Le quartier commerçant offrait ses lots de marchandises au même titre qu’un large panel de profils différents. Du pauvre miséreux au riche dépensier, la foule était un camaïeu d’individus aux histoires diverses. Un parterre de passés et d’avenirs que le raton-laveur observait depuis son perchoir. La nuit commençait à tomber mais les marchands restaient convaincus de la possibilité de faire du chiffre. Par conséquent ils continuaient de beugler à qui voulait l’entendre des rabais jamais vu ou des promotions inédites. Vivant non loin d’ici, Zoku savait parfaitement que ces malfrats légaux scandaient des prix qui se voulaient intéressants mais qui restaient supérieurs au prix habituel. Il leur suffisait juste de dire tel prix au lieu du double et les pigeons s’ameutaient pour picorer. Le polymorphe se retrouvait partagé entre le sourire et la grimace.

A peu de choses près, il était comme eux. Juste que sous couvert d’une étale, de papiers en ordre et d’un marché florissant, ils avaient la permission d’opérer ainsi. Ils ne valaient pas mieux que les activités frauduleuses du raton-voleur. Ce dernier s’était justement dit qu’il allait profiter de la cohue pour s’amasser un petit butin. Mais il n’en faisait rien depuis bientôt une heure. Toujours sous sa forme préférée, il n’avait pas quitté le sommet de son toit où il s’était établi. Il n’avait même pas pris la peine de s’éloigner beaucoup de son domicile. Son cabanon se trouvait à quelques rues d’ici seulement. Très mauvaise stratégie en tant que voleur, à croire qu’il n’allait vraiment pas descendre dans ce foutoir pour se faire un peu d’argent. Comme blessé dans son orgueil par cette pensée, la mine renfrognée de l’animal se dérida uniquement une fois descendu dans la ruelle.

Il y avait tellement de monde que personne ne faisait vraiment attention au petit animal qui se frayait discrètement son chemin. L’œil averti, il analysait chaque passant pour en déduire le contenu de ses poches. Pour maximiser ses gains sans prendre de risques inutilement avec un mauvais client. Sa patte ne lâchait pas un bout de papier qu’il tenait. Les restes de son escapade de la veille dans cet étrange endroit. Là où le gros raton-laveur l’avait assommé d’histoires à dormir debout sur un butin puis sur un destin. Des balivernes qui lui avaient fait perdre du temps, donc de l’argent. Cette feuille était son unique prise de l’incommensurable bibliothèque dont il avait réussi à s’enfuir. Eux qui se targuaient d’être cachés du monde par un passage secret. Ils étaient bien naïfs.

Mais le polymorphe ne parvenait pas à se détacher de cette page. Il avait essayé de la déchiffrer, en vain. Les caractères lisibles n’étaient pas dans cette langue. Ils représentaient des symboles inconnus qu’il avait pourtant essayé de décrypter. Sa patience n’étant pas légendaire, il avait rapidement abandonné. Cette histoire l’avait poursuivi une bonne partie de la journée sans le quitter jusqu’à ce début de soirée. Au point qu’il n’osait se séparer de sa relique. Sa patte bien refermée dessus, il continuait sa ronde pour trouver le parfait client, lorsque son flair l’alerta d’un danger. Une odeur particulière mais pas étrangère. Celle qu’il avait humée la nuit dernière. Celle de l’autre raton-laveur. Ils l’avaient retrouvé.

Alarmé mais ne cédant pas à la panique, il put ressentir la présence plus loin dans son dos. Il ne se fit pas prier pour détaler à travers les guiboles des passants. Il provoqua d’ailleurs quelques bousculades qui lui valurent des injures. Ce n’était pourtant pas suffisant pour le freiner, bien au contraire. Il sentait son poursuivant à ses trousses et il tenait à s’en débarrasser au plus vite. Il avait heureusement l’avantage du terrain qu’il ne connaissait que trop bien. Plusieurs zigzags avant d’arriver dans une étroite ruelle où il s’était déjà planqué à de nombreuses reprises. L’endroit parfait pour attendre que ça se calme. Tapi dans l’ombre et s’estimant à l’abri, il voulut jeter un œil pour vérifier qu’il était hors de danger. Pourtant, il perçut une nouvelle présence qui n’avait rien d’animal.

Le terrible assaillant auquel il s’était attendu se présenta sous la forme d’un jeune homme. Ou jeune femme ?! Très difficile à dire avec ces traits et une telle coiffure. En tout cas il ne représentait pas un immense danger. Il fixait le raton d’un air hébété, armé d’une brochette. Il risquait pas d’aller loin avec ça, ou elle. Ce dilemme aurait pu tenir éveillé le polymorphe longtemps s’il ne se savait pas traqué. Cette sensation atroce qui prenait à la nuque. Un frisson lui parcourut l’échine, rebroussant ses poils au passage. Il décida d’ignorer la présence de l’autre qui n’avait pas l’air d’être un danger dans l’immédiat. Il passa discrètement sa tête vers la rue passante où certains cherchaient encore la petite boule de poil qui les avait bousculés. La solution était là.

