C’était un jour spécial qui venait de commencer. Imekanu s’était levée aux aurores afin de se préparer pour se lancer dans une grande concrétisation. En plus de s’initier à la finition d’une tradition Urumie très importante pour les femmes, le tatouage labiale qui était signe de maturité, cette journée était aussi le signe de sa naissance et de la disparition de sa mère. L’archère avait refusé à l’époque qu’on lui fasse ce tatouage parce qu’elle voulait attendre et parce qu’elle souhaitait être prête pour cela. Le jour de ses dix-sept années était celui qu’elle attendait et il était temps. Toute la journée de la veille, la jeune femme s’était renfermée dans une bulle de rituel et de prières pour que les kamuys acceptent son acte tardif. Il lui fallut aussi trouver du charbon et un miroir ainsi que des aiguilles, la lame de son couteau de chasse était bien trop large pour faire cela bien. Il ne fallait pas le cacher, ce rite de passage était barbare vu de l’extérieur et Imekanu savait qu’elle allait souffrir. Intérieurement, elle regrettait presque de ne pas l’avoir fait à l’époque, parce qu’au moins, elle n’aurait pas été seule pour le faire et pour traverser cette épreuve qui allait changer beaucoup de choses.
Une boule de stress s’était logée depuis son réveil dans son estomac. Elle avait vu faire, un nombre incalculable de fois ce geste et pourtant, elle craignait la souffrance qui surviendrait juste après. La brune s’installa face à un arbre où était accroché le petit miroir où la genin pouvait y voir son reflet. À ses côtés, une planche en bois où était posé un bol avec le charbon écrasé avec de l’eau pour y former une poudre pâteuse. À l’aide d’une ficelle et d’un bout de bois, elle y accrocha une aiguille et le fit sur deux autres au cas où. Le but était d’inciser le dessus de ses lèvres en longueur, jusqu’à dépasser sur chaque côté, comme pour faire une barbe comme celle des guerriers Urumis. Ensuite, il fallait implanter le charbon qui était très bon comme outil de pigmentation. L’Urumi avait un tissu avec elle et un bol d’eau pour essuyer le sang s’il y en avait trop. Tout semblait prêt. Il fallait simplement que l’archère se prépare psychologiquement à ce qu’il allait se dérouler. Pour toutes les femmes et les enfants qui avaient vécu le rituel, pour sa mère qui l’avait mise au monde dix-sept années plus tôt, celle qu’elle n’avait jamais connue, Imekanu devait le faire. La traqueuse ferma les yeux et inspira puis expira longuement.
« Ku=Etokush »
La native du Mata Kotan retira sa veste de fourrure pour être plus à l’aise, laissant aux yeux de la nature ses deux bras tatoués dont l’un était marqué par une brûlure indélébile. Elle se pencha vers le miroir et attrapa le bâton dont le bout était l’aiguille. Prête, la jeune femme le rapprocha de l’extrémité droite de sa lèvre supérieure et incisa une première fois sur quelques millimètres. Un picotement se fit ressentir, mais c’était supportable pour le moment. Elle attrapa ensuite la pointe d’une flèche et le trempa dans le charbon avant de venir intégrer le mélange sur la plaie. Le tout commençait à se faire sentir, brûlant l’Urumie désagréablement. Il fallait qu’elle le fasse et qu’elle continue ainsi. Cela semblait bien se dérouler, et l’azurite s’apprêtait à continuer, mais un bruit venant de derrière elle la stoppa dans son action, le forçant à se retourner. Une présence s’était incrustée dans son rituel et allait peut-être la sortir de sa solitude et de sa souffrance. Et lorsqu’elle reconnut la silhouette qui lui rendait visite, elle ne put dissimuler sa surprise, tandis que ses joues rosirent, embarrassée de se retrouver dans cette situation où elle se sentait si faible, mais à la fois si courageuse.
La nature murmurait au creux de l'oreille de l'enfant de l'Île à la Grue. Son expérience actuelle le conduisait sur des terres oniriques, à la jonction avec le domaine des Kamuys. Alors qu'il ouvrit doucement les yeux, l'or de ses pupilles luisait avec la ferme intention de rendre aujourd'hui hommage aux esprits de la nature. Plus qu'un devoir, c'était un exercice de foi qui apaisait sa conscience en temps difficile. Le projet de visiter en toute clandestinité l'île de Wasure s'enterrait petit à petit avec le temps, au plus grand dam de Shitekka. Le temps manquait, et les solutions à disposition s’amenuisaient. Le coup le plus dur en date était bien entendu l'éviction de Sabaru, le maître des chaînes, en tant que membre de cette expédition illégale. Les autorités semblaient jeter un œil bien trop méfiant à son égard, empêchant toute réunion avec ce dernier.
Shitekka espérait alors solliciter les esprits pour réclamer leur aide dans cette épreuve compliquée. Le balafré l'avait déjà fait à des moments cruciaux de son existence. Lorsque Kewashiioke s'en prenait à la Brume, il demanda la force des kamuys pour vaincre cet ennemi. Lorsque le Démon de l'Eau menaça de ravager la nation entière de l'Eau, il s'en était également remis aux déités naturelles pour survivre.
Le chemin vers l'autel Urumi constituait déjà un hommage en soi pour les kamuys. Là-bas, dans le monastère, le sentier qui se dessinait entre les arbres offrait un paysage apaisant. Cette forêt n'était pas qu'un simple espace vert répondant à un sens esthétique zen. La faible lumière filtrant à travers la brume, puis la futaie, offrait un spectacle mystique. Les rais de lumière pénétraient entre chaque arbre avec force. Cette allée sylvestre, c'était la maison des kamuys. Et sous cette toiture de feuillage, ils murmuraient parfois aux passants dans une langue ancienne éthérée.
La vue des quelques idoles de bois rassura immédiatement le Kaguya. Il parcourait lentement les détails de chaque statuette, et les prières venaient seules. Cet endroit constituait son havre de paix, son bout de Saroruncasi. Il ne ressentait jamais autant le ramat qu'en ces lieux. Mais une odeur de combustion, suivi de quelques gémissements de douleur, tirèrent l'aborigène de son rituel animiste. La nuisance provenait de la cabane d'Imekanu. Shitekka se dirigea immédiatement vers cette dernière. Face à l'urgence, il se fichait bien de savoir s'il devait agir en tant que sensei, Urumi, ou simple être humain.
Sa main l'aida à prendre appui pour plonger sa tête dans la petite maison. Mais le spectacle auquel il assista dépassait de loin ses prédictions. Imekanu se tenait devant lui, en train de se cisailler le dessus de la lèvre pour se tatouer au charbon. Pour un Yuukanjin, la scène paraîtrait probablement étrange. Mais le rituel que pratiquait l'Urumie venait de surprendre son instructeur.
« Imekanu… ? Para… shinuye ? »
Il réalisa alors la nature des cris. Il ne s'agissait pas d'une simple mutilation labiale, mais bien d'une cérémonie de passation. Les femmes de Saroruncasi accordaient beaucoup d'importance aux tatouages : certains protégeaient des maladies. Le tatouage que tentait de reproduire Imekanu avait pour fonction d'indiquer son âge. Cette information surprit Shitekka, qui profita de l'occasion pour faire la lumière sur un détail qui, au vu de cette scène, lui avait échappé.
« Euh… j'y ai jamais pensé mais… tu as quel âge ? »
L'absence de tatouage pour Shitekka lui suffisait initialement pour répondre à cette question. Il n'avait jamais considéré Imekanu comme une femme, mais comme une fille. À cet égard, ses sentiments envers elle revêtaient la même nature que ceux d'un grand frère envers sa sœur. Il n'avait jamais imaginé un instant que la petite chasseresse s'avérait être une femme. Cette découverte le couvrit de honte, et son visage rougissait maintenant de gêne.
« Hum… tu veux peut-être… un coup de main ? »
Toujours aussi embarrassé, il s'approcha d'Imekanu. D'ordinaire, il n'aurait pas eu à se soucier de cette cérémonie : sa famille aurait facilement pris en charge la tâche de cisailler le pourtour des lèvres afin de déposer petit à petit le charbon. Mais dans ce village dépourvu d'Urumi, il fallait se serrer les coudes.
Devant sa silhouette qui la surplombait, Imekanu posa son regard cristallin et surprit sur Shitekka qui venait de passer le pas de sa petite et chaleureuse cabane, aiguille à la main. Pourquoi à chaque fois qu’elle souhaitait avoir quelqu’un à ses côtés lorsqu’elle passait une difficile épreuve, le Kaguya montrait le bout de son nez ? Était-ce un signe des déités vers lesquelles l’Urumie s’était confiée et qu’elle devait comprendre cela comme un message ? Mais lequel ? La jeune femme ne put s’empêcher de teinter son visage d’un rouge doux et délicat, mais lorsqu’il lui demanda son âge, l’archère en perdit son bâton rafistolé, complètement prise au dépourvu. Il était vrai qu’ils n’avaient jamais parlé de tout cela…
Les deux Urumis s’étaient contentés de l’instant présent à chaque fois, sans penser à toutes ces choses qui les surpassaient sûrement trop. La traqueuse ne s’était jamais prononcée sur sa vie et sa destinée en tant que femme, elle se sentait trop honteuse pour lui dire à la première rencontre qu’elle avait fui sur le moment le rituel de maturité alors que toutes les autres jeunes filles y étaient passées. Comment la voyait-il ? Il semblait aussi surpris et embarrassé que la native du Mata Kotan, mais son visage doux et sa peau parfaite ainsi que sa petite taille laissaient peut-être penser qu’elle n’était qu’une enfant, et pourtant, son corps se développait au fil du temps… Les petits picotements au-dessus de sa lèvre éveillèrent la brune tandis qu’elle portait ses pupilles saphir sur les perles d’or du jeune homme qui chamboulait la jeune femme rien que par sa présence.
