Le jeune Nashi termina enfin sa formation et devint un soldat de l’Empire à part entière. Ses connaissances avaient bien changé : il avait appris à lire et à écrire, pris conscience de la grande étendue du Yuukan et des innombrables mystères dont il ignorait encore tout, compris les forces majeures qui se disputaient le monde. Evidemment, son savoir avait énormément évolué. Lui pour qui le monde se résumait auparavant à la demeure dans laquelle il était esclave avait été propulsé dans un univers beaucoup plus grand. Néanmoins, son opinion du monde ne changea pas. L’échelle était différente mais la situation similaire : entre obéir à un Maître ou son supérieur et être puni en cas de manque de discipline… Il fallait contenter le type au-dessus pour s’en sortir correctement. Cette règle était immuable, qu’importe le monde et son échelle.
Pendant sa formation, l’Empire arbora plusieurs visages : Yamanaka Rei, Sendai Yahiko, Shinrin Hanzô, … Encore une leçon qu’il avait déjà connue : on peut perdre ses privilèges à tout instant. Baissez votre garde ne serait-ce qu’un instant et tout peut basculer. Non : ce monde était définitivement cruel et égoïste. Chacun ne pense qu’à soi et Nashi n’était en rien différent des autres.
Comme tout soldat, il dut choisir entre les trois unités de l’Empire et sa demande se porta sur la Coloniale dans le but de découvrir davantage de ce monde mystérieux. Pour s’assurer que sa vision était bonne ou dans l’espoir d’être contredit ? Lui-même l’ignorait. Ou plutôt : il ne se posait pas la question. En réalité, il avait soif de découverte pour étancher l’immense vide au fond de lui et dont il détournait sans cesse les yeux.
Kogami Akira était le capitaine actuel de l’unité Coloniale. Depuis combien de temps ? Ce poste-ci était-il aussi versatile que celui de l’Empereur ? Nashi patientait devant la porte de son bureau, attendant l’autorisation d’entrer. Bien qu’il soit légèrement anxieux à l’idée de cet entretien, il n’en paraissait rien. Nashi savait que faire montre d’hésitation ou de faiblesse pouvait être une raison suffisante pour justifier le fouet, alors il s’était entrainé depuis longtemps à cacher ses émotions derrière un sourire de façade à l’allure parfaitement naturel.
Difficile pour Akira de jouir du moindre instant de liberté depuis son accession au poste de capitaine. Si c’était ce qu’il avait voulu, le Kogami était passé d’un poste lui apportait une relative tranquillité à la place de second de l’empire, plus important encore que le statut de porte parole qui n’était, à ses yeux, qu’un rôle de façade.
“ … “
Et la majeure partie de son temps si encombré était dédiée au recrutement de jeunes recrues. L’unité coloniale ayant traversé une période difficile, le capitaine souhaitait renflouer lui-même ses rangs en sélectionnant les soldats prometteurs ou non. Ainsi, plusieurs avaient été éconduits pour le bien de son unité, ou du moins la vision qu’il en avait. Un soldat trop égocentrique ? Dehors. Trop avide ? Dehors. Instable ou opportuniste ? Dehors, dehors. Seuls comptaient les loyaux et passionnés, ceux pouvant apporter leurs talents à l’unité tout en s’assurant qu’ils ne nuiraient pas à l’empire de par leur individualisme.
Ainsi cette journée se vit une fois de plus dédiée au recrutement. Commençant par un profil particulier de ce qui semblait être un original sorti de nul part et ayant même appris à lire grâce à l’empire, le capitaine se voulait optimiste. A priori, il n’aurait pas à douter de la loyauté d’un homme à qui l’empire avait permis de s’élever intellectuellement.
Nagisa étant occupée avec la paperasse, son assistante fut remplacée par un lieutenant et officieusement second de l’unité, Yamanaka Kato. Jeune homme androgyne à la chevelure flamboyante ne déployant jamais les bras de son kimono aux longues manches tombantes, il fut celui chargé de recevoir la nouvelle recrue. Lors des entretiens, une paire d’yeux supplémentaires était toujours présente sur les lieux. Simple précaution.
