Il passa sa tête recouverte de bandages sombres dans entrebâillement de la porte, s’attendant à apercevoir la silhouette allongée du Borukan dans le lit d’hôpital. En lieu et place de l’homme avec qui il était venu s’entretenir, il ne trouva cependant que le vide et les draps froissés, aussi reprit-il sa route, momie ambulante dans les couloirs du centre médical, pour s’occuper ‘autres affaires qu’il avait à régler. Plus tard dans la journée cependant, et tandis qu’il laissait ses sens tant tellurique que chakratiques se diffuser partout dans la cité, la signature caractéristique du soldat auquel il avait voulu rendre visite plus tôt lui apparut aussi clairement que le soleil. S’allégeant modérément pour faciliter ses déplacements rendus particulièrement douloureux par ses blessures et cicatrices, l’Oterashi franchit avec aisance l’enceinte de l’Académie, dont les abords avaient été transformés de sorte à la rendre plus robuste encore qu’une forteresse, et suivit la trace du Borukan vraisemblablement installé sur un terrain d’entraînement.

Yanosa, une fois arrivé, amorça une lente et silencieuse descente tout en observant ce à quoi pouvait s’occuper le Juunin qu’il avait cherché. Surpris, il le fut en voyant se former des mains du rouquin des techniques de glace aux antipodes de la lave qu’il maîtrisait de façon héréditaire. Un talent naissant, ou peut-être qu’il avait préféré garder secret jusque là ? Alors que ses pieds touchaient terre, le Tellurique prit enfin la parole.

« ...Hm. Je me demande si ça aurait changé la donne contre Toph... »

Ashitaka ne s’en était jamais caché, depuis qu’ils avaient fait connaissance : son regard s’était toujours tourné vers le poste d’Ombre de la Terre, vers le poids des plus hautes responsabilités du village, si ce n’était du pays. Juunin de talent, il avait tour à tour défié le Capitaine du Sazori et l’Intendante pour prouver sa force à ses pairs : en dépit de ses qualités, il n’était cependant pas parvenu à s’imposer. Tout comme Yanosa lui-même, en fin de compte, n’était pas parvenu à passer les défenses de la Hyûga quelques jours auparavant.

« Notre nouvelle Godaime… a assurément beaucoup de talent. Pas trop déçu.. ? »

La question pouvait sembler provocatrice mais il n’en était rien, car si le Borukan avait effectivement brigué la fonction de Tsuchikage, l’Oterashi doutait que ce soit par pure défiance envers Toph. Même si, comme cela lui arrivait à lui-même, il pensait bien que certains sujets pouvaient s’avérer litigieux aux yeux d’Ashitaka. Également.

« ..C’est bien. De continuer à faire circuler ton chakra, j’entends. Quand les médics auront fini d’établir un protocole, pour toi et les autres, on aura besoin de vous en forme... »

Voir ainsi ses coéquipiers meurtris suscitait toujours chez lui une sorte de pincement, long et douloureux, qu’il créditait automatiquement à sa rage envers Ketten pour avoir créé les conditions de ce drame. Les mains du Yonbi en avaient été un facteur : la technique d’immobilisation moniale dont ils avaient été victime, un plus important encore. Mais sur ces événements, il ne s’appesantirait plus, pas alors que tant de nouveaux enjeux se trouvaient devant eux.

« ...En forme… et aux bons postes. Nos forces sont étirées comme jamais, et dans le contexte, c’est très mauvais. Nos sections spéciales ont perdu des effectifs… elles vont avoir besoin de sang neuf, de sang efficace », dit-il les bras croisés sur le torse, un regard en coin dardant vers le Borukan.

Le message était tellement appuyé qu’il en perdait presque tout son caractère implicite : la perspective de devenir Ombre à priori dissipée pour le moment, rien n’empêchait plus Ashitaka de mettre ses talents au service d’une Unité du Yamagenzô. Restait cependant à savoir, dans son état, quelles étaient ses véritables perspectives.

