Une cigarette décorait habilement la commissure des lèvres du quadragénaire. Pour ses premiers pas au sein du système shinobi, Tenma allait être mis en équipe avec une parfaite inconnue. Lui qui n'était guère habitué à tout ça, il avait été un peu surpris de voir débarquer un officier du bureau des missions dans son logement provisoire. Il avait cru que quelque chose clochait, aussi s'était-il de suite interrogé sur les évènements. Un simple haussement de sourcil et un parchemin scellé lui avait été remis sans plus de cérémonie. Apparemment, une tentative d'empoisonnement frappait le Palais de la Brume. Un des rares bâtiments que le Genin nouvellement promu avait enregistré depuis son arrivée.

C'était donc affublé de son éternelle cigarette qu'il se rendait sur place. L'ordre de mission était clair là-dessus et il devrait y retrouver son acolyte pour cette enquête. Il ne connaissait personne, aussi était-il parti un peu plus tôt pour mieux identifier la potentielle personne. Ses pas l'amenèrent bien vite à l'endroit convoité. Bien sûr, il y a avait foule dans la rue à cette heure et pas évident de s'y retrouver parmi tous ces visages qui s'enchaînaient. Il s'extirpa du mouvement de foule pour essayer de prendre un peu de recul sur la situation. A moins d'user de son talent particulier, il ne pourrait véritablement dominer d'une tête tous les passants. Il devrait faire à l'aveugle. Le bâtonnet de tabac termina piétiné au sol alors qu'il longeait le torrent populaire.

Il apercevait de temps à autre une silhouette arrêtée sur le côté, se disant qu'il s'agissait peut-être de la fameuse Yuki Misaki. Puis à peine s'approchait-il que la personne en question disparaissait. Il poussa un léger soupir renfrogné alors qu'il faisait de nouveau un tour d'horizon avec son regard azuréen. Ce dernier finit par se ficher sur une adolescente au teint extrêmement immaculé. Les ressortissants de ces terres ne voyaient pas souvent le Soleil mais celle-ci avait un épiderme beaucoup plus blanc que les autres. Ce n'était pas ce détail qui mit la puce à l'oreille de l'héritier du peuple singe. Plutôt le simple fait qu'elle se tenait assise sur une des marches du Palais, l'air d'attendre. Il aurait pu commencer par ça.

Pour ne pas perdre plus de temps, il fendit la foule. Sa carrure lui facilita la tâche pour approcher de la fameuse demoiselle. Sans aucune timidité, il se tint face à elle une fois qu'ils furent suffisamment proches pour lui parler directement.

- Bonjour, je me nomme Tenma. Seriez-vous mademoiselle Yuki Misaki, avec qui je suis censé avoir une mission au Palais ? Je suis tout nouveau ici et je ne suis pas habitué au système encore.

Son ton parfaitement placide ne trahissait aucune inquiétude pourtant. Il avait passé l'âge de bégayer devant une inconnue. Il reconnaissait ses lacunes sans en avoir honte. Avant de poursuivre, il préférait attendre une réponse de son interlocutrice. Il n'allait pas prendre les devants s'il s'était trompé de personne. D'autant qu'il ignorait encore le déroulement de ce genre de missions. L'organisation simple et paisible de sa tribu lui manqueraient.

- Entendu, se contenta-t-il de répondre.

Après une brève explication sur ce qui les attendaient, la jeune fille s'était proposée pour prendre la direction du duo le temps de cette mission. L'idée ne dérangeait pas le quadragénaire qui savait qu'il devrait passer par là pour mieux s'intégrer. Il abhorrait ces êtres qui s'estimaient supérieurs de droit sans même avoir la moindre connaissance en la matière. Il aspirait bien sûr à être à son tour un leader, pour le bien de son peuple. Sans plus de cérémonie, les deux Genin franchirent les portes du Palais pour retrouver les cuisines.

