Même trois jours après sa réponse épistolaire, Shitekka savait que son idée était quelque peu osée. Après la terrible résonance qui avait bouleversé la frontière entre civils et êtres doués de chakra, l'hôpital de Kiri était un lieu en constant branle-bas. Entre les dernières victimes hospitalisées depuis l'attaque de Sanbi, le traitement des personnes affectées par la vague de chakra, et le diagnostic du reste, susceptible de se retrouver submergé par un pouvoir nouveau, le corps médical de la Brume avait de quoi faire.
Pourtant, ce fut bien dans le centre hospitalier de Kiri que Shitekka décida d'inviter Wutu-Fuku à discuter des problématiques de leur clan. La destination n'était pas anodine: l'Urumi ne désirait pas uniquement profiter du tumulte de l'endroit pour empêcher quiconque de les pister efficacement. Non, il y avait bien plus. Et le secret de cette rencontre résidait dans la fameuse chambre 123.
Les bras croisés, assis contre le mur menant à la chambre en question, Shitekka attendait justement son parent. Cet endroit, surtout en ce moment, avait le don de donner au visage du chasseur une mine peu enjouée. L'hôpital de Kiri incarnait toutes les craintes du joueur de mahjong : symbole de la société Yuukanjin, antre du Pauchi Kamuy, entité démoniaque pestilentielle, et surtout fragile refuge de l'être auquel il tenait le plus au monde. Et ce fut dans le repaire de ses angoisses qu'il accueillit finalement le directeur du complexe shinobi. Avant de le saluer, un dernier coup d’œil à droite et à gauche paracheva ses préparatifs. Personne aux alentours.
« Bonjour Wutu-Fuku. Entre, je t'en prie, les infirmiers ne repasseront pas avant ce midi. On sera tranquille pour discuter. »
Tandis qu'il ouvrit la porte pour inviter son cousin à entrer en premier, son cœur s'emballa. Ce qu'il s'apprêtait à montrer à son acolyte avait le don de le blesser au plus profond de son être. Et c'est avec le cœur noué par la tristesse qu'il ferma la marche, et la porte derrière par la même occasion.
« Dans son état, je crois qu'elle ne refusera pas ta présence, ironisa Shitekka, pour se donner du courage. »
La chambre 123 laissait place à une vision insupportable pour le Kaguya de sang-mêlé : celle de sa mère parcourue par tout un imposant arsenal d'équipements médicaux. Plongée dans un sommeil morbide, son souffle était guidé par une machine et des pompes, tandis que son cœur battait au rythme d'un bip des plus anxiogènes pour l'enfant des bois qu'était Shitekka. D'un signe de la main, il invita son ainé à s'installer sur une des chaises situées vers la baie vitrée obscurcie d'un store. Pendant ce temps, il s'approcha du lit d'Aya Kaguya. Avec une extrême douceur, il vint se saisir de la main de sa mère pour sentir la chaleur de son corps. Pour se rappeler qu'elle était encore en vie.
« Tu voulais parler de mon grand-père, je me trompe ? »
Il se tourna vers la Main de Kiri, son visage couvrant de son mieux la douleur qui l'accablait. Une même souffrance qui rendait sa voix plus sèche. Plus tôt, lors de son réveil à l'hôpital suite à la bataille contre Sanbi, on rassura Shitekka en l'informant que sa mère se portait bien. Après la mystérieuse Résonance, la réalité était tout autre.
Wutu-Fuku ignore pourquoi Shitekka lui a demandé de venir à l’hôpital. Ce n’est pas le lieu qui comporte le moins de Kaguyas à Kiri, c’est peut-être même l’inverse… en arrivant sur les lieux, il ne put que constater les efforts déployés par le personnel de l’hôpital pour traiter au mieux tous leurs patients. Et il y a de quoi faire avec la résonnance… heureusement, le Jônin sait à quel endroit il doit se rendre. La chambre numéro 123. Pas besoin de passer par l’accueil. Personne n’aura de trace de son passage. Ici, dans la foule qui se croise au mieux dans les couloirs, il n’est qu’un anonyme. Personne ne le remarque, tout le monde est bien trop occupé à ses propres affaires pour cela.
L’Urumi attend en face de la chambre 123 que la Main de Kiri arrive. L’air peu enjoué, quoi que le chûnin n’est pas spécialement enjoué d’habitude. Un dernier coup d’œil et Shitekka entame la conversation. La Main répond avec une salutation d’usage.
-Bonjour Shitekka.
Dit-il sobrement. L’Urumi invite son ainé à entrer dans la fameuse chambre. Wutu-Fuku ne peut que constater la présence d’une femme bien mal en point, inconsciente sur un lit et reliée à de nombreux appareils médicaux dont le directeur du Complexe Shinobi peut désormais comprendre l’utilité, grâce à son apprentissage de la médecine. Le jônin est rejoint par Shitekka, qui ferme la porte avant de s’approcher du lit et de prendre la main de la femme alitée. L’homme au kimono regarde la scène en silence, avant que l’Urumi n’aborde le sujet du jour.
-Oui. Pourquoi est-ce que tu m’as amené ici ?
La stupeur remplace un instant les questions intérieures dans l’esprit du Kaguya. Le lien de parenté qui relie Shitekka à cette femme est évident. Pour autant, cela n’explique pas les motivations du chûnin pour se rencontrer ici, plus qu’ailleurs. Wutu-Fuku va prendre place, comme il l’a été invité par son hôte. Il croise les jambes et les bras, avant d’entrer dans le vif du sujet.