« Je... Bienvenue chez moi... J’ai dix-sept ans… Depuis aujourd’hui, Shitekka… »
Avoua-t-elle en baissant son regard, honteuse. Qu’allait-il penser d’elle ? Allait-il la prendre pour une rebelle qui ne respectait pas les codes des Urumis, n’en faisant qu’à sa tête ou comprendrait-il ? Ses mains enserraient légèrement le bâton-aiguille qui allait l’aider à terminer son tatouage. Soudain, sa voix résonna dans le creux de sa tête aux mille interrogations, tandis qu’il lui proposa son aide. Elle releva la tête vers lui plus que surprise avant de retrouver ses pupilles étincelantes, comme si son rêve devenait réalité : ne pas passer cette épreuve seule dans la souffrance, les kamuys avaient vraiment écouté ses prières. Imekanu laissa alors Shitekka s’installer et ne put s’empêcher de s’empourprer de nouveau : c’était la première fois qu’elle laissait quelqu’un s’installer dans son habitat qui n’était pas très grand mais suffisant pour y être à deux. Avant de continuer quoi que ce soit, la genin ancra ses saphirs dans ses ambres avant de se lancer dans une explication, comme pour s’excuser de sa lâcheté ou autre chose, comme si elle ne souhaitait pas décevoir le Kaguya.
« J’aurais dû passer ce rituel comme nous autre à mes quinze années, mais je n’étais pas prête alors je me suis refusée à le faire… Je suis désolée Shitekka, je ne fais rien comme les autres… Je m’étais décidée à enfin passer cette épreuve en ce jour, pour honorer ma mère qui m’a donné naissance avant de rendre son dernier souffle et pour toutes celles qui ont eu le courage de passer le rituel de maturité… Ça fait vraiment mal… Mais je suis prête aujourd’hui… Merci de m’aider… »
C’était maintenant qu’il fallait reprendre du poil de la bête et montrer sa fierté de passer ce cap et de devenir officiellement une fière femme Urumie et une belle guerrière. La traqueuse lui tendit sa flèche et posa le bol à côté de lui ainsi que le tissu et le récipient d’eau propre.
« J’ai cherché à faire avec ce que j’ai trouvé… Quand je ferai les incisions au nombre de trois, tu pourras utiliser la pointe et le charbon et venir l’intégrer en tapotant. Ne t'inquiète pas pour moi, je serai forte. N’hésite pas à nettoyer s’il y a trop de sang, je te fais confiance Shitekka. »
Même si elle se sentait toujours embarrassée et honteuse, il fallait qu’elle termine ce rituel. Une fois que le beau brun fut prêt, la jeune femme se posta devant son miroir et incisa alors avec précision sur la suite des lèvres, laissant le souhait au Kaguya de venir faire la part de son travail. Imekanu ne pouvait contrôler les grimaces liées à la douleur et faisait de son mieux pour ne pas trop se plaindre, c’était vraiment quelque chose, ce rituel. Lorsque le dessus de sa lèvre supérieure fut terminé, elle passa de manière fine et raffinée et pas aussi grossièrement que les autres femmes, sur les extrémités. C’était long et l’archère changea même d’aiguille pour continuer, tandis que le tissu se colorait petit à petit de son sang et du charbon, mais cela semblait bien se passer. Lorsque les deux extrémités furent terminées, l’Urumie passa légèrement à la lèvre inférieure, piquant au ras de celle-ci pour que cela se fasse plus discret mais qu’on voit tout de même la réalisation de l’enfant du Mata Kotan. Sa mère serait fière de son courage, elle l’espérait en tout cas. La Genin laissa Shitekka parfaire le travail en colorant là où cela pouvait manquer et tout le contour de sa bouche la brûlait. Il se servit du tissu humidifié pour tamponner les petites saignements et cela faisait du bien sur le moment.
Lorsqu’elle pensait cela terminé, la jeune femme souhaita prendra la parole, mais c’était bien trop douloureux sur le moment. Elle avait réussi, elle l’avait fait non ? Imekanu ne savait pas combien de temps était passé et la présence de Shitekka était vraiment une source de force parce qu’elle ne savait pas si elle aurait réussi à tenir le coup. Sa main posa devant sa bouche tandis qu’elle se retenait de fondre en larmes devant le Kaguya, il fallait qu’elle soit forte et qu’elle tienne le coup, la douleur ne serait qu’un mauvais souvenir… Devant son petit miroir, on voyait des petites rougeurs autour du charbon, cela faisait vraiment bizarre, elle se sentait vraiment différente et pas seulement physiquement, comme si les déités lui souhaitaient la bienvenue dans le monde des femmes.
Son attention se porta alors sur le jeune homme face à elle tandis qu’elle détournait son regard, les joues rosées d’embarras. Elle tenta de parler doucement, de peur de se faire trop mal…
« Merci… C’est comment ?... Je ne pensais pas y arriver, je l’ai fait… »
Imekanu avait le don de déstabiliser complètement Shitekka. D'ordinaire calme, peu expressif, distant avec les autres, il changeait du tout au tout en présence la chasseresse. Loin du balafré qui avait appris à dissimuler ses émotions au mahjong comme en mission, le Kaguya devenait plus chaleureux. Il s'ouvrait à la kunoichi. Il l'encourageait. La complimentait. Il l'appréciait vraiment. Qui parmi les habitants de Kiri pouvaient affirmer être aussi proche de ce Héros de Mizu qu'Imekanu ? Plus particulièrement depuis qu'ils étaient sensei et élève, les deux Urumis se croisaient fréquemment. Shitekka appréciait inconsciemment sa nouvelle fonction, tout en observant les progrès croissants de sa première véritable disciple.
Réaliser qu'Imekanu était une femme, contrairement à ce que son absence de tatouage indiquait fut un choc pour lui. Il ne savait pas si le manque de respect à son égard, ou au contraire le rapide rapprochement avec celle qu'il voyait comme une petite sœur l'affectait le plus. La confusion de Shitekka témoignait en tout cas d'une déstabilisation visible, contrastant avec son attitude habituelle. Il put ainsi découvrir que la kunoichi du Mata Kotan avait dix sept ans. À son âge, les femmes arboraient déjà leur tatouage labial, bien que discret. Agenouillé à proximité d'Imekanu, l'aborigène écouta sa compatriote lui expliquer les circonstances de ce pourtour des lèvres naturel.
La gêne s'effaça du visage du Chûnin au profit de la tristesse. L'histoire de sa camarade, particulièrement poignante, le plongea dans un profond mutisme. Il s'empêcha de blâmer Imekanu pour ne pas avoir respecté les traditions de son peuple. Face à de telles conditions, difficile de se motiver à passer à l'acte. Lui-même se sentait concerné par les propos d'Imekanu. Avec son emploi du temps de ninja, il lui était impossible de se consacrer aux kamuys comme il le souhaitait. Et que dire de son héritage maternel ? Aux yeux de sa seconde famille, n'était-il pas une sorte d'hérétique, bafouant les valeurs ancestrales de ce clan guerrier par son simple statut ?
Ses réflexions, et sa peine l'empêchèrent de répondre dans un premier temps. Il préféra s'exécuter, et saisir le matériel requis pour la cérémonie du tatouage. La confusion, bien que différente de tout à l'heure, restait présente. L'annonce d'Imekanu était un coup de massue pour le jeune homme, qui peinait à réagir.
« D-d'accord… je… je vais de mon mieux. »
Comment ne pas penser au sort de sa mère en cet instant ? Imekanu avait perdu sa mère, et Shitekka n'en était pas loin. La douleur le prenait aux tripes, et déchirait son cœur. Il n'oubliait pas aussi la souffrance que ce rituel infligeait à la jeune kunoichi. Alors, déterminé à rendre service à celle envers qui il se sentait le plus proche dans ce village, il plongea son regard dans le sien. Le reflet de ses ambres dans l'oeillade azure d'Imekanu l'apaisa profondément. Pareil à l'éclat solaire miroitant dans le vaste océan, Shitekka prit une grande inspiration et se mit au travail.
Malgré son éducation urumie, le Kaguya n'avait jamais participé activement au tatouage d'une consœur. Sous les conseils d'Imekanu, il se laissa guider. D'abord la lèvre supérieure, puis l'inférieure, le tandem brava la douleur et la résistance de la chair. Au gré des incisions, le visage d'Imekanu s'illumina bientôt une auréole de charbon cérulescente. Un timide sourire du Dragon Blanc accueillit ce tatouage qui entourait discrètement la bouche de la kunoichi. Autour de lui, la serviette et le bol étaient teintés d'écarlate. Et ses mains, couvertes de charbon, donnaient un cachet particulier à cette scène que d'autres auraient jugés primitive.
