Délit de faciès

Les mains dans les poches de ce qui semblait un uniforme de lycéen d’une ville civile n’ayant rien à voir avec celui de Kirigakure no Satô, la Balance flânait dans les ruelles de son village d’origine avec aussi peu d’entrain qu’il n’éprouvait de réelle raison de faire cela. Mais c’était toujours mieux que de végéter dans son appartement miteux d’à peine quinze mètres carrés alors il s’adonnait bien souvent à ce genre de marche dénuée de sens. Après avoir couru tout autour du village six fois, d’avoir escaladé le plus haut bâtiment et d’avoir fait plus de pompes qu’il ne savait en compter, il chercha donc à boire et à manger.

Le quartier où il se trouvait n’était pas réputé pour ses bonnes fréquentations mais qu’à cela ne tienne Kyûseishu avait des croyances certes naïves mais bien ancrées. Là, à la faveur de l’obscurité, d’une ruelle où siégeait quatre hommes adossés, l’un d’eux sortit de son imperméable d’ombre et de mystère pour le héler. « Eh konoyaro ! T’as une bien jolie veste, mon p’tit frère a froid alors tu vas m’la donner sinon... » Plus par envie de défier un autre homme adulte que pour quelconque autre raison, il sortit de sa poche une main gantée d’un poing de métal. Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que le jeune blond jeta sa veste déjà enlevée dessus comme si c’était un porte-manteau devant la petite troupe éberluée.

« Pas de soucis ! Bonne soirée les gars ! » Lâcha-t-il enjoué. Personne ne tenta de le poursuivre tant la stupeur était grande parmi eux. Ayant tellement transpiré, il ne ressentait pas encore le froid de l’hiver s’abattant contre son épiderme de toute façon.

Le t-shirt qu’il avait en dessous était en lambeaux, le garçon ayant pour mauvaise habitude de se servir de ses vêtements comme de bandages pendant ses entraînements incessants. C’est donc bel et bien torse-nu qu’il se présenta aux abords du Cheval à Queue -du moins pensait-il qu’il se nommait ainsi. Aucune envie de consommer de l’alcool, ceci lui étant interdit, naturellement. Etait-ce les jappements d’un chien qu’il entendait ? Avant d’en avoir le coeur net, son odorat fut saisi d’une odeur particulière, comme celui d’un parfum. Fin et discret, mais notable par ses teintes. Il sentit le contact d’une main étrangère sur son épaule et se tourna, l’air étonné.

« C’est qui Jisa ? » Inconnu au bataillon mais vu l’air et la poigne sur son épaule, ce n’était pas le genre de fréquentations qui donnait des bonnes notes à l’Académie. « J’connais pas. Moi je suis Kyûsei. » Il hocha la tête en plongeant ses yeux dans le même azur qui englobait les iris vindicatifs de Reikan. « J’me promène. » Termina-t-il en souriant de toute ses dents. Cela paraissait comme une excuse et un mensonge, bien qu’il ait avoué la vérité vraie.

« Et toi qu’est-ce que tu fais à côté du Cheval à Queue hein ? » Son air devint interrogatif autant que le sien, presque par mimétisme. Dans le même temps, le petit chien au pelage aussi blanc que la neige était venu se réfugier entre les jambes de Kyûseishu, ce dernier tapotant sa tête à intervalles régulières, fléchi sans rompre le contact avec la main de la Yasei. « C’est qui le bontoutou ? Ah que ouiiii ! Bontoutou ! » Dommage, il n’avait rien à lui donner à manger.

Délit de faciès

Le visage de la demoiselle aux airs félins sembla se dérider à mesure qu’il répondait à ses interrogations. Elle sembla surprise puis rassurée. Dieu sait pour qui elle l’avait pris et à vrai dire tant qu’elle entendait raison et ne le mésestimait pas, cela suffisait au Genin de la Brume.

