La Voie du Crocodile s'arrêtait enfin. J’étais libérée des flammes.
Devant elles, désormais : le chemin du départ, et sur l’horizon, d’innombrables Nuages.
Comme autrefois, alors que je tenais à peine debout, et que le monde semblait encore vierge de toutes horreurs, si immense et si magique aux yeux d’une enfant émerveillée par tant de splendeur.
Et même si, aujourd’hui, la saveur qu’il instillait en moi naviguait plus souvent qu’autrement entre l’amertume et l'aigreur, une part de moi, de naïveté sans doute, savait toujours se délecter des merveilles que la nature pouvait offrir à tout voyageur. Malgré la tension. Malgré les angoisses. Malgré les doutes. Oui, je m’en abreuvais pleinement. Quel bonheur.

Car, voyez-vous, les rayons solaires peignaient l’aube d’un millier de nuances toutes plus éclatantes les unes que les autres, léchant branches et troncs partiellement dénudés de leur feuillage pour subjuguer tout être de leur céleste beauté. Quiconque était un brin contemplatif, comme moi, n’aurait pu que s’émerveiller devant ce tableau digne du divin. La brise faisait agréablement bruisser les arbustes desséchés par le froid avant de caresser mes joues rougies et de murmurer à mes oreilles, tandis que chacun de mes pas provoquait de doux craquements, de subtiles froissements, ceux du bois, des cocottes et des feuilles multicolores arrachées par les vents. Je pouvais humer, dans l’air, les parfums, les arômes typiques de l’automne : ces odeurs musquées titillant mes sens, celles issues de la décomposition d’un couvert forestier tapissant désormais les sols, la terre à moitié gelée. Et ce silence…

Quoi de plus réconfortant, de plus apaisant que la nature… en parfait contraste avec la course effrénée que je menais afin d’atteindre incognito les frontières d’un pays, d’une nation au sein de laquelle j’avais été arrachée plusieurs mois auparavant. Sous les traits d’un humble voyageur fatigué par ses innombrables périples en terre du Feu, je m’apprêtais à réaliser la grande traversée, esquivant villages pittoresques et hameaux de fermiers pour ne me contenter que d’auberges délabrés ou délaissés par les gens ou par le temps, de routes peu fréquentés, hors des sentiers battus et de l’étroite surveillance de soldats déterminés à arrêter tout contrevenant, ou traîtres au sein d’un empire marqué de sa chair par les conflits incessants, par la guerre.

Cet univers de haine et de violence, de militarisation à outrance, j’allais, oui, enfin, l’abandonner, le délaisser. Tourner la page sur la survie, pour recommencer à vivre, à progresser. Pour revoir mon cher Tengoku, ce sensei que… je détestais tant… mes amis, ma famille adorée.

Et bientôt, du moins, je l’espérais…

Retrouver ma place, parmi les miens, à Kumo.

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