-Deux employés du Complexe Shinobi ont reçu une proposition de poste à la Kenpei il y a peu. Sabaru est l’un des deux, d’ailleurs… cette proposition impliquait une démission du Complexe Shinobi.
Cela peut paraître anodin mais en y regardant bien, on peut y déceler une manœuvre fourbe qui pourrait bien être l’œuvre de l’actuel chef du clan Kaguya.
-Je vois peut-être le spectre de Renzaburo un peu partout, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il est impliqué dans cette histoire et qu’il a tenté de fragiliser ma position en provoquant la démission d’une partie du personnel du Complexe Shinobi. Tu n’es pas sans savoir que ma nomination à la tête du Complexe n’est pas au goût de tout le monde…
Wutu-Fuku se doute bien du mépris que peut ressentir Renzaburo pour sa propre famille. Pour autant, l’entêtement de Shitekka à appeler cet homme « grand-père » trahit un certain attachement. Le jônin se mord la lèvre. Lui s’est débarrassé de ce genre de considérations mais ce n’est pas le cas de son semblable.
-Il a le bras assez long pour influencer des décisions prises par le chef de la Kenpei. J’ai déjà fort à faire avec le clan Kaguya pour souhaiter ne pas devoir affronter la police du village par la même occasion. Tant que lui et moi seront à nos postes respectifs, je n'aurais jamais la paix. Je ne connais pas assez mon ennemi, Shitekka. J’ai besoin de savoir qui est Kaguya Renzaburo pour le vaincre.
Il soupire et jette un regard entre les stores de la fenêtre pendant quelques secondes. Puis il se lève pour s’approcher du corps inconscient d’Aya Kaguya.
Au rythme du métronome électrique sonnant l'angoisse, le Kaguya de sang-mêlé avait accueilli son complice dans la chambre de sa mère. Au plus profond de l'enfer hospitalier, il espérait ainsi brouiller les pistes et trouver le calme dans l’œil de la tempête. Dans l'esprit torturé de l'écorché, traumatisé en à peine un an de vie dans la Brume par la paranoïa et les ravages de la guerre, discuter ici paraissait cohérent. Peut-être que Wutu-Fuku ne partageait pas cet avis, qui s'interrogeait sur le choix de cet endroit comme lieu de rendez-vous.
« Si on était dans un lieu calme, à l'abri des regards, ça attirerait davantage le regard, expliquait le balafré. Je me suis dit qu'ici au moins, on oserait pas imaginer qu'on viendrait ici pour comploter contre la plupart des gens qui travaillent ici. »
Son soupir fut dissimulé par l'expiration mécanique de sa mère. À son tour, l'Urumi prit ses aises, et quitta le confort que lui procurait la main de sa mère pour s'installer à proximité de Wutu-Fuku, toujours assis debout. Comme s'il détestait prendre le temps de se poser, ce qu'il faisait pourtant actuellement. La Main de Kiri confirma ainsi l'objet de cette réunion somme toute singulière : le démon blanc Renzaburō. Lors de leur entrevue dans le tout récent complexe shinobi, Wutu-Fuku avait déjà partagé son inquiétude au sujet du nouveau dirigeant de la horde d'ivoire.
Et tout comme la crainte insuffisamment fondée d'expériences inhumaines sur des Kaguya rongeait la conscience de Shitekka, la politique exercée par Renzaburō au sein du domaine inquiétait la Main de Kiri. Son autorité en temps que directeur du Complexe shinobi risquait d'être mise en danger de part les mauvaises relations qu'il entretenait avec le reste du clan.
Alors, il fallait frapper le premier. Le marginal désirait connaître davantage son ennemi, probablement pour mieux le vaincre. Shitekka ignorait encore de quelle manière il souhaitait procéder. Mais ce qu'il savait en revanche, c'est que sa proximité avec deux des filles de l'uji no kami Kaguya lui offrait quelques précieuses connaissances de son grand-père maternel.
« Le mal blanc, et la résonance en prime. Comme si ça ne suffisait pas, le docteur qui avait suivi jusqu'ici le dossier de ma mère a cané pour la seconde raison. »
Il ne souhaitait pas en parler davantage, alors le balafré adressa un regard franc à son homologue pour recentrer la discussion autour de Wutu-Fuku.
« Ce que je sais de Renzaburō, je le tiens de ma mère, et sa sœur. Elles ont toujours essayé de décrire mon ancêtre sous son meilleur jour, pour que je puisse mieux le comprendre, adhérer à ses idées. À croire qu'il est excusable de me prendre pour de la vermine. »
Il souffla du nez, un léger sourire ironique aux lèvres. Puis il se reprit, entre deux pulsations stridentes.
« Elles m'ont raconté qu'il a gagné son titre de "Démon blanc" sur le champ de bataille. Quand Kiri a été créé, il avait déjà un âge assez conséquent. Je t'apprend probablement rien, mais entre le mal blanc et les batailles à répétition dans lesquelles s'engagent ceux de notre clan, être vieux ça veut dire que t'es soit un lâche, soit un vétéran de guerre digne d'admiration. En étant dans la deuxième catégorie, mon grand-père a pu se payer une bonne image au sein du clan parmi les autres Anciens. C'est eux qui ont toujours structuré le clan, en arrière-plan du chef de clan. »
Il marqua une pause, en ayant une pensée pour feu son ancien sensei Shyko. Peut-être qu'il veillait à présent sur Shitekka, depuis le Kamuy-moshir, ou sous la forme d'une… loutre dans l'Ainu-moshir.