Conformément à la répartition des tâches qui venait d'être effectuée par la kunoichi, Tenma quitta les cuisines pour rejoindre une salle où quelques tables étaient disposées. Qualifier cet endroit de restaurant serait un affront à l'ensemble de la profession. On pouvait plutôt parler d'une cantine luxueuse où les employés du Palais pouvaient se restaurer. Le Mizukage lui-même ne devait pas y mettre les pieds. Bien que le statut de chef ne prévalait pas d'accompagner ses hommes dans leur repas. La famille de l'héritier du Peuple Singe s'attablait toujours avec les autres membres de la tribu.

Au milieu de la décoration vétuste, Tenma repéra vite un homme au faciès pincé et à l'œil arrogant. Il venait d'expédier un autre d'un geste de main irrespectueux, accompagné d'une grimace de dégoût à son encontre. Profitant de ne pas avoir été remarqué, le Genin approcha dans l'angle mort de l'individu endimanché de la tête aux pieds pour se donner un air noble. Autant d'apparats ne sauraient déstabiliser Tenma qui ne se laisserait pas impressionner par des choses aussi obsolètes. Il se racla la gorge pour signifier sa présence, entraînant ainsi un sursaut chez son interlocuteur.

- Vous m'avez fait peur grossier personnage ! Qu'est-ce que c'est encore ?

Le seul regard froid et calculateur incita le pingouin à baisser d'un ton. Le Genin put même percevoir une difficulté à déglutir. La stature qu'il possédait lui était parfois utile pour impressionner autrui. Au vu du gabarit et caractère de son vis-à-vis, il ne se faisait pas trop de souci quant à la suite de cette discussion. Le meneur et le suiveur venaient d'être définis par ce simple échange de regards. D'une voix calme qu'il ne forçat pas à être plus grave, Tenma lui répondit :

- Je suis missionné par le village pour enquêter sur l'empoisonnement qui a eu lieu ici. Vous savez où je pourrais trouver le responsable des cuisines ?

- Euh...eh bien c'est-à-dire que... euh...

- Oui ? insista Tenma.

- Je suis celui chargé de gérer ce qui entre et sort de la cuisine, bredouilla l'arrogant.

- Donc c'est à vous que l'on doit cette tentative d'empoisonnement, conclut hâtivement le Genin.

- Non absolument voyons ! N'allez pas beugler ça trop fort malheureux ! Je ne suis qu'un employé comme les autres. Nous avons été les premiers surpris lorsque les premiers cas se sont déclarés. J'effectue moi-même le contrôle des marchandises à leur arrivée et c'est ensuite au chef de cuisine d'infirmer mes dires. S'il y avait eu quoique ce soit de suspect, je l'aurais immédiatement vu. M'est avis que vous devriez creuser du côté des cuisines mon brave.

L'air malsain qu'affichait l'interlocuteur du géant lui déplaisait fortement. Cette propension à rejeter la faute sur autrui pour se dédouaner. Quand bien même n'avait-il rien à voir dans cette affaire, il incitait à la suspicion. Tenma resta immobile, le regard planté dans les yeux fuyards du responsable. Un silence valait souvent mieux que des menaces verbales. L'air impassible du quadragénaire et le tempérament fouineur de son interlocuteur se chargeraient du reste. Après une minute de mutisme parfait, Tenma jugea qu'il n'y avait pas grand chose à tirer. S'il mentait, il aurait déjà ajouté ou modifié quelque chose dans sa déclaration. Les mauvais menteurs avaient honte de leur méfait et ils finissaient par avouer. Pour être excellent dans le domaine, Tenma avait le flair pour les repérer. Il quitta donc l'arrogant en lui intimant de rester à disposition le temps qu'ils seraient sur place. Le concerné bégaya une approbation, en plus de quelques mots dans sa barbe lorsque le géant s'éclipsa vers les cuisines.

Il poussa le double battant branlant pour se retrouver au milieu du matériel rutilant où la température différait avec la salle d'où il venait. Il ne mit pas longtemps à trouver sa coéquipière qu'il rejoignit à grandes enjambées, s'attirant au passage des regards en biais de la part des cuisines et commis.

- Je pense que le responsable nous sera inutile mais à surveiller. Du nouveau ici ?

