaites que j’ai dû essuyer ont été écrasantes. Mon accession au poste de capitaine et mon excursion à Tsume en soient témoins. ”
S’il aurait été plus acerbe auparavant, le temps lui avait permis de s’assagir et prendre du recul. Il était toujours vivant et capable, rien de plus important. Akira pouvait encore revenir sur ses erreurs et imposer le changement.
“ Cela dit, je suis désormais fiancé. Et ta famille va bien, Funka comme Shin. “
Comme il le lui avait transmis sur le papier, Akira avait veillé à ce qu’il ne leur arrive rien. Après tout, il n’aurait pas été étonnant de voir l’empereur tenter de s’en prendre à la famille d’un déserteur.
“ Ah, j’ai rencontré un membre de ton clan dernièrement. Un certain Songshu. Un peu trop virulent, m’est avis que tout le monde ne te voit pas comme un héros. J’espère que tu as eu plus de succès vis à vis de tes frères d’Hayashi. “
Akira s’en doutait, son ami avait sans doute beaucoup de choses à raconter. Ne tenait qu’à lui de les partager ou non.
"Beaucoup à faire", c'était le cas de le dire. A tel point que le vengeur ne savait plus où donner de la tête tant ses perspectives se tournaient aussi bien vers l'Empire que le monde entier. Privilégier un c'était forcément délaisser l'autre, au plus grand malheur de celui pour que tout n'était jamais assez. Quoi qu'il en soit, il tardait que d'échanger à ce sujet avec son frère d'arme.
Alors calme il l'écoutait tandis qu'il reposait son séant sur le matelas de jonc, agrippant de sa serre de chair par la même occasion une bouteille mystérieuse et sans étiquette récupérée dans un endroit peu scrupuleux tandis que sa dextre de bois il pinçait du bout des doigts une paire de coupelle tout aussi proches.
Yeux tournés vers le colosse, ses mains s'affairaient machinalement d'elles-mêmes à préparer la boisson, déversant avec une soin une quantité raisonnable de substance interdite dans chacun des contenants avant de refermer la fiole et se froisser la nuque sous l'entente du récit corsé du lieutenant.
"Que la flamme m'en soit témoin, les suppôts de Mû semblent t'avoir à l'œil mais tu demeures debout et conquérant mon ami. Tu m'en vois ravi… Il n'est qu'une question de temps avant que vengeance soit faite à ces affronts."
Titillant du bout de moi l'héliolite qui pendouillait à son coup, c'est un fin et gai sourire qui lui pendait au bec qui s'affichait lors de l'entente de la nouvelle, contrastant ainsi délicatement avec la face quelque peu grisâtre qu'il avait pu lui partager jusque là.
"… Je ne sais que dire… Félicitations et merci pour ces nouvelles, je regrette de ne pas avoir à tes côtés pour honorer cette si belle nouvelle."
Ignorant était-il de la personne qui partageait à présent la vie du Kogami, conjecturant maladroitement que le nom de la chanceuse ne lui évoquerait rien et qu'il ne serait guère important au récit. C'était dire à quel point il se trompait.
"Song' hein… " il laissait échappait un rire sous la surprise. "Ce n'est pas n'importe qui, c'est mon frère cadet (rires), veux-tu bien pardonner sa discourtoisie ? De notre fratrie c'est sûrement le plus acide, mais crois-moi, c'est une âme au cœur pure pour qui veut bien fermer les yeux sur quelques uns de ses agissements. Quant à Hayashi, je t'en parlerai plus tard…"
Soudain, l'atmosphère s'enténébrait sous l'aura funeste que dégageait le marionnettiste. Il semblait en avoir fini avec les sociabilités d'usage, ne pouvant guère supporter d'endiguer les mots qui le tenaient au bout de la langue.
"Notre correspondance a dû te préparer au fait que j'ai une nouvelle à t'annoncer, une nouvelle qui sonnera certainement comme un prélude à ton ire mon ami. Je t'estime bien trop pour te préserver de la vérité ou l'envelopper de quelconques artifices, alors je serai concis et direct."
Inspirant un long et pénible bol d'air, décanillant du regard cette coupelle au sol qui ne demandait qu'à être vidée, il prit son mal en patience et déversa ce qu'il avait sur le cœur en un quartet de syllabes qui sonneraient peut-être comme la fin d'un monde.
Dans un sens, Akira arrivait à avoir les mêmes obsessions que son ami. Plus n’était jamais assez. Il y avait toujours quelque chose à faire, à avoir, et les innombrables projets qu’il avait à mener menaçaient constamment de le submerger sous un flot de responsabilités. Le monde n’était pour ainsi dire pas assez calme pour lui permettre d’y trouver toute quiétude. Tout le monde semblait en ébullition.
