C’était une douce sensation que de sentir ses cheveux virevolter au gré du vent, qu’ils caressent la peau blanche de ses joues avant de retomber lorsque la brise fut estompée, avant de reprendre de nouveau, suivant les caprices du battement des ailes du dieu du vent. Fermant les paupières quelques minutes afin de profiter de cet instant, le multipliant par mille dans l’espoir que celui-ci ne se termine jamais. Méditant une fraction de seconde, se concentrant uniquement sur cette sensation, ne se focalisant uniquement que sur le ressenti d’un tel évènement, qui pour beaucoup semblerait banal. Profiter de ce genre de moment, n’était-ce ici la voie vers un bonheur certain ? Ou fallait-il réellement atteindre l’illumination afin de toucher du bout des doigts le paradis ? Bien qu’un peu exagérées, de nombreuses idées de ce genre traversaient l’esprit tortueux de notre jeune polymorphe aux cheveux sarcelles. Le visage levé vers le ciel, il regardait le soleil se lever doucement, derrière une insistante brume, caractéristique de la capitale du pays de l’eau. Il se trouvait au même endroit dans le port depuis une bonne dizaine de minutes et ne bougeait pas d’un pouce, se laissant aller aux aléas de la douce brise fraîche d’une matinée d’été. Cette brise était provoqué par Kyuurai, la déesse Serpent du Ciel. L’une des grandes divinités du peuple Hyksos, elle était représentée sous les couleurs d’un arc-en-ciel et était mère des caprices du vent. C’était elle qui soufflait doucement, permettant aux marins de naviguer sur les flots. Mais en opposition à cette douce idée, elle était également d’une colère farouche, un serpent lunatique pouvant gronder et lancer des éclairs cataclysmiques, foudroyant l’Homme d’un clin d’oeil. Son comportement était autant altruiste que destructeur. Elle était le messager de la fierté des Dieux envers le peuple Hyksos.

Chassant cette déesse arc-en-ciel de son esprit, Nehebkau continuait d’avancer jusqu’au port Naragasa, lentement, regardant d’un oeil inquiet les navires marchands affluer. Ils arrivaient de loin et des visages inhabituels descendaient de ces grands bâtiment de bois, chargés de vivres, de matériaux et de denrées en tout genre. Le commerce était la règle d’or d’une bonne entente avec ses voisins et de prospérité économique. Son peuple avait également cherché à commercer des fabrications artisanales contre des vivres et de l’argent, afin de pouvoir le dépenser dans d’autres domaines que le peuple ne pouvait produire lui-même. Le fils de Rinjuu avait de très nombreuses fois participé à des missions diplomatiques, même avec la grande nation de Kaze, dont certains villages et bien entendu sa capitale, le village du Sable. Il avait également participé à des missions de protection de convoi qui avaient été précédemment négocié lors de contrat. Plus le contrat était juteux et important, plus il y avait de Hyksos pour le protéger. Fort heureusement, il n’y avait pas eu énormément d’ennemis pendant ces missions : des brigands, des jaloux, des malfrats s’essayant au ninjutsu dans la majorité des cas. Mais jamais l’Héritier n’avait eu à affronter de véritables shinobis, si ce n’était l’ancien avec qui tout avait commencé. Grâce au corps duquel il avait eut la révélation suprême, celle qui allait basculer tout l’avenir de son peuple. Cette fameuse nuit où il avait pu voir une illumination cauchemardesque de ce serpent à huit têtes dont personne n’avait jamais eut d’apparition. Yamata no Orochi, le dieu des dieux. Cette nuit, qui avait boulversé sa vie.