« Quand Shyko gérait la baraque, les Anciens étaient plus en retrait. Je sais pas comment il a fait, mais en attirant la sympathie du reste du clan, surtout les jeunes, il a forcé le respect des vieux en plus de promouvoir ses nouvelles idées. »
Sa pensée allant plus vite que la parole, il déglutit de tristesse en songeant à la suite de son explication.
« Mon grand-père pouvait pas encadrer Shyko-nispa. De son vivant, il avait à plusieurs reprises essayer de faire pression en remettant sur la table les traditions du clan, comme le fameux "Agni Kai" dont j'ai fait les frais. Ça lui a permis de s'entourer d'un soutien dans le clan qui lui a permis de reprendre rapidement la main du domaine à la mort de Shyko. »
Il appréciait de pouvoir s'entendre parler, plutôt que de devoir supporter l'orchestre mécanique venu des enfers qui maintenait sa mère en vie. Alors il poursuivit, plus déterminé que jamais à repousser cette symphonie démoniaque.
« Quand les clans fondateurs se sont rassemblés, la réputation de Renzaburō lui a permis de rencontrer d'autres vieux héros de guerre, avec qui il a gardé contact au fil des années. J'imagine que le chef de la Kenpei fait partie de son réseau par ce biais, et qu'il n'est pas le seul dont tu dois te méfier. Mais le plus dangereux reste sûrement mon grand-père. Il était redoutable sur le champ de bataille, mais aussi en dehors. Deux compétences que peu de Kaguya ont pu revendiquer jusqu'à présent, ce qui le rend encore plus unique auprès des autres. »
D'ordinaire, il était dans les mœurs de l'Urumi de respecter ses ainés. Dans son kotan, comme partout sur Saroruncasi, il était de coutume que les anciens constituaient la principale autorité politique et religieuse du village. Leur expérience presque séculaire leur offrait un précieux savoir, celui de la littérature orale relatant des hommes et des dieux acquise au fil de leur longue vie. Ils représentaient la passerelle entre les générations et les traditions, le lien encore vivant entre les Urumis et les esprits.
Renzaburō ne représentait rien de cela. Il était le fantôme d'un âge révolu, d'une ère de guerre permanente que Shitekka ne voulait pas voir ressurgir sous aucun prétexte. Sa mère payait encore aujourd'hui le prix de son sacrifice auprès de son peuple entier. Il ne voulait pas d'un chef de clan qui entretenait les braises putrides des batailles et de la fierté d'être un tueur dans le cœur de ses semblables. Le clan Kaguya méritait de connaître lui aussi la paix, et l'harmonie avec les esprits, qu'ils soient ceux des kamuys comme des ancêtres ayant péris inutilement au cours de l'histoire.
« À quoi penses-tu, Wutu-Fuku ? »
Il se référait directement à l'ambition de son cousin de vaincre son grand-père. Il avait besoin de savoir, à son tour, dans cette pièce qui lui rappelait à chaque instant son ignorance et son incapacité à accomplir son nindō.
Shitekka explique à son ainé la raison pour laquelle ils se rencontrent ici, dans la chambre d’hôpital de la mère de l’Urumi. C’est une raison valable, en soit. Même si Wutu-Fuku trouve la situation plutôt désagréable. Même s’il n’a pas de lien de parenté avec cette femme, voir une personne souffrante ne lui procure aucune satisfaction, même s’il s’agit d’un soutien de Kaguya Renzabûro.
-Je vois.
Peut-être le métis surestime-t-il le nombre d’ennemis qu’ils ont pour mettre tous les Kaguyas qui travaillent à l’hôpital dans le même sac. Comme un réflexe, Wutu-Fuku retourne à la fenêtre pour observer l’extérieur. Il continue à parler sans se retourner.
-Nous « complotons » contre les responsables de crimes envers leur propre clan, qui sont officiellement si prompts à en défendre les valeurs d’unité. Je doute que l’entièreté du personnel de l’hôpital soit au courant de ce qu’il se passe dans l’ombre… même si une poignée doit effectivement être impliquée.
Pour « prendre en charge » les cas et les exfiltrer jusqu’au Pays Oublié, il faut avoir de gros moyens et surtout le pouvoir de prendre de tels décisions au sein de l’hôpital de Kiri.
Comme demandé par le Jônin, Shitekka lui donne quelques informations sur son grand-père. Il n’apprend pas grand-chose. Oui, c’est un guerrier redoutable qui a des contacts mais ça, Wutu-Fuku le savait déjà.
-Sais-tu quels éléments il maîtrise et quels domaines il utilise au combat ?
C’est le genre de données qu’il est bon d’avoir pour préparer un combat contre son adversaire. L’Urumi met l’accent sur le fait que le vieillard est autant redoutable sur le champ de bataille qu’en dehors.
-C’est notre seul point commun.
Admet-il froidement. Shitekka se demande ce que la Main de Kiri peu bien avoir en tête. Wutu-Fuku n’est pas du genre à prendre des décisions hâtives. Son choix est le fruit d’une réflexion complexe.
-Certains me voient peut-être comme l’héritier de l’idéologie de Shyko, mais ils se trompent. Lui était préoccupé par le sort du clan en général, sinon il n’aurait pas embrassé la position de chef. Moi, ça m’est bien égal. Je n’ai plus aucun membre de ma famille au sein du clan. Aucune attache. Pour ce que j’en ai à faire je pourrais très bien ne plus porter le nom de Kaguya. Et je n’ai aucune intention de régler cette affaire par la diplomatie.
Sous-estimer Wutu-Fuku est une erreur qu’ils n’auraient pas dû faire.