Suivant du regard les mouvements de son frère d’arme qui semblait s’apprêter à leur servir à boire, il termina son récit en tirant un fauteuil pour prendre place face à lui. Ce genre de moments se faisaient rares ces temps-ci. Le calme avant la tempête, sans doute… pour le meilleur et pour le pire.
“ Tu me connais, on ne me verra jamais genou à terre. “
A moins de rendre l’âme, Akira n’était guère homme à s’avouer vaincu. Au contraire, il apprenait progressivement à tirer une certaine force de ses défaites et à en ressortir plus fort. Comme chaque personne devrait le faire d’ailleurs.
“ Ne t’en fais pas. La situation n’est guère propice à ce genre de délices, mon union viendra après la paix. “
Dit-il, sachant très bien qu’une histoire d’amour dans ce contexte mondial et même limite à l’empire pourrait se finir de manière tragique. Akira n’était pas dupe, montrant au contraire une facette souvent pessimiste de sa personnalité. Mais peu à peu, la vie lui avait fait preuve d’une clémence salvatrice.
A la première révélation du Shinrin, il haussa légèrement les sourcils. Ainsi ses doutes étaient-ils fondés. Akira avait émis l’hypothèse qu’il avait eu affaire à un agent double couvrant ses traces de manière bien trop appuyée pour se dévoiler à l’inconnu qu’il était. Manifestement avait-il bien vu.
“ Oh… je vois. C’est moi qui ait manqué de prudence. Je ne savais pas que tu avais un autre frère. “
Dit-il en pensant un instant à Shinpachi alors que l’augure d’une bien sombre nouvelle s’annonçait. S’il s’y était préparé, Akira restait ignorant et incapable de s’en figurer la portée véritable. Il n’appartenait qu’à Hanzo de se porter témoin de ce qu’il voulait lui transmettre. Une bien sombre nouvelle laissant le Kogami pantois.
“ … “
Son esprit fusa. Gozen était un ami, et il savait très bien qu’il s’était dirigé vers le Ningen pour une opération d’infiltration. Qu’avait-il bien pu se passer pour qu’il doive en arriver là ? Mieux valait s’en quérir avant de porter tout jugement hâtif sur l’affaire.
“ Ne t’arrête pas en si bon chemin. Explique moi tout. Et n’oublie rien… “
… Au risque de laisser place à une situation plus véhémente.
Un poids s'était envolé tandis qu'il avouait son acte. Mais aussi loin cette culpabilité pouvait-elle allait qu'elle ne préservait guère le Shinrin du jugement de la personne qu'il avait en face de lui. Et pour sûr, il ne savait pas quoi penser ou peut-être ne voulait-il simplement pas y penser. Car oui, au plus grand étonnement du damoiseau, ce n'était point par un effarement teinté de fureur que le colosse avait réagi. Au plus grand désarroi du vengeur, son compagnon se montrait singulièrement calme et avare de circonstances. Sous une auspice commune et dénuée de cette histoire, certainement qu'une telle réponse ne l'aurait pas étonné tant il était acté que le Kogami n'était guère le démon de fureur que sa silhouette lui prêtait. Mais dans l'âme du marionnettiste subsistait cette pulsion de mort qui empoisonnait chacune de ses pensées et l'inclinait continuellement vers de sombres pensée funestes, tantôt envers les autres, tantôt envers sa propre chair.
Alors ravalant ce cataclysmes de réflexions qui s'emparait de sa psyché, il fit table rase de ces dernières en s'enfilant une rasade du sombre liquide qui trônait là, enquillant sur une deuxième volée, puis une troisième à la plus grande détresse de son gosier calciné par le liquide pousse-au-crime. Mais si l'on prêtait l'ivresse à cette bistouille, à ce moment c'était bien elle qui livrait au Shinrin un élan de lucidité qui allait lui permettre de réciter la pure et simple vérité.
"C'est une histoire que l'Empereur se garde bien de taire tant elle implique sa déchéance. Tu étais là le jour où Shinpachi fut estropié par notre plus grand ennemi, tu étais là le jour où la nouvelle de sa mort fusait dans les ruelles de la capitale telle une brise macabre. Mais ce que l'on avait bien omettre de dire, c'est que c'est l'Inéluctable qui lui avait pris son dernier souffle tandis que, mutilé, il n'eut guère pu se défendre."
