Quand une idée germe dans un esprit, elle se met aussitôt à gangrener tout le reste sans que la conscience ne puisse la maîtriser. Les autres inspirations, les aspirations, les souvenirs, la force d'esprit ; tout disparaît au profit d'une vulgaire petite graine. Celle qui polluait tes pensées depuis désormais des mois s'était transformée en un besoin toxique et viscéral d'avancer. En funambule qui tomberait à tout jamais dans le néant si elle s'arrêtait, tu voyageais désormais à visage découvert dans un village dont les regards ne manquaient ni de curiosité, ni de gêne. Ton allure avait pourtant bien changé depuis les dernières années, mais on n'arrachait pas un Lotus sacré de la boue si facilement. Certains n’oubliaient ni ton nom, ni ce qu'il signifiait. Que ce soit dans le positif comme dans le médiocre, la féodalité avait un poids indéniable, ultime.
Tes pas accélèrent quand les regards se font trop accrocheurs, ralentissent quand l'isolement te donne un répit -même succin-. Tu n'avais ni l'envie ni le temps d'être prise à partie, car aujourd'hui marquait le début d'un recommencement. La culpabilité ne pouvait quitter ton sang que part cette audace nouvelle, cette hérésie... Cette toxine qui hantait tes rêves.
Le domaine Hyuga est vaste, trop vaste : si vaste qu'on doit t'escorter jusqu'au palais principal ou résidaient les héritiers claniques ; ceux dont les regards ne reflétaient que le vide absolu. Ta demande avait été simple, une entrevue en tête à tête avec leur princesse de sang, plus connue pour son titre de Godaime Tsuchikage. On t'avait alors informée du protocole à suivre.. ou autrement dit, suggéré d'attendre patiemment que ton hôte soit apte à te recevoir. Les Kages ne respiraient plus, à leur nomination, ils s'engageaient dans une apnée constante, paraphée de taches, d'objectifs, de réunions à tenir. Ils n'étaient plus maîtres d'eux même mais bien l'illustration qu'un village pouvait avoir un visage.
Alors qu'une porte s'ouvre, ton regard scripte la silhouette qui découle de son entrebâillement. Un regard inerte, une peau blafarde et quelques centimètres supplémentaires. Quelque chose te gênait dans sa démarche et son attitude, comme si elle était prête à filer pour t'ignorer à tout jamais, mais tu ne lui en laisse nullement l'occasion.
- Merci de prendre le temps de me recevoir
Sans vraiment lui donner le temps de t’accueillir, ton buste se penche de manière protocolaire avant de retourner à la normale. Tu t'étonnes quelques peu qu'elle ne t'invite point à la suivre dans une pièce isolée, à l'abri des oreilles indiscrètes, mais le feu nouveau qui habite ton cœur te fait faire fit de ce manquement.
- Je sais qu'il s'est passé tant de choses depuis notre dernière entrevue... L'examen, l'entraînement... Cela me paraît être si proche et pourtant si loin.
Perdue dans tes propres mœurs, esseulée dans ce combat contre toi même, contre ces souvenirs qui te poussaient aujourd'hui à oser l'impensable.
- Je sais aussi que vos fonctions vous laissent peu de temps, alors je serais concise...
Une légère inspiration vient consolider tes poumons : les rendre capables de prononcer une remarque qui sortait de tes habitudes... d'ordinaire taciturnes.
- Cela fait déjà plus d'un an que je me suis engagée dans les forces armées du village, au lourd prix de mon statut de noblesse ; De ce choix découle une flopée de victoires, de regrets, mais aussi de questionnement. J'ai vu nombre de mes équipiers s'éteindre ou s'envoler, briller ou s'enterrer. Mais de tous, pourquoi suis-je la seule à stagner dans un statut inchangé, comme si mon investissement était voué à retomber perpétuellement à zéro.
Si la cause te donnait une confiance jadis inexistante, la peur d'outrepasser les règles du système Iwajin bridait quelque peu tes mots. Quelque part, une paranoïa était née, et cette confusion donnait naissance à bien trop de théories dont la plus crédible d'entre-elle était sur le point d'être expulsée :
- Au point que je me demande si vous n'avez pas reçu des consignes de mon père pour que je reste ainsi cloisonnée entre les murs du village, de part ce statut de Genin, interdisant toute sortie non officielle, non missionnée, non urgente. Si non, ma volonté est-elle si transparente que même le regard affuté de la Godaime ne peut l'apercevoir ?
