Une ferme située dans un coin loin des métropoles d’Hi no Kuni désire obtenir un coup de main sur la gestion de leur ferme. La saison des pluies ayant été beaucoup plus longues que prévues, ceux-ci se voient en retard sur leur livraison. Les propriétaires se faisant de plus en plus vieux et lents, ceux-ci font appel à de l'aide de manière à bénéficier de sang frais et jeune pour les aider à récolter les premiers fruits de leur labeur afin de les livrer dans un regroupement d’habitation non-loin de leur ferme.
Bien qu’aux apparences simples, il ne faut toutefois pas sous-estimer le volume important de récoltes à entretenir tout comme le niveau d'attention qu'il faudra y porter. Après tout, cette ferme doit maintenir sa réputation et préférait ne pas faire de livraison plutôt que de livrer de mauvaises récoltes.
Se présenter à la ferme
Leur apporter du soutien sur l’entretien de la ferme et les récoltes
S'assurer de suivre les normes de qualités imposés par la famille
Livrer leur première récolte de la saison au village envionnant
Cela faisait à présent plusieurs nuits d’affilée que Ieyasu passait à la belle étoile, à ruminer, réfléchir et se demander si la voie qu’il avait choisi était la bonne. Après tout, si il avait investi autant d’énergie qu’il ne le faisait en ce moment dans l’entretien de la ferme de ses parents, dans l’amélioration de leurs conditions de vie, peut-être aurait-ce été possible, en fin de compte, de vivre une vie correcte… ? En s’entendant penser à ce genre d’hypothèses, le jeune bretteur avait envie de se donner des claques : bien sûr que non, ça n’aurait pas suffit. Et il n’allait pas attendre de savoir quelles nouvelles taxes et quels nouveaux sacrifices sa famille allait devoir consentir à faire avant de prendre le taureau par les cornes pour les aider, vraiment, à s’assurer un avenir. Ce à quoi le jeune Nomura oubliait parfois de penser, consciemment ou non, c’était malgré tout à l’intérêt personnel qu’il avait eu à partir ainsi loin de chez lui. Car qu’il l’admette ou non, Ieyasu commençait, petit à petit, à prendre goût à cette liberté aux multiples facettes et aux talents qu’elle lui permettait de cultiver.
Après avoir rassemblé ses affaires ce matin-là après une nouvelle nuit en bivouac, le jeune homme se remit en route vers l’ouest, où il avait cru repérer la veille depuis une hauteur les marques d’installations agricoles. Ses vivres allaient bientôt s’épuiser à ce rythme, et il espérait bien y trouver quelques fermiers prêts à lui vendre des ressources de base qui lui suffiraient pour tenir pendant au moins la semaine suivante. Ses sabres toujours à son côté, sa cape toujours attachée sur ses épaules, Ieyasu ne se départait pas non plus de ses plaques de protection, qu’il avait récupéré sur le fameux champ de bataille à Tetsu. Leur poids modéré lui avait tout de même paru important les premiers jours, mais il commençait à s’y faire comme si elles formaient une couche supérieure de son épiderme. La pièce qu’il laissait toutefois toujours rangée dans un sceau était le casque, trop encombrant pour l’utilité qu’il en avait et surtout, trop susceptible d’attirer l’attention, même si le reste de son attirail se chargeait facilement de ça malgré tout.
En approchant de l’exploitation, qu’il avait assez justement identifié comme un mélange de plants de maïs, de blé et d’avoine, Ieyasu s’aperçut que toute une partie du domaine lui était restée jusque-là cachée derrière les entrepôts, où des petites serres semblaient servir à faire pousser des fruits et légumes plus fragiles que les céréales habituelles. En tâchant de se faire voir de loin pour ne pas faire peur aux propriétaires et employés du site, le jeune épéiste s’approcha de la maisonnée attenante à l’exploitation, mais qui s’avéra servir davantage de grand bureau que de véritable lieu d’habitation. Si il avait encore pu en douter, ces fermiers et agriculteurs vivaient bien au-dessus du niveau de vie que possédait sa propre famille, bien au-dessus de tout ce qu’il avait pu connaître. Soit la terre était bien plus fertile sur ces terres, soit le Pays du Feu avait un système de taxe bien plus souple avec les agriculteurs que celui du Fer. Ou bien même les deux à la fois, songea le bretteur.
Alors qu’il s’approchait de l’entrée de la maisonnée-bureau, Ieyasu croisa finalement le chemin d’un homme grand et fin pas loin d’être chauve, mais à priori pas beaucoup plus vieux que son père. Que ne l’avait été son père, du moins.
« Ah, vous êt’ là enfin ! - Je...Pardon ? - Ca fait un bail qu’on a d’mandé d’l’aide en ville, c’pas trop tôt que vous arrivez ! Les récoltes attendront pas beaucoup plus hein ! - Vous… Vous avez besoin de manutention ? C’est ça ? - Bah oui et comment ! - Et… Si… Quand je vous aurai aidé… Qui pourra me payer.. ? - C’est nous qu’on paye. Directement. Comme convenu quoi. Alors, alors, vous êt’ prêt à vous y met’ ou quoi ? »
Les opportunités, parfois, se présentaient vraiment d’elle-même, se dit-il alors, un large sourire sur le visage.
Tout n’était en fait qu’un dense maelstrom dans lequel il avait été happé, en dépit de toutes les précautions qu’il avait pu prendre, et duquel il ne semblait plus pouvoir se défaire. Tornade des tourments. L’énumération des mésaventures qui se conjuguaient pour briser tant sa réputation que son esprit pouvait prendre de longues minutes, aussi assurément qu’il croulait sous elles. D’abord, son propre Capitaine, Taizen Jiguro, l’avait jeté dans le bourbier des complots, non pas en tant que mentor et confident, mais bel et bien en tant qu’ennemi ; semblable à un alligator qui vous invite à vous baigner dans ses eaux pour refermer ses mâchoires sur votre misérable squelette et vous entraîner vers les profondeurs. Puis, avisant le satisfaire et tenter la baignade, le tempétueux Lieutenant avait convoqué les éléments pour étendre son emprise dans les eaux tortueuses de Jiguro. Partout, à Urahi comme à Kumogakure, il avait fait naître d’autres règles invitées à corrompre ce jeu malsain. Depuis quelques temps, les affaires avaient pris une telle ampleur qu’il n’existait plus qu’une seule voie de solution possible : la tête du Capitaine de l’Unité Impériale, ou celle de son Lieutenant. La mort d’un des Soldats de la section du Shinrin fut une sorte d’ouverture officielle des hostilités, assassinat vraisemblablement commandité par Jiguro, qu’il ne pouvait toutefois accuser sans preuves dignes de ce nom. Il n’y avait dès lors, au bout de ce chemin-là, que la mort. La devine de l’Impériale prenait tout son sens.
L’homme est né pour l’ordre ; quand il l’oublie, l’ordre se venge.