Yamanaka Kato.
“ Entrez. “
Derrière la porte, un bureau. Relativement désordonné au vu de l’amont de piles de documents trônant un peu partout, sans parler du matériel à l’utilité douteuse, l’endroit semblait avoir été aménagé récemment. Qu’importe, le principal était la: Akira. Faisant signe au jeune homme de s’installer en face de lui, il posa une main sur la poignée d’un des deux katanas qu’il portait à la ceinture.
“ Alors, qu’est-ce qui vous intéresse chez nous ? “
Demanda t-il de but en blanc, commençant l’entretien sans perdre de temps.
Une question directe sans la moindre fioriture ni présentation. Akira n’était pas le genre d’homme à perdre son temps en flagornerie et politesse. Deux personnes pour mener les entretiens et le Capitaine gardait ses armes près de lui même dans son propre bureau. Devait-on parler de prudence ou de méfiance ? Des tatouages étaient visibles sur ses bras mais le jeune Nashi avait appris lors de sa formation qu’il pouvait s’agir d’une bonne méthode pour dissimuler des sceaux prêts à l’emploi. Quant à la salle, le nombre de documents empilés ci et là témoignaient du caractère précieux qu’arborait le temps pour le Capitaine. A moins qu’il ne soit davantage un homme d’action que d’administration et qu’il laissait trainer la paperasse ? Dans tous les cas ces entretiens étaient un devoir et non ce pourquoi il avait signé à la base. Le prototype du soldat qui avait vu du terrain et qui avait obtenu ce poste pour ses faits d’armes. Le genre qui prônait l’acte à la parole. Le jeune Nashi avait l’habitude d’observer son interlocuteur, et notamment son Maître, pour y déceler la meilleure manière de se comporter afin d’éviter le fouet.
Il savait donc que les compliments ne le mèneraient nulle part avec ce Capitaine et qu’il fallait lui prouver mériter d’intégrer son unité. Mais il ignorait quelle était la bonne réponse pour autant. Répondre directement, sans détour, oui. Mais quoi ?
« Je souhaite aider l’Empire et je pense que l’unité Coloniale est le meilleur moyen pour moi de lui témoigner ma reconnaissance. Je suis moi-même originaire d’un pays extérieur, mes actes et ma parole auront plus de poids auprès des étrangers qu’une personne qui n’a connu que l’Empire. »
S’il portait ses armes à la ceinture, il ne s’agissait que des coutumes samouraï. Hors de question de s’en séparer ailleurs qu’au lit, ou même la n’étaient-elles jamais bien loin. Ainsi, nul besoin pour le jeune homme de s’inquiéter… bien qu’il faudrait encore pouvoir tirer cette déduction de lui-même au travers de ses propres connaissances. Akira n’était pas du genre à expliquer ce qui lui semblait acquis pour tous.
“ Intéressant. “
Dit-il sincèrement en s’enfonçant davantage dans son fauteuil. Un étranger donc. S’il ne les aimait pas beaucoup, en particulier les Kaminarijins, ce genre de profils restaient intéressants au sein de l’unité coloniale. Quoi de mieux qu’un étranger pour connaître les us et coutumes d’ailleurs ?
“ Et d'où venez-vous précisément ? “
Demanda t-il logiquement, curieux de savoir quelle nationalité pourrait-il lui attribuer. Au premier coup d'œil, le capitaine lui attribuerait bien la nationalité Kazejine. Peut-être Amejine pour ce côté renfermé qu’il sembla déceler, mais rien de véritablement probant pour s’assurer d’une origine.
“ Si ce genre de profils m'intéressent, j’aimerais en savoir plus sur vos motivations. Ce qui vous a poussé à nous rejoindre, et ce qui vous pousse à vouloir agir pour l’empire. Surtout en étant étranger. “
A priori, la question ne se poserai pas pour un natif Hijin. En revanche, quelqu’un venu d’ailleurs devait forcément avoir quelque chose à gagner. A moins d’avoir une histoire particulière l’ayant mené ici ? Tout était possible finalement.