Les faits étaient posés, comme une tare que l'on veut jeter au loin. Cette sincérité, elle cachait aussi la peur de ne pas être au niveau, d'être l'éternelle oubliée, celle qui n’avance qu'à demi-pas. Le joug de la Roche était-il donc si sévère ?
Enfante de la Roche, Komorebi ne dérogeait pas à la règle. Si son esprit aspirait au changement, il fallait pourtant se soumettre à la dureté de la réalité. Combler ses lacunes. Guérir de ses maux, intérieurs et somatiques. Suivre sa propre voie. Telle la matrice qui donnait son nom à Iwa, Komorebi devait lentement attendre que le temps fasse son œuvre. Que l'érosion sculpte son être selon ses désirs, au gré des éléments de la nature. Jusqu'à présent, esclave du temps long, la kunoichi ne faisait que constater à son échelle la profonde immobilité de ses progrès. Mais la main enrubannée de Yanosa vint dérègler l'engrenage de la nature qui régissait la destinée de la Déchue.
Le ciel était bien sombre en cette journée. Komorebi le ressentait jusque dans ses cicatrices. La promesse d'un rafraîchissement des cieux semblait imminente. Mais pour l'heure, la kunoichi répétait inlassablement la même routine de cet automne. Un entrainement en solitaire au petit matin, enduite du baume de son parent Kisuke. Puis une toilette, avant de se sustenter légèrement. Elle ressentait les effets décontractants de la préparation médicinale de l'homme au bob. Les premiers jours furent marqués par des fluctuations dans sa maîtrise des traits de chakra. Tantôt tempêtueux, tantôt fluides, ses projections manquaient néanmoins d'impact. A mesure que le temps s'écoulait, Komorebi gagna en fluidité, en dépit de progrès éclatant. Qu'importe. Le duel de l'après-midi aiderait probablement à franchir un cap, même infinitésimal, dans sa quête de rédemption.
La marginale de la Sōke s'apprêtait à prendre son repas, lorsqu'elle fut interrompue. Sa mère passait par là, et elle se figea nette, avec toute l'obédience qu'impliquait sa place dans la famille. Quelqu'un attendait à la porte. Komorebi acquiesça docilement, bien qu'elle rouspéta intérieurement. La kunoichi enfila de quoi supporter la fraîcheur des automnes montagnards, puis, munie de son écharpe, se dirigea vers l'entrée. Derrière l'imposante porte qui délimitait le domaine familial, Komorebi ne se doutait pas une seconde de l'identité de cette "personne de haut rang". A vrai dire, les instructions volontairement floues de sa mère n'aidaient pas.
De l'autre côté du domaine, la Genin n'eut besoin que de quelques instants pour réaliser qu'elle était en présence de la princesse Byakuren Yume, célèbre fille du Daimyō de la Terre. Instinctivement, l'étiquette lui imposa de la saluer avec la marque de respect que l'on accordait à la famille dirigeante du pays. Mais bien assez vite, elle réalisa que l'identification n'était pas à double sens. Bien au contraire.
— Je sais qu'il s'est passé tant de choses depuis notre dernière entrevue… L'examen, l'entraînement… Cela me paraît être si proche et pourtant si loin. — Hum, je…
Elle essaya de corriger le tir. Mais l'enfant du Lotus Blanc l'en empêcha aussitôt.
— Je sais aussi que vos fonctions vous laissent peu de temps, alors je serais concise… — C'est-à-dire que…
Une fois encore, Komorebi fut empêchée de lever le malentendu qui pesait sur cette rencontre. Plutôt que de s'acharner à interrompre le Paon Blanc, dont la détermination aveuglait son discernement, elle préféra laisser cette dernière s'exprimer pleinement. Komorebi n'eut pas longtemps à comprendre que le quiproquo concernait son apparence. Sa ressemblance frappante avec Toph mobilisa toute l'attention de Byakuren Yume sur sa personne.