-Je vais défier Renzabûro selon les règles ancestrales de l’Agni Kai. Si nous trouvons de quoi l’incriminer sur Wasure, alors le duel servira principalement de tribune afin de réunir les Kaguyas et d’exposer nos découvertes sans qu’ils puissent faire quoi que ce soit contre nous. De plus, si, comme le laisse entendre le rapport d’autopsie d’Hanae, ce sont des femmes autour de leur date d’accouchement qui ont été ciblées et qui ont « disparu », cela va au moins faire réagir leurs veufs.
Le Jônin imagine bien que les anciens compagnons de ces femmes risquent de ne pas apprécier que leurs femmes et leurs enfants nouveau-nés soient kidnappés afin de mener des expériences plus proches de la torture que de la science.
-Si nous ne trouvons rien… alors le duel se fera à l’ancienne et j’éliminerais Renzabûro de mes mains, ou je mourrais en essayant.
Wutu-Fuku évoque sa propre mort avec un certain détachement. Rencontrer et affronter un Dieu l’a, semble-t-il, immunisé contre la peur d’affronter un adversaire moins redoutable. Et un adversaire ne peut être que moins redoutable que Sanbi… non ?
-J’expose ce plan à toi, petit-fils de Renzabûro. Et à sa fille. Je t’estime Shitekka. Tu as le droit de savoir ce que je prévois de faire, même si ça implique la mort de ton grand-père.
La paranoïa de Shitekka refit surface, alors que Wutu-Fuku de son côté faisait montre d'une précaution extrême. Bien que le lieu fut choisi par l'Urumi, il fallait avouer que tout le poussait à ses anciens démons. Comme le soulignait son aîné, quand bien même la vigilance des Kaguya se voyait affectée au sein de l'hôpital, les deux hommes restaient tout de même dans la gueule du loup. Pourtant, au vu de l'agitation constante au sein de la clinique, et des nuisances sonores associés à l'équipement médical maintenant Aya en vie, difficile pour un espion de tendre l'oreille avec attention.
Après avoir repoussé son regard dans toute la pièce, Shitekka cessa finalement de lorgner le corps inerte de sa mère. Il préféra alors laisser le visage recouvert de sceaux de sa génitrice pour se concentrer sur son invité. Malgré ses explications, le Kaguya de sang-mêlé n'avait pas su contenter Wutu-Fuku dans sa quête d'informations. La Main de Kiri en voulait plus, au point d'inquiéter son cousin. Il fallut attendre quelques minutes pour que le sauveur de Kiri se dévoile sur ses intentions, ce qui n'empêcha pas Shitekka auparavant d'en dévoiler davantage concernant son grand-père.
« Hum… quand ma tante me parlait de lui, j'ai pas eu l'impression qu'il utilisait d'affinités en particulier. Renzaburō est un pur adepte du Shikotsumyaku. Ça m'étonnerait pas qu'il se contente de son squelette au combat. »
D'un point de vue purement stratégique, Shitekka reconnaissait que son grand-père n'était pas en tort. L'impulsion des os mortels offrait toute une palette de possibilités, tant offensives que défensives. Se passer des éléments, ou de toute autre artifice, en plus de relever de l'obsession pour la pureté de l'art Kaguya, paraissait cohérent.
« Au combat, il a pour habitude de privilégier le corps à corps. Tout l'opposé de moi. Une autre raison pour lui de me rabaisser, glissa avec sarcasme le shinobi. Pour m'être déjà battu contre l'une de ses filles, son Shikotsumyaku est tout ce qu'il y a de plus classique dans le clan, je dirais. Mais poussé à l'extrême, bien sûr. »
Si le Kaguya de sang-mêlé hésitait à interroger Wutu-Fuku sur ses motivations, ce dernier passa à l'acte de lui-même. La Main de Kiri révéla sa position sur l'échiquier des Kaguya. Une nouvelle fois, il affirma sa position marginale dans la Horde d'ivoire. Totalement désintéressé par la cause Kaguya, sa position de directeur du complexe shinobi indiquait qu'il embrassait néanmoins les valeurs Kirijin. Seul point de dissonance avec son cousin métisse. Vint finalement le moment des confidences. Wutu-Fuku envisageait de défier l'actuel chef du clan Kaguya dans les règles de l'art, celles de l'Agni Kai. L'idée sur le papier paraissait intelligente : vaincre Renzaburō à son propre jeu, selon ses propres règles, avait l'avantage de ne pas susciter d'opposition. Bien que la pauvreté des preuves rendait toute forme de procès caduque à l'heure actuelle, Shitekka soutenait ce plan au fond.
A l'exception d'un point.
« Je te remercie pour ta sincérité. Même si je n'accorde aucune sympathie envers Renzaburō, il fait partie de ma famille. Que je le veuille ou non. Ton plan a le mérite de faire d'une pierre deux coups : détruire l'autorité des anciens, et apporter la vérité dans le clan en limitant les émeutes. »
Une pointe d'amertume en bouche, Shitekka se racla la gorge. Un dernier point subsistait. Et le Kaguya tenait à l'évoquer.
