La nuit est tombée depuis un petit moment déjà. La petite Jiao, âgée de 7 ans, est censée être rentrée au village depuis longtemps. Seulement voilà, cette morveuse a des ambitions à la hauteur de son orgueil aussi élevé que la cime des arbres de son pays natal. Depuis ce matin elle a fait choux blanc, pas un seul gibier à ramener de sa chasse. C’est la première fois qu’elle sort toute seule pour cette tâche et elle refuse obstinément de rentrer les mains vides. Ah ça non !

Sa sœur, elle, avait échoué le premier jour, Jiao doit faire mieux, parce qu’elle est la meilleure des deux. Aujourd’hui, c’est une occasion trop bonne à saisir pour montrer sa supériorité. En fouillant dans sa sacoche, la chasseuse s'aperçoit qu’il ne lui reste plus beaucoup de projectiles. Elle a débusqué et traqué une dizaine de bestioles, mais toutes ont fui… ou l’ont obligé à fuir elle-même. Quand on voit la taille des bestiaux du coin, on peut comprendre la hardiesse pour la tâche. Bien sûr, si Jiao n’avait pas voulu chasser plus gros qu’elle, elle aurait mieux réussi, mais la gamine a les idées fixes et des envies de grandeur avant l’heure.

L’obscurité ne la gêne pas plus que cela, elle n’a jamais eu peur du noir, ni des bruits étranges. Pour cause, elle est née et a grandi au milieu de cet univers étrange et inquiétant. Féline jusque dans ses cheveux hirsutes, elle se déplace sans grâce, mais efficacement sur les grosses branches en silence pour trouver une cible et la surprendre. Finalement, du mouvement l’attire dans un coin de cette nature sauvage. Il fait trop noir pour qu’elle distingue exactement de quoi il s’agit, mais du haut de son expertise de chasseuse Hayashijin (innéxistante), la filette décrête qu’il s’agit d’un lapin géant !

Bon certes, ce ne sera pas une prise très glorieuse, mais faute d’un animal dangereux, elle ramène une bonne quantité de viande. Un bon compromis pour la mini-miss qui prépare ses senbons engourdissants. Comme le bestiaux n’a pas l’air très vif vu le boucan qu’il fait; du moins selon les critères locaux; la petite se dit qu’elle peut réduire la distance entre eux pour être sûre de le toucher cette fois. Une étincelle brille dans son regard quand elle jette ses projectiles empoisonnés, avant de se jeter quelques secondes après sur sa proie en hurlant comme une bête sauvage. Soit elle veut éloigner les prédateurs capables de lui piquer sa prise sous le nez, comme ce matin… soit elle veut faire mourir ce pauvre lapin d’une crise cardiaque pour ne pas avoir à l’égorger. Résultat, après l’action sa tête heurte quelque chose de dur et la gamine atterrit sur ses fesses non loin de l’objet de son attaque.

__ Aie, aie; ouille.

Elle frotte son front avant de se reprendre assez rapidement. Pas question de laisser fuir sa bête.

__ Je te tiens mon lapin !

Elle bondit à nouveau dans l’espoir de s’accrocher, dans cette pénombre, vers le simili de silhouette qu’elle a l’impression d’apercevoir

Et elle a raté lamentablement sa prise. Heureusement d'un côté. Éloignant son visage de la poussière du sol l’ayant accueilli, la petite fille a du mal à retenir les larmes de ses yeux. C’est que cela fait sacrément mal fichtre de chien ! Une voix retentit dans le noir, un lapin qui parle ?

Mais non voyons, ça n’existe pas. Alors la chasseuse tire de sa ceinture une torche que son grand-père lui a confiée. Elle ne sait pas quel genre de sorcellerie la fait fonctionner, mais en tirant sur le capuchon, des étincelles surgissent pour éclairer un peu les alentours. Devant elle, un homme, un étranger sans aucun doute. Le regard de la sauvageonne se plisse sous sa réflexion intense. Il est plutôt grand… et ne semble pas affecté par son poison de chasse. La situation lui semble mauvaise, elle a conscience de s’être considérablement éloignée de son village. Crier pour appeler du secours ne servirait à rien. Elle pourrait lui jeter à la face de la poudre pimentée irritante, mais il serait encore plus énervé s'il attrapait après. Pesant le pour et le contre, Jiao sonde l’âme de son interlocuteur de ses yeux d’enfant. Pour le moment, son jeune âge semble attiser des instincts protecteurs à l’individu suspect.