Après avoir pris connaissance des renseignements récoltés par la jeune femme, Tenma compila avec ce qu'il avait appris lui aussi. Même si pour le coup, il ne pouvait pas apporter grand chose à leur enquête. Néanmoins, ils savaient maintenant que le chef lui-même passait en revue les goûts de ses produits. Entre ça et le contrôle qualité à l'entrée, il ne pouvait être incriminé, à l'instar du responsable que le quadragénaire avait interrogé. Sauf s'ils mentaient, bien sûr. Pour le suspect de Tenma, il serait prêt à y laisser ses deux mains s'il était impliqué de quelque sorte dans l'affaire. Il devait également s'en remettre au jugement de sa partenaire de mission qui croyait ce qu'elle avait entendu de la part du chef. La suite les mènerait donc à l'hôpital pour se rendre au chevet des victimes.

Alors qu'il prenait la route, Tenma réfléchissait religieusement sur cette histoire. Ils avaient des cas d'empoisonnement sur des produits contrôlés à leur arrivée en cuisine et à leur sortie. D'autant plus que le chef aurait souffert des mêmes maux. L'idée qu'il soit responsable, et potentiellement immunisé à son propre venin, caressa l'esprit du Genin. Sa nature méfiante envers l'Homme reprenait le dessus. Mais il ne pouvait le formuler aussi sèchement. Il était censé faire équipe aujourd'hui. L'exercice était une première pour lui, d'autant plus avec une ressortissante de l'espèce humaine. Il en était cerclé après tout. Même si des zoomorphes habitaient ce village, il n'avait pas encore eu l'occasion d'en rencontrer, à son grand regret.

Leur arrivée au sein de l'établissement hospitalier se fit rapidement. La personne à l'accueil avait été informé de leur potentielle visite. Elle leur indiqua les chambres concernées, que les deux shinobis n'eurent qu'à se répartir. Il y avait sept victimes au total. Il allait falloir interroger chacune d'elles. Une tâche fastidieuse qui harassait déjà l'héritier du Peuple Singe. Néanmoins, il n'en laissa rien paraître, conscient de sa responsabilité maintenant qu'il était membre d'un corps d'armée. Il quitta son acolyte sans plus de cérémonie pour se rendre aux premières chambres.

La première qu'il visita ne lui apporta pas grand chose. L'occupant était profondément endormi et un couple s'apitoyait à son chevet. Comme le précisait l'ordre de mission, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter. Les blessures étaient importantes mais pas mortelles. Pourtant à contempler ces deux-là, on aurait pu croire qu'ils veillaient le cercueil de la victime. Tout de suite repéré, Tenma fut interpellé et harcelé de questions. Il dû se débrouiller pour apaiser le discours confus de ses interlocuteurs. Après quelques minutes à les calmer, ils ne purent lui apprendre rien de plus que ce qu'il savait déjà. Il était en train de manger, la journée avait suivi son cours et au coucher du soleil, une vive douleur l'avait immobilisé et il s'était mis à crier. Le couple était présent à ce moment là, d'où leur présence au chevet de leur ami d'enfance. Un parallèle avec Hannin et ses parents traversa la mémoire du quadragénaire qui chassa cette image en quittant la pièce.

La deuxième se montra un peu plus utile. Seule dans sa pièce au décor morne, la jeune femme tourna lentement la tête vers lui lorsqu'il entra. La fenêtre était ouverte, chargeant la chevelure rousse de la patiente d'une délicate ondulation. Tenma remonta ses lunettes sur l'arrête de son nez alors que la victime l'observait d'un œil intéressé. Il se plaça à l'avant du lit, mains derrière le dos et s'exprima d'une voix grave, mais plus douce que lors de son interrogatoire avec l'arrogant responsable.

- Pardonnez-moi de vous déranger pendant votre convalescence Madame.

- Mademoiselle, le corrigea-t-elle.

- Je suis envoyé par le village pour enquêter sur ce qui vous est arrivé, préféra-t-il continuer sans relever le sourire malicieux qui lui était adressé. Pouvez-vous me dire ce dont vous vous souvenez, si quelque chose vous a paru anormal lors de ce repas. Quelqu'un de suspect peut-être ?