Bien assez vite, elle réalisa l'ampleur du problème qui conduisit l'héritière des Byakuren à investir le quartier des Pupilles blanches. Étrangement, Komorebi se reconnaissait dans les paroles du Lotus. Une sensation d'oppression, d'enfermement forcé qui la bridait depuis des années. Mais la comparaison s'arrêtait là où les faits d'armes de Byakuren Yume commençaient, et n'avaient de cesse de croître. Au fond, la Hyūga avait de son plein gré accepté son grade de Genin qui lui collait à la peau depuis des années. Là où Yume aspirait à briser sa carapace d'aspirante ninja qui la bridait dans ses libertés. Quoiqu'il en soit, toutes les deux subissaient de plein fouet le poids de la Roche, immuable, que seul le flot des temps longs parvenait à altérer.
Devait-elle répondre en tant que Komorebi la Déchue, ou jouer le rôle que lui avait affecté maladroitement son interlocutrice ? L'ersatz de Toph demeurait confuse en y songeant. Alors, lorsqu'elle confronta de ses yeux d'albe le visage de la Princesse, elle désira s'exprimer au nom de ce qu'elle ressentait, indépendamment du rôle que la providence lui attribuait.
— Parfois, le rôle prévaut sur la personne. Je ne peux que comprendre ce que vous ressentez, Byakuren-hime. Cette sensation d'isolement. De cage invisible qui masque l'horizon. Cette impression de barboter dans l'ombre de ses pairs, qui s'allonge au gré de leurs succès et de leur gloire grandissante.
Alors qu'elle se livrait sincèrement à son interlocutrice, Komorebi relevait dans le même temps son écharpe, chargée de chakra. Une manière pour elle de s'assurer qu'aucun de ses pairs ne la surprenne avec de tels propos en présence d'une Byakuren dans le sanctuaire des nobles au dōjutsu sacré. Ce tour, elle le tenait de Kisuke et elle le remercia en son for intérieur, alors qu'elle poursuivait, plus détendue.
— Je ne peux que ressentir la douleur de ce poison permanent qu'est le titre de Genin. J'en viens des fois à me demander si… Elle se refusa à formuler ce qui agitait ses pensées.Sachez toutefois, Byakuren-hime, qu'à mes yeux, vos faits précèdent votre rang en tant que kunoichi. Vos exploits au tournoi de sélection des Chūnins, votre engagement contre le Mal Bleu, sans oublier votre présence à Tsume et Wasure… Pour tout ceci, je suis admirative et… je crois que vous méritez un respect qui dépasse la simple hiérarchie shinobi.
Au gré de ses paroles, sa voix trahissait progressivement sa nature profonde. Celle d'une fausse Toph qui avait troqué ses exploits contre quelques années supplémentaires. Alors elle se décida à lever le rideau avec sa capuche. Elle révéla, non sans gêne, le visage d'une Hyūga de vingt-sept ans, loin du prestige qui auréolait son homologue Amazone. Et qui, finalement, était aussi éclipsée par les actions de l'éternelle Genin qui lui faisait face.
— Je… je m'excuse, Byakuren-hime. Il y a eu mégarde. Je ne suis pas la Godaime Tsuchikage. Je me prénomme Komorebi. Membre de la Sōke, et… Genin d'Iwa, également.
L’infortune d’avoir rassemblé son courage et le voir dilapidé dès l’instant suivant; parce que les erreurs faisaient l’humain. Naturellement, le rose te monte au joue et avoue ce que tes mots n’oseraient dire : Comment avais-tu pu confondre ta propre Kage avec… quelqu’un ? Ton regard s’éveille alors en curiosité, ce n’était pas juste son apparence, même sa voix aurait pu troubler de par sa similarité avec celle de la gamine. Confuse d'ignorer jusqu'à son nom ou sa lignée, pourtant persuadée de connaître les familles principales du village comme s’il s’agissait d’une commodité (en réalité, un simple devoir féodal, mais qui n’avait aujourd’hui plus de continuité).
-- Je…
Le trouble aurait pu générer la honte, mais au lieu de cela, celui-ci déclenche un bref rire nerveux qui se transforme rapidement en un rire sincère. Comme respirant pour la première fois depuis des siècles, à la fois désolée et incomprise, tu baisses cependant le visage en signe de pardon.
-- Veuillez m’excuser… c’est que..
Le rire s’entrechoque avec ta respiration, coupant ta phrase en morceaux.
- J’aurais du remarquer plus tôt vos différences.