Le mantra de l’Unité Impériale n’eut cependant jamais été plus vrai que grâce à l’action d’Enma Gozen ; sous ses ordres, l’ancien mercenaire avait tissé un autre complot visant à creuser la félonie potentielle d’un groupe de Lieutenants et de Soldats susceptibles de conspirer en secret. Shinpachi lui-même fut invité, en tant que Hijin et combattant réputé. Cela étant, le Lieutenant était déjà aux prises avec son supérieur dans une confrontation sur base de stratégies d’ombres autour de la Résistance kumojine, particulièrement fertile pour que l’un et l’autre tentasse de faire tomber la tête de l’autre ; si bien que le recrutement de Gozen tomba à point nommé. En s’y rendant en son nom, le Soldat sous couvert était parvenu à délier certaines langues qui trahirent des aspirations de certains des convives de cette réunion secrète à littéralement renverser l’Empereur pour mettre un nouveau symbole à sa place. Mutinerie. Profanation. Le débat s’était clôturé dans les flammes dévorantes du Soldat nouvellement recruté au sein de la section du Shinrin ; et promis à un avenir plus prestigieux. Les félons, eux, découvrirent en étant consumés par le Feu de l’Empire qu’il était inconcevable de songer à bouleverser ce qui s’était installé au prix du labeur et de la patience. Ils ne purent qu’à peine répliquer, tant l’assaut de Gozen fut épouvantable.
L’homme est né pour l’ordre ; quand il l’oublie, l’ordre se venge.
Shinpachi dût, fort d’apprendre la nouvelle de l’exploit de Gozen, revenir au Pays du Feu en juge et despote ; ce qu’il advint des corrompus ne fut que justice. Le Lieutenant, refusant de céder aux diverses pressions, épousant les courbes du maelstrom complotiste, tenta systématiquement de rebondir à chaque imprévu avec tact, usant pour tirer le meilleur parti de chaque situation de sa sagacité, aux contours de perfidie. Somme toute, il parvint à se dégager de la tempête et s’intéressa, pour prendre le temps de méditer et de trouver les bonnes répliques face au duel qui se poursuivait contre Taizen Jiguro, à une mission qui lui promettait la paix. Dans le labeur, certes. Mais la paix quand même.
Chevauchant un hongre au pelage d’un brun caramel et à la crinière blonde, il entama le court voyage qui le mena vers les fermes des honnêtes gens en nécessité. Il passa les décors extraordinaires de Hi no kuni : des plaines vertes aux bois denses, en passant par les chemins escarpés et les bambouseraies géantes, contemplant ça et là un temple perdu, le cours d’un lit d’eau tranquille, des champs silencieux. Ce calme pèlerinage lui permit de s’enfoncer dans la réflexion. Il envisagea tous les scénarios possibles, schématisa dans son esprit la cartographie de toutes les fins possibles, en fonction des choix qu’il lui restait à faire. Il tenta de mûrir cette introspection jusqu’à la rendre absolue.
Enfin, sortant d’un bois et alors que son âme sondait pléthore de destins possibles, il fut en vue de sa destination. Son cheval s’ébroua en découvrant des horizons plus plats et lointains que ceux des arbres feuillus qui les avaient entourés la plupart du voyage. Ici, on cultivait. L’écorce et les feuillages hirsutes laissaient leur place à des landes dessinées par les plants de céréales et autres denrées alimentaires. Le ténébreux cavalier commanda à son hongre de reprendre son trot ; et de s’exécuter, le bidet s’empressa.
Les blés montaient jusqu’à sa croupe et ses sabots, en remuant la terre, faisaient un bruit spongieux, manifeste que la terre était encore un peu humide ; pour autant, l’heure paraissait effectivement propice pour récolter le fruit de l’éclosion des plants. Ce qui ressemblait à des sortes de granges, et qui étaient en fait les entrepôts du domaine, camouflait des serres luxuriantes en pamoison. Là, un homme en armure entretenait la parole avec un autre, d’allure plus fermière. Était-ce un soldat de l’Empire ? Pourquoi un tel accoutrement pour aller cultiver les champs ? Le Lieutenant immobilisa sa monture, et resta à distance. Méfiant tel une couleuvre. Le fermier, dont le crâne luisait sous les rayons étirés du soleil, sembla tout de go vouloir pacifier la situation.
« Z’êtes qui, vous ? Vous v’nez pour les récoltes aussi ? »
Shinpachi laissa planer un petit moment de silence. Sa main avait déjà glissé sur l’une des sacoches jouxtant la selle de son hongre. Il ne l’avait pas ouverte, mais il lui suffisait d’un seul geste pour tirer un kunai et s’armer.
« Affirmatif. Shinrin Shinpachi. Lieutenant de l’Empire. Qui est cet homme que vous côtoyez et pourquoi porte-t-il une armure ? »
Questionna-t-il en habillant sa voie de scepticisme.
L’entrain du jeune épéiste se trouva abruptement interrompu lorsque des bruits de pas s’immiscèrent dans son dos et que le regard de l’exploitant agricole se tourna vers une toute autre personne que lui, au-dessus de son épaule. Pivotant soudainement la tête pour voir de quoi il retournait, Ieyasu sentit son coeur bondir dans sa poitrine en apercevant ce qui ne pouvait être, selon toute vraisemblance, qu’un soldat de l’Empire. Ce même Empire qui, selon les rumeurs et autres informations plus ou moins vérifiées qui arrivaient jusqu’au domaine Nomura à Tetsu, était né des cendres laissées par le massacre des populations civiles des années auparavant.
Évidemment, se dit-il alors avec un brin de fatalisme. Le coup de chance qu’il avait perçu comme tel un instant plus tôt venait de se muer en potentielle malchance, tandis que la personne qui, manifestement, avait été véritablement engagée pour le travail était arrivée. Shinrin Shinpachi, Lieutenant de l’Empire. Pendant un instant qui lui parut durer des éternités, Ieyasu se demanda si il ne valait pas mieux pour lui déguerpir immédiatement, s’enfoncer dans les bois et espérer que tout ce petit monde ici présent oublie qu’il se soit jamais présenté ici. Mais, une fois encore, comme lorsqu’il avait convaincu ce garde chasse d’accepter son aide et qu’il avait pourfendu ce grizzli en pleine forêt, le jeune bretteur se rappela de ses prérogatives, celles qu’il s’était lui-même fixé. Et si il cédait à la tentation de décamper à chaque fois qu’une difficulté se présentait, il ne risquait pas d’engranger beaucoup d’argent à envoyer à ses proches.
Retrouvant peu à peu son calme intérieur, Ieyasu se détendit visiblement, les bras le long du corps, sans qu’aucune marque de stress ou d’hostilité ne vienne parasiter ses gestes.
« Beyh, heu, c’est à dire qu’il s’est pas présenté… ? - Hey, heum… Je m’appelle Sekiro. Je suis ce qu’on pourrait appeler un.. un itinérant. Je n’ai aucune intention belliqueuse je vous rassure, Lieutenant. Le hasard m’a mené à cette exploitation, où j’espérai acheter quelques vivres. Je viens d’apprendre que ce monsieur recherchait de la main d’oeuvre pour les récoltes et, après les vivres, l’argent est sans doute ce qui me manque le plus, alors… - Euhh donc en fait mon gars… t’étais pas envoyé par la ville ? Tu m’as menti ! - ...Non ! Non je n’ai pas menti ! J’ai… écoutez, je voulais juste profiter de cette occasion pour faire un travail honnête et gagner quelques Ryos, c’est tout. Là d’où je viens… ma famille et moi, on avait aussi une exploitation. Le travail de la terre, je connais. J’en ai passé, des hivers rudes à gérer les entrepôts… Laissez-moi vous aider, vous le regretterez pas, je vous assure… ! »
L’ouvrier agricole semblait perplexe devant la situation, mais restait tout de même éminemment pragmatique face à la problématique qui se posait.
« Bah écoute gamin, en fait c’pas tellement à moi qu’y faut d’mander… Lieut’nant… Vous voyez un inconvénient à partager l’travail…. Et le salaire ? »
La gorge d’Ieyasu se serra. Gagner moins que prévu ne le dérangeait pas, loin de là, mais peut-être que ce Lieutenant à l’air dur et aguerri ne le voyait pas de la même façon. L’observant en essayant de ne pas laisser transparaître son stress, le Nomura espéra de tout coeur que le soldat de l’Empire du Feu ne se montrerait pas trop inquisiteur. Ni trop hostile...