Zoku se tapa le front de ne pas y avoir pensé lui-même. Il mit fin à sa transformation pour retrouver l’apparence humaine qu’on lui connaissait. Les badauds qui auraient tourné la tête ici aurait sans doute remarqué l’étrange présence d’un raton-laveur ici. Ils auraient vite fait le lien et il se serait exposé à son poursuivant animal. Maintenant qu’il avait revêtu une nouvelle apparence, il diminuait considérablement le risque d’être repéré par la bestiole. Un petit sourire mesquin accompagna son volte-face qui l’exposa quand même au regard de la Brochette. Il lui rendit, affichant un air incompréhensif. Jusqu’à ce qu’il réalise que ça devait représenter un drôle de spectacle pour quelqu’un de non averti.

- Oh oui pardon pour ça. T’inquiètes pas je suis pas un raton-garou je vais pas te voler tes brochettes sous peine de morsure. « Quoique » songea mentalement le polymorphe.

Il se serait presque fendu d’un éclat de rire pour détendre l’atmosphère. La soudaine disparition de la pression de la proie lui mettait du baume au cœur. Il se félicitait de sa présence d’esprit qui venait de lui éviter un affrontement inutile. Surtout qu’il ignorait tout de l’attaquant. Il était possiblement plus puissant que lui et il ne tenait pas à se faire botter le train par un cousin ultra éloigné. Il en avait entendu suffisamment là-bas. Rabaissé par l’immense raton et dénigré par celui qui maintenant était à ses trousses.

La tension relâchée de ses épaules aurait pu être un poids libérateur. Il aurait même été d’humeur assez généreuse pour proposer un verre. Seulement le fardeau revint plus vite qu’il ne l’aurait imaginé. Il prit la forme d’un raton-laveur très épais, au poil hirsute et malodorant. Il l’avait bien retrouvé et il ne s’était pas fait avoir par son stratagème. Ce fumier s’était glissé derrière, en hauteur, pour lui sauter dessus. Zoku se retrouvait donc assailli par le mammifère masqué qui lui griffait le visage jusqu’au sang, cherchant à venger son gourou. Le Genin se débattit et tenta de se sortir de ce guêpier. Il en vint à être suffisamment désespéré pour alterquer la Brochette :

- Aide moi à me débarrasser de cette vermine ! Il est enragé c’t’animal !

L’échauffourée qui avait lieu était aussi ridicule que violent. L’agilité de la bête était d’autant plus meurtrière que sa hargne l’emportait à enchaîner coup de griffe sur coup de griffe. Zoku se débattait du mieux qu’il pouvait, cherchant à agripper l’animal pour s’en débarrasser définitivement. Il en vint à rêver d’une scène où il le choperait à deux mains, le relâcherait devant lui afin de le mettre à portée de pied pour frapper suffisamment fort qu’il terminerait sur le Continent sans jamais toucher la terre ferme jusqu’à destination. Un projet laissé à l’état de songe alors que l’animal restait aussi enragé. Il y tenait à son papier.

Fort heureusement pour le Genin, son interlocuteur, monsieur Brochette, se décida à réagir. Sur le coup, il ne comprit pas comment mais la furie qui se baladait sur lui à la recherche de violence et du papier volé s’envola et Zoku ne ressentit plus son poids sur lui. Il put quitter sa posture repliée sur lui-même pour redresser le torse et observer son sauveur. Une forme de bras s’était dessinée depuis son ventre pour se terminer par une large main où était prisonnier le raton-laveur. Là où c’était particulier, hormis le fait qu’un bras sortait du ventre de son interlocuteur était la constitution de ce dernier. Le tout était fait d’eau. Une intrigante technique que le polymorphe n’avait jamais rencontré nulle part.

Profitant de sa liberté, il regarda avec défi la prise de monsieur Brochette, soudainement plus calme mais hébétée. Celui qui était shinobi à n’en plus douter demanda des explications. Aussi bien sur le pourquoi que le comment, sans oublier une dose de qui. Ceci dit, on ne pouvait pas lui en vouloir de s’interroger vu l’incongruité de la situation. Le Yasei s’apprêtait à répondre mais un échange de regard avec le Kuchiyose lui fit ravaler ses propos pour l’instant, craignant la suite.

- T’es vraiment un abruti toi. Je lui avais dit que t’était bon à rien. Même ça, t’as pas réussi à nous le voler.

Le « ça » avait été ponctué d’un mouvement de sa patte valide, n’étant pas pris dans l’étreinte de la main aqueuse. Dans sa paume, la page du recueil que Zoku avait arrachée lors de sa visite express dans la bibliothèque des ratons. Le vaurien s’était servi au passage pendant leur rixe. Il affichait un air ravi, où le sarcasme n’était pas feint. Lorsque le polymorphe voulut lui sauter dessus pour récupérer l’objet de son larcin, l’animal disparut. Il s’en était retourné dans son monde. A la place, Zoku se retrouva trempé en s’étant jeté vers la main de monsieur Brochette. Il pesta contre lui-même et son attaquant. Il secoua un peu son béret pour en chasser l’humidité avant de le reposer sur son crâne. Puis il fixa le shinobi qui lui était venu en aide.

- Désolé pour ça, et merci. Je m’appelle Zoku. Et ce sale rat me cherchait pour récupérer ce vieux bout de papier inutile. Bien joué pour ton truc là ! dit-il en désignant son ventre d’où la main avait surgit. C’est super pratique ce truc. Tu fais ça comment ?