Maintenant que tes yeux s’habituaient à elle plus qu’à tes propres querelles internes, tu voyais plus précisément ce qui faisait d’elle une entité unique. Son regard n’avait rien à voir, sa stature non plus. Le reste n’était que mensonge qui préférait combler l'ignorance avec quelque valeur sûre: A l’image d’une autre. Ton constat était sans appel : ce n’était pas Komorebi qui ressemble à l’actuelle Godaime, mais bien l’inverse. Pouvait-on appeler ça la maturité dans les gestes ? L’instinct ? Ou simplement une vérité qui s’observe avec du temps et de l’attention.
Le fait que cette jeune Hyuga connaisse tes faits et gestes à la perfection te déstabilise un instant. Plus que de la gêne, c’était une curiosité monstre qui venait de naître en toi. Elle savait ce que tu représentais, ce que tu avais accomplis: mais que savais-tu d’elle ? Pendant un instant, tu regrettes de n’avoir pas été plus assidue dans la quête féodale de pouvoir nommer ses partisans sans même les voir.
- Je suis honorée d’avoir cette reconnaissance à vos yeux… Même si le respect n’est pas principalement ce après quoi je cours…
Le respect suffisait-il à éradiquer ces liens qui t’enchaînaient à cette boucle infinie qui te renvoyait toujours au même point ? Pas uniquement. Il était plus une aide, un outil, qu’un élément déclencheur, et il était souvent en proie à des principes qui existaient déjà avant même que tu ne deviennes Shinobi. Le respect a tué la féodalité, l’a aveuglée.
- J’ai au moins trouvé quelqu’un qui partage mon avis sur ce statut bâtard qu’est-celui d’être Genin. Asservi mais bridé, qu'on garde proche mais loin de l’essentiel.
Cette idée réveillait tristement toute l’horreur que tu voyais pour les générations futures; leur fragilité te rendait presque nauséeuse. Tu chasses l’obscur de tes pensées avant même qu’il ne s’y installe, ne connaissant que trop bien les ravages qu’il pouvait y faire. Au fond, tu étais presque soulagée d’avoir pu te confier à quelqu’un dont le rôle n’était nullement protocolaire ou formel. Une simple confidente de fortune, dont le nom sortait du néant seulement maintenant :
- Enfin… Pardonnez-moi encore pour ça. Pour me racheter j’aimerai vous rendre la pareille: Pourriez-vous me confier un secret, une volonté, un mystère que vous ne pensiez jamais pouvoir dire sincèrement ? Je ferais en sorte d’être une oreille à votre écoute… Et puis cela me permettra de mieux vous connaître, Komorebi-san.
Un sourire à demie-teinte, reflétant tantôt de la douceur, tantôt une sagesse silencieuse.
Au seuil du domaine des Illustres, Komorebi continuait de faire face à la princesse de Tsuchi. Quelle étrange échange, se disait-elle. Byakuren Yume pensait avoir affaire avec une égale, la Princesse Hyūga, la Reine de la cité marchande et militaire d'Iwa. Il n'en était rien. La triste découverte de l'héritière Byakuren lui arracha un rire nerveux. D'ordinaire de marbre, Komorebi se consola d'avoir par sa seule identité ambiguë ainsi déstabilisée cette sang-bleu.
— Ce n'est rien, Byakuren-hime. Je suis habituée à … cet exercice,répliqua-t-elle, alors avec ce même rire nerveux que lui avait transmis la Princesse.
La Déchue ignorait quel impact réel cette déconvenue avait eu sur l'humeur de la noble. Toutefois, elle constata sans dire mot que la Princesse semblait écarter tout le prestige qu'elle avait accumulé par ses seuls actes, non pas en son titre royal, mais bien en sa qualité de soldate de la Roche. Elle en évacuait toute l'importance, confortait son opinion sur sa place de soldat Genin dans l'armée anonyme de la Roche, avant de renoncer à l'ampleur de son engagement pour entendre l'histoire de Komorebi. Cette dernière abaissa la tête, abattue du statut si regrettable de la princesse combattante.
Il existait une étrange ambivalence entre les siens qui brillaient dans la lumière, à la faveur de leurs faits d'armes, et d'autres, plus marginaux comme Yanosa et Yume. Qu'est-ce qui les différenciaient tant ? A cette question, la marginale qu'était Komorebi opposa un simple plissement des lèvres. Et en ce qui la concernait, la kunoichi avait cure de savoir en ce qui lui concernait comment s'illustrer. Elle avait choisi d'emprunter une autre voie. De parcourir les ombres dans lesquelles elle se morfondait depuis trop d'années. Grandir loin des projecteurs. Une ambition qui contrastait avec son statut clanique.