L’approche de Nashi semblait bonne, ou en tout cas elle n’était pas rédhibitoire : les étrangers n’étaient donc pas interdits au sein de l’unité Coloniale. Le Capitaine étant du genre à aller droit au but et ne pas perdre de temps, il aurait fait renvoyer le jeune soldat si ça avait été le cas. Mais à présent qu’il avait choisi la carte de l’étranger au service de l’Empire, il allait devoir faire attention à la suite. Heureusement pour lui, la simple vérité devrait suffire.
« Je viens d’un hameau du pays du Vent où j’ai grandi comme esclave jusqu’à la chute du gouvernement il y a deux ans de ça. Nous avons fui ce passé et j’ai fini par me retrouver dans le pays du Feu, sans toit ni couvert. Je me suis enrôlé pour survivre mais l’Empire étancha plus que ma faim : il m’apporta connaissances et maîtrise. »
Nashi n’arbore jamais ses faiblesses, c’est pour lui donner le bâton pour se faire battre. Mais confier qu’il était esclave n’est pas une faiblesse. Soit il bénéficie de la pitié, soit de l’indifférence, mais cette information-ci ne s’est jamais retournée contre lui et Nashi barricade ses émotions bien trop profondément en lui pour qu’une remarque à ce sujet puisse l’atteindre. Ou plutôt : il ne s’agissait pas là de son talon d’Achilles.
« J’ai rejoint l’Empire pour survivre et c’est aussi ce que je dois à l’Empire : la vie. »
Existe-t-il meilleure motivation ? Bien qu’en réalité, foncièrement égoïste, Nashi ne ressent aucune reconnaissance envers l’Empire. Il s’agissait d’un moyen pour survivre, ni plus ni moins. Personne n’est bon ou bienveillant, l’altruisme pur n’existe pas. L’Empire aussi n’a pas choisi de le sauver mais de s’octroyer un soldat supplémentaire. Chacun agi pour soi finalement.
Akira écoutait attentivement le récit de l’ancien esclave. Un homme fuyant un passé douloureux ayant trouvé de quoi s’élever au sein de l’empire donc. Quelque part, son parcours était semblable à celui du capitaine. A la seule différence qu’Akira, lui, était né ici. Dur de croire qu’il passa des années à errer sur la route.
“ L’empire fut un refuge pour bon nombre d’âmes perdues. Il serait presque impensable de croire qu’il naquit sur les cendres d’un massacre. “
Tout le monde le savait, il était tout bonnement impossible de ne pas avoir entendu parler du massacre de Yugure. Un événement ayant dicté la vie d’Akira jusqu’ici, qui n’oublierait jamais ce jour jusqu’à son dernier souffle… et encore moins les responsables.
“ Hm. “
De belles paroles. Mais Akira n’étant pas dupe, il partait toujours du principe que les recrues cherchaient juste à lui dire ce qu’il voulait entendre. Il lui fallait donc trouver un moyen de contourner l’hypocrisie, de faire cracher la vérité à ceux qu’il prendrait peut-être sous son commandement.
“ Et où s'arrête votre loyauté ? Certains idéalisent la vie de soldat avant de tomber des nues lorsqu’ils se retrouvent à dormir dans la boue. A planter leur lame dans le cœur de l’ennemi au cours de son sommeil. Ou encore… à devoir affronter la mort. “
Dit-il, observant le jeune homme avec insistance pour pouvoir voir ses réactions.
Pourquoi le Capitaine faisait-il allusion au massacre de Yugure ? Il n’y avait pourtant rien dans ce qu’avait dit Nashi qui y faisait référence. Alors pourquoi un homme si direct ferait-il cette disgression ? Ce pan de l’histoire devait faire écho quelque part dans son vécu. Peut-être que le Capitaine avait subi ce massacre ? Ou y avait-il participé ?
