En cette saison encore hivernale, Hi no Kuni arborait des couleurs changeantes oscillant entre l’ocre des rares feuilles qui tardaient à mourir et la blancheur immaculée de cette région reculée exempte de traces humaines, provoquée par le gel et les neiges. Là dans un baraquement visiblement laissé à l’abandon de longues années comme en témoignait le bois presque vert et la nature ayant repris ses droits via ses racines et sa faune, un homme à la chevelure ébène tombant jusque dans son dos se tenait en seiza sur la petite terrasse surélevée.
L’épéiste aimait cet endroit presque autant qu’il aimait respirer. C’était un amour singulier, une adoration nostalgique de souvenirs dont il était le dernier détenteur. Les visages souriants de Inojin et Ban. Là il se sentait à sa place, chez lui. Il aurait pu rester une vie entière à savourer les réminiscences de son passé mais il n’en ferait rien.
Il était temps pour lui de rentrer au pays. Ce même pays qu’il avait à l’époque choisi plutôt que Kumogakure no Satô pendant l’exode de son clan, provoquée par les turpitudes politiques dont ils étaient les proies. L’Ombrageux se releva doucement en serrant les dents à cause des multiples blessures bandées sous son kimono qui le forçait à mesurer chacun de ses mouvements afin de ne pas les rouvrir.
Les derniers mois avaient été agités, pas assez pour que la nouvelle de la réédition partielle de Teikoku quant à son protectorat ne lui inflige de sévères questionnements. Le Nara garda l’oeil fixé sur l’horizon et songea quelques instants aux possibles. Aux si. S’il n’avait jamais quitté la forêt du Feu. S’il n’avait jamais rejoint Kumogakure. S’il n’avait jamais eu cette discussion avec Rei…
Mais n’étant pas créature à s’apitoyer, son esprit se porta vite et sans concession sur une solution, une suite au parcours qu’il avait abandonné jusque là. Devenir le Chef du Clan Nara n’importait plus maintenant dans un climat où la confiance des Kumojins était à jamais perdu ; peut-être aurait-il pu faciliter cela grâce à la Régence. Mais acquiescer et obéir à l’Empereur lui avait semblé la meilleur solution sur l’instant, les paramètres nouveaux s’étant ajoutés sans qu’il puisse influer sur eux.
Dépourvu de mauvaise foi, peut-être que Hiko n’aurait pas agi de la sorte en sa présence toutefois. Laissant le flot des hypothèses suivre son cours dans son esprit qui avait largement la place d’abriter tel torrent, il se savait responsable pour cet enfant et devrait porter le fardeau de sa culpabilité pour les années à venir.
Sa large dextre attrapa son énorme sac de voyage et le largua sur son épaule gauche tandis que le bois de ses getas frappait celui des petits escaliers. Son visage avait changé, semblait plus marqué par le temps ; ses longs cheveux corbeau tombaient en cascade sans vraiment plus de soin apporté et sa pilosité faciale s’érigeait en une moustache qui rejoignait un bouc fourni.
« Si tel est votre bon vouloir ; j’agirais ainsi. Cependant je n’ai jamais aspiré à être le visage ou la voie d’un courant sur lequel je navigue à peine. »
Sa voix résonnait sans pour autant qu’il ne fût en train de crier dans le Complexe Shinobi n’abritant maintenant que lui et le Yamanaka. Leurs clans étaient liés par l’histoire du Feu et il n’était là pas étrange que dans la faction qui les représentaient, ils se tiennent tous deux là. Le représentant du clan au symbole cyclique hocha la tête aux propos du blond balafré qui faisait figure d’autorité, autant ici que sur ses terres natales.
Le choix cornélien entre le Nuage et les Flammes avait été fait il ne restait maintenant qu’à l’homme de le définir et de le rendre justifié.
« Je mentirais si je ne disais pas que quitter Kumogakure no Satô ne m’augure rien de bon pour la suite. Mais mon coeur et mes desseins prennent leurs racines dans les braises de votre empire alors je le ferais ; ce sera la preuve de ma loyauté et espérons-le, la première pierre de notre collaboration. »
L’échange continua quelques temps et l’Ombre prit congé de son interlocuteur après un salut de déférence, le cliquetis de sa lame comme seule mélodie après ce dialogue qui venait d’impacter à jamais son destin.
