« […] et les deux Sœurs affirment qu’elles n’ont jamais posé le pied à l’intérieur de Kirigakure no Satô, ni attaqué l’un de leurs hommes. »

Le Kazejin, toujours le genou au sol et la tête penchée, ne voyait pas encore celle à qui il s’adressait. La seule chose qu’il pouvait percevoir, c’était qu’elle était à genoux, sans doute en train de prier comme à l’accoutumée. Il attendit donc patiemment sa réponse, sans jamais bouger d’un poil. S’il ne distinguait pas encore toute l’ampleur de son interlocutrice, il savait qu’ici, à Kaze no Kuni, elle était pareil à une déesse.

« … je vois. Le Dieu du Désert me murmure quelque-chose à l’oreille concernant le village de la Brume…
─ Quoi donc, Grande Prêtresse ? »

La femme la plus puissante du Pays du Vent leva ses bras au ciel, puis inspira un long moment. Ce ne fut qu’ensuite qu’elle se releva, avec une grâce presque anormale. S’il ne voyait que son dos, le Kazejin au rapport put entendre le rictus qui partageait les mots de sa reine.

« … la guerre. »

Ces mots lui glacèrent le sang, un contraste affligeant avec la quiétude et l’assurance par lesquelles la Grande Shima s’était exprimée. Toujours gracieuse dans ses fins habits blancs, elle ne semblait réellement pas affectée – voire même concernée – par la déclaration solennelle de guerre qu’elle venait de faire en privé. N’ayant aucune crainte que son royaume saurait écraser le piètre village de barbares indécis qu’était Kirigakure no Satô, elle se concentrait pleinement sur ce qu’elle avait à faire en ce jour.

Car aujourd’hui sonnait l’heure des premiers sacrifices de l’année.

Elle alla caresser sa couronne, posée sur du lin rouge, avant de la prendre de ses deux mains fines. Après quelques instants à observer l’un des symboles de son absolu pouvoir, la religieuse dame la posa sur sa tête, et se tourna enfin vers son soldat.

« Tu peux disposer et retourner dehors, la cérémonie publique va commencer.
─ Tout de suite, Impératrice. »

Il s’exécuta, laissant la Grande Prêtresse Rouge seule. Elle n’était qu’à quelques pas de cet évènement qu’elle attendait tant chaque année. Une fois encore, elle inspira et sourit, avant d’enfin se décider à franchir la porte puis parcourir le tunnel qui la mènerait jusqu’à l’extérieur.

Le soleil, la chaleur et des centaines et centaines d’applaudissements accompagnèrent son entrée sur l’estrade. De l’autre côté, un public hétéroclite l’acclamait. La cérémonie des premiers sacrifices de l’année était sans doute l’évènement le plus important du Pays du Vent, et avait encore rassemblé cette année des dignitaires venus de tous les pays. S’ils n’étaient pour la plupart là que pour commercer ou passer des accords, ils se devaient d’assister à la cérémonie religieuse envers le Dieu du Désert.

Qu’importe leurs motivations ou leurs attentes, les près de trois milles conviés au centre de la capitale Taiyô n’avaient qu’une seule hâte : que la cérémonie commence.

Elle pouvait à peine respirer. Sous la chaleur accablante de son pays natal, elle avait retrouvé avec souffrance les hautes températures, surtout lorsqu’on était exposé aux rayons du grand soleil. Kâtenshêdo avait échappé au Premier Cercle et à sa nation des années durant, assez longtemps pour presque oublier le quotidien qu’elle y avait eu.

Et le sac en lin qu’on lui avait mis sur la tête n’aidait en rien à améliorer sa situation. Et c’était exactement le but recherché par ses ravisseurs. Si elle les insulta à de nombreuses reprises, ces chiens Kazejins de Taiyô et du Premier Cercle allaient aujourd’hui la soulager, elle le savait. Sa tête, sa personne, des symboles qu’elle savait puissants pour faire partie des premiers sacrifices de cette année.