En tout cas les propos du Capitaine ne déclenchèrent aucune réaction particulière auprès du jeune soldat. Tous les exemples qu’il venait de donner étaient bien plus doux que ce qu’il avait dû vivre auparavant. Dormir dans la boue ? Passez donc la nuit sur de la paille où se mêlent vos excréments et votre sang. Planter la lame dans un ennemi qui dort ? Lui offrir le repos éternel sans douleur ? Trahissez donc vos proches pour ne pas gouter au fouet, les condamnant ainsi à le subir eux tandis que vous les regardez crier. Affronter la mort ? Il y avait eu des fois où Nashi l’avait souhaitée…
Alors, soutenant le regard de son Capitaine, Nashi répondit avec la même froideur qu’auparavant, comme si le sujet n’était pas plus important. Ou plutôt : il n’était pas plus effrayant. Même s’il s’agissait là de la vie d’un soldat, Nashi avait connu pire.
« Je ne comprends pas : ça devrait changer mon avis ou ma loyauté ? Ce que vous décrivez est un doux rêve en comparaison à la vie d’esclave. Je n’ai pas peur de me salir les mains et la mort peut être libératrice. »
Evidemment, Nashi ne donnera pas sa vie volontairement pour l’Empire : il avait grandi en poussant les autres à se prendre les coups pour s’en dispenser, pas à se sacrifier lui. Mais s’il devait répondre honnêtement à la question de ce que ça lui ferait de mourir, il répondrait que plus rien ne le retient en ce monde.
C’était donc ce genre de personnes. Soit. Si le profil ne lui posait pas de soucis, quelques points restaient cependant à éclaircir. Après tout, Akira n’était point du genre à bâcler ses entretiens. Ici, il fallait mériter sa place. Il n’y a qu’ainsi que son unité aurait le statut qu’elle mérite.
“ Je vois. “
Posant la main à plat sur le bureau, le Kogami dévoila sans vraiment le vouloir un tatouage lui couvrant le dos de la main. Une flamme verte, le symbole de l’empire. Signe que sa loyauté irait toujours envers son foyer, et que les chaînes le reliant à celui-ci avaient été forgées par Akira lui-même.
“ La question qui se pose, c’est votre capacité à coopérer. Je doute qu’un esclave apprenne l’esprit d’équipe. Au sein de l’empire, la camaraderie est primordiale pour mener ses missions à bien. Vous en croyez-vous capable ? “
Après tout, l’homme n’avait pas la figure de quelqu’un de très sociable. Et si ce n’était pas nécessaire, Akira en était la preuve, il fallait tout de même pouvoir côtoyer autrui sans que l’idée ne vous rebute à sa simple évocation. Un temps fût-il ou Akira se moquait des autres… et ce dernier ne souhaitait pas voir de soldats similaires au sein de son unité.
“ Par la même occasion, parlez moi de vos compétences. Quel savoir faire apporterez-vous à mon unité ? Des connaissances particulières ? Connaître l’extérieur est un bon début mais plus de qualifications vous aurez, plus vous me serez indispensable. “
Une formalité cette fois, qui lui donnerait certes des points supplémentaires sans toutefois s’avérer éliminatrice.
Le Capitaine semblait mélanger deux points qui, bien que similaires, différaient en pratique : la coopération et la camaraderie. Coopérer, obtempérer, obéir, … C’était une voie que l’on pouvait emprunter sans avoir à tisser de liens particuliers avec les autres. Coopérer et se servir des capacités de chacun pour obtenir le résultat escompté était une chose que Nashi savait faire. Et si, par camaraderie, le Capitaine voulait dire savoir se faire apprécier des autres, le jeune esclave qui devait adapter son comportement aux humeurs d’un Maître s’y connaissait également. Néanmoins, s’il attendait de Nashi à ce qu’il apprécie sincèrement autrui, à ce qu’il se lie d’affection pour une personne, ça n’arrivera jamais. Pas tant qu’il n’aura pas changé son opinion du monde et des gens qui l’arpentent.