« Pour autant… j'aimerai éviter d'en venir au combat à mort. Quand bien même je n'aime pas mon grand-père, je ne peux me résoudre à envisager qu'on l'élimine à son tour. En venir à le tuer, c'est se placer au même niveau que ceux qui torturent des innocents de notre clan dans la Prison Oubliée. Et par la même nous discréditer dans notre mission auprès du reste du clan qui serait susceptible de nous faire confiance. »
Si Shitekka essayait de faire un appel à la raison, une autre raison dominait les pensées du jeune homme. Sans compter les nombreuses bêtes sauvages chassées dans la pure tradition des Urumis, Kaguya Shitekka n'avait jamais tué un être humain. Même en tant que Kirijin, il n'avait jamais eu à ôter la vie d'un autre. Les occasions s'étaient pourtant présentées. Mais la vie d'un autre était sacrée. Et jusqu'à présent, l'Urumi ne s'était résolu à outrepasser ce tabou entretenu implicitement au sein de son peuple. La perspective même de tuer se voyait encore plus renforcée à l'idée d'éliminer son grand-père. La figure de l'ancien était importante dans le kotan. Et la détruire devenait dès lors dangereux. Entre deux respirations mécaniques, le balafré sonda ainsi le visage de son interlocuteur, pour déterminer jusqu'où la Main de Kiri était prêt à aller.
Shitekka n’apprend malheureusement rien de plus à son ainé au sujet des compétences de Renzabûro. Si son côté traditionaliste pousse le vieillard à privilégier le Shikotsumyaku, Wutu-Fuku doute qu’un ninja aussi expérimenté puisse n’avoir jamais travaillé ses affinités.
Quand Wutu-Fuku expose son plan à son allié, il trébuche bien logiquement sur sa potentielle létalité. Ce n’est pas un aspect de la vie de shinobi que le Jônin apprécie. Loin de là.
-J’ai déjà tué un humain, donc je sais déjà que je ne tire aucun plaisir à retirer la vie à autrui. C’est une décision purement pragmatique.
Un anonyme, mercenaire certainement, lorsque Kewashiioke a tenté de prendre Kiri. Une vaine tentative de libérer la Déesse de sa prison. Un meurtre nécessaire à la sauvegarde de Kiri… du moins c’est ainsi que l’on pouvait percevoir les choses à l’époque.
-Quelle autre solution avons-nous ? Il faudrait vraiment trouver des preuves capables de l'incriminer sur Wasure pour ne pas en arriver à cette conclusion funèbre. Même s’il perd l’Agni Kai, même s’il est déchu de son rang, il continuera ses bassesses, dans l’ombre. Tant qu’il aura des alliées. Tant que d’autres le feront en son nom. Comme le vieux Nâam. Comme les autres dont nous ne connaissons pas l’existence mais qui existent bien, j’en suis certain. Sauf si…
Une idée traverse l’esprit du Kaguya. Une idée qui ne lui plait guère, mais qui a au moins le mérite de ne pas nécessiter la mort de Renzabûro. Mais ce plan comporte encore bien des inconnues. Et il est d’autant plus risqué.
-Sauf si il accepte de jouer sa place lors du combat et de me la céder s’il le perd. Mais pour qu’il accepte une telle mise…
Le chef du clan a déjà fait preuve de son intelligence et de sa fourberie. Il n’acceptera pas de miser sa place pour le sport. Il demandera une mise d’une valeur semblable. Une mise qu’il convoite.
-Je dois miser le Complexe Shinobi.
Si Shitekka regarde Wutu-Fuku dans les yeux, il peut voir à quel point la Main de Kiri n’a pas envie de risquer le Complexe. Qu’il préfère encore un simple combat à mort, avec ce que ça implique pour lui, que l’éventualité de voir Renzabûro mettre la main sur la jeunesse de Kiri.
-Quelle idée ignoble… vu le lavage de cerveau qui est réservé aux jeunes Kaguyas, je n’ai aucun doute sur la façon dont il dirigerait l’enseignement de la future génération de Kirijins.
Une propagande digne des tyrans les plus immondes. Shitekka doit bien être conscient de ce risque, lui aussi, pour avoir papy Renza dans la famille.
-Mais cela ne règle pas la question de sa succession. Je ne compte pas être chef du clan. Renzabûro, ou n’importe lequel des anciens, c’est pareil. Je ne vois aucun remplaçant qui permettrait de réellement changer les choses. Je suppose que la place de chef de clan ne t’intéresse pas plus qu’elle ne m’intéresse.
Wutu-Fuku croise les bras et semble réfléchir un instant, avant de prendre soudainement un air plus grave. Une idée vient de jaillir dans son esprit.
-Qu’est-ce qui t’intéresse d’ailleurs, Shitekka ? Je veux dire… qu’est-ce que tu peux bien faire ici, à Kiri ?
Maintenant que le Jônin a vu la mère de l’Urumi, il ne peut que savoir. C’est pourtant évident.
-J’avais du mal à le comprendre jusqu’à maintenant… pourquoi tu restes, pourquoi tu t’infliges le supplice de vivre dans la même ville que ton grand-père. C’est pour elle.
Il désigne la femme inconsciente.
-C’est pour elle, ça l’a toujours été. Pour la guérir.
Indirectement, l'atmosphère stressante de la chambre d'hôpital invita les deux hommes à se révéler entièrement. Jusqu'à présent, Wutu-Fuku s'était toujours présenté comme un marginal du clan. Un homme calme, et réfléchi, qui critiquait la doctrine clanique. Mais face aux pressions exercées à son encontre, et aux révélations au sujet de Wasure, la Main de Kiri affichait un nouveau visage. En tout cas pour Shitekka. Le directeur du complexe shinobi n'hésitait pas en effet à envisager le pire, lorsqu'il paraissait déterminé à affronter Renzaburō jusqu'à la mort. Du moins s'il fallait en arriver à un tel extrême. Shitekka découvrit que son aîné avait déjà retiré la vie de quelqu'un. Il n'hésiterait pas à recommencer, surtout si la mort de Renzaburō apporterait la stabilité dans le village et le clan. Mais malgré l'assurance de Wutu-Fuku, le balafré doutait toujours de la légitimité de sa démarche.