La gorge sèche, il laissait à son interlocuteur le temps d'avaler cette annonce, renquillant sur une nouvelle lampée avant de reprendre, les lèvres humides, les yeux bas, le teint morne.
"… et si le mobile d'Enma t'échappe, il n'est point inconnu pour ceux de l'Impériale qui étaient familier à l'idiosyncrasie de Shinpachi et à son aura pernicieuse. Il était comme on pourrait l'appeler un bourreau de l'âme, un maître des complots qui enveloppa certains de ses confrères dans son ombre, une ombre d'éther, une ombre malsaine et emprunt à un supplice qui torturait l'âme à petit feu."
Bataillant ses propres démons, sa propre expérience de ces événements, il relevait timidement le regard.
"Gozen n'accepta guère de demeurer ainsi le suppôt de cet homme que l'on éleva au titre de Valeureux. Alors, dans le secret, d'un coup de lame, il prit la voie de la liberté…"
Regard contre regard, si son récit traduisait d'une certaine manière la réflexion qu'il avait lui-même porté à l'égard des motivations de l'inéluctable, il concluait celui-ci par un épitome des siennes.
"Et je fis de même."
Tel était l'Impériale. C'était une histoire qui ne pouvait se terminer autrement.
S’il avait réagi avec retenue, probablement encore sous le choc de cette subite nouvelle, Akira se gardait le droit de pouvoir répondre avec véhémence en fonction des justifications de son ami. Peu de choses pouvaient le faire sortir de cette placidité qui l'accompagnait partout, mais la mort d’un ami en faisait indéniablement partie. Surtout des mains d’un autre ami, renforçant le dramatisme de la nouvelle.
Insondable, il décrocha son daisho de sa taille pour déposer katana et wakizashi contre l’accoudoir de son fauteuil. Un geste qui n’était pas anodin, Akira ne quittant jamais ses armes. Manière d’éviter de céder à la tentation ou, au contraire, de se réserver le droit de réagir avec impulsivité, personne ne pouvait le savoir.
“ … “
Nouveau coup de marteau. Et pas des moindres. La mort de Shinpachi était, sans doute, l’événement le plus marquant qu’il eut à vivre ces derniers mois. Alors même qu’il l’avait sauvé pour la seconde fois en ramenant son corps meurtri sur les terres du feu, le valeureux avait soit disant succombé à ses blessures. Si la tristesse d’Akira avait noyé tout soupçon, le lieutenant réalisa peu à peu l’étendue du complot qui s’était quasiment joué sous ses yeux.
“ … “
Son regard ne changea pas, bien qu’il se perdit dans le vide un court instant. Seuls ses doigts, pianotant peu à peu sur l’accoudoir, témoignaient d’une certaine agitation et des ruminements auxquels il s’adonnait en silence. Gozen n’était pas un simple ami à ses yeux. Il ne s’agissait nul autre que de l’empereur légitime aux yeux du Kogami, du moins lorsque ses ambitions furent d’accéder au trône. Il aurait dû être celui qui redorerait le blason et l’honneur du Teikoku après la trahison de Rei. Quel choc que d’apprendre qu’il n’était rien de plus qu’un traître lui aussi. Évidemment s’était-il bien gardé de lui révéler le pot aux roses.
Mais le pire restait que ce secret ne pouvait pas être si bien gardé qu’il aurait dû l’être. Qu’importe comment s’y était-il pris, Gozen avait forcément laissé des traces. Quiconque eût procédé aux constatations avait sûrement compris les causes du décès de Shinpachi. Ainsi, l’empereur lui avait menti. Ses soit disantes blessures mortelles n’étaient pas la cause du décès, et Akira vint à se demander combien de gens pouvaient le savoir. Combien de traîtres pourris jusqu’à la moelle aurait-il à décimer. Combien d’immondes pourceaux complotistes ternissaient l’empire.
“ Je tuerai tous ceux ayant de près ou de loin baigné dans cette affaire sans dévoiler la vérité. “
Déclara-t-il finalement après ce long silence cryptique, monocorde. Akira semblait si renfermé et obnubilé par la maîtrise qu’il avait de ses émotions qu’il ne semblait même pas renvoyer de colère. Pourtant, au plus profond de lui-même, le valeureux bouillonnait. Sa nation semblait à chaque nouvelle s’entacher un peu plus de complots et corruptions, si bien qu’il perdait peu à peu espoir de pouvoir un jour la remettre sur pieds.