Cloué dans le fauteuil qui lui servait de moyen de locomotion, Ashitaka semblait assurément plus morose que d’ordinaire. Mais qui, au demeurant, pouvait se targuer de posséder un tempérament à l’épreuve de la perte de ses membres inférieurs ? Sculptant la glace au creux de ses mains, le Borukan demeurait malgré tout calme et concentré : c’était un dur au mal, Yanosa le savait, même si de par son expérience en matière de traumas divers et de souffrances insoutenables, il avait une petite idée des sentiments qui devaient occuper son esprit ou le traverser de façon aussi passagère que destructrice. Aux yeux du Tellurique, parler de l’avenir était capital vus les enjeux, mais du fait d’une concomitance assez heureuse, cela pouvait également servir aux blessés graves comme Ashitaka de se raccrocher à quelque chose, à une perspective qui, si elle restait incertaine, restait largement préférable au vide.

« Oh, la mort attendra encore longtemps crois moi. Avec Aimi aux commandes, pas besoin d’être optimiste pour savoir que vous serez bientôt opérationnels... »

Un bref instant, l’Oterashi se demanda si au contraire, cette pensée ne pouvait pas s’avérer un peu trop optimiste, mais balaya promptement ces doutes : lui comme les estropiés avaient besoin d’y croire pour se projeter, et c’est donc ce qu’il continuerait de faire.

« ...Tu oses dires ça, avec tout ce sang qu’ils ont du te transfuser ? Ha… Blague à part, ne sous-estime pas ta contribution. Le Shishiza.. tu pourrais effectivement y être très utile, même si j’aurais aussi su apprécier ta présence à mes côtés au sein du Sazori...Enfin...il y aura de toute façon bien assez à faire pour tout le monde », fit-il d’un ton à la fois résigné et contrarié.

Pour avoir déjà collaboré avec lui par le passé, il connaissait la fiabilité du Borukan et en dépit de ses méthodes pas assez tranchées et définitives à son goût, savait qu’il aurait pu faire face à toutes les situations avec son concours. Au bout du compte, toutefois, chacun était libre de ses choix, bons ou mauvais, quoi que Yanosa n’était pas apte à juger celui d’Ashitaka de se tourner davantage vers le Shishiza.

« ...Mes projets ? » répondit-il, presque incrédule sous son habit de bandelettes sombres.

Machinalement, il s’avança de quelques pas, laissant son dos à contempler à Borkan. Il se retourna ensuite de moitié, les bras croisés sur son torse.

« ...Ils s’aligneront sur ceux de la cité, bien sûr, et ceux de la Godaime. Tout ce que je veux, c’est qu’on joue nos cartes au mieux pour affaiblir les soutiens de ce Tôsen et l’empêcher d’obtenir ce qu’il veut… Ce nécromancien qui travaille avec lui.. il va falloir le supprimer, et vite, si on veut éviter d’être confronté à des réincarnations immortelles d’anciens guerriers Et pour ça, on va devoir remonter sa piste via ces mercenaires qu’il a employé... ».

Il marqua une pause tandis que ses pensées s’agitaient en tout sens devant l’ampleur de la question que lui avait posé Ashitaka. Les priorités s’empilaient, et comme il l’avait précédemment évoqué, les effectifs leur manquait.

« Le Sazori… On arrive à peu près à tourner, mais l’absence de Tenzin commence à se faire sentir, et à côté de ça, notre propre Seigneur méprise nos sacrifices… Avec Tôsen qui annonce la fin des shinobis, difficile de dire qui sera réellement de notre côté à l’avenir. »

Il pinça ce qui restait de ses lèvres, songeur, puis reporta plus particulièrement son regard sur la sculpture de glace qu’était en train de façonner Ashitaka.

« ...Elle doit représenter quelque chose… ? »