Le travail achevé, il restait à admirer le résultat. Le simple fait de prendre la parole, voire de sourire, devait faire un mal fou à la jeune femme. L'obscurité de la cabane invita Shitekka à se rapprocher de sa camarade. Sa tête était à quelques centimètres du sien. Le Kaguya ressentait maintenant quelque chose de différent se dégageant d'Imekanu.
« On a fait du bon travail… je crois ? Pour un premier essai, c'est plutôt concluant je dirais. On s'améliorera pour les prochaines fois. »
La proximité lui permit d'observer plus attentivement le charbon incrusté dans les plaies ainsi que les rougeurs qui en résultaient. Il réalisa finalement la maigre distance que les séparait, et recula brusquement. Sa tête manqua de percuter le mur.
« Euh… alors, ça fait quoi d'être une… femme, maintenant ? »
Imekanu comprenait très bien que cette révélation ne laissait pas Shitekka indifférent et que c’était chamboulant. L’archère en était elle-même embarrassée par cette nouvelle et avait ce besoin de lui expliquer : elle ne supporterait pas de voir le Kaguya déçu ou la considérer différemment. La jeune femme s’ouvra à lui sur ses craintes, sur sa peur et sa lâcheté, elle n’avait jamais parlé de tout cela à quelqu’un et en Shitekka, elle se sentait en confiance et capable de s’ouvrir sans gêne. Même s’il lui en voulait, elle aurait le soulagement de s’être exprimée, et même si c’était trop tard, son rituel allait enfin être réalisé. Un air bien maussade se dessina sur le faciès cicatrisé du Chunin écoutant son histoire. Elle ne savait pas quoi dire sur le moment, elle aurait souhaité lui prendre sa main, mais elle craignait qu’il ne la repousse plus. Alors elle le laissa assimiler, respectant ses pensées internes. Même lorsqu’il lui avait proposé de l’aider et qu’elle avait accepté avec un sourire aux lèvres, celui-ci semblait encore ailleurs et bien trop surpris pour dire quoi qu ce soit, jusqu’à enfin sortir ces quelques mots, signe qu’il était encore conscient de tout ce qu’il se déroulait entre eux.
Imekanu ne chercha pas à en savoir plus sur ce qu’il pensait, s’il souhaitait s’ouvrir à elle, elle savait qu’il le ferait. Il savait que la traqueuse sera là pour lui, parce qu’elle ne le jugera jamais. Celui-ci semblait reprendre contenance, plongeant ses pupilles dorées dans celles aquatiques de l’Urumie, ce qui faisait chanceler son cœur une fois de plus, lui offrant plénitude et un quelque chose qu’elle ne saurait décrire.
Les deux natifs de Saroruncasi se mirent ensemble alors au travail et la genin salua mentalement son partenaire de tatouage au charbon qui s’attelait à la tâche de manière très sérieuse et pointue. Les incisions dansèrent, le charbon vint s’ajouter au pas rythmique du rituel de maturité qui battait plein fouet. Petit à petit, les arts Urumis se présentaient autour des fines lèvres rosées d’Imekanu, qui se retrouvait à ressembler aux femmes du Mata Kotan. La douleur était présence, les yeux s’humidifiaient sans arrêt de larmes de souffrance, mais elle se contenait à ne pas craquer : elle devait être forte pour ce jour qui était important. Il réalisait son travail de « secrétaire » avec soin, traitant ses saignements et terminant de peaufiner le tatouage à l’aide du charbon retravaillé.
Une fois terminé, l’archère inspira profondément, sans quitter le regard du Kaguya, l’observant sourire tout en contemplant le travail. Lorsqu’elle tourna son faciès vers le miroir, elle constata que la réalisation première pour les deux urumis étaient plutôt un succès, même si c’était rouge et douloureux. Il était difficile de faire bouger ses lèvres sans avoir mal, mais elle trouva la force de sourire et de lui répondre, parce qu’elle avait besoin de lui parler pour le remercier avant tout et lui demander son avis.
Pour mieux observer le résultat, Shitekka se rapprocha considérablement de la brune, qui n’osait pas bouger. Elle sentait le souffle de sa respiration sur son visage, ce qui faisait drastiquement augmenter les battements de son cœur. Si elle n’était pas habituée à ce genre de proximité, le fait qu’il s’agisse du balafré rendait la chose encore plus intense et désarçonnante. Ses pupilles se perdaient dans ses iris intenses qui brillaient même dans la lumière tamisée de sa cabane. Elle les aimait ses yeux, vraiment, il la faisait voyager à travers le soleil d’été, réchauffant son cœur. Du bon travail, oui, il avait tout à fait raison. Puis il recula, enlevant la proximité entre les deux, faisant sursauter Imekanu lorsqu’il manqua de se cogner, elle osa de tendre une main pour ne pas qu’il se fasse mal, ne sachant pas quoi dire, son visage complètement rouge d’embarras face à ce qu’il venait de se passer, qui semblait pourtant innocent. Etre une femme ? Qu’est-ce ça faisait ? C’était différent, dans son cœur, dans son esprit, il y avait quelque chose de nouveau, elle se sentait vraiment différente, comme si les déités lui avaient ouvert une partie de son cœur qu’elle ne connaissait pas. C’était nouveau, mais déstabilisant, car présent. Imekanu observa le manipulateur des os et lui sourit doucement.
« Je me sens différente, j’ai l’impression que les déités ont accepté mon ascension… Je… je suis une femme… Mais surtout, ça fait mal d’être une femme ! »
Elle rit doucement, mais grimaça la seconde d’après, posant un doigt devant ses lèvres. Une petite idée lui vint en tête. La jeune femme attrapa le matériel et le rangea sur le côté avant de constater que les mains de l’Urumi étaient noires de charbon. Avant de chercher ce qu’elle avait en tête, le kunoichi attrapa une des mains de Shitekka doucement et timidement et avec un tissu à sa portée, frotta doucement avec pour lui enlever le plus de taches sombres possibles.
« Tu… en as plein les mains… »
Elle ne le laissa pas l’en empêcher et attrapa son autre dextre avec autant de délicatesse, rougissant de plus belle au contact de leur doigt puis s’attela à enlever le plus de charbon possible. Une fois satisfaite, la genin attrapa son panier et fouilla dedans, cherchant le pot qui l’intéressait. Une fois entre ses mains, un petit sourire se dessina sur son minois avant d’ouvrir le couvercle et de montrer une sorte de mélange pâteux aux couleurs translucides et jaunes comme le soleil et le miel. De son doigt, elle en attrapa un peu et le passa délicatement sur le contour de ses lèvres, grimaçant toujours de douleur au contact de celles-ci. Rapidement, l’onguent semblait faire effet, rendant la souffrance bien plus supportable. Imekanu sourit à Shitekka et prit la parole pour les expliquer.
« Un peu de pâquerette infusée, du miel d’abeilles ainsi que de la graisse de porc, de la menthe infusée et voici un petit remède pour calmer l’inflammation et la douleur. Cela va encourager à cicatriser les incisions, mais cela me fait déjà beaucoup de bien, et ce n’est pas mauvais. »
En effet, que des choses bonnes qui donnaient envie de goûter ses lèvres, mais elle devait se retenir pour laisser la pommade faire effet. Elle referma le pot et le rangea dans sa besace d’alchimiste avant de poser son doux regard sur le jeune homme, qui de par sa présence, la poussait à se montrer affective comme elle n’en avait pas l’habitude. Pour mieux voir son visage, celle-ci s’approcha un peu, sans vouloir le gêner non plus, ses pupilles céruléennes lisaient les lignes de cicatrice sur sa peau.
« Ta présence est aussi réconfortante de ce onguent, merci Shitekka pour tout ce que tu as fait pour moi, je m’en sentirais presque gênée de ne pas te rendre autant que ce que tu m’offres en retour... Je... je ne sais pas comment l'expliquer, c'est nouveau tout cela, mais je suis... heureuse quand tu es là, voilà, merci. »
Imekanu recula un peu et s'amusa avec l'une de ses fourrures entre ses doigts, rougissant de plus belle et n'osant pas le regarder dans les yeux.
L'espace réduit de la cabane offrait une proximité supplémentaire que n'avait pas envisagé Shitekka. Face à cette nouvelle femme, le Kaguya avait perdu tous ses moyens. La pigmentation qui ornait dorénavant le sourire de la kunoichi le prouvait totalement. Impossible pour le Kirijin de nier la maturité de cette Urumie qui avait eu le courage de commencer cette cérémonie avec pour seuls témoins les kamuys. Encore bouleversé par cette surprise, le balafré se raccrocha à la vue de ce tatouage naissant. Pour le coup, le Kaguya avait presque demandé la sensation de ce rite de passage sans réel objectif; il ne savait pas quoi dire d'autre. Il avait besoin de le dire, afin que ses propres mots lui fassent prendre conscience de la situation. Il resta sidéré, sans réellement considérer la réponse de sa camarade.