Plutôt que de chercher à solliciter la présence de Toph, Yume préféra formuler une étrange requête à l'égard de celle qu'elle avait plus tôt confondue avec l'Amazone. Une demande simple, mais qui avait de quoi déstabiliser Komorebi. Son visage encaissa mollement l'intérêt soudain que suscitait la combattante de lignée royale, alors que le froid des montagnes effaçait la surprise de ses traits. C'est en cet instant qu'elle se sentit réellement exister dans la conversation. Non plus en tant que sosie de Toph, mais bien comme être humain à part entière. Cette proposition lui arracha finalement un sourire à peine voilé. En prise à une certaine paranoïa à l'égard des siens, Komorebi préféra jouer la carte de la prudence. Sa réponse était toute faite dans sa tête, mais la révéler en ces lieux s'avéraient problématique. Alors elle décida d'empoigner spontanément le poignet de Byakuren Yume et de la conduire à l'écart.
— Suivez-moi, princesse Byakuren. Je ne vous apprends rien si je vous dis qu'ici, les murs ont des oreilles, et que ces mêmes murs n'existent pas pour les yeux qui résident en ce domaine.
Les deux demoiselles quittèrent le domaine Hyūga pour se rapprocher du centre-ville. Là, parmi la foule, Komorebi se sentait davantage en sécurité. Elle ignora les passants qui purent éventuellement dévisager Byakuren Yume, pressant le pas pour se concentrer sur la demande de cette dernière. Finalement, elles s'installèrent dans une maison de thé loin des artères très fréquentées du cœur commerçant d'Iwagakure no sato. Un endroit parfois fréquenté par la Déchue pour trouver le calme, sans risquer de se faire dévisager par quiconque. Il en était de même aujourd'hui, tant pour elle que son invitée. Au premier étage, une table donnait sur une vue vers les hauts plateaux qui cernaient la cité. Après avoir passées commande, aux frais de la Hyūga, les deux dames retrouvèrent un cadre plus intime et discret, propice aux secrets inavoués.
— J'espère que cet endroit sera à votre convenance, Byakuren-hime. En ce qui concerne votre requête…
Elle hésita un temps à mettre des mots sur ce poids qui pesait dans son cœur. Puis elle consulta les perles qui habillaient le visage de sa vis-à-vis. La sérénité que dégageait ce regard lui donna le courage de se lancer.
— C'était il y a quelques mois de ça, je crois. Je m'entrainais comme d'habitude avec mon père, Hiatari Hyūga. Comme d'habitude, il prenait le dessus sur moi et… je n'avais plus la force de lutter, de chercher à prendre le dessus. Je ne faisais que me battre sans réfléchir, sans songer à la défaite qui m'attendait. Elle vint déglutit, se préparant à la partie la plus cruciale de son histoire.Et puis soudain, il s'est figé sur place. Sur le coup, je n'ai pas compris ce qui lui arrivait. J'étais moi-même terrifiée de le voir ainsi. Je le voyais, avec mes yeux. Ses tenketsus étaient anormaux. Ils brillaient bizarrement, comme un feu d'artifice qui s'apprête à exploser. Ça n'a pas manqué… car l'instant d'après, le Doton prenait le dessus sur mon père. Il s'est changé en terre, en pierre - je ne sais plus trop maintenant… - avant d'éclater en morceaux devant moi.
Il y avait quelque chose d'étrange dans l'attitude de la guerrière. Elle n'exprimait aucun remords face à la disparition de son paternel. Aucun deuil n'habitait son regard. Aucune peine ne déformait son faciès. Pourtant… d'où venait cette souffrance qui éprouvait ses traits ?
— J'ai un peu du mal à le formuler devant vous mais… sa disparition m'a libéré. Pourtant… voilà ce que je me dois de vous confier, à vous et vous seule… il me hante toujours. Parfois, quand je m'entraine, son visage sévère apparait pour me juger encore. Quand je dors, je me réveille en craignant qu'il puisse m'atteindre. Même dans le feu de l'action, j'ai le sentiment qu'il est toujours là, prêt à me réprimander, à me rappeler mon impuissance. C'est plus qu'une impression. Je le sais. Il est toujours là, en moi. Sa présence… est gravée en moi maintenant.