Sa mission n’était pas compliqué ou du moins totalement taillée pour l’individu et ses capacités. Nara Kansei partirait au matin pour sa première mission pour l’Empire du Feu, comme l’Ombre qu’il était. Takara, Hiko, Tomoe, Yamiko, Chiaki et bien d’autres ; il laissait tout cela derrière lui pour espérer asseoir son pouvoir autrement que par la direction pure et dure d’un protectorat. Il se complaisait à n’être jamais que le vecteur. Et puis après tout qu’est-ce qui pouvait mal se passer ? Avec de l’ardeur et un plan, ça ne lui prendrait pas si longtemps. Du moins, ça, il ne pouvait le quantifier sans se tromper.
À l’aube, l’ancien Jônin de Kumogakure no Satô quitta sa patrie occupée par ses propres couleurs en s’enfonçant dans les terres après avoir passé l’Arche Grise, la tête encapuchonnée et le coeur lourd. Il déglutit l’orée de la forêt Nara passée.
Nara Kansei était un apatride autant qu’un patriote ; une âme torturée longtemps sans but. Ce voyage initiatique allait le changer à jamais et faire de lui quelqu’un de différent.
[...]
À une époque maintenant révolue, le Nara avait grandi en même temps que les arbres et les bambous qui l’entouraient en le dépassant de plusieurs têtes désormais. Sans forcément s’arrêter, il contempla le décor de ce qui était fut un temps la vraie forêt de son clan ; celle que ses ancêtres avaient cultivée et protégée de leurs mains et de leurs vies. Bien plus grande et drue que sa petite soeur de Kaminari, elle contenait encore les fameux cerfs si chers aux siens. Une idée lui traversa la tête qu’il repoussa pour l’instant. Urahi ne devait plus être bien loin désormais.
La pluie. Comme il ne l’avait jamais connue ; continuelle et presque acide à s’en tremper les os. Une odeur de boue et de d’humidité égalée seulement par la moiteur ambiante. Ses longs cheveux semblaient se mêler entre eux par paquets devant son faciès hâlé malgré sa large capuche sans pour autant obstruer sa vue. Au loin, un petit avant-poste se dessina. Dur de définir à qui il appartenait et la justification de sa présence ; après tout Ame n’avait pas de village shinobi sous l’égide d’un quelconque Daimyô.
L’eau s’était inflitré jusque dans les moindres recoins de ses vêtements usés par le voyage sans repos de Kansei qui commençait à fatiguer. Sans se démonter, il alla donc se présenter en tant qu’errant à la recherche d’un travail aux hommes abrités par le petit toit de bois jusqu’à avoir la direction de l’endroit propice au repos le plus proche. À en juger par leur attirail et leur méfiance commune, le pays de la Pluie n’usurpait pas sa réputation.
Arrivé dans le troquet qui semblait assez mal famé pour que le premier quidam avec un peu de jugeote tourne les talons, l’utilisateur du Kagemane alla prendre place au bar en ôtant son couvre-chef pour laisser découvrir des traits étirés par la fatigue et commanda un verre. Son esprit semblait être resté à Kaminari tant il se posait de questions sur son village d’accueil. En secouant doucement ses cheveux pour les égoutter il espéra faire sortir la pléiade d’idées de sa tête, sans réel succès.
Il tendit un peu l’oreille mais ni le coeur ni son corps n’y était et il lâcha sur la table assez de ryôs sur la table pour avoir droit à une chambre. Même s’il ne s’attendait pas à grand chose, l’endroit se trouvait aussi peu acceuillant que la salle du débit de boisson ; qu’à cela ne tienne il se laissa tomber sur la paillasse et ôta ses vêtements qu’il accrocha à du fil de fer joint d’un bout à l’autre de la pièce, alluma l’âtre de la petite cheminée avec son briquet et se servit de cette même flamme pour embraser le tabac à ses lèvres.
Avait-il échoué à suivre ses propres règles ? Etait-ce réellement la bonne chose à faire ? Cela lui rappelait le dilemme laissé par Rei lui-même. Peut-être l’avait-il lu dans son esprit lors de son choix. Rien n’était laissé au hasard chez les Yamanaka, il ne le savait que trop bien.