Lorsqu’elle vit l’Impératrice Shima enfin arriver, elle repensa alors à toute sa vie, de sa naissance à ce qui l’avait poussé à quitter ce pays maudit et frappé par les injustices, jusqu’à sa capture par les Kumojins à Shîto. Elle qui paraissait désormais aux yeux du monde comme une criminelle, comme l’une des gradées de Hi no Kuni.

Puis vinrent l’heure des regrets. Elle n’en eut que deux. Le premier fut destiné à Tadao, son amour qui naquit ici même il y a tant d’années, et le fait de l’avoir quitté pour fuir le pays, plutôt que de chercher à se battre pour ses idées. Enfin, celui d’avoir été capable d’empoisonner le petit-fils de l’ancien Seigneur du Feu, sieur Araho.

Quelle ironie, elle qui s’était caché derrière tant de marionnettes et de pantins, qui avait longtemps été perçue comme faisant partie de l’élite des shinobis, n’était finalement qu’une femme fragile et pleine de remords. Et aujourd’hui plus que jamais, elle était à nue, prêt à affronter la mort et toutes les souffrances qui viendraient avant.

Elle allait être sacrifiée pour ce Dieu dont elle avait toujours mis en doute l’existence.

« Je vous salue, d’où que vous veniez, au nom du Premier Cercle, de Taiyô et de tout Kaze no Kuni. Soyez persuadés que le Dieu du Désert apprécie votre présence, qui ne fait qu’apporter du poids à cet évènement qui est si cher à nos traditions et à nos croyances. »

La Grande Impératrice, pour ceux qui ne le savaient pas encore, était la figure forte du Pays du Vent. S’il existait certes un Daimyô, il n’avait guère de puissance, étant surtout un symbole à l’étranger plutôt qu’un réel homme de pouvoir. Là n’était que l’une des nombreuses particularités de cette nation, ô combien riche et « séparée » du reste du Grand Continent.

Ces sacrifices en étaient le parfait exemple, et comme chaque année, l’Impératrice Rouge ne manquerait pas de le faire rappeler.

« Nombre de pays appliquent des peines d’emprisonnement pour leurs criminels, nous avons choisi depuis des siècles de donner une peine d’esclavage aux nôtres, pour qu’en plus de payer le tort qu’ils nous ont fait, chaque Kazejin puisse savoir que ce prix leur est bénéfique. Mais dès lors que des crimes trop graves pour être pardonnés existent, nombre de pays choisissent des peines de mort, privées ou parfois publiques. Nous, Kazejins, offrons cette mort à la divinité en laquelle nous croyons : le Dieu du Désert. »

Il était important pour elle de souligner à quel point les pratiques qu’elle et le Premier Cercle employaient depuis si longtemps n’avaient finalement rien d’anormales, et étaient fondées sur une logique qu’on pouvait aisément comprendre, à défaut d’adopter. Chaque crime était puni, comme partout ailleurs, mais les peines du Pays du Vent étaient toujours « utiles » à Taiyô.

Elle s’approcha au plus près du pilori le plus avancé sur l’estrade. Sans chercher à être délicate, elle ôta d’un large mouvement de main le sac en tissu qui recouvrait la tête de la première sacrifiée. Beaucoup reconnurent Kâtenshêdo, celle qui avait été évoquée dans l’édition du Kunaï Emoussé. Certains étaient même uniquement venus pour la voir.

« Voici Kâtenshêdo. Elle qui est née dans notre désert, qui a vécu sous la tutelle du Premier Cercle, s’est mise à renier tout ce qu’on lui avait apporté des années durant. Elle a bafoué nos principes, renié notre Dieu, tenté d’attenter à la vie de ceux qui protégeaient l’autel qui lui était consacré… avant de rejoindre l’organisation du Soshikidan, dont les méthodes brutales ont eu un écho international. Plus qu’une criminelle Kazejin, elle est aussi une criminelle dans d’autres pays comme Kaminari no Kuni, dont je tiens une nouvelle fois à souligner la compréhension dont leurs représentants ont fait preuve en nous laissant lui infliger la loi divine ici, sur ses terres natales. »

Elle s’écarta d’un pas, cette fois-ci avec grâce. De l’autre côté de la tribune, un guerrier Kazejin portant un masqué d’or s’approcha, un khépesh à la main. Dès lors, on devinait que ce proche de l’Impératrice serait le bourreau de la cérémonie. La Grande Prêtresse adressa un dernier regard à Kâtenshêdo.