« Un esclave apprend qu’il ne peut survivre seul, par ses propres moyens. Il connait l’impuissance de ne pas tout contrôler et de savoir son destin entre les mains d’un autre. La vie d’un esclave est liée à autrui et à ce que l’ordre donné soit respecté et le résultat atteint. Coopérer ou travailler en équipe est parfois une nécessité : il est des tâches qu’on ne peut faire seul. Vous attendez d’un soldat qu’il puisse avancer avec le groupe pour atteindre l’objectif fixé et qu’il soit capable de se remettre à ses camarades sans hésiter même dans le feu de l’action et surtout lorsque la Mort plane au-dessus de sa tête. Ce sont des aptitudes similaires à ce qu’apprend un esclave. Atteindre le but donné, seul ou à plusieurs, et avoir sa vie dans les mains d’autrui. »
Mais rien sur l’esprit d’équipe ou la franche camaraderie, évidemment. Autant partir du principe que le Capitaine faisait référence au point sur lequel Nashi était capable et non l’autre.
« Quant à mes compétences, j’ai hérité des capacités des Yamanaka – Nashi se garda bien de dire qu’il en était un car il avait renié ce nom – et je peux donc, entre autres, détecter les mensonges, connaître les circonstances de la mort d’un cadavre frais et prendre possession du corps d’autrui pour lui faire faire ou dire ce que vous désirez. De la récolte d’informations comme de la manipulation donc, mais aussi et comme je vous l’ai déjà dit : je n’ai pas peur de me salir les mains et suis habitué aux tâches que d’aucun pourraient qualifier d’ingrates ou de sales. Je sais pertinemment mes faiblesses et mon manque d’expérience sur le terrain, comme je viens tout juste de terminer la formation militaire, mais si vous m’en donnez les moyens mes qualifications pourraient devenir les indispensables que vous recherchez. »
Des paroles intéressantes vinrent de la bouche de l’ancien esclave. C’était à peu près ce que désirait Akira. L’appréciation mutuelle appartenait à chacun, il n’en avait cure tant que la coopération restait possible… même entre deux soldats ne pouvant se supporter au quotidien. Bizarrement, beaucoup étaient prêts à passer outre les différents lorsque leur vie en dépendait.
“ C’est ce que je voulais entendre. Mais veille à ne pas mettre soldat et esclave dans le même panier, on croirait presque t’entendre faire l’amalgame. “
Car s’il y avait inévitablement quelques similarités, un soldat restait libre de lui-même. N’importe quel membre de l’empire pouvait à tout moment lui remettre ses armes et quitter les rangs de son unité… bien que peu agissaient ainsi tant il y avait à perdre. Chaque soldat de l’empire connaissait l’importance de sa place.
En revanche, lorsque le jeune soldat énonça ses capacités… l’intérêt du Kogami se vit instantanément rehaussé. Les Yamanaka se faisaient très rares et leurs capacités inestimables apportaient une valeur indiscutable à toute unité qui les verrait en leur sein. Ainsi, inutile de dire que la place de Nashi lui était dores et déjà assurée.
“ Je vois. Inutile de dire à quel point ces capacités font de toi une recrue de choix. “
Dit-il, plaçant le maigre dossier du soldat de son côté de la table. Un signe que sa place était désormais à ses côtés.
“ Bienvenue parmi nous. “
Annonça-t-il sobrement, laissant le jeune homme libre de lui poser des questions ou non.
Nashi faisait en effet l’amalgame entre soldat et esclave car le salaire mis à part, existait-il véritablement une différence ? L’Empire n’avait-il pas mis des têtes à prix avec pour raison : désertion ? Ainsi, pouvait-on vraiment tout quitter si aisément ? De son point de vue, l’existence même de ces contrats démontrait le contraire et justifiait cet amalgame, mais Nashi se garda bien de contredire son Capitaine.
Son Capitaine oui, car il semblerait qu’il soit accepté au sein de l’unité Coloniale. Une victoire intérieure, satisfaction, mais le jeune soldat n’en démontrait rien : il avait déjà connu le fouet pour un simple sourire de sa part. Ne pas faire montre d’émotion et les bannir tout au fond de soi demeurait la méthode la plus sûre pour ne pas s’attirer les foudres d’autrui.
En temps normal Nashi se serait arrêté là, mais les paroles du Capitaine semblaient mettre de l’importance sur les capacités du jeune soldat. Oui les possibilités des Yamanaka étaient utiles, même si Nashi venait à peine d’en effleurer l’art, mais ce nom ne signifiait rien pour lui. Ce n’était qu’un outil comme un autre. Outil qui pourrait peut-être justifier quelques faveurs ?