“ Shinpachi n’était pas le seul à qui l’on prêtait ce portrait. Tu n’imagines pas tous les qualificatifs qui t’ont été affublés. Pourtant, toi comme lui ne m’êtes jamais apparu comme ceux que semblent avoir vu les autres. Shinpachi était un ami, épris de passion, fervent meneur d’hommes et le meilleur motivateur de troupes que je connaisse. Qu’importe ses idées et ce que pouvaient en dire les autres, je n’ai vu aucun de ses détracteurs m’accompagner ce jour la, lorsque nous avions tenté de contrer l’homme au chapeau à la seule force de nos convictions. “
Serrant doucement le poing, il ferma les yeux.
“ J’aurais tué Gozen moi-même si j’avais sû. Sans doute est-ce pourquoi il ne m’a jamais rien dit. “
En revanche, qu’il en ait informé Hanzo constituait une interrogation à ses yeux. Dans quel but ? Provocation ou soulagement de sa conscience ? Difficile de le savoir. Peut-être Hanzo le savait-il, mais Akira ne souhaitait même pas le lui demander.
“ S’est-il défendu ? “
Demanda t-il finalement alors qu’il rouvrait les yeux pour affronter à nouveau ce monde qu’il trouvait de plus en plus vicié.
Par son geste symbolique, le Kogami enterrait ici la perspective des représailles, allégeant indubitablement le poids qui peinait le cœur du jeune marionnettiste. S'il s'était drapé d'un voile de haine en contant toute cette histoire, il n'en fallait pas plus pour qu'une fraîche bouffée d'air puisse à nouveau revivifier son être. Mais alors, qu'en était-il du Kogami ? S'était-il avisé sous le simple effet de l'annonce ? Il semble que la réflexion qu'il portait face à ces révélations avait trouvé une nouvelle mire, et pas n'importe laquelle. C'était comme si presque tous les maux de ce monde gravitaient autour d'une seule et même personne, un Empereur qui se targuait d'œuvrer pour la paix mais qui au final, était la parfaite représentation du mal.
Et lorsque par ses mots le colosse rapprochait Shinpachi de son frère, c'est un élan de gaieté qui emportait ce dernier. Car bien que les choses que l'on pouvait lui affubler n'étaient guère de l'ordre du respect ou de la politesse, il était bon que de se savoir ressemblant à celui que l'on admire. Alors qu'importe la bave des infidèles, la pie ne se laissait pas atteindre par leur médisance.
Yeux dans les yeux, pour la première fois depuis ce jour à Tsume, Hanzo se reconnectait au cœur de son fidèle ami.
"Il me fait chaud au cœur que de te savoir partisan de la vérité Akira. Je te remercie de ta bonté à l'égard de l'âme de Shinpachi. J'aime me dire que son énergie nous transcende et qu'il nous guide vers la voie des justes."
Le bois du colosse était probe et digne. Indirectement le Shinrin s'en voulait d'avoir pu douter de la droiture de ses convictions. Même son amitié avec Enma ne suffisait pas à entacher la pureté de sa foi et son intégrité sans faille.
"Notre affrontement fut bref. J'aime présumer qu'il avait une stratégie une tête qu'il n'a guère pu appliquer, mais avec le temps il m'est de plus en plus difficile de ne pas conjecturerque c'était la fin qu'il avait prévu."
Le doute, pire ennemi du guerrier.
"Mais quoi qu'il en soit… nous pourrions épiloguer durant de longues nuit sur cet événement, il ne nous faut pas oublier le plus important… L'ordre."
Avait-il besoin de plus amples détails ? Certainement pas.
Akira restait stoïque. Il n’était pas si surprenant qu’il soit resté droit et fort de ses convictions. Rien ni personne ne saurait l’en détourner, surtout pas les dires d’un empereur kumojin étant resté bien trop secret pour être honnête. Yahiko n’avait même pas essayer de le manipuler. Tel un enfant cachant ses draps après avoir uriné, la colombe s’était contentée de ne rien lui dire. Un piètre manipulateur.
“ Sois rassuré, son héritage est entre de bonnes mains. “
S’il ne ressemblait, au fond, guère à Shinpachi, Akira gardait des ambitions similaires et possédait en lui cette ardente ferveur pouvant pousser à toutes les folies pour son empire. Un empire qu’il jugeait en perdition, ce qui le rendait d'autant plus dangereux. Une sorte de bombe à retardement, en somme.
“ … “
Pensif, il avisa des paroles du Shinrin. Au vu de cet air résigné qu’avait pris l’Uzumaki lors de son départ vers le ningen, et ce sous les yeux du valeureux, ce manque de résistance faisait finalement écho à sa défaite en tant qu’empereur. Continuer à vivre après le meurtre du Shinrin lui était de toute manière sans doute trop insupportable.