- C'est assez confus je ne vous cache pas. Je n'ai pas fait attention particulièrement, je mange tous les midis là-bas comme je travaille à l'administration du Palais. Le menu était similaire à ce que nous trouvions d'habitude. Le même serveur qui s'occupe de m'accueillir et toujours ses avances sous jacentes, plaisanta-t-elle.

- La qualité de votre plat était similaire à l'accoutumée ? Aucun goût particulier qui vous serait inconnu ?

- Non, je suis assez attachée à mes petites habitudes et j'ai commandé la même chose que les autres jours. Ce qui m'attire les quolibets du serveur. Ce fut le seul jour où je n'y ai pas eu le droit, il devait être occupé ailleurs puisque c'est un petit nouveau qui m'a apporté mon assiette.

Lui qui cherchait un détail intéressant. Seulement restait à voir s'il s'agissait du serveur habituel ou du nouveau. L'un était curieusement absent et l'autre aussi étrangement présent. Il réclama un descriptif des deux, en espérant qu'il les retrouverait plus tard au Palais. Misaki avait récupéré ce renseignement mais ils ne l'avaient pas encore exploité. Ce serait sûrement intéressant de faire une deuxième descente dans les cuisines pour mettre une pression sur eux. Après un remerciement poli, Tenma allait s'éclipser lorsqu'il fut retenu sur le seuil de la porte.

- Vous pourriez peut-être m'aider à nouveau, je ressens quelques gênes au niveau de mon bas ventre, si vous pouviez venir voir...

- Je vous appelle une infirmière, et il claqua la porte.

La troisième était vide lorsqu'il y entra. Il fit un pas en arrière pour s'assurer du numéro lorsque le bruit d'une chasse d'eau le ramena dans la pièce. Un vieillard claudiquait jusqu'à son lit. Tenma le regarda s'installer après s'être assuré que l'ancêtre avait noté sa présence. Pourtant il ne lui dit rien. Il progressa jusqu'au lit, peina à se plier en deux pour s'asseoir et s'allonger. Une fois installé, il posa un regard glacial sur le Genin.

- T'es là pour t'occuper des chiottes gamin ?

- Je suis envoyé par le village pour investiguer sur ce qui vous est arrivé, répondit calmement Tenma en serrant les poings dans son dos.

- Je vais te le dire p'tit gars. Une vie de picole, un divorce et des enfants incapables qui m'obligent à aller bouffer dans ce vieux capharnaüm. Ils m'ont tout pris alors pour ce qui est de la pitance je dois aller mendier au Palais pour avoir au moins quelque chose dans mon assiette. Je sais pas pour les autres mais moi j'ai un diagnostic pour ton rapport : une bonne grosse coulante. Et j'ai même le coupable : trois cent grammes de pruneaux.

Face à un tel accueil, Tenma ne fit pas durer le calvaire plus longtemps. Il remercia avec autant de politesse que la précédente chambre et s'empressa de rejoindre le couloir. C'est en se dirigeant vers la quatrième qu'il recroisa sa partenaire. Ils allaient tous deux rejoindre ce qui était la dernière chambrée. Mais alors qu'ils n'étaient qu'à quelques pas, ils purent entrevoir une silhouette se précipiter dedans, en jeter l'infirmière qui venait d'y entrer et verrouiller la porte derrière elle. Tenma engagea le pas de course pour débouler sur la porte d'un coup d'épaule et en découvrir l'intrus.

Ce qui pouvait s'annoncer comme une piste hautement prioritaire s'avéra être un banal incident caractéristique des hôpitaux. Lorsque deux gardes déboulèrent à leur tour, Tenma comprit à leur course, et à la tenue du forcené, qu'ils avaient seulement à faire avec un échappé d'une aile psychiatrique. Le problème pour lui fut la réponse de la femme qui occupait la chambre. Un coup dans les valseuses et le malheureux termina immobilisé. Comme si ça ne suffisait pas, la partenaire de mission du quadragénaire se mêla de la partie pour l'enfermer dans une gangue de glace.