« Merci Capitaine. Malheureusement ces capacités me rendent bien souvent vulnérable. Comme je vous l’ai dit : je connais mes faiblesses et reconnais mon inexpérience du terrain. Peut-être pourriez-vous me conseiller quelques vétérans pour m’apprendre à palier mes défauts ? »
Manifestement ce soldat ne perdait-il pas de temps. Tant mieux, Akira trouvait toujours les choses plus simples avec ce genre d’individus. Ainsi, inutile de refuser d’accéder à sa requête. Akira mettait un point d’honneur à s’occuper lui-même de la formation de ses recrues. Du moins tant qu’il le pouvait encore…
“ J’ai pour habitude de m’en charger. “
Dit-il, intimant donc qu’il se chargerait de son apprentissage. Car s’il n’avait formulé aucune demande précise, Akira avait déjà une petite idée de ce qu’il pourrait lui apprendre en priorité au vu de ses capacités particulières. Un Yamanaka a une grosse faiblesse: la vulnérabilité de son corps une fois vidé de son occupant.
“ Je crois avoir une idée de ce dont tu as besoin. “
Se levant et dévoilant au passage sa taille colossale avoisinant les deux mètres de haut, le capitaine prit la porte avec pour objectif de mener le soldat sur un terrain dégagé proche du bâtiment de recrutement. Un terrain spécialement pensé pour la formation des jeunes recrues ou il serait aisé de lui transmettre le savoir qu’il avait en tête.
“ Un Yamanaka étant à la merci de ses ennemis lorsqu’il contrôle le corps d’un autre, créer des clones pourrait te permettre de pallier à ce problème. “
Invoquant deux copies conformes de lui-même d’un simple mûdra, signe de sa maîtrise supérieure du ninjutsu, le Kogami se tourna ensuite vers la recrue.
“ C’est une technique facile à apprendre, mais qui va te demander un peu de concentration. “
A priori être direct fonctionnait bien avec le Capitaine, chose plutôt attendue venant d’un homme pour qui son temps était précieux. Ce qui l’était moins, cependant, c’était le passage direct de l’entretien à une séance d’entraînement. N’y avait-il plus d’autres postulants après Nashi ? Ou le second du Capitaine allait se charger de la suite ? Mais que fallait-il y comprendre ? Que le dossier de Nashi intéressait particulièrement le Capitaine ? Une attention particulière donc. Nashi nota dans un coin de sa tête de vérifier si le Capitaine était ainsi avec le reste de son unité également. Non pas que ça le gênerait d’être ainsi mis en avant, au contraire, mais c’était également une pression supplémentaire : il ne faudrait pas décevoir les attentes du Capitaine.
Capitaine qui semblait avoir bien étudié le sujet finalement : il ne lui fallut rien de plus que le clan dont provenait Nashi pour avoir une idée de ses besoins. Comme si tout avait été préparé à l’avance ? Ou c’était la preuve indéniable de l’expérience de son supérieur. Dans les deux cas, Nashi avait au moins l’assurance d’être entre les mains d’une personne compétente. Il allait pouvoir rapidement agrandir ses compétences avec un homme pareil.
Ce dernier n’eut d’ailleurs besoin que d’une main pour procéder à la technique, là où Nashi devait user de ses deux membres pour exploiter ses capacités. Le Capitaine de l’unité n’était pas le premier parvenu. Ou les Capitaines, à présent qu’ils étaient trois ?
« Vous semblez bien connaître les faiblesses des Yamanaka… J’ai déjà vu d’autres personnes créer des clones au cours de ma formation. De quoi sont-ils capables ? Et… J’ai besoin de mes deux mains. Pouvez-vous me montrer les mouvements adéquats ? Ca me semble quelque peu similaire à ceci ? »
Procédant aux signes nécessaires, Nashi fit lui aussi apparaître deux clones à ses côtés. Mais les siens étaient immobiles et surtout intangibles.