Il fallut attendre l'attention d'Imekanu pour que Shitekka sorte de ses pensées. Face à l'état de ses mains couvertes de suie, la nouvelle femme prit l'initiative de les nettoyer. Comme toujours, Imekanu avait le don de surprendre le Kaguya. Sa réaction fut tardive; il préféra alors se laisser faire, toujours aussi gêné. La chasseresse fouilla par la suite dans ses affaires pour s'enduire le pourtour des lèvres d'une préparation maison. Certainement un héritage de son père shaman, supposa Shitekka. La crème, selon les dires de l'Urumie, avait des vertus cicatrisantes et apaisantes. Tandis qu'il passa instinctivement ses doigts le long de ses propres stigmates, le Kirijin fut témoin d'une déclaration sincère de sa camarade.
Fidèle à elle-même, la demoiselle éprouvait une affection et une grande estime de son ami Urumi. Si d'autres sentiments se cachaient certainement dans cette déclaration touchante, Shitekka lui ressentait également cet attachement mutuel. Le bonheur procuré par leur rencontre, ainsi que leurs multiples retrouvailles, poussèrent le jeune homme à répondre à son amie.
« Tu n'as pas à me remercier Imekanu. Je ne sais pas si je te l'ai déjà dit mais… ta présence me réconforte aussi. Quand tu es là, je me sens comme dans mon kotan. Je me sens bien. Souvent, quand je passe à Saroruncasi, je suis triste. Mais avec toi… c'est différent. C'est chaleureux. »
Il jeta un œil dehors, et apprécia un moment de silence pour se reprendre.
« Et puis… grâce à toi, j’apprends à devenir un bon sensei… je crois ? La tâche ne m'emballait pas à la base. Mais rendre service à une Urumie, l'aider à s'intégrer au village et à devenir plus forte… ouais, ça me motive à persévérer. Pour tout ça, merci, Imekanu. »
La confiance qui envahit progressivement Shitekka le rendit plus serein. Plus de confusion. Un simple sourire se substitua aux rougeurs sur ses joues. Un dernier regard aux affaires d'Imekanu poussa le Kaguya à poursuivre la discussion sur un autre sujet.
« Maintenant que j'y pense… Imekanu. Tu crois que cet onguent marcherait sur mes cicatrices ? »
L'enfant de Saroruncasi n'osait pas en parler, mais il avait ses propres raisons pour chercher à faire disparaître ses stigmates. Plus qu'une réelle gêne physique et esthétique, Shitekka avait réalisé en tant que ninja que ces plaies le rendaient très facile à identifier. S'il souhaitait se faire plus discret, que ce soit officiellement comme pour son enquête sur les Kaguya, il avait besoin de mieux se morfondre dans la masse. Et ainsi abandonner ces marques qui le rendaient si unique.
Ce moment était unique, déconcertant, mais offrait quelque chose qui rassurait Imekanu. En effet, dans son cabanon, auprès de celui qu’elle appréciait beaucoup et qui était lié à elle à travers de nombreux Urumis, elle se sentait chez elle. Les rougissements animaient le moment de quelque chose de plus profond, et se sentir comme au Mata kotan, avec les siens, c’était un don inestimable et si précieux. Cela n’était pas surprenant pour l’archère de se sentir bien avec lui et d’en être tout simplement heureuse. Plus il était là, mieux elle se portait et elle savait qu’elle pouvait tout partager avec le Kaguya. Pour alléger les douleurs qui l’empêchaient de parler et de sourire à son bon vouloir, la chasseresse sortit un baume fait par ses soins et en déposa sur le tour de ses lèvres. Cela lui faisait du bien et elle espérait que les multiples incisions cicatriseraient vite. Les gestes du balafré sur ses propres traits ancrés lui faisaient se demander s’il n’était pas intéressé lui aussi par ses onguents. Mais avant qu’il ne tente quoi que ce soit, la femme nouvellement initiée se permit d’ouvrir son cœur auprès de Shitekka. Elle se laissa dicter par ses pensées les plus sincères et humbles, ne souhaitant pas le mettre mal à l’aise non plus, mais optant pour ne pas lui cacher quoi que ce soit. Non les mensonges et les masques, Imekanu ne les aimait pas.
La réponse du sang-mêlé ne se fit pas attendre au plus grand étonnement de la jolie brune qui écarquilla ses yeux. C’était tout ce qu’elle voulait entendre, que sa présence lui soit comme un chaleureux foyer du Kotan, qu’elle lui soit bénéfique. Imekanu était touchée, en plein cœur, et ses déclarations ne la rendaient étrangement pas indifférente. Tellement que ses joues s’empourpraient aussitôt.
« Je… Merci… Je ne sais pas si c’est ce qu’on doit dire dans ce genre de moment… J’espère que tu ne seras plus triste et je ferai tout pour que tu te sentes bien ici, je le promets devant les Kamuys. Shitekka ne se sentira plus seul ! Shitekka est un bon sensei, il m’a appris à ne plus avoir peur et me considère comme une genin de Kiri. Nous nous rendons service mutuellement. »
Un simple sourire plein de chaleur suffisait à terminer sa déclaration. Les effluves d’émotion toujours en ébullition autour d’eux furent accompagnés des interrogations du chunin qui était donc bien intéressé par ses concoctions. Le Kaguya voulait donc faire disparaître les balafres sur son visage, celles qui le rendaient si mystérieux et qui marquaient des épisodes marquants de sa vie. Si c'était ce qu’il souhaitait, l’archère allait l’aider comme elle le pouvait.
« Eh bien, je pense que c’est possible, mais cela va demander du temps et de la patience Shitekka. »
L’azurite récupéra son petit pot d’onguent cicatrisant et l’ouvrir et de se rapprocher du visage du jeune homme, non sans rougir par la proximité. Ses pupilles saphir observaient ses stigmates qui étaient encrées depuis plusieurs années. Elle réfléchit longuement, en restant dans cette position, oubliant le présent et replongeant dans ce qu’elle avait appris.
« Tu peux te mettre de cette pommade une fois par jour pendant une quinzaine de lunes, je dirais, mais cela ne suffira pas à faire disparaître. Si tu me trouves de la volaille, je pourrai te montrer comment cuisiner son foie, il faudra en manger au moins trois fois par semaine. Le poisson et les fruits comme les oranges ont des vitamines qui favorisent la cicatrisation. Et je peux te donner de quoi concocter une infusion à base de marguerites séchées qui favorisent le renouement des tissus des cicatrices pour se reformer comme avant. Je suis désolée, mais je n’ai pas de remède qui soigne très vite, mais si tu suis bien ce que je t’ai dit, tu verras le changement dans quelques semaines déjà. »
Tout ce qu’elle avait appris lui permettait d’être une encyclopédie vivante concernant la médecine naturelle. Imekanu remerciait Shiramba Kamuy et Hasinaw-uk-kamuy, pour leur permettre de se servir des végétations et des animaux à des fins guérisseurs.
« Si tu le souhaites, je peux commencer par te poser le baume sur tes cicatrices puis te faire une infusion ? Je crois que j’aimerais savoir comment tu as eu ces marques, avant qu’elles ne disparaissent, si tu veux bien me le dire. »
La dernière fois qu'elle le lui avait demandé, ils furent interrompus par le Kotan-kor-kamuy à travers le corps du manipulateur des os. C'était aussi un moyen de le connaître un peu plus.
Chacun partageait désormais ses cicatrices. Imekanu apaisait les braises encore incandescentes qui embrasaient le pourtour de ses lèvres. Shitekka, quant à lui, se remémorait en douleur des circonstances qui gravèrent ses stigmates dans la chair. Mais dans cet échange, il n'y avait pas de chagrin. Seulement un simple moment de vie commune entre deux Urumis qui partageaient leurs expériences. Et comment ne pas céder à la douceur d'Imekanu, qui s'adressait à son homologue avec une telle candeur que l'Homme au Chapeau même aurait du mal à y résister ? Malgré son air impassible, impossible également pour le Chūnin de ne pas succomber à son tour. Il laissa s'échapper un discret sourire, défaite à demi-avouée face au minois de sa camarade.
Bien qu'étant provisoirement coupé du monde, le tandem se concentra à présent sur la requête du Kaguya. Grâce à son savoir médicinal, la chasseresse songea à un traitement à apporter aux balafres de son invité. La guérisseuse échangea un nouveau regard avec son camarade, avant de dresser un bilan provisoire. Si sa Huci l'avait initié à la pharmacologie urumie, les explications d'Imekanu eurent le don de perdre Shitekka. Mais plutôt que de se laisser emporter par la minutie des descriptions d'Imekanu, il en admira plutôt la pertinence et l'aisance avec laquelle la kunoichi révélait ses connaissances. Loin d'être une simple sauvage dans sa hutte au milieu de la forêt, l'archère montrait là son plein potentiel. En plus de s'initier au chakra, de briser les codes en s'appropriant la maîtrise de l'arc, elle faisait à présent montre de son savoir médicinal.
« Tu m'as un peu perdu sur la fin, j'avoue mais… hum… va pour le baume ! Je te fais confiance, Imekanu. »
Il insista sur la dernière phrase, tant sur l'intonation que le regard sérieux qu'il dessina sur son visage. Une véritable relation de confiance se créait entre les deux enfants de Saroruncasi. Si Imekanu avait consentie à laisser Shitekka l'assister dans sa cérémonie de maturité, le jeune homme se prêta à son tour au jeu. Il se racla la gorge; prêt à recevoir le baume qui marquerait le début de la fin de ses stigmates. Au même moment, il se sentait d'humeur de livrer l'origine de ces marques.