Les rétines rutilantes du Monarque des Bois s’étaient littéralement figées sur sa cible, et sa main leste s’était subtilement rapprochée de son attirail non sans prévoir d’en faire usage en cas de danger imminent. Une certaine forme de méfiance avait spontanément encerclé l’homme en armure, comme si tout à coup le diable venait d’être démasqué, tant et si bien que même le paysan éprouva quelques réticences dans les premiers temps à l’idée de consentir à collaborer avec ce bonimenteur. Toutefois, Sekiro décida de rebondir autant que faire se put, ne tentant nullement de manipuler les esprits en pérorant quelques prétextes inventés. Le paysan, relativement convaincu, se tourna derechef vers le Lieutenant de l’armée impériale en consentant à laisser au jeune homme sa chance.
Shinpachi continua de laisser planer un silence évocateur. Chaque seconde qui s’écoula durant cet instant se peupla d’autant de doutes pour chaque parti. Si les corps semblaient s’être immobilisés, leurs esprits, eux, bouillonnaient d’hypothèses et de spéculations, anticipaient des destins funestes et se ressassaient tous les arguments possibles. Le doute se fit souverain, trônant dans chaque crâne. Mais le Lieutenant, solidement installé sur le dos massif de son hongre qui ignorait tout de ce débat d’humains, venait de faire son choix. Après quelques secondes d’un mutisme suspendu, il décida de se prononcer.
« Voilà longtemps que je n’avais pas croisé quelqu’un qui ne fusse mêlé aux affaires de ce monde, Sekiro. Pour autant, je ne peux refuser à un homme de consentir au labeur. Je vous prierais simplement d’ôter cette armure qui est évocatrice de querelle. Vous ressemblez davantage à un mercenaire qu’à un itinérant, si je puis me permettre. »
Le cheval fit quelques pas de côtés, comme s’il s’impatientait, et le Lieutenant dût tirer ses rênes pour lui faire cesser de danser sur ses sabots. Le bidet, obéissant promptement, crut qu’on lui demandait de reculer, aussi fit-il quelques pas de retrait ; Shinpachi, dès lors, desserra son emprise, et le cheval en réaction s’immobilisa. Tous les muscles du shinobi se gainèrent alors tandis qu’il s’allongeait. Il parvint à dégager sa jambe droite de la selle et profita de l’élan pour descendre d’un bloc, l’une de ses mains tenant toujours les rênes de la monture, qui s’ébroua. Un vent frais fit flotter l’écharpe du Lieutenant derrière lui, et ses cheveux noués en queue de cheval épousèrent la tendance. Pas un instant ses yeux ne quittèrent Sekiro.
Il y avait toutefois dans son visage quelque chose de plus serein. Sekiro lui paraissait jeune. Encore plus jeune que lui.
« Eh ben, puisque c’est acté, j’vais m’permettre si vous v’lez d’attacher vot’ canasson, pour qu’vous puissiez vous préparer. - Je vous en serais gré. Le labeur qui nous attend me parait dense. J’ai accepté cette mission pour pouvoir me ressourcer tout en offrant mes services. Superbe domaine que vous possédez là. - Ouais, beh j’l’ai hérité d’mon père qui l’a hérité d’son père avant lui. C’est familial quoi ! Quand j’tais plus jeune, j’arrivais encore à m’débrouiller, mais là pensez bien, à mon âge, c’pu la peine. C’pour ça qu’on a d’mandé une aide d’l’Empire. - Par quoi devons-nous débuter ? »
Demanda-t-il tandis que le fermier prenait les rênes de son cheval.
« Tout c’qu’est fruit ! Faut faire vite, les piafs ont faim et picorent déjà d’dans ! »
Shinpachi, avant que le cheval ne s’éloigne trop, se débarrassa de sa sacoche qu’il fixa à la selle de son hongre ; à l’intérieur, pléthore de projectiles étaient soigneusement rangés. On pouvait apercevoir que, sur le flanc gauche du canasson, une lance était repliée en deux. Le Lieutenant semblait préparé à la guerre en toutes circonstances.
« Bien, Sekiro. Je vous attendrais là-bas. »
Conclût-t-il avec un sourire. L’occasion pour lui de méditer sur l’usage qu’il pourrait faire de cet étrange itinérant…
Perché sur son destrier, ce Lieutenant de l’Empire en imposait. Non pas parce qu’il était en apparence doté d’une force hors du commun ou qu’il dégageait une aura particulièrement dangereuse, mais l’intensité de son regard et la fonction qu’il occupait dans l’armée du Teikoku suffisait pour que Ieyasu se sente irrémédiablement oppressé par sa présence et ce, dès son arrivée. Tâchant de camoufler au mieux son appréhension, faculté qu’il allait devoir développer de façon très importante à l’avenir si il voulait vraiment survivre dans les cercles qu’il entendait côtoyer, le jeune épéiste attendit, tendu, le verdict du Lieutenant. Ce dernier avait l’air d’avoir la vingtaine, et semblait pourtant d’une façon intrinsèque plus rompu au combat qu’il ne l’était, et qu’il ne le serait avant encore très longtemps. Dans ses pupilles se laissaient deviner au gré de l’imagination des champs de bataille tant guerriers que politiques, des intrigues et des manigances qui échappaient pour l’heure totalement au Nomura. Tremper dans des magouilles, qu’elles soient officielles ou non, allait bien devoir entrer dans son quotidien, n’arrêtait-il pas de se dire, mais en ce jour, ses ambitions étaient bien moins volatiles et se cantonnaient, comme il l’avait expliqué aux deux parties, à percevoir un salaire pour un honnête travail manuel. Une franchise qui, il l’espérait, serait reconnue en tant que tel.
Finalement, le verdict tomba, plus clément, plus arrangeant que celui auquel il avait pu s’attendre. En son for intérieur, Ieyasu poussa un long soupir de soulagement.
« J’en conviens… Je préfère simplement être prêt à me défendre a cours de mes voyages, en cas de nécessité. Pour le travail qui nous attend, je serai ravi de pouvoir me débarrasser de mon attirail croyez-moi ! »
Pendant que le Lieutenant, qui s’était présenté comme Shinrin Shinpachi, descendait de sa monture et prenait plus amplement connaissance du labeur qui allait l’attendre en compagnie du jeune bretteur, ce dernier se mit derechef à se délester de ce dont il n’aurait pas besoin pour commencer à travailler. Détachant ses sabres et son ceinturon, il défit ensuite prestement et avec dextérité les plaques d’armure qui le recouvraient pour rassembler le tout et le déposer à quelques pas, contre le mur en bois de la maisonnée. Une façon peu orthodoxe de prendre soin de ses effets personnels, mais il avait foi dans le fait que, si quel qu’item que ce soit venait à disparaître de ses affaires, le Lieutenant de l’Empire saurait faire immédiatement appliquer la justice qui s’imposait. Cette conviction en fut d’ailleurs renforcée lorsque, jetant un coup d’oeil au cheval qui était menée à l’écurie par l’héritier de l’exploitation, Ieyasu nota l’arsenal que semblait porter la monture de part et d’autre de sa croupe. Sans se faire attendre, le jeune épéiste emboîta le pas à Shinpachi une fois leur première priorité connue, à savoir, le fruits cultivés sous les serres.
« Je vous suis », répondit-il sans hésiter.