Akira n’était pas du genre à favoriser qui que ce soit, encore moins à la base d’une première impression. Le jeune homme avait simplement eu la chance de se présenter au sein d’une période creuse, l’unité ne voyant pas tant de recrues que cela en une journée après tout. Celle-ci avait même connu un long passage à vide, lequel avait pris fin à son accession au poste. Corrélation ou simple hasard ? Son opinion préférait tendre vers la première hypothèse.
“ Les faiblesses des Yamanaka sont surtout marquées, quiconque les connaît un minimum s’est fait une idée de ce qui pourrait les combler. “
C’était du moins l’avis du Kogami qui, sous ses airs autoritaires et affirmés, gardait une part de modestie le poussant à croire qu’il n’était pas le meilleur des shinobis du Teikoku, et certainement pas du monde. Loin de là. Au contraire, sa volonté de progresser le ramenait sans cesse à son statut de shinobi ayant encore beaucoup de choses à apprendre avant d’atteindre l’excellence.
“ Les clones peuvent reproduire tout ce que fait l’utilisateur. En revanche, ils sont extrêmement fragiles. Il existe aussi des variantes appelées clones élémentaires mais ce n’est pas le sujet du jour. “
Agitant les deux mains, Akira se rendit compte d’à quel point il y avait bien longtemps qu’il ne lui avait pas fallu procéder ainsi. Faire des mûdras à une main lui paraissait si naturel désormais.
“ On s’y prend ainsi. C’est en quelque sorte une évolution des mouvements requis pour les clones visuels lui. Mais faire des mûdras ne fait pas tout. “
En effet, sinon n’importe quel civil pourrait être shinobi.
“ Tu dois puiser en ton chakra pour le diviser en trois. Une partie, la tienne, que tu préserves en toi. Deux autres que tu vas séparer de ton corps pour en créer deux entités distinctes. Ainsi, il faut trouver un certain équilibre pour matérialiser deux copies conformes de toi-même. Les trois se doivent d’être identiques, et donc dotées de la même quantité de chakra. C’est pourquoi la plupart des shinobis se contentent de trois clones. “
En effet, en créer une centaine demanderait une quantité colossale de chakra.
Des clones doués des mêmes capacités que l’original. C’était effectivement très intéressants, bien plus que les leurres visuels créés par Nashi, et ils pouvaient en effet défendre le corps inerte du Yamanaka à l’œuvre. Peut être pouvaient-ils même endosser eux le rôle du corps vulnérable ? Après tout, s’ils sont déjà fragiles de base, un peu plus ne le dérangera pas non ?
Le jeune soldat écouta attentivement les explications du Capitaine et quelque chose en lui se mit à douter. S’il fallait diviser en trois parties distinctes, quelle différence finalement entre l’original et les clones ? Leur fragilité mise à part. L’utilisateur avait il pleine autorité sur ses sosies ou au contraire chacun agissait en sa propre âme et conscience ?
« Jusqu’à quel point les clones nous sont identiques ? Sont-ils leur propre arbitre ? Un clone ne risque-t-il pas de vouloir vivre, s’ils sont comme nous, quitte à fuir ou à prendre notre place ? »
L’instinct de survie de tout être s’exprimait-il également à travers les clones ? Mais surtout, Nashi se connaissant lui-même, si ses clones étaient de parfaites copies il savait pertinemment qu’ils seraient capables de le trahir pour assurer leur propre survie… Et tant que ce doute subsisterait en lui, il savait pertinemment qu’il aura beau essayé, la manœuvre demeurera un échec. Comme ce fut d’ailleurs le cas à ses premiers essais : des corps difformes et non fonctionnels, mais surtout une tête, siège de l’esprit et des décisions, complètement amorphe.
La question du Yamanaka manqua de faire rire le Kogami, bien qu’il garda un parfait stoïcisme. C’était bien la première fois qu’on lui demandait quelque chose du genre. Et bien que la question pourrait sembler pertinente d’un point de vue extérieur, elle trahissait le passé d’esclave du jeune homme, qui n’avait sans doute pas été exposé au chakra avant un bon moment.