Toujours debout sur la berge, il regardait une barque aller à la rencontre d’un navire qui attendait son tour pour pénétrer dans la zone de déchargement afin de livrer ses biens contre d’autres bien, ou contre de l’argent. Il commençait a avoir beaucoup plus de monde, de minutes en minutes, au sein du port. Les travailleurs arrivaient tous alors que les marchands également se pressaient pour réquisitionner ce qui leur appartenait. Lève tôt, Nehebkau était ici en quête d’un paysage nouveau, tout en se délectant d’un des très nombreux livres religieux qu’il avait amené avec lui. Aujourd’hui, il avait la tête plongé sur un petit livre, qui pouvait quasiment tenir dans la poche. La couverture était écailleuse et toute blanche. C’était un livre sur le « maudit » sur le « trompeur de mort », sur le « passeur ». Il avait bien des noms, mais l’officiel était Rinjuu, dieu de la Mort, de la Souffrance et de la Dernière Heure. Maudit pour l’éternité, ce serpent ayant trompé sa propre heure avait été débarrassé de son épiderme coloré, ce qui était une honte incommensurable pour ces reptiles invertébrés. La couleur était une part extrêmement importante de sa reconnaissance, de sa force et de sa gloire. Ce livre disait justement qu’il avait été maudit par son propre père, le dieu du Sang, des Blessures et accessoirement, de la Guerre. Il l’avait déjà lu bon nombre de fois, car considéré par les siens comme la « réincarnation de Rinjuu », le « fils de Rinjuu », il se devait de savoir s’il pouvait effectivement s’identifier à ce dieu, s’il pouvait y trouver une trace de vérité, une trace de ses racines dont personne dans son peuple ne savait rien. Il aimerait un jour parler à ce dieu, pour avoir sa version. Mais ce jour viendrait-il ?

Quoi qu’il en était, le spectacle était tout de même affreusement différent, et à la fois tellement beau. Deux déserts s’étaient étendus aux pieds de Nehebkau. Le premier était un véritable désert, au sens propre du terme, du sable chaud à perte de vu, comme si rien d’autre n’existait, comme si celui-ci n’avait pas de fin. Peu de personnes s’aventuraient dans ce désert s’il n’était pas correctement préparé. De l’autre côté, désormais, il voyait un désert bleu et remuant au gré des caprices de Kyuurai. Ce désert bleu et humide qui provoquait cette épaisse brume. Si calme et à la fois si mortel lorsque la déesse ne permettait aucun dérangement. Ces vagues pouvaient monter à une hauteur incroyable, dont la colère et la force pouvait balayer en l’espace d’un instant toute une civilisation comme on fauche les blés. Deux déserts, deux décors, deux paysages incroyables, mais également deux forces de la nature. Notre protagoniste se délectait de ce paysage alors que des cris surgirent derrière lui. Se retournant lentement, il vit une petite foule bouger de façon inhabituelle, se mettre à murmurer des insanités, puis hurler pour que quelqu’un intervienne. Il s’agissait là d’un marchand surtout, assez vieux avec des paniers dans les bras. Devant lui, se rapprochant de quelques mètres de Nehebkau, des hommes dans la trentaines se mirent à courir dans tous les sens avec des paniers dans leurs bras, en regardant également dans tous les sens. Ils avaient tous l’air suspect. Le pauvre homme venait de se faire agresser et voler ses vivres. Un seul shinobis, beaucoup plus jeune était aux prises avec l’un de ces hommes. Mais les autres fuyaient. Nehebkau dont la nature calme et égoïste l’empêchait de se mêler des affaires d’autrui, devait-il intervenir..

Peu à peu, l’envahissante brume disparaissait au fur et à mesure que le soleil lui apparaissait. La chaleur du soleil d’été faisait s’évaporer cette douce bruine, si fine qu’elle semblait n’être que condensation. Dans le même temps, les rayons du soleil perçaient, réchauffant la peau et le corps des vivants qui se baladaient sur les quais du port Naragasa. En même temps que le soleil s’étaient élevées des voix, des hurlements de sommation et de menace. Certains appelaient à l’aide pour aider le marchand qui venait de se faire tirer par un petit nombre d’individus. Beaucoup criaient à l’aide, mais aucun n’intervenaient. Pourtant, avec le nombre de personne qui s’amassait sur cette place, ils avaient de quoi intervenir et remporter une victoire certaines sur cette bande de jeunes malfrats. Alors que le seul ninja sur place essayait avec difficulté d’intervenir. Un autre homme attirait le regard reptilien du héros de cette épopée. Cet homme d’un certain âge intervint en élançant son poing fermé au niveau de la tempe de l’un des voleurs. Le choc fut tellement violent que même Nehebkau qui était à une distance certaine entendit le bruit du contact entre la tempe et les articulations de l’homme. Le voleur ne put résister à cette violence et tomba net sur le sol, sans en demander plus.