« Comment dire… c'est des erreurs de jeunesse, disons, ouais, des erreurs de jeunesse. De l'imprudence. De la précipitation. Et un sale manque d'expérience, surtout… Pour faire simple, j'ai fait de mauvaises rencontres en partant à la chasse, quand j'apprenais le métier avec les adultes. »
Sa première fois lui vint en tête. Il n'oubliait pour autant toutes ces histoires qui s'accumulèrent au gré de son apprentissage et qui, aujourd'hui, faisait de sa peau le mémorial éclaté d'une multitude d'anecdotes.
« Je crois qu'à ce moment-là, j'essayais d'apprendre à maîtriser mon pouvoir, en plus de chasser. J'étais mal à l'aise à l'arc, alors j'ai préféré me concentrer sur mon pouvoir, histoire qu'il ne se retourne pas contre moi. Ça m'a coûté quelques traces, haha… »
Avec cette rétrospective, il passa de l'amertume à la satisfaction. Le jeu en valait la chandelle, se disait-il. Loin d'accepter encore son statut de Kaguya, il admettait volontiers que sa maîtrise du Shikotsumyaku lui permettait de rivaliser avec un membre de la horde d'ivoire. De quoi le mettre en bonne posture dans l'éventualité d'un nouvel Agni Kai. Plutôt que de s'attarder sur ces détails pénibles à ses yeux, il préféra retourner la question auprès de sa camarade.
« Et toi, dis-moi ? D'où te vient ta maîtrise de l'arc ? Des femmes qui chassent, c'est pas commun sur l'île. »
Pour juger si cette singularité était un bien ou un mal, Shitekka préféra s'abstenir. Perdu entre traditions et renouveau, il ne se sentait pas de mettre le curseur au bon endroit. Tout ce qui l'importait, c'était d'en apprendre davantage sur Imekanu, de mieux la connaître.
Ce fut un petit rire qui égailla le silence surplombant l’intérieur du cabanon d’Imekanu. Il était vrai que lorsqu’elle parlait de ses connaissances, une passion à n’en pas douter, elle pouvait se perdre dans ses explications. La jeune femme rougit légèrement et sourit gênée avant de passer une main derrière sa tête, pour se frotter les cheveux. Le fait qu’il lui fasse confiance la rassurait, la rendant d’autant plus fière de pouvoir compter sur ses compétences pour aider celui qu’elle affectionnait. D’ailleurs, la lueur sérieuse qui se reflétait dans ses ambres intenses la surprenait, on aurait dit que le Kaguya portait une très grande importance dans ses dernières paroles, ce qui la touchait encore plus. Cela l’encourageait alors à se dépasser pour aider l’enfant du Saroruncasi et d’élaborer des idées l’une après l’autre pour combler cette volonté de faire disparaître les cicatrices.
Ses doigts se posèrent alors sur les stigmates, étalant le baume, appuyant pour que ça s’imprègne au mieux. Son programme allait être long et déroutant, elle se demandait par ailleurs si elle ne pouvait pas faire quelque chose pour que ça agisse encore plus vite. Peut-être utiliser le ramat ? Est-ce que cela renforcerait l’effet ? Durant ses interrogations internes, le brun prit la parole, lui narrant ce qui était arrivé sur son visage. Des erreurs de jeunesse… L’insouciance, l’imprudence, elle connaissait bien et cachait même ses propres cicatrices de ses bêtises. Elle l’imaginait bien se faire gravement blesser et grimaçait rien qu’à imaginer la douleur qu’il avait pu ressentir. Une moue peinée, après avoir tartiné ses balafres de sa pommade, elle laissa ses pensées s’exprimer au travers d’une main posée sur sa joue, quelques instants, une lueur de compassion dérivant dans l’océan de ses pupilles. Elle l’écouta parler, réciter des brides de sa vie qui touchaient l’Urumie, appréciant en savoir plus sur lui. La brune hocha de la tête, et sourit timidement. C’était des erreurs qu’on se forgeait, qu’on apprenait et qu’on domptait ses faiblesses.
« Je vois, je comprends mieux. Tu as eu raison de te concentrer sur ton don, pour ce qui est des traces, je ferai en sorte qu’elles ne soient plus. »
Sa paume quitta son visage alors, tandis qu’elle cherchait un point d’ancrage à fixer, embarrassée. Le thé, oui le thé, il fallait faire l’infusion de marguerite, pour les cicatrices. Mais non, Shitekka n’en avait pas fini, il s’intéressa alors à la traqueuse. Elle ne put cacher sa surprise. Il était vrai qu’elle ne lui avait pas expliqué, qu’il devait être le premier étonné de la voir manier un arc, en tant que femme Urumie. Alors, prête à se lever, l’archère attrapa son arc dont les gravures du Mata Kotan lui rappelaient sa vie d’antan. Imekanu se réinstalla face au jeune homme et repensa à son enfance et sourit légèrement.
« C’était une évidence, je ne sais pas comment l’expliquer mais lorsque j’ai vu les adultes hommes prendre leur arc et partir à la chasse, j’ai voulu en faire de même. On m’a souvent dit que ce n’était pas pour moi et que j’allais me blesser et qu’il était mieux que je me concentre sur la supa. Mais non ! Je voulais utiliser l’arc et les flèches, je voulais chasser. Ils ont fini par céder face à mon entêtement, car j’ai pris des risques en tentant toute seule de chasser. La cicatrice dans mon dos s’en rappelle encore ! Je crois que je ne suis une femme pas commune Shitekka... »
Un petit air coupable, une moue vaincue sur le minois, elle n’était pas comme les autres, mais était fière de ce qu’elle représentait et c’était tout ce qui comptait. Elle espérait du fond du cœur qu’il ne serrait pas déçu comme certains habitants du Mata Kotan. Non pas lui, pas son rayon de soleil, celui qui lui rappelait son chez elle et qui apaisait son cœur.
« Le chakra me permet de voir plus loin encore avec mon arc, grâce à toi, je peux même utiliser le ramat du feu avec lui. Je me demandais si je ne pouvais pas faire de même pour tes cicatrices… Avec mes connaissances et le renforcement du ramat, ça marchera peut-être mieux non ? Attends, je reviens ! »
Termina-t-elle sur ses interrogations. Elle se leva et contourna sa maisonnette pour se rendre près du feu de camp qui vivait doucement. Les flammes ne dansaient pas, mais la braise continuait de faire doucement chauffer l’eau. Elle attrapa un bol en bois dont les gravures sur son contour rappelaient Saroruncasi et le trempa dans le grand récipient d’eau chaude avant de revenir dans la cabane avec celui-ci, faisant attention de ne pas en faire tomber à côté. Le déposant devant le Kaguya, elle chercha dans ses affaires un sachet particulier avant de se déplacer dans un coin de la pièce pour chercher sa petite création. En sortie une petite vasque en bois, fine et taillé avec précaution avec des trous dans le fond et des sortes de poignée sur le côté. Fière, elle s’installa aux côtés du jeune homme cette fois-ci, à genoux et ouvrit le sachet avant de verser dans la passoire de fortune les morceaux de fleurs séchées. Celui-ci fut alors posé dans le bol, mais pas complètement, afin que l’infusion se fasse en douceur. Ses mains se posèrent l’une contre l’autre, tandis qu’il ferma les yeux pour réciter une prière pour Shitekka et ses cicatrices.
« Voici l’infusion, tu as juste à attendre un petit peu et tu pourras enlever le support et boire le mélange. Ensuite, si tu le permets, j’aimerais utiliser mon ramat sur ton visage, avec le baume. Peut-être que l’association des deux fera accélérer le processus ? »
La jeune femme s’essaya alors, posa ses fesses sur ce qui était sa couchette et entoura ses genoux autour de ses bras, tandis que ses saphirs observaient le manipulateur des os avec douceur, attendant une réponse de sa part.
Au travers de cette rencontre surprenante, les deux Urumis apprenaient à se connaître comme aucun avant eux n'avait réussi à découvrir l'un des deux. Unis par le ramat, l'une découvrait son sensei au travers de l'histoire de ses cicatrices. Lui se familiarisait avec son élève au travers de son éducation à l'arc. Une éducation pour le moins forcée, accentuée par sa curiosité et sa ténacité. Peu concernée par les traditions mettant chaque sexe à leur place , les hommes à la chasse, les femmes à la maison, Imekanu avait su se créer une place parmi les chasseurs, repoussant toujours plus loin les traditions de Saroruncasi. Shitekka était difficilement en mesure de juger le comportement révolutionnaire de son interlocutrice. S'il s'appliquait à respecter autant que possible les fondements du code moral urumi, en revanche il niait totalement les valeurs de son clan maternel.
Pour autant, l'enfant de Saroruncasi avait grandi sans réel soutien maternel. Sa mère, une guerrière Kaguya, agissait en tant que protectrice de son kotan. Ce fut auprès de sa huci, sa grand-mère paternelle, que le balafré avait fait son éducation. Il avait appris en parallèle des activités au prime abord réservées aux femmes du kotan : la cuisine, la couture, quelques prières en lien avec les tâches ménagères. À sa manière, lui aussi repoussait la frontière entre les rôles des hommes et des femmes au sein du peuple Urumi.