Komorebi détourna le regard, s'assurant que personne ne les observait. Puis, avant qu'une serveuse ne leur apporte de quoi oublier leur soucis autour d'une tasse de thé vert, elle releva sa manche. Komorebi exposa dès lors cette fameuse gravure de Hiatari, que ses doigts, pareils à des fers à souder, imprimèrent indéfiniment sur la peau de sa propre fille. Toute peine avait disparu en cet instant sur le visage de la Hyūga. Il ne demeurait qu'une expression glaciale de sévérité.
Ta curiosité naissante sembla réveiller une lueur nouvelle dans le regard pourtant livide de Komorebi. En un instant, sa paume empoigne ton bras et t’attire vers l’extérieur: vous jetant à la merci des regards curieux de ceux qui s’imaginent voir la jeune Kage traîner la princesse déchue hors de leur champ de vision.
Vous disparaissez finalement au coin d’une ruelle qui vous mène jusqu’à une vieille maison de thé isolée. Sa clientèle inexistante fait d’elle une tanière planquée, rassurante. En t’asseyant à tes côtés, tu ne peux te retenir de poser une question indélicate :
- Craignez-vous à ce point le regard de vos pairs…?
Pour que la fuite soit aussi instinctive, tu reconnaissais là l’attitude à laquelle tu te refusais de céder quelques années auparavant au sein du palais royal. Une idée bien vite évincée par le récit de la jeune femme, qui, à mesure qu’elle s’avançait dans l’histoire, éteignait petit à petit sa présence d’âme, cette petite étincelle que l’homme se devait de maintenir allumée.
Ton regard devient aussi sévère que froid à la vue de la manche retroussée et de ce qu’elle cachait. Une gravure charnelle, une marque égoïste et territoriale. Une plaie qui pouvait être dissimulée, jamais comblée. Mi ouverte, mi guérie, hybride de forme et de sens.
- Je savais l’éducation Hyuga stricte mais j’ignorais qu’elle put être aussi… extrême.
Ta paume se rapproche doucement de sa peau meurtrie, l’enveloppe en partie comme pour la consoler.
- L’exigence d’un père est une fatalité qui nous frappe tous… Mais son expression.. ne devrait pas ressembler à ça.
Ton songeais alors à tes propres peurs, t’enracinant dans un palais haut perché, face au dos colossal de Masato et de sa sévérité concernant ton apprentissage. Tu penses aussi au jour ou la déception le gagne au point de te destituer de ton statut de noblesse… et pourtant. Et pourtant dans ses yeux il n’y avait de place que pour la peine, et ses mains jamais n’auraient pu te blesser. Cette idée te fait te sentir coupable face à une enfant qui n’avait pas eu ta chance, qui avait grandit dans un monde ou la force donnait de la brillance, et ou la barbarie résonnait avec la gloire.
- Votre père vous a été arraché trop violemment pour que vous ne puissiez faire face à cette exigence qu’il avait envers vous… Mais moi je peux vous le dire.. Vous n’êtes en rien comme lui.
A ce moment, tes paumes dégagent un léger crissement, comme si de la vapeur étouffée s’était retrouvée enfermée entre ta chair et son bras meurtri.
- Alors vous n’avez pas à vous attacher à ses méthodes pour être vous même.
Tes mains se lèvent et laissent à Komorebi le soin de décrire sa propre transformation. Autour des plaies, une couche cristalline avait dessiné de nouvelles marques, plus arrondies, plus difformes, organiques. Des racines, des fleurs, un champ nacré qui donnait de la profondeur aux blessures, qui les transformait en quelque chose d’autre, d’unique: de nouveau.
Komorebi se sentait comme mise à nue, en exposant ainsi ses blessures. Mais si d'ordinaire elle répugnait l'idée de chercher la pitié de quiconque en révélant ses stigmates, il n'en fut rien en présence de la Princesse de Tsuchi. L'expérience avait un effet cathartique, en livrant dans le même élan le récit de ses peines. La Hyūga en cherchait en rien à s'apitoyer sur son sort. Elle avait besoin d'une oreille attentive, et non de l'œil inquisiteur de ses pairs. Komorebi n'avait jamais réellement extériorisé ce qu'elle avait vécu, et ce qu'elle vivait encore. Derrière ce masque de marbre, la Genin peinait en réalité à accepter cette disparition. Elle fut presque bouleversée, lorsque Yume la réveilla de ses pensées néfastes, pour l'interroger sur ce Byakugan accusateur qui pesait en permanence sur sa personne. Ici, cette épée de Damoclès avait moins d'emprise. Ce qui ne l'empêcha pas d'être concise.