Une fois les deux jeunes hommes arrivés aux serres qui abritaient les précieux fruits, Ieyasu prit instinctivement les devants en dépassant Shinpachi, se ruant presque à l’intérieur.
« C’est pas vrai… Ils… Ils arrivent à faire pousser ça ici… ? »
Devant lui s’étendait une ribambelle de plants, dont certains hors sol, des lignées entières arborant les différentes couleurs que leur donnaient les fruits qui poussaient dessus, un océan de couleurs végétales que le jeune épéiste admira un instant, ébahi. Son regard se tourna ensuite vers les panière dorsales rangées sur le côté : bien sûr, ils étaient aussi superbement équipés, songea-t-il. Celles dont sa famille disposait à Tetsu étaient radicalement plus rudimentaires et faites avec les moyens du bord. Instinctivement, Ieyasu prit l’une des panières et l’enfila sur ses épaules, harnachant le tout et s’extasiant presque devant la qualité du matériel, quoi que simpliste, qu’il avait entre les mains.
« L’exploitation de mes vieux tiendrait pas la comparaison cinq secondes… dit-il en regrettant immédiatement de se remettre son père en tête dans un moment pareil. Ceux-là, il faut vraiment cueillir que ceux dont la couronne est fanée, ajouta-t-il en désignant du doigt une variété de fruits sur la gauche. Sinon, leur chair devient vraiment amère. Si ça vous va, je vais m’occuper de ceux-là, de l’autre côté : si on tire trop fort, la moitié reste accroché au plants et si on presse trop fort… en gros, vous en aurez plus sur les doigts que dans le panier. - Alors, que j’vous explique… dit soudainement l’agriculteur qui revenait de l’écurie en pénétrant sous la serre. Hey mais… J’ai des consignes à vous donner, moi, vous allez pas vous lancer à l’aveug’ com’ ça hein ! - Ah, euhm… Oui, bien sûr... »
Ieyasu se tût, loin, très loin de vouloir s’attirer l’inimitié du propriétaire et tenant particulièrement beaucoup au salaire qu’il allait pouvoir percevoir à l’issue de leur travail. Sa curiosité fut toutefois piquée au vif, impatient de découvrir si oui ou non, cet homme opérait comme lui l’aurait fait à sa place. Ce qui était sûr, c’est que si les Nomura avaient pu cultiver ce genre de plants sur leurs terres… Ieyasu n’aurait peut-être jamais eu à envisager de se lancer dans cette carrière de mercenaire. Ni son père de s’enrôler dans les troupes seigneuriales du feu Shogun...
Ils arrivèrent dans les serres après avoir contourné la bâtisse, tandis que le fermier s’était absenté brièvement, le temps de les débarrasser de leurs effets. Sekiro ne tarda pas dès lors à manifester sa stupeur lorsque, passant derrière les peaux qui faisaient office de bâches, il découvrit en même que le Shinrin un paysage extraordinaire. La serre s’étendait sur plusieurs dizaines de mètres et n’offrait que couleurs et formes déstructurées ; l’abondance des plants et les fruits gonflés de leurs jus s’exposaient comme si l’on avait cherché à les fasciner. Une puissante odeur de nature et de feuilles, fruit de la croissance et de la prolifération des plants, bouleversait tous les sens ; Shinpachi se crut même, l’espace de quelques instants, dans les bois les plus impénétrables et les plus denses de Hayashi no kuni, le pays dont il était originaire.
Il suffisait, pour les cueillir, d’enfiler un panier de récolte que l’on portait tel un sac à dos que l’on portait, à l’inverse de ce dernier, sur le ventre. Shinpachi, épaulant son panier, eut l’impression de s’offrir un deuxième ventre, qui de fait réclamait de lui de devenir très gourmand. Peu accoutumé à l’exercice, il se contenta dans un premier temps d’observer la méthode de son comparse, et se félicita au demeurant de ne pas l’avoir écarté de la mission ; il n’y connaissait, pour ainsi dire, pas grand-chose. Ce manque d’expérience dût être manifeste puisque, sans vouloir le presser, Sekiro lui donna quelques conseils pour s’accoutumer à la cueillette. De bien sages paroles qu’il voulut aussitôt mettre en application.
« Je vois. Tout est affaire de dextéri… »
L’arrivée inopinée du paysan vint lui couper l’herbe sous le pied ; jovial, le demandeur s’empressa de réclamer l’autorité qui lui était, à juste raison, due. Sekiro parut alors assez confus, et s’efforça de respecter l’homme. Shinpachi, quant à lui, se contenta de son rôle de figurant. Il n’était pas assez expert dans la culture ; en revanche, il possédait d’autres atouts liés aux attributs de son clan, qu’il se gardait d’employer toutefois ici.
« Alors v’là, en gros z’avez cinq rangées quoi. Z’allez voir qu’on a essayé d’s’organiser comme on pouvait, même si avec la quantité qu’on a c’t’encore un peu l’bordel. Sur c’te rangée on cultive surtout les suguri, qu'on fait toute l'année, et on y a mis aussi un peu d’akakabu, et des dailou en bazar, et celle-là de rangée r’gardez, on a mis du chingensai et du paasunippu, pis en hauteur des nashi, alors, v’là, vous f’rez attention que quand on les cueille faut bien qu’la zone autour d’la tige soit mûre voire fanée. Vous voyez là ? Beh c'est la couronne, c'ça qu'il faut vérifier. On arrive à la troisième rangée et là, j’vous raconte pas le bordel. On a tout mis ! Alors vous allez trouver… »
Ce fut, de la part du fermier, un long monologue. Les mêmes conseils donnés précédemment par Sekiro furent répétés par leur commanditaire, et Shinpachi eut l’agréable sensation que, bien qu’il ne pusse enregistrer tous les dires du fermier, il aurait au moins Sekiro de son côté pour lui apporter son aide avisée.
« Enfin v’là hein. Si vous avez des questions faut pas hésiter, j’suis là. ‘Fin j’suis pas loin on va dire. Oh juste un détail, ‘y a deux fruits où faudra faire vraiment attention. Z’avez vu celui-là, là ? Bah c’est l’premier. Celui-là faut presque tout prendre, sauf si c'est trop p'tit, comme c’lui-là, là-bas, r’gardez. Même s’ils sont pas mûrs ! On f’ra des liqueurs et tout ça avec les moins mûrs, ça rend l’boisson plus acide et j’vous f’rais goûter en fin d’journée quand vous aurez terminé, si vous voulez. Tu peux boire petit, hein ? »
Finît-il par dire à Sekiro, tandis que le Lieutenant, la tête pleine d’informations, continuait d’écouter.
Un peu anxieux sur les bords à l’idée que le propriétaire de l’exploitation ne vienne contredire les conseils qu’il venait de donner à Shinpachi, Ieyasu fut cependant rapidement rassuré en se rendant compte, in fine, que ses consignes étaient raccords avec celles de l’agriculteur. Ce dernier apporta malgré tout des précisions bienvenues sur la cueillette des petit fruits ronds en bout de ligne, dont une partie pourrait le moment venu servir à fabriquer une liqueur que le propriétaire avait l’air impatient de partager avec ses deux ouvriers du jour. A sa question, le jeune Nomura esquissa un mince sourire, se rappelant avec nostalgie des quelques fois où son oncle lui avait permis de goûter à l’alcool servi aux adultes à leurs tablées familiales.