Peu à peu la fatigue le gagna. Paupières mi-closes, il exhala d’un dernier souffle empli de nicotine, écrasa sa cigarette sur le pied du lit sommaire et se laissa porter par un sommeil réparateur mais dépourvu de rêves. Etait-ce le tabac ou la sensation d’échec qui parfumait son palais ainsi ? Il s’endormit sans vraiment le savoir…
Pour toute infiltration ou la discrétion se voulait maître mot, il fallait tout d’abord se faire bien voir des autochtones, qu’ils le croient l’un des leurs. Un bandit, ne jugeant et ne jurant que par le divin capital. Et s’il fallait se glisser dans une telle combinaison alors Kansei le ferait. Il commença par opérer de petits contrats sous son nom de code habituel, Koei. Il ne fallut pas longtemps à un homme avec ses capacités pour se montrer recommandé quand il s’agissait d’effacer quelqu’un ou de dérober quelque chose ; sans que personne ne sache vraiment quel était son don ni ses réelles capacités claniques. On le prenait pour un vagabond de Ame comme il y en avait tant ; un renégat à la solde du bénéfice.
Ses premières armes, il les fit en faisant tomber des criminels pathétiques, certains même incapable du plus simple des Henge. Ce ne fut pas ragoûtant mais il accepta à chaque fois en prenant bien soin de ne sévir que sur les personnes coupables selon son propre code d’honneur ; ce dernier étant assez amples quand il s’agissait de servir sa patrie, qui l’attendait au loin à l’horizon. Parfois, il y jetait un regard, comme si sa vue dépassait celle de ses compères Hyûga et qu’il pouvait véritablement contempler le Palais Impérial.
Moins d’un moins passa jusqu’à son premier vrai contrat. Un baron notoire des environs s’occupait de faire transiter des cibles de choix pour le Colisée Kazejin et ses joutes de gladiateurs ; du pain et des jeux en somme. De quoi amuser le peuple d’un pays dont il ne savait pas plus que les ragots, les rumeurs et les on dit, en somme presque rien. Infiltré parmi les potentiels esclaves, avec l’aide d’une nuit sans lune, il libéra chaque âme en peine et coupa la tête du dirigeant sans pour autant se faire d’idée sur la suite. Un autre prendrait sa place, un peut-être pire. Mais c’était un risque calculé savamment et il se devait de mener son plan à son terme ; son honneur autant que son intégrité en tant que Teikokujin l’y forçait. C’est un des hommes qu’il avait défait de ses chaînes qui lui parla d’un Amejin en particulier. Un homme à la crinière pareille à celle du roi de la jungle, un natif qui opérait dans le marché souterrain ; cet écosystème qui faisait vivre tout un pan de la population.
Le Nara compris alors qu’au Pays de la Pluie, celui qui était le mieux loti n’était pas forcément le plus riche ou le plus puissant. Le mieux informé cependant…
Beaucoup dans les rues de Murashigure étaient capables de vous soutenir le cours en pièces sur les têtes des plus vaillants ; qui il fallait chasser pour se payer un manoir gigantesque, quel shinobi était le plus rentable rapport dangerosité et prix. Moyennant finance, parfois et même souvent, ou en échanges d’autres services. Sûr d’avoir face à lui une porte d’entrée, Nara Kansei partit à la rencontre de ce Ashura sans savoir vraiment dans quoi il allait s’embarquer.
D’abord, il fallait se faire connaître de son cercle restreint. Pas question de sortir des ombres en demandant partenariat ou soutien ; ce n’était ni la norme ni la chose à faire pour quelqu’un d’un naturel si méfiant. Du moins le supposait-il ; on ne se faisait pas un nom dans le banditisme ou même à Ame en étant tête en l’air.
Alors comme il le faisait jusqu’alors, il continua d’opérer silencieusement, en augmentant graduellement la dangerosité de ses proies. En se rapprochant des complots et des actions à venir, celles-là même qui viendraient à chambouler le pays des mois plus tard. Le Collectif restait presque hermétique, mais toute poche se perçait et les langues se déliaient parfois à la faveur d’un pot de vin ou d’une menace. Il en vint parfois à refuser des travaux qu’on venait lui proposer et même à parfois faire un peu de nettoyage quand la corruption le dégoûtait trop pour qu’il reste sans rien faire...