« Avoir tué quelqu'un ne te donne quand même pas le droit de recommencer, même avec Renzaburō. »
Malgré sa fermeté à l'encontre de la décision de la Main de Kiri, Shitekka admettait que la situation ne laissait guère d'autres options disponibles à l'heure actuelle. Tout reposait pour l'heure sur leur expédition dans la Prison Oubliée, pour trouver des preuves incriminant Renzaburō et sa bande. Sans ces éléments factuels, les marginaux du clan qu'étaient Wutu-Fuku et Shitekka ne disposaient d'aucun appui concret pour discréditer l'actuel chef de clan. Tout… sauf peut-être un levier que convoitait le Démon blanc. La Main de Kiri suggéra alors de mettre en jeu sa place de directeur du complexe shinobi pour donner du poids à son Agni Kai. Forçant de fait Renzaburō à miser en retour sa propre place de chef de clan.
Sur le papier, l'idée paraissait bien plus intéressante que celle du combat à mort. Mais plus risquée aussi. Pour Shitekka, même s'il admettait intérieurement que les plans de Wutu-Fuku avaient quelque chose d'ingénieux, ils reposaient tous sur la crainte de l'échec de leur expédition à Wasure. Ce n'était qu'une fois leur enquête terminée sur place, qu'alors le groupe pourrait décider de la suite. Pour le moment, tout était flou, beaucoup trop flou pour décider. Même la question de la succession de Renzaburō devenait épineuse. Tout comme la Main de Kiri, Shitekka n'avait aucune envie d'hériter de la position de son feu sensei, et de son grand-père. Il n'était pas destiné à finir chef de la horde d'ivoire; le Chūnin souhaitait retrouver les siens sur Saroruncasi dès que possible. Une vie simple et paisible, loin des machinations politiques et internationales.
Wutu-Fuku changea alors de sujet pour s'intéresser à son cousin. Ce fut alors qu'il réalisa l'ambition de son nindō. Du fardeau qu'il avait accepté en devenant ninja de Kiri, et en portant le nom de Kaguya. Le balafré porta un regard sincère à sa mère. L'expression de son visage devint inaccessible à la vue de Wutu-Fuku, auquel il s'adressa.
« Oui. C'est pour elle que je fais tout ça. J'ai toujours vécu avec mon peuple, et c'est grâce à elle. C'est pour ça que je veux trouver un remède au Mal Blanc. Que je suis prêt à fouiller chaque recoin de Wasure pour une preuve des expériences sur les Kaguya. Si ça peut me mener sur une piste pour ce fichu remède, je suis prêt à prendre tous les risques pour y arriver. »
En réaffirmant sa détermination auprès de son acolyte, Shitekka se donnait l'impression qu'il allait y arriver. Il avait comme juré devant sa mère qu'il la soignerait complètement. Face au corps inconscient de sa génitrice, Shitekka aurait pu s'emporter. Mais cette prise de parole lui recentra en réalité les idées. L'esprit plus affuté, il repensa alors à un détail qui risquait d'intéresser Wutu-Fuku.
« Je ne sais pas si j'ai pu t'aider tout à l'heure pour Renzaburō. Mais je connais quelqu'un qui pourrait certainement t'en dire plus sur mon grand-père. »
Il jeta un regard à nouveau à sa mère, dont l'inconscience et le tube qui se déployait jusque dans sa gorge accentuaient son incapacité à répondre aux interrogations de Wutu-Fuku.
« Seika Kaguya est la seconde fille de Renzaburō. Elle a subie comme ma mère son entrainement, et a hérité de plusieurs de ses techniques. Avec ta réputation et son caractère, lui parler serait pas très efficace. Mais si j'arrange un duel entre vous deux, ça ferait un bon échauffement avant d'affronter Renzaburō. »
Wutu-Fuku ne devrait pas être étonné de savoir Shitekka réticent à l'idée de voir son grand-père mourir. Peut-être espère-t-il inconsciemment qu'il puisse changer d'avis... même si la Main de Kiri est persuadé du contraire. Mais il est étonné de voir cette réticence se justifier par ses croyances Urumis. Car c'est bien de cette philosophie dont il doit être question ici puisque le Jônin peut légalement ôter la vie de son adversaire si le duel est encadré par les règles ancestrales de l'Agni Kai. La culture Urumi n'est pas universelle.
-Le droit ? Mais Shitekka, j'ai parfaitement le droit d'ôter la vie de mon adversaire dans le cadre d'un Agni Kai. Et je ne pense pas que Renzaburô se gênera pour utiliser ce droit à mon encontre. Ce n'est pas entre moi et le clan, c'est entre moi et un individu capable de la plus infâme fourberie pour arriver à ses fins. Si l'existence du Pays Oublié n'avait pas été révélé au monde entier, peut-être qu'on m'y aurait envoyé, qui sait ?
Dit-il en haussant les épaules. C'est bien à cela que servait cette prison secrète, non ? Enfermer les personnes qui sont trop gênantes.
-Le sang sur mes mains me permet justement de comprendre à quel point c'est un acte lourd de conséquences. Le sang qui est sur mes mains, je le sens encore couler, parfois, entre mes phalanges.
Le métisse sait-il ce que toute cette affaire implique réellement à l'échelle du Pays de l'Eau ? Lui a la chance d'avoir un point de chute, une communauté soudée derrière lui. Est-ce qu'apaiser l'âme d'Hanae Kaguya est réellement important pour lui ? Ou n'est-il ici que pour sa mère ?