— … Oui. Surtout quand ce même regard ne laisse aucune place à l'intimité.
La Hyūga de seconde zone fut surprise de la bienveillance chaleureuse de la princesse Byakuren. Au-delà d'une simple compassion, qui aurait pu être interprétée à tort comme de l'apitoiement, l'héritière partageait une expérience difficile avec son géniteur. Ce qui faisait d'elle une personne toute particulièrement disposée à comprendre ce que traversait intérieurement sa vis-à-vis. Le contact de Yume alla jusqu'à étonner Komorebi, presque gênée d'être ainsi considérée. Presque comme un réflexe, elle enserra sa tasse de ses deux mains, essayant de maquiller sa gêne par une stature fière, héritée de la discipline Hyūga.
Clou du spectacle, la Princesse de Tsuchi proposa à la fausse princesse Hyūga un traitement bien particulier. Véritable artiste du chakra, Byakuren Yume appliqua sur la peau tuméfiée de sa comparse fugitive quelque soin mystique. Un enchantement cristallin qui, plutôt que de masquer la difformité, la sublima. Une certaine esthétique, digne du kintsugi, se dégageait de ses arabesques de chair et de diamant. Lentement, Komorebi observa la magie opérer. Les traits de son visage commencèrent à s'adoucir. Plus que cette fresque surréaliste qui naissait sur la toile de son derme, ce furent les mots de Yume qui firent écho dans l'esprit de l'ersatz de Toph.
— Merci… c'est… magnifique.
Komorebi n'était pas du genre à se complaire dans les apparats. Le bon sens conclurait que son éducation de Hyūga lui imposerait de mettre en valeur son noble héritage de la Pupille blanche. Afficher fièrement son prestige, pour être clairement identifié à la hauteur de son statut. Mais sa médiocrité au fil des années l'avait forcé à faire profil bas. Préférer dissimuler son appartenance à la ligne prestigieuse des Hyūga. Se contenter de l'essentiel. Et la rencontre avec Yanosa n'avait en rien arrangé son habitude de négliger son apparence. Pourtant, en cet instant, elle admirait toute la beauté de ce tatouage adamantin.
— Vous… vous avez raison, Byakuren-hime. Trop longtemps, j'ai cru que je devais ardemment suivre la voie de mes pairs. M'investir totalement aux côtés de mon père pour suivre religieusement ce chemin tout tracé. Cela n'a fait que me rendre malheureuse, et me faire souffrir inutilement. Je n'ai compris que trop tard que je devais me dévier de cette voie, quitte à rester en retrait des miens. Mais… j'ai changé, récemment. J'ai suivi quelqu'un. Un mentor qui m'a montré une nouvelle voie, qui m'a montré que je pouvais être fière de moi, et avancer dans la vie sans le poids de mon clan.
Le visage émerveillé de la fausse princesse se raffermit en une expression de fierté guerrière. L'ombre d'Oterashi Yanosa ne planait jamais bien loin de Komorebi. Ce sursaut d'orgueil s'apaisa l'instant d'après.
— Il n'empêche que… j'ai dû mal à me défaire de mon père. Il me hante, et je ne peux rien y faire. Et je ne sais pas comment faire pour me débarrasser définitivement de ce foutu visage.
En réalisant que sa langue avait fourché en présence d'une héritière du pays, Komorebi engloutit une gorgée de thé pour s'emmurer dans le silence. Une mauvaise habitude, cultivée dans les arènes illégales d'Iwajuku. La Genin, soucieuse de sa bienfaitrice, décida de s'enquérir en retour de ses préoccupations.
— Mais dîtes-moi, Byakuren-hime, qu'en est-il de vous, si je peux me permettre ? Je reconnais dans vos paroles … une certaine… expérience.