“ Aucun risque. Ce ne sont que des extensions de toi. Ton ombre ne risque pas de se détacher pour te fuir, c’est exactement pareil ici. “
Un parallèle parfait pour expliquer sa réponse. Si le fonctionnement des clones restait très abstrait à expliquer, ceux-ci effectuant parfois leurs actions au travers d’une simple intention de l’original sans qu’il n’ait à prononcer aucun ordre ou même une simple volonté, il fallait visualiser la chose comme la matérialisation de la volonté de l’utilisateur. Si celui-ci voulait protéger untel ou en attaquer un autre, les clones agiraient alors ainsi… bien qu’il soit également possible de leur donnes des ordres clairs, pour ceux étant moins rodés à l’exercice de contrôle par la pensée.
“ Ce doute maintenant balayé, j’espère que ce verrou spirituel a maintenant sauté. Il est impossible d’effectuer une technique correctement si l’on doute de sa nature même. “
Chose rare lorsqu’il s’agit d’une simple salve de flammes, mais un peu plus compréhensible lorsque l’on parle de la création d’alter-ego entièrement composé de chakra. Bien que la plupart des shinois composant le monde soient exposés au clonage depuis leur tendre enfance, certains apprenant même cette technique avant n’importe quelle autre. Celle-ci représentait l’essence même des capacités shinobis.
Nashi aurait bien rétorqué qu’une ombre ne risque pas de fuir mais elle peut malgré tout s’en prendre à son propriétaire si l’on croit les cours reçus sur les aptitudes des Nara, mais il s’abstint. Il n’était pas là pour remettre en question les réponses de son supérieur mais pour l’écouter. Sans doute les vestiges de son passé : ne jamais s’opposer au Maître d’une quelconque façon que ce soit.
A priori donc, il n’y avait aucun risque. Mais même si Nashi gardait quelques doutes au fond de lui, il se rassurait en se disant avoir le Capitaine en face de lui. Alors si ses clones se mettaient à rêver de liberté et de révolution, ils seraient très vite remis à leur place. Ainsi Nashi put s’y mettre correctement.
La manœuvre était effectivement similaire aux clones inconsistants. Les signes à composer étaient faciles à maîtriser. La division et l’équilibre du chakra plus ardu, Nashi n’ayant eu connaissance du chakra et de sa maîtrise que depuis près de deux ans. Mais surtout le plus gros obstacle était effectivement d’ordre psychique. Diviser le chakra à l’équilibre signifiait autant le même pouvoir à chacun, les mêmes armes. Ne pas leur être supérieur et donc potentiellement être à leur merci. Heureusement que le Capitaine était présent.
Mais il demeurait des traces de ce blocage, de cette appréhension, bien qu’il s’améliorait. Néanmoins cela se voyait : lorsqu’un clone parvint enfin à bouger ne serait-ce que le petit doigt, Nashi se mit immédiatement en posture défensive au cas où il allait l’attaquer.
Observant la recrue, Akira haussa un sourcil. Difficile de savoir s’il faisait exprès d’avoir l’air aussi étranger à ce monde, ou s’il était véritablement perdu. Même lui, qui venait d’un village de paysans perdu au milieu de nul part, n’avait pas eu les mêmes appréhensions face au chakra lorsqu’il avait appris à le manier.
“ As-tu seulement compris ce que j’essaye de te dire ? “
Dit-il, presque agacé par l’appréhension du Yamanaka. Si ce genre de méfiance serait logique dans un monde sans chakra, ce n’était plus le cas dans leur monde à eux. Si bien que le samouraï, levant une main, ordonna à ses propres clones de se faire seppuku, renonçant alors à leurs propres vies sur base d’un simple ordre. Le message était clair: il n’y avait rien à craindre de ses propres outils.
“ Tu ne risques rien. “
Approchant du clone de son subordonné, le capitaine l’observa un instant avant d’en tirer une simple conclusion.
“ Ta crainte crée des copies de mauvaise qualité. Recommence. “
Dit-il en révoquant lui-même le clone du Yamanaka d’un simple revers de la main. Un clone, aussi fragile soit-il, ne devrait pas disparaître ainsi, signe de son échec. Qu’importe, le Kogami espérait tout de même qu’il puisse rapidement s’améliorer… sans quoi il n’y aurait sans doute rien à faire pour lui.