__ Papa ?

Elle s’exclame ainsi d’une voix tremblante en tendant les bras pour être consolée. De qui se moque-t-on, elle joue la comédie bien évidemment. Il n’est pas certain que son cinéma marche, mais c’est tout ce qui lui est venu à l’esprit en un rien de temps. De plus, la petite peste n’aime ni s’excuser, ni se faire gronder. Si on apprend au village qu’elle a confondu un humain avec une bête sauvage, non seulement elle sera moquée, mais en plus son droit de chasser seule lui sera définitivement retirée. Déjà que vu l’heure, elle a intérêt à ne pas rentrer les mains vides pour justifier son retard…

__ Non ça ne va pas. Un lapin géant m'a frappé. Regarde !

Elle dégage ses cheveux gris pour montrer son front rougi. Une bosse est en train de naître sous l’effet de l’impact. Cela donnera encore plus de crédit à son délire. Au sol, la torche lumineuse perd peu à peu de son intensité, mais continue toutefois d’éclairer cette scène ridicule.

__ Il faut qu’on le retrouve et qu’on le capture Papa !

Annonce-t-elle d’un ton déterminé. Pauvre gars, il n’est pas prêt d’oublier son détour par ici. Puis voilà qu'elle tourne son regard vers les arbres couchés par le kumojin...

_ C'est lui qui a fait ça à nos arbres sacrés ?!

Sacrés mes fesses, elle veut faire croire à l'étranger qu'il a profané quelque chose pour noyer le poisson concernant sa propre faute.

__ Dans le noir je t'ai pris pour mon père.

Sous entendu que ce dernier serait pas très loin. Ce qui est totalement faux. Mais de toute évidence, sa diversion marche plutôt bien. L'homme semble perdre son nord, ce qui n'est pas du tout le cas de la gamine qui compte bien le faire tourner en bourrique. D'autant plus qu'au lieu de se défaire de cette mascarade, il l'aide à en poser les fondations.

__ Tu as fait quoi ?!! Elle plaque ses deux mains sur son visage, minant une mine horrifiée des plus convainquante... Lala... Olala. Comment t'as pu faire ça...

Bien sûr, elle en rajoute, au final, certes c'est embêtant pour l'esthétique de la forêt et maintenant vu le boucan, sa chasse est foutue... mais au-delà de cela, le massacre bien que gratuit reste un détail. Un détail qui annonce qu'elle ne veut pas prendre une correction de sa part ceci dit. Surtout que le brun vient de lui dire qu'il la soupçonne être à l'origine de sa blessure. La mimique s'inscrivant sur le visage de l'enfant dénonce tout de suite sa culpabilité et la voilà bien embêtée devant cette requête. Déjà, ramener un étranger c'est interdit. Ensuite, elle sera la risée de tous. Hors de question.

__ Tu sais ce qu'ils te feront s'ils t'attrapent après ça ?...

Sa petite main de merdeuse pointe les arbres couchés, elle se fait accusatrice en poursuivant.

__ Disons que personnellement, je vais passer l'éponge sur ta bêtise en échange du fait de t'avoir pris pour un lapin. Elle tousse en baragouinant une suite incompréhensible, visiblement aussi gênée qu'enragée d'avouer son erreur. Tu devrais t'asseoir.

Un conseil qui n'annonce rien de bon, en effet, elle connait parfaitement les effets de son poison de chasse. Ce paralysant musculaire lui permet de venir achever les bêtes proprement et sans stress une fois diffusé dans le corps. Pour un grand spécimen comme cet inconnu, l'effet devrait être plus moindre et localisé. Du moins, elle l'espère vraiment ne pas s'attirer encore plus d'ennuis... Grand et fort comme il semble l'être, il ne risque pas d'en mourir pas vrai ?

Sauf si une meute les attaque maintenant ?!!

Un sursaut et la fillette regarde vivement autour d'elle pour se rassurer. En observant les dégâts, elle se console de son mal-être en se disant qu'il a effrayé toute la faune alentour pour un moment.

__ C'est un paralysant. En général c'est temporaire. Des fois je pique les enfants que j'aime pas avec pour m'en débarrasser. Adorable chérubin. Ils mettent jamais longtemps à revenir me casser les pieds.

Pouf. Elle s'est laissé tomber les fesses au sol et en observant son interlocuteur, la fille essaie de l'inciter à en faire autant.

__ Je vais faire un feu avec le bois que tu as cassé pour ne pas le gâcher.

Menteuse, il est trop vert, il ne prendrait pas, elle veut juste remuer le couteau dans la plaie pour le tenir tranquille avant d’enchaîner avec un aplomb d'enfant déconcertant.

__ T'es qui d'ailleurs ? Pourquoi t'es là ?