« Kâtenshêdo, puisque c’est le nom que vous avez choisi de porter, je vous condamne au sacrifice. Aujourd’hui, devant des centaines de témoins et le Dieu du Désert lui-même, votre sang servira à maintenir la grandeur de notre pays. »

Sur quoi, d'un signe de la tête, fit comprendre à son second de venir accomplir son devoir du jour : celui de grand bourreau. Levant les mains au ciel, elle entama le rituel que tous attendaient, ou découvraient.

Il était le plus proche guerrier de l’Impératrice Shima, mais peut-être avait-il attendu encore plus longtemps ce jour qu’elle. Derrière son masque doré et sa tenue emblématique d’Arme de la cheffe de Kaze no Kuni, l’homme ne quittait pas les piloris des yeux. Pourtant, il savait que sur le côté, des centaines et des centaines de personnes étaient là, tout aussi impatients pour nombre d’entre eux. Mais à cet instant, ils n’existaient presque plus.

Dès que Kâtenshêdo avait eu son visage découvert de la main de la Grande Impératrice, le cœur du Bourreau s’était mis à battre d’autant plus. Ce moment était fatidique, historique, il le savait. Il avait attendu ce moment depuis si longtemps. Dès qu’elle avait déserté le Désert Aride de Kaze no Kuni, il avait toujours espéré que ce jour arriverait. Et enfin, grâce à Kumo – ironiquement – il était là.

Tandis qu’elle s’adressait aux représentants et spectateurs de tous pays, la Grande Impératrice était scrutée au plus profond par son second. Il guettait un signe, il n’attendait qu’un mouvement de tête. Et ce dernier tarda à venir. Ces secondes lui parurent être des minutes.

Mais enfin il s’avança, son khépesh en main, prêt à infliger sa sentence. Il se plaça lui aussi sur le côté droit du pilori où était attachée Kâtenshêdo, juste derrière la Grande Impératrice. Au loin, le Bourreau voyait à nouveau les deux milles spectateurs qui s’étaient amassés ici au cœur de la capitale de Taiyô.

« Kâtenshêdo, puisque c’est le nom que vous avez choisi de porter, je vous condamne au sacrifice. Aujourd’hui, devant des centaines de témoins et le Dieu du Désert lui-même, votre sang servira à maintenir la grandeur de notre pays.
─ Oui, Kâtenshêdo va mourir… »

Dans le large public, dont de nombreuses personnes portaient naturellement un foulard ou turban pour se préserver de la chaleur et la lumière agressives de Kaze no Kuni, quasiment personne n’entendit le Bourreau parler. A dire vrai, il n’était pas censé parler.

« … mais pas aujourd’hui ! »

Le khépesh de l’homme masqué s’enfonça dans l’abdomen de la Grande Impératrice qui peina à se retourner. Tandis que son cri de douleur résonna dans toute la ville, accompagné de certains hurlements d’effroi, il se passa autre chose d’inattendu.

Partout dans le public, des gens s’ôtèrent leur turbans et voiles, et levèrent leurs armes et poings en l’air. Tous, presque à l’unisson, scandèrent :

« POUR KAZE NO KUNI ! »

Invraisemblable mais pourtant vrai : la rébellion visant à renverser le Premier Cercle, jusque-là considérée comme une simple hypothèse – celle-là même à propos de laquelle certains étaient venus chercher des renseignements – existait bien. Et elle démarrait aujourd’hui.

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