Shitekka s'ouvrait inconsciemment au contact d'Imekanu. Il se laissait faire lorsque cette dernière palpa ses balafres, dans un premier temps pour en en saisir la gravité et l'étendue. Et bientôt pour enterrer progressivement ces mêmes plaies d'un onguent sonnant la fin du balafré qu'il était. Il était temps pour lui d'évoluer, de se fondre plus facilement dans la masse. Le Chūnin nourrissait en secret des ambitions particulières, et la "banalisation" de son faciès constituait l'une des pierres angulaires de son plan. Pour cela, il était prêt à accepter de laisser les mains graciles de la kunoichi effleurer dangereusement sa peau, et éveiller en lui des sensations inconnues. Alors qu'elle finissait de conter son histoire, Shitekka réagit sur le ton de la plaisanterie. Une vérité se glissait néanmoins dans ses propos, ce qu'il essaya de masquer derrière un léger sourire.
« Ça, je n'en doute pas que tu n'es pas une femme commune. »
A la jonction entre Urumi et Mizujin, Imekanu était à l'image de Shitekka le pont entre deux civilisations. Elle avait quitté son île en tant que chasseresse, et maintenant elle s'apprêtait à gravir les échelons de la hiérarchie ninja. Il n'en doutait pas à ce sujet; en tant qu'enfant de Saroruncasi, l'archère avait tout le potentiel d'employer le ramat pour servir et défendre l'Archipel avec un niveau conséquent. Et encore une fois, Imekanu démontrait sa maestria et son importante marge de progression. Plutôt que de simplement se reposer sur son bagage pharmacologique déjà conséquent, elle envisageait d'employer le ramat pour renforcer son art médicinal.
La proposition était alléchante. Shitekka n'était pas enchanté à l'idée de devoir patienter deux semaines pour voir ses cicatrices disparaître. En fréquentant régulièrement l'hôpital de Kiri, il s'était habitué aux arts médicaux ninja, plus proche du miracle que de la seule science du chakra. Il avait pour ainsi dire presque pris goût à l'Iroujutsu. A voir des blessures se résorber en un éclair, lui aussi aspirait à voir ses propres stigmates disparaître avec la même rapidité. Imekanu semblait dès lors exaucer son vœu sans avoir à le formuler.
Alors qu'elle s'éclipsa le temps de poursuivre sa préparation, l'idée continua de germer dans l'esprit de Shitekka. Ainsi, lorsqu'Imekanu annonça la suite de ses préparatifs, elle semblait déterminée à allier ramat et baume afin de tirer le meilleur des deux pour accélérer la guérison du Kaguya. Ce dernier ne mit pas longtemps à réagir pour aiguiller au mieux l'herboriste.
« Effectivement, la combinaison du ramat avec ce baume, c'est une bonne idée. Si tu te rappelles de l'exercice du ramat de feu, alors tu devrais y arriver sans problème. Tu dois laisser le ramat s'écouler de ton corps vers le baume, sans invoquer le don de l'Ape-huci. Sinon… comment dire… j'aimerai éviter que mes cicatrices se transforment en brûlures. »
Il faisait confiance à Imekanu pour parvenir au bon résultat. Toutefois la seule pensée d'un échec le déstabilisa momentanément. Conscient que sa disciple était en permanente recherche de repères, il s'appliqua à dissimuler au mieux cette pensée sordide. Il vint conclure alors sur un sourire narquois, comme pour ironiser et détendre l'atmosphère avant que son élève ne passe à l'acte.
Imekanu avait su transcender les coutumes et les habitudes du Mata Kotan. En cela, elle était une urumie “nouvelle”, une habitante qui n’avait pas fait l’unanimité, mais cela ne l’avait pas empêché de continuer à persévérer dans ce qu’elle aimait. Bien évidemment, la brune était restée aux traditions des femmes et aux prières, au respect des uns et des autres, de la nature et de la nourriture. Avec un goût prononcé pour le tir à l’arc, dans lequel elle excellait. Cela signifiait-il qu’elle n’était pas une femme commune ? Et bien oui. Shitekka le confirma alors, avec un ton à la fois léger et sérieux, et ce petit sourire si… adorable. La jeune femme croisa les bras et prit un air fier, parce qu’elle assumait complètement cette différence et comptait bien en faire une force, pour protéger ceux qu’elle aimait. Si son sensei urumi avait réussi à se faire à cette nouvelle civilisation, elle ne doutait pas qu’elle y arrive aussi. Savait-il seulement à quel point sa seule présence lui donnait une force inouïe pour tout affronter ? Et pour le remercier, l’archère comptait bien lui rendre la pareille en lui rendant ce service.
Très précautionneuse de ce qu’elle pourrait faire, Imekanu avait même réfléchi à un moyen d’améliorer l’efficacité du baume. Avant qu’il lui donne une réponse, avec toujours cette native hâtive et spontanée, la chasseuse quitta le cabanon pour récupérer de quoi faire la tisane. Elle y croyait de toutes ses forces, avec toutes ces attentions, ses cicatrices finiront par disparaître. Revenant avec tout l’attirail Urumi, la jeune femme écouta le balafré lui confier que son idée était intéressante. Plutôt fière d’entendre cela, ses joues rougirent automatiquement tout en tendant la tisane qui s’infusait tout doucement. Le Kaguya mentionna son apprentissage avec le ramat du feu pour faire la corrélation. La fin de sa phrase fit grimacer le saphir qui s’imaginait déjà rater et brûler son précieux Shitekka. Toute son assurance avait disparu pour le temps de quelques secondes. Puis le rictus amusé sur son visage prouvait qu’il n’était pas sérieux hein ? Aller, c’était comme insuffler du chakra pour dupliquer ses flèches, elle l’avait fait une fois, elle pouvait le refaire. Pas le feu, juste le ramat neutre qui était en elle. Pour lui répondre, la jeune femme le pointa du doigt avant d’approcher son visage du sien. Cela la fit rougir fortement, mais elle décida de lui tenir tête malgré son embarras et cette proximité déstabilisante mais agréable.
« Tu vas voir que je vais y arriver et tu me féliciteras et me respecteras jusqu’à la fin des temps ! »
Imekanu se redressa et se racla la gorge, elle le laissa goûter à son infusion avant de s’agenouiller devant lui. Elle secoua ses mains et inspira et expira longuement, comme si elle se préparait à un combat intense. Ses deux mains se joignirent alors tandis qu’elle fermait les yeux pour se mettre dans une sorte de méditation interne. La douce commença par prier Ape-Huci lui demandant de l’aider dans la maîtrise du ramat en elle, pour l’aider à soigner celui qu’elle affectionnait tant. Hors de question de rater ou de le blesser, il fallait qu’elle y arrive et l’archère comptait bien prouver à Ape-Huci toute sa détermination. Oubliant ce qu’il se passait autour d’elle, la genin chercha au plus profond d’elle son chakra qui circulait dans les canaux chakratiques. Surtout ne pas penser au feu. Il fallait de la douceur, cette petite odeur amère et douce, cette température fraîche d’un automne qui débutait. Comme avec les flèches, Imekanu, tu l’as déjà fait, tu peux le refaire. La concentration atteignait son paroxysme tandis que la traqueuse laissait celui-ci se déplaçait jusqu’à dans ses mains.
« Je crois que je le tiens ! »
Le silence revint vite, de peur de perdre sa maîtrise, tandis qu’elle posa avec hésitation ses mains sur son visage. Elle pouvait le faire, elle allait le faire. Plus fort, plus d’énergie, plus de chakra. Il fallait renforcer les vertus du baume pour qu’il fasse effet, comme une sorte d’accélération des vitamines et des propriétés. Le chakra bleuté s’échappa alors de ses paumes, doucement, caressant le faciès marqué de Shitekka. Elle ne savait pas combien de temps, il fallait qu’elle reste, alors Imekanu laissa les secondes défiler et les minutes. L’Urumie espérait qu’il ne lui en voudrait pas de toute cette attente, elle n’était pas aussi talentueuse que ces médecins en hôpital, mais elle donnera tout pour lui et ça, ça changeait tout. Après un temps interminable à rester ainsi, alors qu’elle sentait la fatigue la prendre. La douce s’arrêta alors et recula ses mains, avant d’ouvrir ses yeux et de lui offrir une vue proche sur son visage et ses pupilles océaniques. La couleur du baume avait un peu changé, mais sans l’enlever, on ne pouvait pas voir si ça avait fait quelque chose.
« Est-ce que tu as senti quelque chose ? Je crois que ça a fait quelque chose, mais je ne sais pas si ça a fait tout disparaître. Je te laisse vérifier ?»
La jeune femme lui tendit un tissu sauvage qui traînait dans le coin pour qu’il s'essuie, elle lui tendait le miroir. La brune préférait le laisser faire, c’était une requête importante et elle ne voulait rien précipiter, respectant le Kaguya comme personne.
Le moment fatidique était enfin arrivé. Shitekka appréhendait beaucoup cette transition. Il s'attelait néanmoins à ne pas afficher cette inquiétude en face d'Imekanu. La kunoichi avait suffisamment de tracas dans ses préparatifs pour devoir subir en plus les craintes de son patient du jour.