Si la résolution de Shitekka à sauver sa mère est encore entière et solide, il en va de même pour la résolution de Wutu-Fuku à éliminer son adversaire si c'est la seule solution.
Quoi qu'il en soit, Shitekka essaye tant bien que mal de trouver une alternative à la résolution du Kaguya. Il introduit au Jônin la seconde fille du chef du clan, une certaine Seika. Plutôt fidèle à son paternel visiblement. Mais c'est bien à un combat que l'Urumi pense. Une idée que Wutu-Fuku ne trouve pas très pertinente.
-Non. M'exposer maintenant n'est pas à mon avantage... ça se saurait, forcément. Et les techniques employées lors de ce duel également. J'ai l'avantage de ne jamais avoir eu besoin de dévoiler mes grosses techniques face à qui que ce soit, ce n'est pas pour perdre l'effet de surprise avant le duel le plus important de ma vie. Moins mes ennemis en savent sur mes capacités, mieux c'est.
Force était de constater que malgré leur alliance dans le but d'enquêter sur les secrets du clan, Wutu-Fuku et Shitekka partageaient quelques divergences d'opinion. La Main de Kiri était un homme d'action. Radical, peut-être, mais il ne souhaitait pas se complaire dans un certain laxisme des autorités. Son expérience passée lui permettait d'entrevoir la portée de ce scandale, et des mesures à prendre en conséquence. Shitekka lui, craignait les répercussions d'un tel acte. Il voulait agir avec le plus de précautions possibles. Son angoisse entravait son jugement, et son respect des aînés l'empêchait d'accepter la mort de son grand-père, aussi ignoble soit-il. Face à cette impasse, le Kaguya de sang-mêlé se sentait à présent dépassé par les évènements. Le voilà qui fomentait l'exécution de son grand-père en présence de sa mère…
Entre deux respirations mécaniques, le balafré essaya de se reprendre en main. Il poussa un long soupir qui accompagna le respirateur. L'avenir du clan se jouait très certainement dans cette petite pièce assombrie par le store. De telles décisions ne pouvaient être prises à la légère. L'enfant de Saroruncasi en prenait conscience, lui qui réalisait que l'avenir du clan conditionnait celui de sa mère. Il se tourna finalement à nouveau vers la Main de Kiri.
« Aussi infâme soit-il, une vie reste une vie… Vois les choses de l'autre côté : tuer Renzaburō n'arrêtera probablement pas ce qu'il se passe sur Wasure. Je doute qu'il soit le seul à gérer ça. Le tuer, c'est juste donner à un autre vieux crouton l'opportunité de prendre sa place et poursuivre là où il s'est arrêté. »
Il espérait que Wutu-Fuku comprendrait sa réflexion. Après tous ses efforts à rassembler quelques éléments à sa cause, et à dessiner les contours d'un projet d'enquête de la Prison Oubliée, Shitekka ne souhaitait pas voir ce projet fébrile voler en éclats avec la mort de Renzaburō. Le patriarche du clan avait certainement bien des informations capitales sur ce qu'il se tramait dans Wasure, et avait également sa part de responsabilité. Il méritait de payer pour ses actes, mais pas de sa vie. Et un simple Agni Kai ne suffirait pas à lui faire expier ses fautes.
La discussion se poursuivit, et le directeur du complexe avoua préférer garder ses atouts dans sa manche plutôt que de risquer à les dévoiler face à Seika. Une posture cette fois à la portée de Shitekka qui comprenait amplement le risque qu'encourait Wutu-Fuku. Malgré tout, le Chūnin n'en démordait pas. Mieux, il y voyait là l'occasion de faire d'une pierre deux coups. L'idée qui traversa l'esprit du joueur de mahjong lui décrocha un léger sourire. Une bénédiction pour le visage du balafré qui jusqu'à présent se cloisonnait sous des traits froids ou anxieux.
« Hum… dans ce cas, pourquoi ne pas assister à un duel entre Seika et moi ? Ça ne t'expose à aucun risque, et je suis sûr que ça fera plaisir à ma tante. Elle cherche toujours un moyen de me réduire en bouillie… constatait amèrement le Kaguya. Au moins, elle risque pas de se retenir. Ça te donnera un bon aperçu de ce dont est capable Renzaburō. »
Il marqua une courte pause.
« Mais en retour, j'aimerais que tu m'aides en ta qualité de directeur du complexe. Peux-tu aider à la création d'un remède contre le mal blanc ? J'ai cru comprendre qu'il y a une aile dédiée à la recherche. Avec le rapport d'autopsie, et le corps de Hanae Kaguya, je suis sûr que tu peux contribuer plus ou moins légalement à la découverte d'un remède. Qu'en penses-tu ? »
Beaucoup font l'amalgame entre les idéologies de Shyko et de Wutu-Fuku. La Main de Kiri ne rechignerait pas à se sallir les mains s'il le fallait. Il est important de noter qu'il n'y prendrait aucun plaisir. Le Kaguya n'est pas un sadique, il est simplement doté d'un certain pragmatisme. Renzaburô, tant qu'il sera vivant, restera une menace. Même derrière des barreaux, on peut avoir de l'influence. Peut-être Shitekka est-il trop limité dans sa perception de la situation par son éducation Urumi. Difficile de croire qu'un peuple vivant au contact de la nature perde son temps en querelles de pouvoir.