Quant aux deux hommes qui fuyaient en direction de la Réincarnation de Rinjuu, ils arboraient un grand sourire. Un sourire tellement fier de cette exaction que le polymorphe se sentit obligé d’intervenir, simplement pour leur faire enlever ce petit sourire narquois de leur visage respectif. Sans crier gare, et en se mettant à courir à toute allure dans leur direction, Nehebkau se mit à composer une complexe série de mudras. Immédiatement, les deux fuyards virent l’homme qui arrivait sur leur flanc gauche avec une vitesse incroyable ainsi qu’un regard de tueur braqué sur eux. Ils changèrent rapidement de direction, pour éviter de se retrouver nez-à-nez avec cet homme. Mais le plus près des deux se sentit soudain retenu avec une fraiche pression autour du cou. Cette pression était humide et l’étouffait au fur et à mesure qu’il tirait. Stoppé net, il ne put donc que se retourner pour voir d’où cela venait. Mais au moment où il le fit, il fut déjà trop tard. Le genoux de Nehebkau s’enfonçait alors dans la mâchoire de ce premier homme qui avait été retenu par un fouet aqueux crée par le récent shinobis de la brume. Egalement, s’en fut assez pour lui et ne se releva pas. Regardant le deuxième fuyard, notre reptile vint soulever son bras en arrière avant de le lancer en avant, toujours le fouet dans la main droite. Celui-ci s’étirait sous l’effet rotatif et vint s’enrouler rapidement autour de la cheville du deuxième homme. Le voleur s’écrasait lourdement sur le sol et continuait de ramper comme pour essayer de s’échapper. Comme un joueur professionnel d’un sport trop bien payé, Nehebkau brandit son pieds et vint l’achever sur la tempe de l’homme au sol. Quelques gerbes de sangs plus tard, les deux hommes étaient immobiles. Prêt à être cueillit comme des fruits mûrs.

« Joli coup ! Très peu de personnes auraient résisté à un coup de poing de cette envergure. Dit alors notre Hyksos en se rapprochant de l’homme qui l’avait aidé à capturer les voleurs. Cependant, alors qu’il s’approchait, son instinct vint le mettre en alerte. Plus il s’approchait, plus il sentait une étrange menace. Pourtant, il n’avait pas l’air agressif, ni même impressionnant. Pourquoi alors cette sensation ? Je me nomme Masamune. »

Il marquait une pause alors que son regard se baladait de façon non dissimulé et extrêmement gênante sur l’homme. Il devait avoir la quarantaine, une chevelure très épaisse et une barbe entretenue de la même couleur. Mais ce qui retenait le plus l’attention de Nehebkau était la façon dont cet individu était habillé. Depuis qu’il avait quitté le peuple Hyksos, il avait à de rares occasions croisés des gens habillés de la sorte, avec une chemise, cravate, comme s’ils allaient à une cérémonie. Cependant, à la vue de l’habitude qu’il devait avoir à porter ces vêtements, ce devaient être ses habits de tous les jours. Etrange accoutrement, comment pouvait-il se battre ainsi vêtu ? Alors qu’il venait de se présenter, il ressentait toujours cette étrange alerte à l’intérieur de son âme. Il avait de très rares fois ressenti ce type de danger. Il avait très certainement une piste, mais il n’avait que deux façons de le vérifier. La première était de l’attaquer de front et voir de quelle façon l’homme allait se défendre. La deuxième était de simplement demander, comme une personne civilisée.