« Eh bien, oui… Du moment que c’est avec modération bien sûr. »
Dire qu’il tenait l’alcool aurait été une folle hypothèse, et Ieyasu savait déjà qu’il devrait s’en tenir à un petit verre pour ne pas se retrouver plus vulnérable que nécessaire. Se concentrant toutefois rapidement sur les tâches à accomplir, il commença sérieusement la récolte en enchaînant les gestes vifs et précis, remplissant à une vitesse constante le panier qu’il avait dans le dos en laissant couler en lui ce flot dont il était coutumier, après ces nombreuses saisons successives de récoltes à Tetsu. C’était, toutefois, la première fois qu’il s’acquittait de pareille tâche hors de son domaine et surtout, en compagnie d’un illustre inconnu, avec qui il était à présent seul sous la serre.
« Alors, comme ça… Vous êtes venu vous ressourcer, c’est ça ? C’est… noble de votre part, de le faire comme ça. Surtout que pour un Lieutenant de l’armée, l’argent doit pas vraiment être un problème... »
Si il envisageait pour autant de s’engager dans une quelconque armée pour se garantir un revenu constant et stable ? Certainement que non. Il avait vu, éprouvé de première main, ce que pouvait donner une obédience aveugle simplement motivée par la subsistance de sa propre famille. Il ne reproduirait pas l’erreur fatidique de son père et si il fallait pour cela qu’il traverse une multitude d’obstacles et de difficultés, alors ainsi soit-il. Le labeur avança des heures durant, Ieyasu n’hésitant pas à regarder sur le côté comment s’en sortait son partenaire improvisé pour voir si il pouvait l’aider à optimiser ses gestes. Il était facile de se fouler un muscle par inadvertance dans ce métier en répétant quelques centaines de fois un mouvement presque approprié, mais dont la faille provoquait un échec musculaire critique au bout d’un moment.
« Hm, attention, votre dos… C’est pour ça qu’on met le panier dans le dos en général, le poids compense la courbure qu’on doit prendre pendant la récolte, ça évite la plupart des séquelles. »
Le timide soleil hivernal était à son triste zénith lorsque, finalement, les deux hommes eurent fini de récolter l’ensemble des fruits présents sous les serres. Plusieurs panières chacun avaient été remplies, chacune avec un type de fruit différent pour simplifier leur traitement en aval. L’heure était venue de faire une petite pause, avant de passer sans aucun doute à un autre travail en rapport avec les récoltes de céréales déjà amassées dans le grand entrepôt. En dépit des températures assez basses qui régnaient à l’extérieur, le jeune Nomura fut surpris de sentir la sueur perler dans son dos et être épongée par ses vêtements.
« Je.. Je vais aller manger un morceau à côté de la maisonnée. Il me reste quelques racines dans mes affaires Si vous voulez, on peut manger ensemble, avant de reprendre... »
A la vérité, il ne doutait pas qu’en dépit du relatif relâchement qu’il avait perçu chez Shinpachi, celui-ci ne baisserait pas sa garde une seule seconde et refuserait certainement de laisser Ieyasu seul quelque part. L’inviter à le suivre éviterait, en un sens, que la tension sous-jacente qui avait demeuré refasse surface sans raison.
La cueillette alla bon train. Non qu’il fut particulièrement dangereux ou intense, le travail n’en demeurait toutefois pas moins harassant, du fait de la répétition ainsi que de l’équilibre souvent précaire qu’imposait la nécessité de fouiller parfois dans les branches ou les tiges, de sorte à glisser sa main où se tenait le fruit de plus mûr, sinon le plus aguicheur. A cela, Sekiro était visiblement meilleur que lui, car son panier se remplissait à vue d’œil ; pareillement, les conseils qu’il livra au Lieutenant furent chaque fois de bon aloi. Aussi, tel le débutant qu’il était, il se concentra essentiellement à corriger sa posture tout en tâchant de récolter pléthore de ces amuses-bouches colorés et juteux ; malheureusement, encore assez maladroit dans l’exercice, il lui arriva d’en écraser quelques-uns. Chose dont le fermier ne lui tiendrait pas rigueur sans doute.
Voyant que le travail abattu par Sekiro était plus efficient que le sien, le Lieutenant Shinrin dût faire preuve de modestie teintée de respect. Tout bien considéré, le paysannat semblait aussi pénible et éprouvant que pouvait l’être une carrière dans l’armée impériale. Shinpachi avait beaucoup de respect pour ce genre de métier, susceptible de forger le corps d’un guerrier mieux encore qu’une course de mille lieues. Au demeurant que ses doigts s’en allaient pincer les tiges pour défaire les fruits de leur pousse, il en profitait pour sonder, de temps en temps, les différents plants. Jetant son esprit dans l’organisme phytogène, il pouvait par une sorte de connexion chakratique, connivente avec son héritage du mokuton, explorer jusqu’à la racine ces vertes âmes. Il en devina leur âge, leur esprit de survie, leur caractère et parfois même leur chagrin, quand ces plants n’étaient pas considérablement aliénés ou dénués de vie.
A la remarque que lui fit Sekiro, il lui offrit une réponse des plus élémentaires :
« Oui… j’aime me rendre utile et je crains de devoir consentir à admettre que parfois l’armée peut être source de nombreux tourments, qu’il convient de chasser de son esprit. Et puis, c’est un plaisir de découvrir d’autres tâches, d’autres visages, d’autres mentalités. »
Durant tout le labeur, ils échangèrent à titre irrégulier quelques paroles courtoises, traduisant notamment l’intérêt qu’ils pouvaient avoir l’un pour l’autre : apprendre la culture d’autrui n’était que bénéfique pour qui avait le souhait de s’accomplir sur le plan spirituel. Enfin, proposition de partager la gamelle fut faite par Sekiro. Il fut toutefois surpris d’apprendre que le jeune homme se contentait de si maigre pitance que des racines. Lors du déjeuner, Shinpachi se mit en tailleur, en face de lui, et déballa ses produits. Il avait emmené des légumes de terres et un peu de viande séchée, ainsi que du pain.
« Je te propose que nous partagions. »
Et de manger ils s’enquirent. Croquant dans l’un des fruits récoltés que le fermier avait consenti à leur laisser alors que leurs vêtements étaient imprégnés de leur sueur, et que les paniers semblaient bien remplis, Shinpachi s’intéressa de plus près à Sekiro.
« Je voulais te remercier – par simplicité, je propose que nous nous tutoyions – pour tous les conseils que tu as pu me donner ce matin. On voit bien que tu as l’habitude de ce genre d’exercice, et je dois admettre que ce n’est pas simple. Cependant, au risque de te paraître indiscret, qu’est-ce qui t’a poussé à devenir un itinérant ? Le goût du voyage ? »
La question n’était pas hasardeuse. Le Lieutenant avait besoin de ressources. Et pas n’importe lesquelles.
Si ce Shinpachi lui avait fait la première impression d’un soldat jeune, dur et impitoyable, son regard s’était peu à peu adouci et son tempérament profond s’était en partie dévoilé. Dans le cadre du labeur, d’abord, lorsqu’il mit tous les conseils prodigués en pratique avec application et méthode, acceptant naturellement de ne pas être dans son élément et d’apprendre sur le tas. Au fil des brins de discussion en sa compagnie, Ieyasu avait discerné les contours d’un homme qui ne vivait pas forcément mal avec son quotidien de Lieutenant, mais qui pour autant éprouvait le besoin vital de vidanger un certain nombre d’émotions et de tensions pour ne pas crouler sous elles. Dans ses yeux se lisait une certaine mélancolie, à présent que la tension qui avait pu régner entre lui et le Nomura s’était presque totalement dissipée, et le jeune bretteur se demanda alors si, ou plutôt quand, lui aussi arborerait ce regard.