“ J’imagine qu’il ne te l’a pas avoué par hasard. Comme s’il cherchait à expier son péché. Je me demande bien quelles étaient ses raisons. “
Le rappel du Shinrin l’extirpa néanmoins des doutes qu’il commençait à formuler. Les raisons de sa venue étaient toutes trouvées… sans doute ne se doutaient-ils pas que l’ordre se rétablirait de lui-même.
“ A qui le dis-tu. La question étant, comment s’y prendre ? La conflagration existe pour une raison mais ni toi ni moi ne pouvons l’appliquer. J’ai bien peur qu’un tel travail ne demande de devenir des traîtres. “
Une chose à laquelle était prêt à faire face le Kogami.
Les mots du Kogami étaient malheureusement justes et laissaient un goût amer au palais du Shinrin. Il était pénible que de savoir l'Empire dans un tel état, parasité jusqu'aux plus hautes instances du pays, ne laissant entrevoir aucun futur verdoyant tant que la situation demeurait ainsi. Alors pensif l'exilé se trouvait bien quiet face à son ami, comme si la pie en avait perdu ses plumes.
"… Tsss…"
Il ne pouvait exprimer que son dégoût face aux cognitions qui lui traversaient l'esprit. Sa jacasserie n'aurait été qu'une longue et affligeante litanie à l'égard de la Colombe, son archennemi. Alors il se contentait d'exprimer son ire par son poing, crispé envers ce drap qui n'avait rien demandé et qui se retrouvait être la victime de son courroux.
"Il va s'en dire que si notre volonté est légitime, il est difficile d'imaginer une entreprise licite pour mener nos plans à bien."
Mais alors que ses mots traitaient de droit, son esprit lui ne faisait que conjuguer avec sa haine.
"Il nous faut prendre le temps de réfléchir pour mieux agir. Trouver des alliés reste avant tout notre priorité, traitons ce point-là avant de réfléchir au suivant."
Puis, se relevant, c'est vers cette fenêtre bercée de lumière sélène que son attention s'en alla, comme happée par cette beauté rafraîchissante qui contrastait là avec la laideur de ses intentions.
"Arrêtons nous là Akira. Il me fait plaisir de te voir, cette nuit c'est avec le cœur allégé que je pourrais me coucher. Ayons foi en l'héritage de nos croyances, ayons foi en la flamme. Il n'existe nul futur où le malin séjournera plus longtemps en notre Empire. Tu le sais tout aussi bien que moi."
Il est difficile de confronter la foi en ces perspectives sombres qui enténébraient les pensées du marionnettiste, mais son assurance envers le très-haut contrebalançait à merveille toute négativité. C'est uniquement en ces moments de croyance, auprès d'un ami, que le cœur du jeune homme pouvait s'emplir d'espoir. Autrement, tout n'était que noir et bile.
Si la situation pouvait paraître désespérée, Akira ne la voyait pas de cet oeil pour la simple et bonne raison que ce n’était pas le premier tumulte qui leur était donné de traverser. L’empire avait déjà connu un empereur parjure, le manque d’effectifs et la perte de membres chers. Plus encore, celui-ci s’était bâti sur les ruines d’un massacre. Vivre le chaos finit tôt ou tard par désensibiliser qui s’y frotte.
“ … “
Gardant un instant les yeux clos, signe parfois de profonde réflexion, tantôt de résignation, le Kogami était mutique. Akira n’aurait aucun mal à renverser l’empereur par la violence lors d’un coup d’état. Le seul problème serait son rapport au peuple. Le lieutenant ne voulait pas passer pour un traître auprès des siens.
“ L’empire a traversé moults périodes difficiles. Ne t’empoisonne pas au ressentiment. Nous parviendrons tôt ou tard à refermer notre poigne sur le trône. “
Baigné par l’optimisme du retour de son ami et la force de ses ambitions, le valeureux semblait dans une toute autre optique. Pour cause, un samouraï ne devrait jamais laisser son esprit obscurcit.
“ Soit. “
Il se redressa finalement, projetant une fois de plus l’ombre de son arrogante silhouette contre les murs de la chambre. Pour ceux qui ne se fiaient qu’à l’apparence, le Kogami pourrait paraître bien effrayant.
“ Ayons foi. A plus tard Hanzo. N’oublie pas, je ne suis jamais loin. “
Il était évident qu’il lui apporterait toute l’aide possible dans son retour. Ains, une fois les retrouvailles terminées, ce fut le coeur allégé que le lieutenant disparut dans les méandres des dédales de la capitale. Une capitale qu’il espérait voir animée de la flamme de l’empire sous peu.
Accueil