« Excusez ma question, mais vous êtes un polymorphe n’est ce pas ? »

Le regard en biais du quadragénaire ne quittait pas la démarche de cet homme qui était lui aussi intervenu. Celui qu'il dévisageait s'était interposé contre les malandrins qui avaient voulu dépouiller le marchand. Une utilisation basique mais efficace du Suiton. Tenma n'était pas encore le plus à l'aise avec le vocable et capacités shinobis, ses connaissances s'arrêtant encore à des bases mais il avait appris ce qu'étaient les natures primaires du chakra. Lui-même était capable de manier le Dôton. Il ne put s'empêcher de comparer les deux affinités selon le fameux cercle des faiblesses. Un moyen de se sentir supérieur à cet étranger ? En tout cas il ne le pensait pas sciemment. Il était simplement dans l'attente de renforts pour ramener leurs prisonniers où ils seraient reçus.

Ayant espéré profiter d'un peu de solitude, il fallut que l'inconnu se présente sous le patronyme de Masamune. L'héritier du Peuple Singe devrait au moins répondre, même si cette seule perspective lui laissait un arrière-goût amer. Sympathiser avec des Hommes le rendaient malades. S'il avait rejoint la Brume, c'était uniquement pour se rapprocher du clan Yasei, auquel sa tribu était liée. Il savait cependant qu'il devait faire un effort pour intégrer cette nouvelle structure qui lui était inconnue. Face à la présentation sommaire de son vis-à-vis, il souffla une longue volute de fumée, expiant ses plus mauvaises pensées par la même occasion, avant de pivoter la tête vers Masamune :

- Tenma, répondit-il en toute simplicité. Et merci pour le compliment. Vous ne vous êtes pas mal débrouillé non plus.

Ce compliment fut difficile à sortir. Bien qu'il n'en laissait rien paraître, sa haine de l'Homme lui brûlait les cordes vocales. Il dû faire avec et espéra surtout qu'il n'y aurait pas de suite à cet échange. Le genre de rencontre qui ne dure qu'un bref instant pour se briser et disparaître dans la Nature. C'était ce à quoi il aspirait, à l'instar de la profonde inspiration qu'il tira de sa cigarette. Quelques secondes de répit lui signalèrent qu'il était hors de danger. Mais la voix de Masamune arracha son idéal de quiétude. D'autant que ses propos ne purent le laisser indifférent.

D'un geste mesuré, il reporta à nouveau son regard sur ce parfait inconnu. Le fait qu'ils aient échangé leurs prénoms ne signifiaient rien aux yeux du quadragénaire qui se méfiait toujours des autres. Il ne se sentait pas proche d'autrui pour autant. Néanmoins, lorsque cet étrange personnage l'assimila à un zoomorphe, Tenma ne put cacher un intérêt subit pour cette conversation. Il le détailla un peu plus de ses yeux, cherchant sûrement à traquer une faille. Était-ce un envoyé du village ? Un mercenaire que sa mère aurait engagé ? Beaucoup de suppositions farfelues se bousculaient à l'intérieur de son crâne, commençant à y provoquer un mal que la nicotine ne saurait apaiser.

Tâchant d'assurer à sa voix une tonalité la plus neutre possible, ses propos ne faisaient pas illusion de l'état d'esprit dont il était victime dans l'instant.

- Qui le demande ?

Les rumeurs et l'expérience lui avaient bien appris que l'Homme n'avait jamais de bonnes intentions à l'égard des changeurs de forme. Il ne pouvait croire que la question était anodine. Bien que le clan Yasei soit établi ici depuis peu, il y avait une raison précise pour que cet individu vienne le trouver ici-même pour poser cette question particulière. Un contexte qui n'incitait qu'à la méfiance et à une tension élevée chez le quadragénaire. Il s'attendait à tout moment à voir ce Masamune bondir sur lui. Cette cité avait peut-être accueilli les zoomorphes, mais Tenma doutait encore de la bonne volonté des Hommes.