L’heure de la pause avait sonné et la surprise agréable du partage se présenta à Ieyasu, qui l’accueillit sans se faire prier. Shinpachi disposait en effet de provisions plus importantes que lui, plus propices à un véritable repas en plein air là où ses maigres effets personnels ne contenaient en tout et pour tout que de quoi vaguement alimenter le corps en nutriments essentiels. L’apanage des mercenaires qui débutaient, se dit-il. Et tandis que le tout jeune homme rompait le pain avec le Lieutenant de l’Empire, ce dernier en profita pour rompre encore davantage la glace qui avait déjà commencé à fondre entre eux. Derrière toute approche, derrière toute question, il pouvait y avoir une recherche pragmatique de la vérité, du savoir, ceux-là même qui permettaient de prendre l’ascendant sur autrui au moment critique. Ces interactions-là, Ieyasu en avait conscience en théorie, mais de là à trouver dans la pratique comment éviter de trop se dévoiler en trouvant les semi-vérités et les mensonges adéquats, il n’était pas encore rendu là.
« Hm. Le goût du voyage… Pas vraiment, même si… si je suis honnête avec moi-même, je dois avouer qu’il se développe, petit à petit, mais... Non, ce qui m’a poussé à partir c’est… la nécessité, tout simplement. Ma famille a une exploitation plus au nord… beaucoup, plus au nord. Des terres vraiment pas aussi riches que celles d’ici. Mon père… a été obligé de s’enrôler dans l’armée pour nous permettre de subsister. Ça n’a pas marché longtemps.
Donc, j’ai rassemblé quelques affaires, mes armes, et je suis parti chercher du travail. Du genre qui puisse me rapporter assez pour entretenir les miens. J’ai toujours été intéressé.. et assez doué aussi, pour manier les armes qu’on avait à la maison. C’est le seul talent que j’ai, donc je compte bien en faire quelque chose. Sans faire la même erreur que mon père... »
Disant cela, le regard du Nomura s’était fait distant, replongé dans un passé encore pas si lointain et auquel des émotions encore vivaces étaient rattachées. Il ne pouvait pas prendre le risque de dévoiler son identité, de communiquer ouvertement ses origines au premier venu. Pour autant, la sérénité rigoureuse qui émanait de Shinpachi le poussait à un minimum de sincérité. Oui, il avait des sabres, une armure, et bien plus encore. Tenir le personnage du simple itinérant n’était déjà plus une vraie solution, et il le savait, alors autant jouer cartes sur table autant que possible. Et qui pouvait savoir, in fine, ce que pourrait éventuellement lui rapporter une relative amitié avec un Lieutenant de cet Empire du Feu.. ?
Cette discussion promettait d’ouvrir à Ieyasu les portes de nouveaux horizons… ou de le condamner à une fin prématurée dans ce monde impitoyable qu’il souhaitait arpenter. Quoi qu’il en fut, au sortir de cette conversation, les deux jeunes hommes allaient devoir se remettre au travail, et le Nomura gageait que cette fois-ci, ce serait dans l’entrepôt que cela se passerait : celui-ci débordait en effet de ballots de paille et de sacs de toiles remplis à craquer des céréales récoltées en amont. Si les exploitants du domaine espérait pouvoir continuer la récolte, il faudrait faire de la place… Et Ieyasu et Shinpachi allait certainement être mis à contribution pour cela.
Pour avoir vécu des situations difficiles lors de la guerre civile, Shinpachi ne savait que trop bien celles qu’avait dû rencontrer Sekiro au cours de son périple. Constater l’impuissance de sa famille avait probablement pu, tout comme cela avait été le cas pour un aussi jeune homme que lui à l’époque, le troubler jusqu’au squelette de son identité propre, à un âge où l’amère désacralisation de ses parents offre nombre de tourments glacés. Ce qu’il révéla au Lieutenant laissa dans ce dernier un vague soupçon de chagrin, aussi vrai qu’un départ par nécessité n’était pas choisi, et s’accompagnait parfois de tragédies familiales à l’aplomb de difficultés sociales ou financières. La vie n’avait semble-t-il pas fait de cadeau à cet homme. L’émotion souligna le regard du Shinrin qui fit en sorte de ne plus croiser les yeux de Sekiro, un peu par gêne. Ne désirant pas s’apitoyer sur le sort de son interlocuteur toutefois, il tâcha de respecter un certain silence en guise de respect, non sans lui proposer de se servir davantage parmi les condiments proposés.
« Il faut bien du courage pour prendre une telle décision. »
Se contenta-t-il de dire, avant d’aborder d’autres sujets notamment liés au travail à la ferme, afin que leurs esprits convergent vers l’idée d’une reprise du labeur. Et, continuant de se repaître, Shinpachi en profita aussi pour absorber goulûment tout ce qu’il était bon de connaître pour être efficace dans les champs. L’après-midi serait réservé aux céréales.
Lorsqu’ils arrivèrent dans l’entrepôt, le Monarque des Bois eut comme un éclat de stupeur, et resta béat devant le nombre de sacs qu’ils devaient déplacer et mener jusqu’à l’atelier où les sacs seraient vidés, le fermier attendant d’avoir la matière pour débuter sa transformation. Un bruit de pas précéda le retour de leur commanditaire.
« Comment ç’va ? Vous gardez l’moral ? C’pas mal c’que vous avez fait c’matin. Maint’nant, faut vider l’entrepôt. R’gardez là-bas, j’ai mis des peaux sur les troncs pour protéger l’zone du soleil et d’la pluie. Tout c’qu’est paille, vous pouvez l’mettre là-bas ; tout c’qu’est céréale, vous pouvez m’l’emm’ner à l’atelier, de l’aut’ côté. »
Et de concert les deux missionnés s’exécutèrent. Pour le coup, Shinpachi se sentît plus à l’aise, car l’exercice était moins minutieux et plus abordable pour quelqu’un qui n’était pas spécialiste du travail dans les champs. Cela exigeait toutefois de prendre certains précautions, posturales notamment, de sorte à ne pas se froisser le dos durant les transports. Parfois, les deux hommes durent conjuguer leurs efforts lorsque la charge était trop lourde ; d’autres fois, ils n’eurent qu’à pousser ce qui roulait. Lors de ce labeur, Shinpachi décida de reprendre la conversation, alors qu’il traînait un sac de céréales vers l’atelier du fermier.
« Hmpf… ce travail est parfait pour un bon renforcement physique… hmpf… donc si j’ai bien compris, Sekiro… hmph… tu n’envisages pas de t’engager dans l’armée, hein ? Hung. C’est tout à ton honneur. Mais si par aventure tu recherches du travail qui paie bien, nous pourrions trouver certains accords. Hung. Mais avant cela… »
Il s’immobilisa.
« … il me faudrait savoir si tu sais vraiment te défendre. »
Glissa-t-il en souriant, avant de reprendre la traction du sac de céréales.