« On se promène toujours dans un sens. Sinon ça s’appelle du surplace. Enchanté Reikan ! » Un large sourire fier se grava sur son faciès laiteux. Il ne voyait là pas un bon mot ou autre chose ; seule la réalité comme il la percevait..

La Balance n’avait jamais entendu parler d’elle ou même des Yasei. Sa connaissance des puissances en place se résumait à l’histoire des Mizukage et pas beaucoup plus, par ignorance plus que désintérêt. Avec le temps passé à avancer la reconstruction et celui à s’entraîner, le reste de son emploi du temps consistait à dormir, manger et chercher des quidams à affronter pour progresser ; son saint mot d’ordre.

Ignorant presque par mégarde les dires des gros endimanchés qui semblaient lui reprocher son lien tacite avec l’animal au pelage à la teinte enneigé, il n’avait d’yeux que pour le canidé qui lui rendait bien. Pourtant il avait bien des défauts, mais il n’était pas sourd. Son honneur et son ego avaient été si souvent piétinés qu’il était presque imperméable aux quolibets.

Ils se moquaient de la petite bête froussarde et Kyûseishu s’identifia à celle qu’il avait jadis été, lorsque les criminels pullulaient dans les alentours de son village, son grand-frère comme seul garant de sa sûreté..

Encerclé par des masses bien plus imposantes que lui, il finit enfin par lever le menton pour jauger la situation. La féline semblait bien loin de la panique et l'exhorta même à faire preuve de courage, qualité remarquable dont il comptait faire montre pour lui donner raison.

« Plus c’est lourd et plus ça fait du vacarme, quand ça s’effondre. » Le regard plein de malice, il passa en revue les troupes attaquantes et termina par elle, déjà aux prises avec une des montagnes de chair décérébrées animée par l’adrénaline, quitte à en oublier la galanterie dont était supposé faire preuve un homme adulte.

Etrangement, il faisait confiance à Reikan ; comme si son aura l’avait informé de ses aptitudes. Elle n’était pas une simple civile ou une kunoïchi du dimanche engagée pour distribuer le journal, il pouvait le pressentir.

Un premier coup de pied arriva pendant sa contemplation de la force Yasei en action, à qui il donna son dos arqué, le chien contre ses abdominaux. Après avoir roulé sur un bon mètre, il regarda le chien qu’il agrippait désormais par les pattes de devant pour le faire tenir debout. « Si tu es bien sage, t’auras quelque chose à manger ! T’as compris ? Assis, toutou ! » Fronçant les sourcils sur les dernières syllabes en ignorant la trace de boue qu’avait laissé la botte sur son dos nu autant que la douleur y étant lié, il lâcha son petit compagnon pour faire face à l’un d’eux ayant cru bon de charger avec un tesson de bouteille.

Son coude s’éleva en direction de son articulation et fit voler le morceau de verre, les yeux de l’attaquant le suivant de surprise. Il ne lui fallut pas beaucoup plus pour sauter assez haut, son bassin face à face avec l’ennemi pour lui déclencher un coup de talon pile poil sur le haut du crâne avec une détente digne d’un kangourou.

Encore en l’air, prêt à retomber dans une pose stylée afin d’impressionner madame, il fut fauché en plein vol par un couvercle de poubelle lancée dans sa gorge qui le fit voler sous le poids de l’objet prêt du petit chien qui jappait tristement.

« T’e-n.. Il toussa un peu de sang en prenant garde de ne pas le tâcher. fais p-pas. » Malgré le filet de sang qui s’écoulait en slalomant autour de son menton, il adressa un sourire enjoué à la petite créature, dans le but fou de la rassurer.