Ainsi figé, l'homme était devenu une œuvre d'art que Tenma prit la peine d'observer. Il pouvait discerner les mouvements paniqués de ses yeux qui cherchaient une échappatoire. Tout le reste était parfaitement pris par le froid. Un regard mauvais lorgnait le déséquilibré. Si ses pensées étaient accessibles à quelqu'un, ce dernier aurait peut-être décelé de la crainte face à cette forte carrure. Pourtant, l'héritier du Peuple Singe n'aurait sûrement pas le loisir d'accueillir le prisonnier. C'était maintenant aux responsables de le récupérer mais ils devraient sûrement attente la fonte des glaces avant de mettre la main dessus. Les deux shinobis ne pouvaient se permettre de perdre du temps inutilement, aussi allaient-ils en revenir à l'objet de leur mission. Bien qu'elle soit encore sous le choc, Tenma se présenta au chevet de la victime après avoir contourné l'iceberg.

- Bonjour madame. Nous avons été envoyé par le village pour enquêter sur ce qui vous est arrivé.

Peinant à tirer son regard de la sculpture glaciale, l'interrogée finit par lâcher prise et à reposer ses yeux sur le duo.

- Merci pour votre intervention mademoiselle, dit-elle avec un sourire pour Misaki. J'aurais pu être plus réactive avant mais depuis ce repas je ne suis pas en très grande forme.

- De quoi vous souvenez vous qui pourrait nous aider ? interrogea le quadragénaire.

Un moment de réflexion fut nécessaire à la demoiselle. Un petit temps que Tenma lui laissa sans dire un mot. Il se tenait les mains dans le dos, présentant son habituelle posture spartiate. Bien qu'impatient, il n'en laissa rien paraître. Il se serra un peu les mains qu'il gardait cachées derrière son dos dans l'attente d'un élément probant. Il ne savait si l'attente était réellement interminable ou s'il était victime de son manque de patience. Le temps lui paraissait allongé. Lorsqu'elle finit par répondre, il était à deux doigts de la secouer un peu pour qu'elle s'active.

- Je me souviens avoir dévisagé un des serveurs. Il me disait quelque chose. Je l'avais déjà croisé ailleurs et ça m'est revenu récemment. C'était dans le restaurant d'un chef étoilé du centre-ville.

Ce renseignement semblait être celui qu'il manquait au puzzle du quadragénaire. Bien qu'il ignorait encore les informations récoltées par son acolyte. Il quitta la pièce après avoir poliment pris congé. Il attendit sa partenaire avant de prendre la direction de la sortie de l'hôpital.

- Du peu que j'ai appris avant elle, il y avait bien un serveur qui se dénotait de d'habitude. Si c'est celui qu'a reconnu cette dame, peut-être a-t-il été envoyé par un concurrent du chef. Auquel cas nous ferions mieux de retourner au Palais et d'appréhender les serveurs. A moins que vous n'ayez eu d'autres données ?

Le tumulte en cuisine alerta rapidement le duo Kirijin. Ils se ruèrent en direction de la cacophonie qui s'emparait du lieu des préparations gastronomiques. Au milieu des fourneaux et ustensiles en tout genre, le chef brandissait une arme peu conventionnelle. Un poisson-chat au poing, il frappait avec frénésie celui qu'il avait déjà dû identifier comme le responsable de cette très mauvaise publicité pour son établissement. Le spectacle arracha un petit rictus au coin des lèvres du quadragénaire d'habitude trop sérieux. Il dévisagea l'accusé avec un brin d'amusement. Son sort était amplement mérité après tout. Même si l'envie de le tabasser l'attirait, le chef avait entièrement le droit de procéder à sa vengeance personnelle.

Néanmoins la Yuki s'interposa afin qu'ils se chargent du reste, au grand dam de l'héritier du Peuple Singe. L'intervention de la kunoichi eut pour principal effet d'octroyer un instant de répit au serveur. Ce dernier profita de la situation pour se frayer un chemin dehors. La manœuvre n'échappa pas au duo Kirijin. Tenma prit à son tour la direction de la sortie des cuisines qui menait à la salle de dégustation. Là, le serveur venait de tomber sur celui que le quadragénaire avait interrogé plus tôt. Tous deux les fesses à terre, Tenma put arriver à grandes enjambées aux côtés du fuyard qui se frottait l'arrière du crâne. Cette simple douleur devint le cadet de ses soucis lorsque la forte poigne l'arracha à la moquette pour le faire entrer dans une réalité moins luxueuse.