Du courage. Ieyasu n’avait jamais vraiment réfléchi à cela en ces termes. Déterminé, il l’était certainement, tout autant qu’il était encore inexpérimenté dans le domaine qu’il s’était choisi pour amasser de grosses sommes d’argent. Tout au plus avait-il pu se dire à quelques occasions qu’il faisait preuve de témérité en se lançant dans une telle aventure, une aventure qui pouvait lui coûter non seulement la vie mais aussi certains de ses codes moraux dans la foulée. Mais le jeune épéiste autodidacte n’allait pas s’arrêter sur chacun de ces menus obstacles : il devait aller de l’avant, sans trop se risquer à regarder en arrière sous peine de perdre la force de l’élan qu’il s’était lui-même octroyé. Que, à la vérité, la mort prématurée de son père lui avait octroyé…
Leur collation partagée terminée, le temps de se remettre au travail arriva vite lorsque le propriétaire de l’exploitation revint les trouver pour les féliciter et leur donner les consignes suivantes. Cette fois, pas question de gestes techniques et répétés à très vive allure : le travail qui les attendait, songea Ieyasu, allait s’avérer particulièrement long et physique. Contrairement à la cueillette à laquelle ils avaient passé leur matinée, il n’y aurait ici aucun conseil en particulier que le Nomura pourrait transmettre à son partenaire : aussi, sans plus de préambule, le duo se remit aussi vite que leur estomac le leur permis au travail. Shinpachi sembla plus à l’aise dans ce rôle, tandis qu’Ieyasu, lui, marquait des signes de fatigue discrets mais évidents. Les nuits successives qu’il avait passé à la belle étoile n’avait pas été des plus reposantes et son corps, même s’il était devenu robuste de par les saisons successives passées à participer aux récoltes, n’en était pas au point de pouvoir ignorer cette accumulation.
Mais alors que le jeune bretteur se concentrait pour conserver une bonne posture dans les différents allez et venus chargé comme une mule qu’il devait exécuter, le Lieutenant de l’Empire profita d’un moment passé côte à côte pour rebondir sur un élément que lui avait révélé Ieyasu un peu plus tôt. L’armée, synonyme de mort futile et inéluctable aux yeux du jeune homme. Il se passerait en effet des cataclysmes avant qu’il ne puisse entrevoir cette éventualité comme une voie possible. Mais ce qui interpela le plus le Nomura fut bel et bien le sous-entendu particulièrement appuyé que formula ensuite Shinpachi.
« ...C’est… Ça me paraît assez raisonnable, en effet… Ha… Si je m’étais attendu, à trouver un potentiel employeur, ici, au milieu de la campagne… Si ça te va… je te montrerai ce que je vaux demain, après une bonne nuit de sommeil. »
Plus qu’un opportunité, cette escale sur cette exploitation agricole semblait de plus en plus faire figure de bénédiction pour Ieyasu. Il était trop tôt pour dire si il saurait satisfaire aux exigences de Shinpachi en matière de maniement des armes, ni si il s’avérerait réellement judicieux pour lui de lui louer ses services. Cependant, le fait même que ces éventualités se présentent ainsi d’elles-même avait quelque chose de particulièrement grisant et inattendu. La perspective d’un duel amical, pour toute sa simplicité, avait également de quoi susciter une vive excitation chez le jeune épéiste, une excitation qui l’accompagna tout le long de leur labeur durant la première partie de l’après-midi.
Lorsque la tâche donnée par le propriétaire fut accomplie, celui-ci reparut à peine dix minutes après que les deux ouvriers du jour se soient installés pour se reposer contre le mur sud-est de l’atelier, ce qui ne fut pas sans provoquer un soupir fatigué de la part du Nomura. Car, à en juger par la trombine du bonhomme, il avait encore une dernière chose à leur demander.
« Hey les gars, bien, bien ! Franchement, pour dire vrai, j’m’attendais pas à c’que vous soyez aussi efficaces ! La journée est rude, j’sais, mais, y a encore une chose à faire avant la quille. Les gens à Igori, le village le plus proch’, ont commandé du fourrage et des céréales.. Et faut qu’y soient livrés aujourd’hui ! Y faut quat’ ballotins, six sacs d’avoine et autant de blé. A charger dans la charrette, bien sûr, mais, j’vous apprends rien ! »
Ieyasu chercha Shinpachi du regard, las mais déterminé à faire le travail jusqu’au bout, et se releva tant bien que mal pour commencer au plus vite le chargement de la charrette qui allait leur servir à effectuer la livraison au village d’Igori. Beaucoup d’huile de coude plus tard, leur moyen de transport était presque totalement chargé, à quelques sacs de céréales près, et les canassons qui allaient tracter le tout étaient déjà parés au départ.
« Fuuuuuhh… J’ai beau être habitué… ça commence vraiment à tirer… La vache…. Hhhhunnng ha… Dis moi juste, Shinpachi… Tu travailles… pour un Empire. Qu’est-ce qu’un Empire pourrait faire.. de quelques lames à louer comme moi, exactement.. ? »
La fatigue était là, pour chacun, amie inconfortable mais indéfectible de la tâche qui leur incombait. Après avoir transporté ce qui au final représentait plusieurs tonnes de denrées, les deux missionnés ne pouvaient qu’espérer un peu de repos ; mais, tout aussi las qu’eux à force d’avoir travaillé ses ressources, le fermier leur demanda une énième faveur. Les récoltes avaient bien avancé suite aux efforts conjugués du Lieutenant et de l’Itinérant, qui autant que faire se peut avaient mis tous deux leurs corps à rude épreuve depuis que le soleil avait chassé les ombres nocturnes. Une once d’hésitation les parcourut lorsque le fermier émit la requête d’un transport. Tel un frisson qui les avait parcourus.
Et pourtant, ils se retrouvèrent bien vite devant la charrette et les chevaux attelés. Engageant une dernière fois leurs muscles dans l’endurance fondamentale qu’exigeait ce labeur, et dont la dimension psychologique n’était pas exempte, ils chargèrent les ballotins et les sacs de céréales. Quatre ballotins, douze sacs. De quoi faire rompre leurs fibres musculaires une bonne fois pour toutes, et pourtant…
Ayant fini de charger, harassés, ils montèrent sur la charrette et prirent les rênes. Shinpachi s’installa à côté de Sekiro qui semblait manifester quelques signes de fatigue tout comme lui ; il eut l’impression qu’une certaine forme de camaraderie s’était installée. Sekiro avait un côté autodidacte et débrouillard qui plaisait bien à l’impérialiste, aussi vrai qu’ils n’avaient pas eu de difficulté à coopérer du fait d’une sorte de respect mutuel qui s’était installé. Mais ils n’en demeuraient pas moins qu’aux balbutiements d’une possible complicité ; de laquelle, vraisemblablement, Sekiro devrait tôt ou tard comprendre les enjeux… mortels.
« Montons si tu veux bien. »
D’un bond agile, il se plaça sur la charrette et attendît que Sekiro en fasse de même. Les bidets s’ébrouèrent avant de se mettre au trot. Quelques dizaines de mètres, Shinpachi reprît la conversation avec Sekiro.
« Notre Empire s’est fondé grâce à une somme de mercenaires, d’un certain point de vue. Ce sont ces mêmes mercenaires qui ont été mis à contribution pour conquérir le Kaminari. Si tu penses pouvoir vivre de ta lame et gagner de l’argent grâce à son usage, tu peux devenir une ressource intéressante pour n’importe qui dont le souhait serait de faire usage des armes sans apposer le sceau de sa Patrie en signature de cet usage. Imaginons que nous devenions les ennemis d’un pays tel que Ame no kuni, par exemple, et que nous nécessitions de quelqu’un pour récupérer un individu qui se serait par un concours de circonstances malheureux enlisé dans ce pays. N’importe quel Teikokujin envoyé là-bas deviendrait une offense, voire même pourrait être vu comme une invasion. Alors que lorsqu’il s’agit d’un homme qui n’a voué allégeance à personne… »
Il lui concéda un sourire.