Quelques pas en direction de l’homme étrangement vêtu, ce blondinet ne semblait pas bien imposant ni bien impressionnant, et pourtant, l’instinct du reptile l’empêchait de se rapprocher d’avantage. Mais soit, ils étaient tous les deux à une bonne distance, suffisante, pour échanger et tergiverser sans que cette distance paraisse étrange. Avez-vous déjà lu qu’il ne fallait pas montrer sa peur à l’animal ? Sans quoi celui-ci se sentira immédiatement dans une position dominante, augmentant le pourcentage de chance qu’il vous prenne en chasse. C’était exactement la même chose dans la situation d’aujourd’hui. Un étrange sentiment, une étrange sensation retenait les pas de Nehebkau envers cet homme à lunette. Celui-ci fumait tranquillement tout en fixant le sang froid dans les yeux, sans le lâcher une seule seconde. Une certaine tension palpable dans l’air naissait, sans que ni l’un ni l’autre n’en soi à l’auteur.

Mais l’homme répondit tout de même au membre du peuple Hyksos. Il se présentait commentant Tenma, simplement Tenma. Le binoclard enchainait avec un compliment visiblement difficile à sortir sur son style de combat. Les deux shinobis se trouvant face à face avaient tous les deux rappelons-le, aidés à arrêter des mécréants qui tentèrent de voler un marchand à la tire. S’interposant avec un autre shinobis bien plus jeune, ils finirent par en terrasser quelques-uns, attendant maintenant que la milice de Kiri, très probablement la Kenpei, la police de la capitale du pays de l’eau, ne vienne s’emparer des détritus qui gisaient sur le côté de la rue. Un petit bruit attirait d’ailleurs le regard de Nehebkau sur la gauche, là où ils avaient laissés, Tenma et lui, les poubelles.

Plusieurs hommes, dont certains avaient un visage d’expérience, venaient d’arriver. Ils ramassèrent les hommes qui gisaient sur le sol avant de les ligoter avec des cordes afin qu’ils ne puissent s’enfuir ou tenter d’attaquer les miliciens. Le Grand Brûlé observait avec ses yeux de vipères sans pour autant relâcher son attention de son homologue Kirijin avec qui il discutait. Celui-ci vint d’ailleurs à la question de Nehebkau lui demander simplement qui demandait cela. Une étrange façon de répondre à une simple question qui trahissait plusieurs choses : la première, qu’il était extrêmement mal à l’aise avec la situation et ou avec la conversation ou la question. Son air désinvolte et sa continuité de crapoter avec sa cigarette lui faisait un air maladif de bad-boy, mais sa méfiance venait de briser tout cela. La deuxième justement, qu’il semblait très méfiant, soit envers Nehebkau tout simplement, car peut-être ressentait-il la même chose que lui en ce moment-même, soit envers la plèbe en règle générale. Cependant, l’objectif du fils de la Dernière Heure n’était pas de mettre son interlocuteur mal à l’aise, loin de là. Partons donc du principe qu’il n’était pas à l’aise avec personne.. du monde des bipèdes.

« Un polymorphe »

Dit-il en tournant alors le regard et en le plantant dans celui de Tenma. Ce coup-ci cependant, Tenma pouvait admirer dans les yeux de Nehebkau de grand yeux verdâtres, avec des iris verdoyantes de couleurs, mais avec une pupille très petite, fine, dans un sens vertical. Ces yeux appartenaient à ceux de son totem : le serpent. Ne se fiant pas vraiment à la réaction de son interlocuteur, il profitait du fait que chaque personne passante sur les quais ne semblaient n’observer que ceux qui étaient en train d’être emmenés par la police de Kiri pour dévoiler cette carte à son homologue. L’objectif ici était simplement de le mettre en confiance et de lui faire comprendre pourquoi il avait posé cette question déplacée et grossière. Il marquait une courte pause, clignant des yeux verticalement comme tous les serpents, avant de finalement reprendre ses explications, afin que Tenma comprenne.