Le petit homme se retrouvait attrapé par le col, à hauteur de visage du zoomorphe. Son air patibulaire le précédait et fit blêmir le malheureux. Trop confiant de sa carrure, Tenma ne vit pas le surin qui fila depuis la ceinture de son prisonnier. La blessure ne fut pas assez profonde pour être mortelle mais suffisamment pour lui faire lâcher prise. Il grogna de douleur alors que le lâche prenait la fuite vers l'extérieur. Une main sur le flanc, le quadragénaire prit sa suite avec un peu plus de difficulté. Lorsqu'il quitta le Palais à son tour, il repéra au loin le fuyard qui tentait de prendre la poudre d'escampette. Il avait voulu passer par derrière pour éviter la foule. Un choix qui le laissait seul en pleine ligne droite. Un rapide coup d'œil à droite puis à gauche et Tenma était assuré de l'absence de potentiels dommages collatéraux.

Le serveur courrait à en perdre haleine. Il ne regardait même pas derrière lui, profitant d'être à l'air libre pour emplir ses poumons d'une immense bouffée d'oxygène à chaque pas. Il avait rempli son rôle à merveille et son patron serait fier de lui. Bien que ces shinobis risquaient de vendre la mèche. Il était soudainement soucieux de l'accueil auquel il aurait droit. Même si pour l'instant il devait se contenter de courir pour fuir le golgoth et la demoiselle qui enquêtait sur son travail de sabotage. Il poursuivait sans prêter attention aux alentours. Il soufflait comme un bœuf mais ça ne suffit pas à couvrir le son du léger tremblement se rapprochant. Avant qu'il réalise ce qui se passait, il fut violemment fauché et écrasé au sol par une masse impressionnante. Le choc fut si terrible qu'il termina assomé.

Lorsque les premiers curieux vinrent voir comment la course poursuite s'était terminée, ils purent découvrir le quadragénaire aux côtés du corps inanimé du malandrin. Ce dernier semblait dans les vapes alors que l'autre se tenait le ventre d'où perlait quelques gouttes de sang. La technique du boulet humain lui avait permis d'arrêter le fuyard mais n'avait pas vraiment arrangé son état. Un passage à l'hôpital s'imposerait pour lui. Il retrouva dehors sa partenaire de mission ainsi que le chef qui venait déjà relever celui qui lui avait causé du tort.

- Pourquoi t'as fait ça raclure ? l'interrogea-t-il.

- C'est votre concurrent qui m'a promis une prime si je vous faisais fermer, avoua le lâche sans difficulté.

Il fallut encore une fois séparer les deux hommes pour éviter une élimination ichtyenne. Lorsque le responsable fut pris en charge, Tenma accorda un regard à sa partenaire de mission.

- Si ça ne vous ennuie pas, je vous laisse vous charger des formalités administratives. J'aimerais repasser à l'hôpital pour faire soigner ça.

Le ton n'était pas tellement interrogatif, plus informatif. Il savait la blessure peu importante mais il préférait la traiter dans l'immédiat. Lorsque la dame de l'accueil le reconnut, elle prit conscience rapidement de l'urgence de la situation. Il fut conduit auprès d'un médecin qui l'examina et l'invita à aller s'installer quelque part en attendant qu'une infirmière vienne lui appliquer désinfectant et bandage. Il fut conduit dans une chambre à laquelle il ne fit pas vraiment attention. Le lit d'à côté était occupé mais vide pour l'instant. Il prit place dans le fauteuil près de la fenêtre. La mission avait été à la hauteur du rang accordé. Echappant un soupir d'exaspération, il perçut le bruit de la chasse d'eau au moment où la porte de la salle de bains s'ouvrit. Dans l'embrasure de la porte se tenait le vieillard rencontré plus tôt dans la journée. Tenma n'avait pas fait attention au numéro de chambre en entrant ici. L'ancêtre le dévisagea avec difficulté puis sourit de ses deux dents lorsqu'il le reconnut.

- Alors gamin t'es venu t'occuper de la finition ? C'est un vrai bourbier c'te truc je te souhaite bonne chance.