« Les mercenaires sont les déterminants de nos destins respectifs, puisque leur contribution aux jeux d’ombres politiques qui dessine le paysage de notre monde, ses frontières et ses rixes, est à la source de tous les triomphes ou de tous les échecs, de toutes les alliances et de tous les conflits. Un seul mercenaire suffirait à changer l’avenir, si bien avisé. Tâche de t’en souvenir. »
Les chevaux continuèrent de trotter en direction d'Igori, passant les chemins de terre que leur avait conseillé d'emprunter le fermer. Les yeux de Shinpachi se tournèrent vers la route. La ville n'était pas très loin, et une colonne de fumée, due sans doute à un feu qui brûlait dans l'âtre d'une maison ou qui s'échappait de la fenêtre d'une cuisine, se distingua dans le ciel, trahissant sa position.
Si Shinpachi avait eu l’air de légèrement éluder la question que le jeune Nomura lui avait posé, le regard qu’il lui avait lancé traduisait tout autre chose qu’une simple manœuvre évasive. L’intuition de Ieyasu n’était pas encore particulièrement affûtée, mais il était malgré tout suffisamment alerte pour déduire quand une discussion allait simplement être reportée plutôt que tout bonnement évitée. Et ce fut effectivement le cas lorsque le duo d’ouvriers agricoles temporaires monta sur la charrette pour la mener, à l’aide des bourrins attelés à l’avant, vers le village d’Igori.
Ce fut donc sur le trajet que le Lieutenant de l’Empire décida d’aborder le sujet qu’avait soulevé le jeune épéiste. Ce dernier, d’ailleurs, fut à la fois étonné et particulièrement satisfait d’avoir droit à une réponse aussi peu consensuelle et ancrée dans la réalité. Pas de langue de bois avec ce Shinpachi, semblait-il, et le rôle des mercenaires tel qu’il les dépeignaient avait quelque chose à la fois d’assez intimidant mais aussi de très grisant pour le jeune bretteur, qui entrevoyait là certes beaucoup de dangers mortels mais surtout, la possibilité de gains très importants. En comparaison, son père avait donné sa vie pour que sa famille touche quelques miettes : en cultivant suffisamment ses talents, en se confrontant à la réalité des choses et en faisant preuve de suffisamment de discernement, ce qui pouvait constituer un véritable challenge pour un grand adolescent comme lui, alors il pourrait remplir son objectif, et peut-être même bien plus encore.
Mais tout cela restait pour le moment bien vague et, tout à coup, la proposition à peine voilée que lui avait fait Shinpachi plus tôt dans la journée faisait encore plus de sens. Un Lieutenant tel que lui devait avoir pléthore de sujets à traiter, d’intrigues et de complots à démêler : ces passes d’arme qu’il avait sollicité, elles feraient certainement office d’entretien d’embauche, rien de moins. Une façon de savoir si oui ou non, il pourrait l’inscrire dans une sorte de catalogue de mercenaires aptes à rendre certains types de services. Une pensée terriblement pragmatique, mais qui ne choqua pas le moins du monde le jeune Ieyasu : c’était à ça qu’il devait s’attendre, et rien de moins de sa part aurait été de la naïveté pure et simple.
« Je comprends. C’est une bonne leçon que tu me fais là, Shinpachi… Et aussi désespéré que ça puisse paraître… c’est bien cette « carrière » que je poursuis. Une lame à vendre, mais une lame libre, c’est ce que je veux être. Gagner assez d’argent, pour moi et pour ma famille au nord… Et apprendre. Je me fais pas d’illusions : je sais que j’ai beaucoup à apprendre, dit-il le regard soudainement dur et braqué vers l’horizon, mais je sais que j’ai mes chances. Et je les défendrai, jusqu’au bout. »
Quelques temps plus tard, le duo arriva finalement au village d’Igori, où il fut accueilli avec un entrain communicatif. Vraisemblablement, recevoir aussi tôt les provisions attendues faisait vraiment plaisir aux habitants de la petite communauté, et Ieyasu et Shinpachi eurent même de l’aide de la part des mieux bâtis d’entre eux pour décharger leurs marchandises. Une aide des plus bienvenue, à ce stade. Leur livraison terminée, les deux jeunes hommes repartirent en direction de l’exploitation pour y ramener la charrette et ses bourrins, avec le secret espoir que leur commanditaire n’aurait rien de plus à leur demander. Vue l’heure tardive, cela semblait heureusement bien peu probable.
« Je sais pas si notre employeur a prévu quoi que ce soit pour nous mais, si rien ne se présente, j’avais prévu de bivouaquer à un petit kilomètre sur la crête. Demain, je serai reposé, et alors… on pourra faire ce dont on a parlé tout à l’heure. En espérant… que je me montre pas totalement ridicule. » finit-il avec un petit sourire à la fois timide et modeste.
Ainsi le duo arriva-t-il au village d’Igori dont les habitants ne tardèrent pas, voyant la somme de provisions qui leur était apportée, à se précipiter vers ce qui leur était dû pour débarrasser les deux émissaires de leur charge. Soulagés par le volontarisme de ces braves ils purent, faisant le chemin inverse, s’en retourner vers le paysan qui avait été l’auteur de la requête. Tandis que les roues de la charrette beaucoup légère qu’auparavant rebondissaient sur quelques pierres disséminées sur le chemin, ils purent voir au loin leur commanditaire agiter les bras comme pour réclamer leur attention. Sur l’instant, tous deux durent avoir quelques frayeurs mais…
« J’vous avais promis quelqu’chose non ?! »
Le Lieutenant s’autorisa sur l’instant un soupir de soulagement. La journée avait été particulièrement rude et s’ils avaient consenti des efforts très denses pour pouvoir se rendre utiles envers le paysan, c’était au prix d’une fatigue intense. Shinpachi ne pouvait décemment pas se refuser un petit réconfort non sans se méfier de ce genre d’embuscade que pouvait lui tendre un homme habitué à vivre de façon aussi rude et visiblement enclin à trouver du soulagement dans la liqueur.
« Je vous ferais offense si je refusais. Sekiro, vous faîtes partie des nôtres ? Je ne resterais pas longtemps, mais ce serait un plaisir pour moi de s’asseoir un peu avant de reprendre la route. »
Il ne fit pas mention au fait qu’ils avaient prévu de se revoir le lendemain, chose qu’il avait accepté, de crainte que le fermier ne leur demande de mettre quelques coups de fourche dans la suite des tâches qui l’attendaient. Ils avaient montré tous deux qu'ils étaient parfaitement enclin à réaliser le travail qui leur était demandé, particulièrement Sekiro dont l'expérience de vie le démarquait du reste. Chemin faisant, le paysan jeta un regard sur l'entrepôt vidé et ne camoufla pas un sourire de satisfaction. Il ne mit pas longtemps à les inviter à l'intérieur de sa maison et à s'emparer d'une petite bouteille au fond de laquelle dormait un nectar pourpre très parfumé.
« Ché pas c’que vous en pensez, mais ça m’semble encore meilleur après une bonne journée d’travail ! Au fait, j’tenais vraiment à vous r’mercier d’être venu m’donner la patte. Ca m’fait gagner un sacré temps pour les récoltes. Quand j’tais plus jeune et qu’j’avais votre âge, j’pouvais gérer plein d’choses mais avec le temps, vous savez… - Je vous en prie. Ce fut l’occasion d’un excellent exercice physique et un moment d’évasion aussi. Je ne saurais que vous remercier. - Oh pis au fait ! Vos bourses sont à l’entrée, partez pas sans les oublier hein ! »
La soirée se poursuivit sur presque une heure au terme de laquelle les compagnons se séparèrent pour s’en retourner chez eux ; Sekiro à son bivouac, le paysan à sa ferme, et Shinpachi au campement non loin de là.