Il n'y aurait pas de retour en arrière. Le Kaguya en avait bien conscience. Peut-être pas assez, en réalité. Lui qui désirait se fondre dans la masse appréciait pourtant ses stigmates qui constituaient son être. Elles marquaient sa chair de l'empreinte de multiples souvenirs. Alors, une dernière fois, le balafré explora les crevasses de son visage. Du bout des doigts, il effleura sa peau cisaillée par endroits. Il se rappelait de ses tics nerveux au cours desquels ses doigts se baladaient inconsciemment. Tandis que l'Urumie se rapprochait dangereusement de ce même faciès, le Kaguya fit fi des battements accrus de son cœur, le temps d'une cérémonie des adieux en bonne et due forme. Imekanu avait plus tôt fait ses adieux à son enfance pour entrer dans l'âge adulte. Pour le Chūnin, le procédé était tout à fait similaire. Pour sa mère, puis son peuple, l'enfant de Saroruncasi avait concédé bien des sacrifices. Au point de ne plus être simplement un Urumi. Il était un Kirijin, gardien de la prospérité de l'Archipel. Pour cela, un rituel s'imposait pour marquer ce changement radical.
Retour au vacarme du cœur. Le Kaguya métisse manqua de reculer dans un premier temps, avant de se rappeler. Ne pas la brusquer. La laisser faire. Doucement. Incapable de maîtriser ses battements, Shitekka se contenta de gérer sa respiration, faute de mieux. Calme, il observa Imekanu s'essayer à l'infusion de son chakra dans le baume recouvrant ses plaies. Bien que les deux Urumis envisageaient une guérison accrue par ce procédé, Shitekka ignorait totalement le réel résultat de sa disciple.
Lorsque l'énergie abreuva des paumes de la chasseresse, Shitekka fut par ailleurs incapable de décrire la sensation qui enrobait ses plaies. Du bout des doigts de la jeune femme, une étrange chaleur se dégageait. Pareille à de douces flammes qui ne brûlaient pas, mais piquaient sporadiquement. Cette impression étrange paraissait s'écouler l'espace d'un instant. Aussi, lorsque quelques minutes plus tard, Imekanu acheva son expérience, son cobaye ne réalisa pas le temps qui s'était passé.
Pour lui, tout s'était passé d'une traite. Pourtant, la kunoichi s'était débattue pour soumettre son ramat à ses pensées curatrices. Une lutte à laquelle Shitekka n'avait pas été réellement témoin. Cette pensée ne lui traversa pas l'esprit, mais aurait eu pour effet de le piquer au vif.
« C'est… étrange. Je… j'arrive pas à décrire vraiment ce qu'il s'est passé. Ça m'a rappelé l’œuvre d'Ape-huci, mais sans que ça me brûle. »
Bien conscient que sa peau avait subi quelque changement, il était sur le point de passer ses doigts le long de ses plaies, ou peut-être leur ancien emplacement. Hésitant, il s'abstint finalement de découvrir par le toucher. Il accepta à la place volontiers le miroir proposé par Imekanu et le tissu pour se débarrasser du baume. Lentement, il se lança à la découverte du résultat. Son regard alternait entre son reflet et les iris bleutés de la guérisseuse, alors qu'il se frottait le visage. Finalement, le résultat était sans appel.
« Osoma… c'est… incroyable. Tout a quasiment disparu ! Je me reconnais à peine… »
Seules quelques cicatrices, plus profondes que les autres, subsistaient. Shitekka n'en revenait pas. Il lui fallut plusieurs longues secondes, et passes de miroir le long de son visage, pour accepter cette métamorphose. Ce n'était pas grand chose en réalité : le Kaguya restait clairement identifiable avec son oeillade ambrée et ses frasques bariolées. Mais pour celui qui avait appris à grandir avec ses balafres, le choc était intense.
« Je crois… que je veux garder les dernières marques qu'il reste. Pour ne pas être trop déstabilisé. Tu en penses quoi ? »
Par cette même question, il invitait également Imekanu à exprimer son avis sur le nouveau Shitekka qui lui faisait face. Maintenant entièrement débarrassé du baume qui masquait ses plaies, il offrait son visage en pâture à l'Urumie afin qu'elle contemple le fruit de ses efforts.
Aujourd’hui était le jour des rituels, celui où l’on disait adieu pour traverser le renouveau. Pour Imekanu, c’était passé par l’initiation à la maturité, pour Shitekka, il s’agissait d’effacer des brides de son passé pour avancer. La jeune femme, se sentait libérée d’un poids, elle espérait que le Kaguya le sera aussi dans ce moment très précieux. Une fois de plus, l’archère fit démonstration d’une concentration sans faille, elle priait le ramat intérieur en elle, et l’Ape huci pour lui offrir sa bénédiction, celle de venir en aide au brun. Hors de question de faillir, peu importait le temps qu’il fallait, elle y arrivera. La genin se concentra sur la respiration du jeune homme et bien que la fatigue se faisait sentir, une plénitude certaine envahie la douce qui laissait le chakra s’exprimer pour elle. De la chaleur émanait du bout de ses fins doigts, faisant leur travail.
Lorsqu’elle termina, la lueur s’éteignit, bien que ses pupilles océaniques restaient toujours brillantes. Le dos de sa main vint essuyer son front, elle ne pensait pas que ça lui prendrait autant d’énergie. La traqueuse le questionna sur son ressentir, elle ne savait pas comment le balafrer avait vécu ce moment, et souhaitait le savoir. Lui aussi avait ressentir l’oeuvre d’Ape-huci, ce qui renforçait sa certitude que le kamuy avait offert sa bénédiction. Mais pour en être entièrement certain, il fallait le vérifier. Imekanu souhaitait l’accompagner, mais savait que c’était un moment important et préférait le laisser découvrir de lui-même. Petit à petit, le baume disparaissait sous le tissu de l’urumie et les gestes avisés du chunin. Et lorsqu’elle aperçut le résultat, son regard s’écarquilla de plus belle. Ses mains se posaient sur sa bouche, cachant sa grande ouverture, avant de prendre la parole tout en joignant ses deux mains.
« Iyairaykere, Ape-huci, Iyairaykere...»
Le chakra avait accéléré le processus de manière miraculeuse. Tout n’avait pas disparu, mais c’était déjà magique que ça puisse offrir un rendu pareil. Les petites marques avaient disparu et seules les plus profondes et anciennes étaient restées. Imekanu l’observait silencieusement se contempler, un sourire béat sur son visage de porcelaine. Shitekka lui demanda alors son avis, souhaitant garder le reste de ses stigmates. La jeune femme hochait de la tête doucement. Elle ne savait pas trop comment réagir, mais le voir ainsi la fixer, attendant une réponse de sa part, la kunoichi se perdit dans l’œillade dorée du kirijin. Une chaleur aux joues apparut tandis que son cœur battait rapidement : il sera toujours parfait, avec des cicatrices ou non, mais comment lui dire ?
Ses doigts s’approchèrent de son visage, pour mieux contempler son travail, s’approchant légèrement pour ne pas oublier son faciès qu’elle appréciait tant. Sans le toucher, hésitante, elle effleurait simplement sa peau en dessinant les marques qu’il restait.
« Si tu souhaites garder ces cicatrices, alors garde le, ton souhait est tout ce qui compte, Shitekka. Et puis, j’aime… beaucoup cet attrait de ton visage, c’est ce qui te définit aussi dans un sens. J’aime beaucoup Shitekka, qu’il ait des cicatrices ou non. Si Shitekka est heureux, Imekanu l’est aussi. »
Un sourire sincère accompagna ses douces paroles, elle n’avait pas peur de lui dire ce qu’elle pensait. Pouvoir l’accompagner dans ce cheminement la rendait heureuse et elle n’avait pas envie de s’en cacher.
« Merci pour m’avoir accordé ta confiance, cela n’a pas dû être facile. Et je suis heureuse d'avoir pu t'aider. »
Un nouvel homme occupait dorénavant la cabane aux côtés d'une nouvelle femme. Un duo d'Urumis, dont la simple modification corporelle revêtait beaucoup de valeur et de symbole à leurs yeux. Ils se dévisagèrent longuement, contemplant le changement qu'ils arboraient fièrement. Ça en devenait presque perturbant pour le Kaguya. Le dur retour à la réalité le frappa, alors qu'Imekanu passait ses doigts sur sa réussite. Incapable de lui résister, Shitekka laissa les battements intempestifs de son cœur accentuer sa gêne. Personne auparavant n'avait approché d'aussi près le jeune homme. Et voilà que la kunoichi s'approchait librement de son visage.
Il hésita un instant à son tour à épouser du bout des doigts le pourtour de ses lèvres. Comprendre le travail qui avait été réalisé. Toutes ces lacérations, dans l'unique but de passer à l'âge adulte, en imprégnant son sourire d'une teinte charbonneuse. Mais Shitekka se ressaisit de justesse avant de céder. Sa main s'arrêta au bout de quelques secondes, avant de la reposer au sol.
« … merci. »
Il ne savait plus quoi dire, si ce n'était la remercier simplement. Son visage se dévia du sien, observant l'extérieur. Une légère brise balaya le feuillage des arbres alentours. Une douce mélodie sylvestre accompagnait les deux enfants de Saroruncasi.