« Je suis un descendant du peuple Yasei, des polymorphes. Je suis arrivé il y a très peu de temps à Kiri. Et je suis à la recherche d’autres polymorphes afin d’en découvrir plus. Il marquait de nouveau une courte pause avant de regarder son homologue de haut en bas. Une sensation étrange m’étreint. J’ai l’impression que vous êtes lié de près ou de loin au monde animal. Ai-je tords ? »

Les sous-fifres de l'Humanité venaient d'arriver sur place pour récupérer leurs rebuts, assommés ou maîtrisés par les deux hommes. Cette intervention martiale ne relâcha pas l'attention que Tenma portait à son vis-à-vis. Il était rare qu'un Homme retienne sa curiosité. Lui qui avait coutume de leur accorder mépris, il commençait à se poser de sérieuses questions sur ce Masamune. L'un et l'autre ne se lâchait pas du regard, ce qui amènerait sûrement à une explication ou un affrontement. Même si dans l'esprit de l'héritier du Peuple Singe, la dernière option n'était pas pour lui déplaire.

Néanmoins son envie belliqueuse venait de mourir dans l'œuf, alors que Masamune se déclarait lui-même comme étant un membre du clan Yasei. L'étincelle d'agressivité se changea en celle de la convoitise. La raison de sa venue sur l'archipel, personnifié en cet étranger qui l'avait abordé, comme poussé par le vent du Destin. Le pragmatisme du quadragénaire prenait le dessus et le poussait à se méfier. Une telle coïncidence ne pouvait être aussi parfaitement amenée. Le doute d'un mercenaire ou d'un espion subsistait. L'âme de Tenma était scindée en deux sentiments diamétralement opposés.

Son instinct le poussait à se méfier tandis que l'excitation l'incitait à questionner ce messie tombé du ciel. S'il avait vécu aussi longtemps, c'était notamment parce qu'il s'était toujours montré prudent et réservé sur ses propres pensées. Une vie entière auprès de personnes qui ne l'auraient jamais soupçonné de ses meurtres, à l'exception de sa génitrice qui avait sa part de responsabilité. Aurait-elle elle-même envoyé cet homme pour régler définitivement le compte de sa progéniture maudite. L'idée étant installée, Tenma ne pouvait encore la déloger. Il refusait de se livrer maintenant, tout comme il craignait de perdre ce contact. Il restait une chance que tout ceci soit vrai et il serait stupide de tout gâcher par simple méfiance.

Mesurant ses propos, Tenma ne quittait pas son interlocuteur des yeux à qui il tint ce discours au bout de quelques secondes de réflexion :

- J'ai entendu parler de votre famille en effet. J'ai croisé également beaucoup de personnes qui se prétendaient l'être. Des chasseurs à la recherche de trophées. Vous seriez malin d'adopter ce genre d'approche avec moi mais je crains de vous décevoir.

C'était là le maximum de la subtilité du quadragénaire. Inciter l'inconnu à se dévoiler véritablement. Il existait un moyen simple pour s'assurer de la véracité de ses propos. L'œil aux aguets, Tenma se préparait à toutes les possibilités.

Sur le moment, notre reptile aux cheveux bleus était pourtant certain de ce qu’il avait avancé. Il était sur et certain que son instinct animal rebondissait dans sa poitrine, signifiant qu’un être possiblement dangereux était près de lui. Mais normalement, cela ne fonctionnait pas avec les humains, uniquement avec la faune, le monde animal, le véritable monde. Les bipèdes étaient bien plus dangereux que les animaux, mais ne dégageaient pas cette bestialité dont chaque espèce du royaume animal était dotée. Cependant, et contre toute attente, les propos de ce Tenma allaient tous à l’encontre même de l’essence de cette idée. Il parlait sans s’inclure dans ce clan de polymorphe, il parlait de la famille de Nehebkau, sans prononcer un mot de travers. Cette attitude parue d’ores et déjà étrange au serpent, mais les dernières paroles furent plus révulsantes pour l’Hyksos quatre chose. Il avait croisé beaucoup de personne prétendant l’être, des chasseurs en quête de trésors du monde animal, et que le comportement qu’il avait en lui demandant son appartenance ou non aux Yasei.