C'est un soulagement timide que d'observer la femme s'ouvrir petit à petit ; son cœur comme son regard gagnent en lumière, chassant le vide pour faire naître quelque chose de singulier. Un commencement, celui qui précède l'accomplissement. Celui qui remet en questions les doutes internes qui la rongeaient. L’héritière des pupilles opalines s’était mystérieusement confiée à toi, comme si ta présence apporterait forcément un conseil, mais tu sentais que cette attente naturelle était mutuelle. Elle n’avait nul besoin de toi en tant que princesse, la sage qui a réponse à tout; et tu n’attendais d’elle que son écoute de simple individu, et non pas du simulacre qu’elle semblait incarner au sein de son clan.
Alors que la parure éphémère semble faire son effet, ton attention slalome entre les confessions de cette jeune Hyuga et le malaise qui en ressort. Tu savais les dogmes claniques très strictes… Mais à ce point ? L’éveil de Komorebi ne fut malheureusement que de courte durée, et elle replongea dans ses peurs aussi rapidement qu’elle en était sortie. Elle parlait d’une ombre qui la suivait, qui la jugeait; qui repeindrait chacun des horizons qu’elle scruterait à l’avenir. A cette confidence, ton regard surplombe son épaule derrière laquelle une silhouette ombragée se dressait. Son oeil unique te juge sans la moindre expression. A ses côtés, une jeune femme, jadis fiancée. Plus loin encore, une aura prestigieuse, princière, d’une soeur, puis une autre, d’une mère. Les ombres s’alignent, vous entourent, vous protègent puis vous piègent.
Puis tout s’efface quand Komorebi retourne la question vers toi: curieuse de parler à son égale, désireuse d’entendre des confidences qui diront « oui je sais, je comprends ».
Déstabilisée le temps d’un instant par les visages disparus; réveillée désormais face à cette réalité plus cruelle, avec leur absence, avec ce jugement, différent mais pourtant identique. Ton mutisme en dit long, à mi chemin entre un aveu de faiblesse, ou bien de courage. La face féodale se fissurait au profit de celle qui aspirait à n’être que sincérité. Un sourire à demi mot, triste, fait office d’introduction à la réponse que Komorebi devait entendre;
- Je n’irais pas jusque dire que nos conditions de vie entrent en résonance Komorebi-san, mais nos chemins se ressemblent… L’exigeance, la déception, la honte: Vous parlez à quelqu’un à qui on a retiré sa noblesse parce qu’elle pensait bien faire. Alors oui, le poids de nos choix sont souvent lourds à porter, mais pas insurmontables.
Les visages décimés des autres ne sont plus là, mais tu sais leurs regards posés sur toi: t’accablant tantôt d’une force et d’une faiblesse. Une dette, puis un don. Ils te coutaient, mais t’apportaient tant. Sans eux, tu ne serais pas ici, à réveiller petit à petit la réelle Héritière au nom de la Terre. Parce que tu vivrais en leur nom; parce que le tien n’importait plus, puisqu’un jour leur mémoire découlerait au travers de ton propre vécu, et que tu ne serais plus qu’un reflet hybride d’eux.
- Peut-être aurez-vous besoin de vous perdre pour mieux vous retrouver; comme ça a été le cas pour moi. Peut-être aurez vous aussi besoin de ce mentor, d’une aide, que vous perdrez aussi peut-être un jour. Tout ne sera que peut-être; mais la seule certitude que j’ai, c’est que chercher à combattre ses démons n’est qu’une perte de temps.
Ils sourient dans l’obscurité, dans TON obscurité, appelant tristement la hantise de cette Shinobi à les rejoindre. Un jour, son père y figurera, mais pas dans tes songes. Un jour, elle verra comme toi, d’un oeil éclairé, que l’absence porte aussi conseil, et qu’il est vain de lutter contre, mais d’apprendre à vivre avec.
- Il y a un point d’équilibre, à peine notable, qui fait basculer les souvenirs vers la souffrance ou l’apaisement. S’assoir en ce point est un jeu de funambule, et la chute peut-être euphorique comme destructrice. Et je pense que l’on passe sa vie à pencher d’un côté comme de l’autre pour rester en ce centre si instable.
Tes métaphores devenaient décousues, mais elles représentaient ton historique, ce que tu peinais à exprimer autrement que par des illustrations abstraites. Komorebi se trouvait juste là, les yeux bandés sur cette balance inégale, ne sachant quel pied avancer en premier pour faire que son poids rééquilibre son quotidien. Une étape qu’elle ne pourrait franchir que d’elle-même.