Délit de faciès

Visiblement son pressentiment passa presque pour de la prescience. La demoiselle au visage fin n’avait rien de la vendeuse de poisson du coin et se rapprochait plus d’un monstre de puissance. Ses premières actions l’avait infirmé et ce qui suivit ne manqua pas de confirmer ce qu’il s’imaginait. Seule face au groupuscule tandis qu’il cherchait à rassembler ses forces et à protéger l’animal toujours sur deux pattes qui semblait étreindre Kyûsei, il se retourna pour contempler la ferveur martiale de celle dont il ne savait presque rien ; sauf le nom.

Ses mouvement semblèrent fluides et chorégraphiés, mêlant légèreté et vigueur. Il n’était pas de l’école de la misogyne et cela ne l’impressionna pas du fait de son sexe prétendument faible. Il avait bel et bien à composer avec un maître martialiste et sa précision ne semblait pas lui donner tort. Un des bougres se retrouva culottes fendues sur le sol à hurler de douleur si fort que lui et son compagnon canin en grincèrent de la mâchoire simultanément. La Balance cacha les yeux du chien pour lui éviter un potentiel traumatisme comme s’il s’agissait d’un chérubin.

Mais le petit groupe n’abandonna pas. Etait-ce de la fierté masculine ou la typique rage kirijine à l’oeuvre,rendant la défaite inavouable même dans les pire situations ? Il respectait presque les bougres si tant était que ce n’était pas le fait des spiritueux… Bouche bée par les belligérances, il eut un instant envie de se lever pour l’aider malgré sa trachée endolorie mais s’en ravisa en se rendant à l’évidence. C’était presque trop facile pour elle.

Le vent terminait d’emporter les résidus de l’affrontement comme un baisser de rideau quand elle s’approcha de lui, l’air affable. Kyûseishu posa sa main dans la sienne et poussa sur ses propres appuis en émettant un grognement, aveu de sa propre faiblesse tandis qu’il retrouvait une position humaine, sur ses membres inférieurs. C’est à ce moment qu’il vit surgir la menace ; l’homme courroucé par la honte et le dédain dont elle avait fait preuve en lui tournant le dos comme s’il n’était rien de plus qu’un vulgaire moustique que Reikan n’avait pas d’achever.

L’adrénaline lui fit perdre le fil et son calme retrouvé. Le chien tenait maintenant seul sur ses petits coussinets tandis que la Balance était à l’oeuvre, fendant l’air en frôlant de son torse nu la Yasei de quelques millimètres pour se retrouver ensuite derrière elle, face à celui qui avait envahi son espace vital plein d’intentions peu nobles. Léger comme une plume, cela ne lui avait pas pris une seconde entière pour déjà envoyer son bras ballant en arc de cercle vers sa tempe. La sensation lui sembla étrange et intemporelle, comme si il défiait la gravité elle-même par un coup si rapide malgré le peu d’élan et de force cinétique.

Pourtant au contact de sa mâchoire, il résonna dans la ruelle un craquement sinistre. C’était le plomb et pas la plume qui l’avait frappé de plein fouet en lui arrachant au passage quelque carie mal entretenue. Kyûseishu porta un regard à sa main puis à la masse informe de chair, de sang et de sake qui avait rejoint le sommeil des justes -et des moins juste dans son cas.

L’avait-il tué ? Un frémissement de panique frôla sa colonne vertébrale jusqu’à qu’il soit rassuré par le mouvement irrégulier de son plexus. À son tour, il se retourna jusqu’alors dos à dos avec l’enfant de Kaze.

« Moi ça va ! » Lâcha-t-il en camouflant son appréhension par un ton enjoué. « Dis, t’as l’air sacrément forte. T’es pas une simple Genin, hein ? » Elle n’avait pas l’air bien plus âgée que lui, à bien y regarder. Cela commençait à devenir habituel, maintenant. Zoku, Haise et Reikan plus récemment. Quel que soit l’âge des protagonistes objets de ses rencontres, ils partageaient un point commun ; ils étaient tous plus fort que lui.

« En tout cas merci, j’pense pas que je serai arrivé au même résultat tout seul. Même avec son aide. » Il pointa du doigt le petit chien qui tournait autour d’eux en jappant gaiement.