Pourquoi prononçait-il de telles paroles ? Pourquoi parlait-il de ces braconniers ? Ces bipèdes sans foi ni loi. Des hérétiques qui ne comprenaient rien au monde majestueux des animaux. Eux ne cherchaient que de plus grosses proies afin de ramener des têtes sur des plateaux et se servir du corps comme produit rare, de luxe, à échanger au marché noir. Les sourcils de notre protagoniste se froncèrent avec cette idée. Irrémédiablement, une envie d’enfoncer son poing dans le gueule de Tenma vint lui agripper les entrailles. Etait-il ce qu’il disait ? Si lui était un chasseur ? Etait-ce pour cette raison que Nehebkau ressentait un tel danger auprès de cet homme à lunette ? Et si au final, alors que le Kazejin était à la recherche des siens, il était tombé sur un chasseur en quête de peau de serpent ? Un mélange de colère et de frayeur vint surprendre le sang froid qui cherchait alors une échappatoire. Cependant, il ne fallait rien montrer, si ce n’était de la colère. Les sourcils de Nehebkau se froncèrent encore plus, il fit un pas en arrière.

« Il est vrai. Beaucoup de vous, bipèdes, cherchez à chasser les nôtres du clan Yasei, en quête de trophées, de trésors. Beaucoup de mes semblables seront mis à mort pour récupérer des crocs, de l’ivoire, de la peau, des yeux et tout ce qui pourrait être à collectionner. »

Il marquait une courte pause

« Je suis navré Tenma, je vous ai pris pour l’un des notre. Veuillez excuser ma curiosité mal placée. Sur ce, je vous remercie pour votre aide de toute à l’heure pour attraper ce voleur. Je dois maintenant vous laisser. » dit-il rend reculant doucement.

Sans attendre de réponse, le fils du dieu de la mort tournait les talons avant de faire quelques pas dans la direction opposée à celle de Tenma. Il fallait qu’il s’enfuit, et rapidement, s’il ne voulait pas se transformer en sac à main de luxe pour grosse dame. Cependant, alors qu’il marchait lentement, il ne voulait pas se presser. Car même en s’éloignant, il sentait le regard du binoclard sur lui. Il allait profiter de la foule pour continuer sa route, sans montrer une peur certaine. Ce Tenma ou qu’importe son véritable nom, n’oserait pas venir s’en prendre à lui avec toute cette foule, surtout que certains ninjas devaient encore être dans les parages à cause des voleurs. Si grabuge il y avait de nouveau, ils ne mettraient pas autant de temps que plus tôt à se montrer et à venir combattre les fauteurs de troubles. Marchant d’un pas devant l’autre, il marchait sans regarder devant lui, se concentrant plutôt sur ce qui se passait derrière.

Une soudaine lucidité traversa l’esprit de l’héritier du Peuple Singe. Il était bien beau de vouloir se montrer prudent sur son appartenance à la noble race bestiale mais ses mots trahissaient plus ceux d’un Homme. L'attitude et le regard de son vis-à-vis en étaient la preuve. Après s’être maudit de sa stupidité, il cherchait une solution de dernier recours. Les mots acerbes de Masamune le tiraillaient au plus profond de son être. Il s’agissait là de mots qu’il aurait pu lui-même proférer pour parler de l’Homme. Il se retrouvait aujourd’hui ciblé par de tels propos. Une blessure interne qu’il souhaitait colmater immédiatement.

Maintenant qu’il devait être confondu avec un impur, son interlocuteur semblait prendre congé. La panique gagnait progressivement le cœur de Tenma alors qu’une nouvelle fois, le doute s’emparait de son cerveau. Et s’il s’agissait là d’un piège ? Pour l’amener à se révéler plus facilement ? Ce serait un véritable coup de maître et une grande leçon de manipulation. Pour en avoir mené une depuis son jeune âge, Tenma devrait s’incliner si tel était le cas. Si tout ceci n’était qu’une mascarade pour pousser l’héritier à se dévoiler ? Un odieux tiraillement s’opérait au plus profond de son être. D'un côté la blessure d’être considéré comme un Homme tandis que l’autre lui hurlait de ne pas céder à la panique pour privilégier la méfiance.