« Entre Urumis, je crois qu'on a besoin de s'entraider. Je ne le dirai jamais assez mais… mon kotan me manque. Mais avec toi, j'ai le sentiment d'y être à nouveau, même au cœur de Kiri. C'est rassurant. »
Le lieu parlait pour lui-même : plongé au beau milieu d'une épaisse forêt à l'abri des regards, la cabane d'Imekanu bénéficiait du murmure des kamuys. Le vent se glissait parmi les arbres pour apporter la voix des esprits. Les idoles de bois, représentant les déités majeures du culte des kamuys, renforçaient ce sentiment de chez soi qu'expliqua plus tôt Shitekka. Ils avaient beau être à des lieues de leur kotan, ce sanctuaire urumi leur offrait le réconfort nécessaire pour lutter contre la nostalgie. Au gré des prières, des discussions dans leur langue natale, et dorénavant des rites de leur peuple, ils entretenaient à eux deux un héritage ancestral.
« J'aimerai adresser quelques prières aux esprits. Acceptes-tu de te joindre à moi ? »
C’était à la fois déstabilisant et enivrant. Cette proximité était désarçonnante, mais la raison de celle-ci aspirait à la découverte de l’un et de l’autre. Ils venaient de vivre un changement considérable dans leur vie et le partager avec l’autre en était devenu précieux. Imekanu était si surprise de la réussite de ce remède, qu’elle ne pouvait s’empêcher d’aller vérifier par elle-même sur son visage. Il la laissa faire, et ses gestes étaient très délicats, ne souhaitant pas lui faire peur. La brune avait bien vu son hésitation, elle s’était même arrêtée, bien qu’il n’alla pas au bout de ce qu’il souhaitait. Des remerciements qui firent apparaître un timide sourire sur ses lèvres, avant de simplement reculer et de poser ses mains sur ses cuisses. Ce petit moment en était devenu gênant pour les deux, qui n’osaient plus se regarder dans les yeux. Elle lui laissa son espace, semblant fixer l’extérieur et se perdre dans ses pensées. Imekanu rangeait simplement ses affaires laissant le bruit des objets s’entrechoquer ainsi que les feuillages qui s’envolaient, animer le cabanon.
Shitekka prit de nouveau la parole. L’archère était d’accord avec lui et hochait de la tête. Pouvoir s’entraider et se soutenir quand on se comprenait et qu’on savait ce que chacun vivait, c’était très important. Pour Imekanu, cela lui avait permis de sortir de cette bulle de solitude. Elle était toujours restée à l’écart et s’était sentie dépassée par les événements. Son kotan lui manquait tellement et c’était la seule chose qui lui avait permis de s’accrocher. Mais maintenant que le Kaguya était là, tout avait changé, il avait changé sa vision du futur et celle de Kiri. Elle s’était plus ouverte et avait même rencontré des habitants qui lui avaient donné une bonne impression. Mais tout cela la ramenait toujours à une même personne : Shitekka. Parce qu’il représentait tout ce qui lui était cher, parce que sa propre personne était devenue pour elle, un précieux trésor. Elle était touchée par ses paroles et ne put s’empêcher de rougir. Imekanu sourit doucement et regarda ses mains. Savoir qu’elle lui rappelait ce kotan qui lui manquait réchauffait son cœur.
« Merci Shitekka, merci d’avoir fait de ce bois un lieu où je me suis sentie comme dans mon kotan. »
Car s’il n’avait pas érigé ce sanctuaire, Imekanu n’aurait jamais trouvé cette tranquillité. Ou du moins, pas au départ et il lui aurait fallu bâtir elle-même ce lieu où elle aurait aimé rentrer chaque soir. Non, ce n’était pas le Mata Kotan. C’était plutôt leur Kotan mutuel, à tous les deux, différent, mais tout aussi réconfortant. Et ils comptaient bien tous les deux honorer leur peuple à travers ce sanctuaire.
Il lui proposa de se joindre à elle pour adresser quelques prières aux kamuys. Elle hocha sagement de la tête et pensa à sa dernière création.
« Bien sûr Shitekka. »
La traqueuse attrapa dans un coin de sa cabane, enroulée dans de la fourrure, une statuette en bois représentant un ours. Ils quittèrent alors tous les deux l’humble bâtisse, aveuglés légèrement par l’intense lumière du jour. Les deux urumis avancèrent alors au travers des branches et des craquements sous leur pied vers le sanctuaire. Une fois devant les arborescences dédiées aux déités. Imekanu s’agenouilla et déposa son offrande avant de joindre ses mains. Avant de laisser Shitekka prendre la parole, la jeune femme souhaitait aussi se prononcer pour remercier les kamuys d’avoir accepté son rituel et de lui offrir son offrande.
« Iyairaykere, Ape-huci. Eani ku-uk ku inonnoitak. En kore okirasnu. Yaykomismu. En kasuy wa en kore. Ku koro sikasnukar a. Ku-kore aeyaiyupki. Iyairaykere, Ape-huci. »
Imekanu accepta tout naturellement de se joindre à cette prière. Ensemble, les deux Urumis rejoignirent le petit autel de fortune. L'assemblée des idoles en bois les observait solennellement. Leur voix, portée par les brises maritimes, invitait les enfants de Saroruncasi à perpétrer leur mémoire. Les rayons du soleil filtraient à travers les feuillages avant d'éclore sur une mosaïque de mousse et d'humus; Imekanu et Shitekka baignaient dans une mer d'or et d'émeraude.
Dans ce cadre lyrique, la nouvelle femme fit le premier pas. Accompagnée d'une statuette d'ursidé, elle entama une prière pour rendre grâce aux déités de leur bénédiction. Les esprits lui avaient offert l'opportunité de changer, de grandir. À ses côtés, le Kaguya ressentait plus que jamais le changement de la chasseresse. Il se dégageait d'elle une assurance inédite, que la maturité offerte par les esprits lui avait conféré. Elle était prête. Parée pour les épreuves que la complexe vie de kunoichi lui réservaient. À l'issue des quelques mots entonnés pour les kamuys, Shitekka souriait timidement.
Le vent se leva pour remercier à son tour Imekanu de son hommage. Il balaya quelques feuilles, et des mèches de cheveux que Shitekka replaça sur son visage nouveau. Venait enfin le moment pour lui de s'adresser aux esprits. Assisté de sa disciple et fidèle amie, il psalmodia quelques couplets d'un yukar couramment chanté dans toute l'île. Le culte des esprits urumis relevait d'une étrange poésie. Leur littérature orale mêlait une splendeur ancestrale. À la croisée entre prière et récit, légende et réalité s'entrecroisaient au cours d'une narration envoûtante. Quelques pas conduisirent Shitekka face à la statuette de Kotankorkamuy, protecteur ailé du kotan.
Pour honorer cet esprit puissant, Shitekka se tourna vers Imekanu pour l'enjoindre à chanter ensemble un yukar très connu de Saroruncasi : la Chanson que le Hibou chante lui-même. Un conte qui avait bercé toute l'enfance du balafré. Encore aujourd'hui, il s'agissait du récit préféré du Kaguya. Il démarra ainsi avec une vive émotion les premiers couplets, avant d'être rejoint par Imekanu. Tout deux chantèrent, mais en décalé: Shitekka ouvrait la voie, suivi par Imekanu. Il en résulta une étrange chorale animiste, qui plongea peu à peu le duo dans une douce transe. Leur voix se perdirent alors dans l'infinité de la nature. Le verbe urumi épousait à merveille la nature. Plus qu'une prière, la chorale des deux ninjas se mêlaient à la symphonie de la forêt : au chant des oiseaux en passant par le bruissement des feuillages.
La chanson plongea Shitekka dans un état second. Perdu entre deux mondes, il se sentait plus proche des kamuys. Le ramat en lui s'évaporait en une aura invisible. Bientôt, une douce atmosphère duveteuse l'enveloppa. Mais, bien trop plongé dans le yukar, il passa à côté de la réalité de cette sensation. Lorsque ce même yukar prit fin, le temps reprit son court. Le Kaguya reprenait son souffle. Il semblait revenir à la surface d'une longue plongée dans les profondeurs du subconscient. Son visage balayait les environs pour se réapproprier son environnement.
« Iyairaykere. »
Sa voix était apaisée. Faisant preuve d'un calme religieux, Shitekka ressortait différent de cette prière aux esprits de la nature. Son énergie toute entière fut consacrée au chant, déployée toute entière pour témoigner de son profond respect pour les déités. Du peu d'énergie restante, il la consacra à sa disciple, désormais adulte. Avec la bienveillance d'un mentor, et l'allure d'un moine vénérable, il fit ses adieux à la chasseresse.
« Il est temps pour moi d'y aller, Imekanu. Nous nous reverrons bientôt. Que ce soit en tant qu'équipe, ou urumis, les occasions ne manqueront pas, j'en suis certain. Son sourire s'étira chaleureusement sur ces quelques mots. D'ici là, porte-toi bien, Imekanu. Que les kamuys veillent sur toi et ton tatouage. »
Une dernière fois, avant de faire volte-face, Shitekka contempla l’œuvre labiale de la kunoichi. Ses yeux fixèrent peut-être de manière trop évidente et intéressée le pourtour pigmenté de la jeune femme. Mais il en avait besoin. Le jeune homme ancra pour de bon l'image d'Imekanu dans son esprit en tant qu'adulte.
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