-Tuer Renzaburô ne changera pas ce qu'il se passe sur Wasure mais ça changera ce qu'il se passe à Kiri. Une menace à mon encontre et à l'encontre des nouvelles générations de Kirijins. Il n'est pas question que de mon destin. Les Urumis ne sont pas les seuls qui se soucient de leur peuple. Une fois cette question réglée, on pourra s'occuper de ce qu'il se passe sur Wasure, si on le peut.
Les deux Kaguyas campent sur leurs positions. Au moins, Shitekka semble comprendre à quel point Wutu-Fuku a intérêt à en montrer le moins possible à ses potentiels ennemis. C'est pour cela qu'il se propose pour affronter Seika à la place de la Main de Kiri. Une proposition qui n'est pas totalement désintéressée : en retour, l'Urumi souhaite que son ainé investisse les moyens à sa disposition pour avancer sur la recherche d'un remède au mal blanc.
Bien sûr, le métisse ne peut qu'ignorer les connaissances médicales de Wutu-Fuku, qui prend grand soin de les cacher le plus possible. Mais Shitekka est un allié de confiance. Les deux hommes partagent déjà de lourds fardeaux ensembles. Aussi ne dit-il rien dans un premier temps. Le Jônin remonte l'une de ses manches et tend le bras, qui s'entoure d'une aura verdâtre.
-Tu sais ce que c'est ?
Wutu-Fuku cesse sa démonstration et retend sa manche.
-Peu de gens à Kiri savent que je suis en train d'apprendre l'Iroujutsu. Le Complexe Shinobi m'offre une bonne couverture pour justifier le fait d'être très souvent “occupé”.
Les carpes des bassins du complexe ne sont pas là par hasard.
-Je peux t'aider à créer un remède contre le mal blanc, je peux même y contribuer directement.
Malgré cette “bonne nouvelle”, Wutu-Fuku se sent obligé de calmer les ardeurs de son acolyte concernant un potentiel rapatriement du corps d'Hanae Kaguya.
-Avoir le corps d'Hanae Kaguya serait très utile, mais le rapatrier au complexe est trop risqué. Ce n'est pas un endroit dédié à la recherche médicale normalement, donc ça va forcément attirer l'attention. Peut-être qu'un “morceau” serait plus facile à transporter ?
Il paraissait étrange que deux hommes pourtant si déterminés à s'associer pour neutraliser la menace qui pesait constamment sur leur clan possédaient des opinions divergentes sur ce même sujet. C'était là la preuve de leur caractère, de leur éducation bien singulière et de leurs convictions personnelles qui s'affirmaient malgré leur alliance secrète. Sur la question du sort du grand-père maternel de Shitekka, le débat sembla rester en suspens. La décision était bien trop épineuse à ce stade de l'aventure pour le Kaguya de Saroruncasi qui ne pouvait se résoudre à envisager la mort d'une personne, aussi ignoble soit-elle. Il préféra donc maintenir le statu quo en ne réagissant pas aux propos de Wutu-Fuku.
A la place, Shitekka reporta son attention sur l'étrange aura de jade qui émana de la dextre de son acolyte. A en juger de la réponse de la Main de Kiri, ce halo vert était là la preuve matérielle de son apprentissage fructueux des arts médicaux ninjas : l'Iroujutsu. Le balafré ne pouvait pas rêver mieux, lui qui sollicita les services de Wutu-Fuku en sa qualité de directeur du complexe shinobi. Avec l'appui direct de la Main de Kiri dans l'élaboration d'un remède contre le mal blanc, l'enfant de Saroruncasi se sentit immédiatement rassuré. Il jeta un œil à sa mère, profondément endormie. Il avait à cet instant comme l'impression qu'il était à présent digne de pouvoir la regarder. Ses progrès devenaient bientôt palpables, encore fallait-il que Wutu-Fuku puisse lui être en mesure de palper la première étape de ce remède : Hanae Kaguya.
« Oui, effectivement ça serait suicidaire de rapatrier sa dépouille dans tes quartiers… j'avais pas pensé à ça… constatait-il, pensif, avant de réaliser : J'ai cru comprendre qu'il était possible de sceller des objets dans des parchemins. Faire de même avec un corps ne me semble pas impossible. Et au pire des cas, le mieux c'est que tu voies directement avec Yuki Tetsuo. Du temps de Watanabe Shiori, il était directeur des expériences scientifiques de Kiri. C'est lui qui possède le corps de Hanae. Avec vos deux postes, ça ne devrait pas trop d'éveiller des soupçons si tu le rencontres. »
L'affaire conclue, le Kirijin se sentit maintenant mal de rester plus longtemps à proximité de sa mère. Elle avait presque agi comme témoin de cet accord secret, et méritait à présent le repos, loin des conspirations de deux Kaguya isolés.
« Je crois qu'on peut s'en tenir là. Nous avons un deal maintenant, Wutu-Fuku. De mon côté, je m'engagerai à le tenir dès que possible. J'en attend autant de toi, mon ami. »
Il remercia encore son seul allié dans ce monde d'ombres, et adressa quelques prières murmurées à sa mère convalescente dans sa langue natale. Puis, le cœur allégé par son entretien avec Wutu-Fuku, mais tantôt alourdi par la vue tragique de l'état de sa génitrice, il prit congé.
« Nous nous reverrons, très prochainement. »
Il restait effectivement à organiser dorénavant une séance d'entrainement auprès de sa tante pour l'inciter à révéler la nature du style de combat de son géniteur, l'actuel chef du clan Kaguya. La tâche serait aisée, au vu du caractère belliqueux que Seika Kaguya hérita du Démon Blanc de Kiri. Il restait en revanche à la persuader du bien fondé d'inviter un des ennemis notoires de son paternel en tant que spectateur d'un de leur duel…
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