Il pourrait se faire d’autres contacts plus directs au sein du clan. Trouver des ressortissants bestiaux ne serait pas difficile dans la cité qui avait décidé de les accueillir. Pourtant celui-ci l’intriguait. Un certain quelque chose émanait de sa personne. Comme une aura nébuleuse qu’il ne saurait identifier. À la fois intimidante et rassurante. Entre l’assurance de trouver un allié sérieux et d’être potentiellement vulnérable. Masamune avait pris congé et s’éloignait déjà. Peu importe la décision que choisirait le quadragénaire, elle se devait d’être immédiate.

Il avait suffisamment écouté sa tête auparavant. Si son instinct semblait persuadé que cette rencontre pouvait être intéressante, il devait s’y fier. Il avait peut-être écouté sa tête depuis trop longtemps, bloquant potentiellement son animal totem. D'un pas décidé, il se dirigea vers le mystérieux inconnu qui lui donnait tant de fil à retordre pour les méninges. Sa puissante poigne attrapa le bras du jeune homme.

- Attendez ! implora-t-il.

Mais parmi toutes ses réflexions, il n’avait pas envisagé la réponse qu’il recevrait en retour. Y compris lorsque cette dernière prenait une forme violente qui frappa l’héritier de plein fouet. Voilà ce qu’il en coûtait de vouloir écouter son instinct.

La tension ne cessait d’augmenter au fil des secondes. Celles-ci paraissaient des heures. Pour une raison inconnue, le fait de se livrer à cet homme sur son identité et son appartenance au clan des polymorphes de Kiri avait rendu vulnérable le shinobis de la brume face à son potentiel agresseur. Son interlocuteur avait maintenant de nombreuses cartes en main pour nuire à son homologue Kirijin. La façon dont il s’habillait n’était-elle pas étrange pour un « shinobis » de la brume ? Si tout cela n’avait été qu’un subterfuge pour faire en sorte que Nehebkau ne baisse sa garde ? Comme le fait d’être intervenu également lors de l’altercation avec le marchand un peu plus tôt ? Beaucoup trop de questions faisaient des aller-retours dans l’esprit de notre jeune ermite du peuple Hyksos. Il fallait fuir..

« Heeee ! Vous pourriez vous excuser ! »

Se mit alors à crier une dame que notre héros venait de bousculer d’un coup d’épaule. Celle-ci titubant tout d’abord, elle s’empressa de râler une fois l’équilibre reprit. Mais Neheb ne bougeait plus son regard, il fixait droit devant lui avec un regard semblant vide, comme si rien d’autre n’existait que son objectif. Mais il ne regardait pas vraiment devant. La tension elle venait de derrière. Il bousculait donc les gens avec aplomb, en essayant tout de même de les éviter tant bien que mal. Mais alors qu’il continuait de marcher, une main vint le saisir au niveau de la manche, le stoppant sur place. Les tempes battantes et le coeur en palpitation, il se retournant vivement pour voir la personne le retenant. Avec un peu de chance, ce serait la femme qu’il avait bousculé. Mais son esprit étant tellement dérangé par le potentiel véritable objectif de Tenma, que ses yeux de serpents apparurent.

Imaginez le choc, quand en se retournant, il vit Tenma lui agripper le bras…

Un geste rapide et abrupte, lancé sans réellement de désir de faire mal. Un coup de poing au niveau du visage pour faire reculer son opposant de plusieurs pas. Le choc fut tout de même violent et audible, certaines personnes se retournèrent et immédiatement, les gens se mirent à déguerpir autour d’eux. Craignant une riposte immédiate, Nehebkau levait les poings fermés en guise de défense, il ne se laisserait pas faire. Le respect, l’éducation, et la douceur avaient tous disparus. Place à l’action

« Que veux tu vraiment ? Si tu es un chasseur, approche »