Délit de faciès

Son visage ne se mit point à rougir sous les allégations de la femme. Sa propre force n’était pas un élément tangible qu’il avait quantifié mais il ne l’égalait pas, même de loin. Il n’était que glaise malléable là où la Féroce se trouvait déjà bien avancée sur sa Voie. À vrai dire elle lui semblait si loin que même rattraper son ombre semblait à des milliers d’années de ses capacités actuelles. Rien qui ne le complexa toutefois ; il était confronté au paradoxe de sa faiblesse à chaque tour du village, chaque matin. À chaque coup de ses phalanges contre les mannequins, à chaque foulée parcourue. À chaque regard biaisé des gens au courant de l’histoire de ‘Zero’, le Genin incapable de créer un simple bunshin inconsistant.

Il admira le brassard qui attestait de ses prochains dires avec un air peu étonné. Elle émanait déjà de tant de force que de la voir transcrite de façon tangible n’avait rien de surprenant. Il obéit en allant vers le canidé auquel il enfourna un mochi au fond de la bouche avec rapidité, tant et si bien qu’il manqua de s’étouffer.

Ses yeux à la teinte océanique bloquèrent un instant sur la seconde Reikan quand elle apparut dans un nuage de fumée et il la jaugea de haut en bas. Encore une fois, il était presque de notoriété publique que les gradés pouvaient recourir à ce genre de technique et même s’il n’en parut pas affecté, encore une fois on brandissait un miroir face à son incapacité.

Il eut l’air moqueur quand elle saucissonna les brutes, manquant presque de leur tirer la langue pour les énerver un peu plus mais vu leurs airs apeurés, faire face à un Capitaine de la Kenpei suffisait largement à éprouver les bougres d’hommes qui ne s’aventureraient plus de sitôt à sévir dans les parages.

La vraie Kazejine s’approcha et se mit au niveau de Kyûseishu et du petit chien, l’air rayonnant et son sourire fut assez contagieux pour en provoquer un de moindre ampleur chez le martialiste en herbe.

« Je pense qu’il devrait choisir lui-même mais je parle pas le chien... » Ce n’était en rien une gaudriole, son air interrogatif envers la bête au pelage blanc pour preuve de sa profonde naïveté. Cela existait peut-être après tout ; certains se clonaient alors parler aux chiens…

Reikan comme sa sauveuse aurait été un juste retour des choses mais peut-être le prendrait-elle mal ? Et puis il avait cru déceler un petit appendice masculin chez son compère canin alors…

« Et toi tu te sens de lui trouver une appellation ? » Il posa ses mains sur ses genoux puis son regard quitta le sans patronyme pour rejoindre celui de l’héroïne. « T’as pas l’air beaucoup plus vieille que moi et t’es déjà Capitaine, c’est la grande classe. » Il n’y avait ni jalousie ni sur son visage, ni dans le timbre assuré de sa voie. « T’as beaucoup de responsabilité si en plus t’es Chûnin, non ? »
Voilà qui semblait étrangement effrayant. La rançon de la force, peut-être. À vrai dire la perspective de diriger des hommes et de gouverner leur possible trépas ne l’enchantait guère, mais pas assez pour l’empêcher de vouloir grimper ses maudits échelons. Comme si c’était un sacrifice nécessaire pour se renforcer.

Se montrant un peu familier comme à l’accoutumée, il n’eut pas l’impression de déranger, bien qu’elle put être erronée.

« Héroïne de Mizu… Merci pour ça, au fait. On vous doit beaucoup. » Aux souvenirs ravivés il ne laissa transparaître dans son sourire habituel qu’une pointe d’amertume à la réminiscence des effets de cette menace qui ne cicatriserait jamais vraiment. En y réfléchissant bien, sans elle et les autres, le village aurait disparu et ses espoirs avec.